Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1B_326/2013
1B_327/2013
Arrêt du 6 mars 2014
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Aemisegger, Merkli, Eusebio et Chaix.
Greffière: Mme Kropf.
Participants à la procédure
1B_326/2013
A.________, représentée par Me Hervé Crausaz, avocat,
recourante,
et
1B_327/2013
M inistère public central du canton de Vaud, Division entraide, criminalité économique et informatique, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens,
recourant,
contre
B.________ et C.________,
D.________,
tous représentés par Me Alix de Courten, avocate,
intimés.
Objet
Séquestre pénal,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 13 août 2013.
Faits:
A.
Le 14 février 2013, A.________ a déposé une plainte pénale contre son ancien employé, B.________ (ci-après: le prévenu), ainsi que contre tout éventuel participant, pour gestion déloyale et faux dans les titres, soutenant avoir subi un préjudice de USD 3 millions. B.________ a été entendu par la police le 13 juin 2013 et une instruction pénale a été ouverte à son encontre pour escroquerie, gestion déloyale, faux dans les titres et suppression de titres.
Par ordonnance du 14 juin 2013, le Ministère public central du canton de Vaud - division entraide, criminalité économique et informatique - a ordonné le séquestre des biens-fonds sis à S.________ - copropriété simple et à part égale de B.________ et de son épouse, C.________ -, à R.________ - propriété individuelle du prévenu - et à T.________, propriété commune de B.________ et de sa soeur, D.________. Le Procureur a requis des Conservateurs des Registres fonciers de Morges, de Lavaux-Oron et de Lausanne d'inscrire une restriction au droit d'aliéner sur les biens-fonds susmentionnés.
B.
Par arrêt du 13 août 2013, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis les recours de C.________ et de D.________, ainsi que partiellement celui déposé par B.________. Elle a constaté l'existence de soupçons suffisants qui laissaient présumer que le prévenu se serait rendu coupable, avec ses éventuels complices, notamment d'escroquerie ou de gestion déloyale pour un montant en l'état d'environ USD 717'778.88. Retenant que C.________ et D.________ n'étaient pas prévenues dans l'instruction, la cour cantonale a annulé les séquestres concernant les parts de propriété de ces dernières. Elle a ensuite considéré que dès lors que le montant résultant des infractions ne pourrait pas être confisqué par l'Etat mais devrait être restitué à la lésée, les séquestres des parts de B.________ sur les immeubles de S.________ et de T.________ ne pouvaient pas être prononcés. Les juges cantonaux ont en revanche confirmé le séquestre sur le bâtiment situé à R.________, considérant que la valeur de ce seul immeuble suffisait à garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités.
C.
Le 19 septembre 2013, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à son annulation (cause 1B_326/ 2013). Elle demande la confirmation de l'ordonnance de séquestre rendue le 14 juin 2013 par le Procureur. A titre subsidiaire, elle requiert le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
Le Ministère public forme également recours en matière pénale contre le jugement cantonal (cause 1B_327/2013). Il demande la réforme de celui-ci en ce sens que les recours cantonaux soient rejetés, que l'ordonnance de séquestre soit confirmée et, subsidiairement, que la cause soit renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il requiert encore l'octroi de l'effet suspensif.
Invitée à se déterminer, la Chambre des recours pénale s'est référée à ses considérants. Quant au Procureur, il a renoncé à se déterminer sur le recours de A.________. Le 8 octobre 2013, B.________, C.________ et D.________ ont conclu à l'irrecevabilité des recours et, subsidiairement, à leur rejet. Ils se sont aussi opposés à l'octroi de l'effet suspensif, joignant à cet égard des extraits du Registre foncier pour les immeubles de S.________ et de T.________ qui constatent la radiation des interdictions d'aliéner. A.________ s'est déterminée une seconde fois, produisant un tableau des sommes alléguées encaissées à son détriment par ses anciens traders, dont B.________. Par courrier du 13 décembre 2013, les intimés ont persisté dans leurs conclusions.
Le 10 octobre 2013, le Président de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la requête d'effet suspensif. Cette ordonnance a été rapportée le 28 octobre 2013 et l'effet suspensif accordé dès lors que les mentions du droit d'aliéner figurant sur les extraits du Registre foncier du 24 octobre 2013 n'avaient pas été radiées.
Considérant en droit:
1.
Les deux recours visent la même décision. Ils ont trait au même complexe de faits et portent sur des questions juridiques similaires. Il se justifie par conséquent de joindre les deux causes et de statuer dans un même arrêt.
2.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1

2.1. L'arrêt attaqué, relatif à des séquestres, est une décision rendue en matière pénale par une autorité de dernière instance cantonale (art. 80 al. 1


2.2. Les mesures de contrainte relevant de la procédure pénale sont des actes de procédure pris par les autorités pénales qui touchent les droits fondamentaux des personnes intéressées et permettent de mettre les preuves en sûreté, d'assurer la présence de certaines personnes durant la procédure et/ou de garantir l'exécution de la décision finale (art. 196 let. a






CPP; ATF 129 I 103 consid. 2 p. 105 ss).
Dès lors que le sort des biens saisis n'est décidé définitivement qu'à l'issue de la procédure pénale et dans la mesure où la décision incidente de séquestre (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131 et les références) peut être attaquée aux conditions de l'art. 93 al. 1



2.3. Le séquestre pénal étant une décision à caractère incident, le recours n'est donc recevable que si l'acte attaqué est susceptible de causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a

Tel est le cas en l'espèce. En effet, au regard notamment du montant du préjudice allégué par la recourante - USD 3 millions - et de l'état du compte courant du prévenu au 14 juin 2013 (546 fr. 63 ), tant l'Etat, représenté par le Ministère public, que la partie plaignante voient la garantie de leurs prétentions en paiement d'une éventuelle créance compensatrice compromise par la levée des séquestres sur deux des trois immeubles en cause (art. 71


2.4. La partie plaignante est habilitée à recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. b ch. 5


Il en va de même du Ministère public qui défend les intérêts de l'Etat, lequel est le bénéficiaire d'une possible créance compensatrice ou d'une part de celle-ci (art. 81 al. 1 let. b ch. 3

2.5. Pour le surplus, les recours ont été déposés en temps utile (art. 100 al. 1


3.
Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1





En l'occurrence, la recourante reproche à l'autorité cantonale d'avoir considéré que les infractions commises à son encontre se seraient produites en 2011 et en 2012. Selon elle, elles auraient débuté dès 2008 et leur produit aurait permis au prévenu de financer l'acquisition d'immeubles, notamment celui de S.________ acheté en octobre 2010. Si certaines pièces du dossier semblent venir appuyer cette thèse (cf. le tableau établi par la police débutant en 2010, le paiement le 31 août 2010 par l'un des producteurs de café sur le compte courant du prévenu en lien avec la facture établie le 20 août 2010 et les versements au prévenu par ce même producteur en juillet et septembre 2010), la question d'un possible lien entre les immeubles et les actes reprochés au prévenu n'est pas déterminante en l'espèce, puisque, même en l'absence d'une telle relation, tout séquestre n'est pas exclu.
Partant, le grief d'arbitraire dans l'établissement des faits n'a pas à être tranché.
4.
Les recourants invoquent des violations des art. 70


4.1. Le séquestre est prononcé en principe en matière pénale sur la base de l'art. 263





4.1.1. S'agissant en particulier d'un séquestre en vue de la confiscation, cette mesure conservatoire provisoire - destinée à préserver les objets ou les valeurs que le juge du fond pourrait être amené à confisquer - est fondée sur la vraisemblance et se justifie aussi longtemps qu'une simple possibilité de confiscation en application du Code pénal semble, prima facie, subsister (ATF 139 IV 250 consid. 2.1 p. 252 s.; 137 IV 145 consid. 6.4 p. 151 s. et les références citées; arrêts 1B_127/2013 du 1 er mai 2013 consid. 2; 1P.405/1993 du 8 novembre 1993 consid. 3 publié in SJ 1994 p. 90). L'art. 70 al. 1

lorsque l'obtention des valeurs patrimoniales est l'un des éléments constitutifs de l'infraction ou constitue un avantage direct découlant de la commission de l'infraction. En revanche, les valeurs ne peuvent pas être considérées comme le résultat de l'infraction lorsque celle-ci n'a que facilité leur obtention ultérieure par un acte subséquent sans lien de connexité immédiate avec elle (ATF 129 II 453 consid. 4.1 p. 461; arrêt 1B_185/2007 du 30 novembre 2007 consid. 9).
4.1.2. Dès lors, lorsque l'avantage illicite doit être confisqué, mais que les valeurs patrimoniales en résultant ne sont plus disponibles - parce qu'elles ont été consommées, dissimulées ou aliénées -, le juge ordonne le remplacement par une créance compensatrice de l'Etat d'un montant équivalent; elle ne peut être prononcée contre un tiers que dans la mesure où les conditions prévues à l'art. 70 al. 2


2007 consid. 10.1; Florian Baumann, in BSK StGB, 3ème éd. 2013, no 65 ad art. 70





Le Code de procédure pénale ne prévoit pas expressément, ainsi qu'il le fait pour le séquestre en vue de la confiscation (cf. art. 263 al. 1 let. d







L'art. 71 al. 3






Ce n'est en outre que dans le cadre du jugement au fond que seront examinés l'éventuel prononcé définitif de la créance compensatrice et sa possible allocation au lésé (cf. art. 73 al. 1 let. c


Par "personne concernée" au sens de l'art. 71 al. 3




4.2. Le Tribunal cantonal a considéré qu'un séquestre en vue de la confiscation au sens de l'art. 263 al. 1 let. d

A suivre ce raisonnement, dans l'hypothèse où le prévenu aurait disposé des biens ou produits résultant d'une infraction effectuée au détriment d'une partie plaignante, il se trouverait privilégié par rapport à celui qui serait poursuivi dans une procédure pénale sans lésé, soit par exemple en matière de trafic de stupéfiants ou de corruption ( BOMMER/GOLDSCHMID, op. cit., n o 43 et 48 ad art. 263



Or, le lésé peut, si un crime ou un délit lui a causé un dommage qui n'est couvert par aucune assurance et s'il y a lieu de craindre que l'auteur ne réparera pas le dommage ou le tort moral, demander au juge de lui allouer, jusqu'à concurrence des dommages-intérêts ou de la réparation morale fixés par un jugement ou par une transaction, les objets et les valeurs patrimoniales confisqués ou le produit de leur réalisation - sous déduction des frais - (art. 73 al. 1 let. b



consid. 2.1; MADELEINE HIRSIG-VOUILLOZ, op. cit., n o 22 ad art. 71

Le raisonnement tenu par la juridiction précédente équivaut également à dénier à l'Etat - représenté dans la présente cause par le Ministère public recourant - toute garantie en vue du paiement de la possible part de la créance compensatrice que le lésé doit lui céder lorsque le juge la lui a allouée (cf. art. 73 al. 2


Il en résulte qu'un séquestre en vue de garantir une éventuelle créance compensatrice doit être possible même en présence d'un lésé (cf. notamment les arrêts 1B_421 et 493/2011 du 22 décembre 2011, ainsi que 1B_185/2007 du 30 novembre 2007). Une telle hypothèse n'est d'ailleurs exclue dans l'ATF 126 I 97 que dans la mesure où la faillite a été déclarée sur le patrimoine de l'auteur ou du bénéficiaire de l'infraction et que les valeurs patrimoniales sur lesquelles le séquestre est requis en garantie d'une créance compensatrice de l'Etat ou du lésé font partie de la masse en faillite (cf. consid. 3c/cc dudit arrêt; NIKLAUS OBERHOLZER, op. cit., n o 1150; MADELEINE HIRSIG-VOUILLOZ, op. cit., n o 28 ss ad art. 71

4.3. Il doit ensuite être déterminé sur quels biens cette mesure peut être ordonnée.
Dès lors qu'une part de copropriété peut faire l'objet d'une exécution forcée (cf. art. 646 al. 3

bien-fonds de S.________. Pour le surplus, s'agissant de cet immeuble, le jugement attaqué est confirmé.
Si la recourante soutient dans sa plainte pénale que son dommage total équivaudrait à USD 3 millions - ce qu'il lui appartiendra de démontrer -, le rapport de police fait état d'une valeur bien inférieure en ce qui concerne le dommage dont l'intimé serait l'auteur (USD 445'898.88), des tiers étant susceptibles d'avoir aussi commis des infractions au préjudice de la plaignante. Or, aucune disposition ne prévoit la solidarité entre plusieurs prévenus dans le cas d'une condamnation au paiement d'une créance compensatrice (ATF 119 IV 17 consid. 2b p. 21 s.; Dupuis/Geller/Monnier/Moreillon/Piguet/Bettex/ Stoll, op. cit., no 12 ad art. 71



Il en résulte qu'un éventuel séquestre de l'immeuble de T.________, propriété commune du prévenu et de sa soeur, respectivement de la valeur de la part du premier en cas de liquidation de la communauté (cf. art. 653 al. 3

5.
5.1. Il s'ensuit que les recours sont partiellement admis. L'arrêt cantonal est annulé dans la mesure où il (1) lève le séquestre sur la part de copropriété détenue par le prévenu sur l'immeuble sis à S.________ (n o 1338) et (2) ne requiert pas du Conservateur du Registre foncier de Morges l'inscription d'une restriction au droit d'aliéner sur ladite part. La cause est renvoyée à la Chambre des recours pénale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale (art. 67


Pour le surplus, les recours sont rejetés et l'arrêt entrepris est confirmé.
5.2. Les frais et dépens sont fixés pour les deux procédures fédérales (causes 1B_326/2013 et 1B_327/2013). Les frais judiciaires sont répartis entre les parties; il est pris en compte pour la fixation des montants que les deux recourants n'obtiennent gain de cause que partiellement et que le Ministère public bénéficie de l'application de l'art. 66 al. 4


Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Les causes 1B_326/2013 et 1B_327/2013 sont jointes.
2.
Les recours sont partiellement admis et l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois du 13 août 2013 est annulé dans la mesure où il (1) lève le séquestre sur la part de copropriété détenue par le prévenu sur l'immeuble sis à S.________ et (2) ne requiert pas du Conservateur du Registre foncier de Morges l'inscription d'une restriction au droit d'aliéner sur la part de copropriété détenue par le prévenu sur le bien-fonds situé à S.________.
3.
Les frais judiciaires, réduits à 1'875 fr. pour les deux procédures fédérales, sont mis pour 1'125 fr. à la charge de la recourante A.________ et pour 750 fr. à la charge solidaire des trois intimés.
4.
Les dépens sont compensés.
5.
La cause est renvoyée à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
6.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, ainsi qu'aux Conservateurs des Registres fonciers de Morges, de Lavaux-Oron et de Lausanne.
Lausanne, le 6 mars 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
La Greffière: Kropf