S. 121 / Nr. 29 Markenschutz (f)

BGE 63 II 121


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Regeste:
29. Extrait de l'arrêt de la I re Section civil. du 19 mai 1937 dans la cause
Silbermann contre R. & O. Weil.
1. Enregistrement international des marques. (Arrangement de Madrid du 14
avril 1891, revisé à la Haye le 6 novembre 1925). La règle jurisprudentielle
selon laquelle les questions du droit au fond, telles que celles de
l'imitation, de la priorité, etc. relèvent du droit interne de l'Etat dans
lequel la protection est requise, s'applique aussi aux différends découlant de
la Convention de Paris du 20 mars 1883, revisée le 6 novembre 1925 (consid.
1).
2. Art. 4 et 5 loi sur les marques. En droit suisse, c'est l'usage effectif,
et non l'enregistrement qui crée le droit à la marque. A cet égard, il est de
jurisprudence que le premier usage à l'étranger est assimilé au premier usage
en Suisse. La question de l'abandon de ce dernier principe, dit
d'universalité, au profit du principe de territorialité est laissée ouverte
par le TF. Rôle décisif de la bonne foi (consid. 2).

Résumé des faits:
A. - Les docteurs R. et O. Weil exploitent à Francfort s/le Main une fabrique
de produits chimiques et pharmaceutiques. Le 15 décembre 1906, ils ont déposé
à l'Office allemand des brevets (Reichspatentamt) une marque «Virilium»
désignant une spécialité contre l'impuissance masculine. Ce dépôt a été
renouvelé le 9 décembre 1926. La marque «Virilium» a été enregistrée au Bureau
international de la propriété industrielle le 2 septembre 1929 sous no 65.308.
Boris Silbermann, à Genève, est le représentant général de la maison D r
Weiss, fabrique de produits pharmaceutiques à Berlin, cette maison a lancé
dans le commerce des préparations hormoniques destinées à guérir
l'impuissance, préparations dont Silbermann est le dépositaire et

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le distributeur pour la Suisse. En 1928, le D r Weiss a déposé pour ses
produits, auprès de l'Office allemand, la marque «Viriline»; mais elle a été
refusée à cause de sa ressemblance avec la marque «Virilium». La maison Weiss
réussit cependant à faire inscrire en Allemagne pour le même produit la marque
«Virilinets», et, pour un produit correspondant destiné aux femmes, la marque
«Fertilinets» elle a déposé en outre la marque «Fertiline-Viriline» et les
marques dérivées «Virilinets», les deux dernières lettres écrites en petits
caractères, et «Viriline(ts)» avec un crochet encadrant la terminaison «ts» La
marque «Fertiline-Viriline» a été enregistrée au Bureau international à Berne
le 23 juillet 1928 SOUS no 58.979; le 3 avril 1930, ont été déposées les
marques «Fertilinets» et «Virilinets» sous nos 68.546 et 68.547.
Malgré le refus d'enregistrement de la marque «Viriline», la maison Weiss a
continué de vendre ses produits en Allemagne sous cette désignation, ainsi que
sous celle de «Virilinets». Les D rs Weil ont alors intenté un procès au D r
Weiss; par jugement du 14 décembre 1934, l'Oberlandsgericht de Francfort s/ le
Main a interdit au défendeur l'emploi des marques «Viriline» et «Virilinets»;
le D r Weiss s'est en outre obligé à faire radier cette dernière marque ainsi
que ses variantes «Virilinets» et «Viriline(ts)» avec crochets.
Silbermann vend en Suisse les produits de la maison Weiss sous les différentes
marques décrites ci-dessus. Les mêmes désignations figurent également sur les
prospectus et les papiers d'affaires du dépositaire. Par lettres des 28
février, 9 mars 1932 et 10 septembre l 935, les fabricants du produit
«Virilium» ont fait défense à Silbermann d'utiliser les marques interdites en
Allemagne. Le représentant n'a pas donné suite à ces mises en demeure.
B. - Se fondant sur les art. 24 SS loi sur les marques et 48 CO, les D rs R.
et O. Weil ont ouvert action à Silbermann, en concluant notamment à ce qu'il
soit dit que les marques «Viriline», «Virilinets» et

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«Fertiline-Viriline» constituent des imitations de la marque «Virilium», et à
ce que, partant, il soit interdit au défendeur d'utiliser de n'importe quelle
manière les désignations incriminées.
Le défendeur a conclu au rejet de l'action et a formé une demande
reconventionnelle tendant essentiellement à l'interdiction de la marque
«Virilium». Il soutient en particulier que, déposée en Suisse avant la marque
«Virilium», la marque «Fertiline-Viriline» et les marques qui en dérivent sont
au bénéfice de l'antériorité et ont donc seules droit à la protection (art. 4
loi sur les marques).
La Cour de Justice civile de canton de Genève a admis l'action principale et
rejeté la demande reconventionnelle.
C. - Le défendeur a recouru en réforme, en reprenant ses conclusions. Le TF a
confirmé l'arrêt attaqué.
Extrait des motifs:
1.- Les demandeurs réclament la protection de leur marque en se fondant sur
une inscription au registre international des marques. Le défendeur invoque le
meilleur droit qui dériverait pour lui d'une inscription antérieure au même
registre.
Aux termes de l'art. 4 de l'Arrangement de Madrid du 14 avril 1891, revisé à
La Haye le 6 novembre 1925, une marque enregistrée au Bureau international
jouit dans chacun des pays contractants, donc également en Suisse, de la même
protection que si elle y avait été directement déposée. Les conditions
auxquelles est soumis l'enregistrement international ne jouent aucun rôle en
l'espèce; il ne s'agit ici que du contenu des droits conférés par
l'inscription. Or, à cet égard, il est de jurisprudence constante que les
questions du droit au fond, telles que celles de l'imitation, de la priorité,
etc. relèvent du droit interne de l'Etat dans lequel la protection est
requise. Cette règle s'applique même aux différends découlant de la Convention
de Paris du 20 mars 1883, revisée le 6 novembre 1925 (RO 53 II 360, arrêt non
publié du 9 décembre 1931 en la cause Schülke & Mayr c/ Hofmann). Le présent

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litige doit donc être résolu à la lumière du droit suisse. 2. - Les deux
parties prétendent chacune se mettre au bénéfice du meilleur droit, la maison
demanderesse en se prévalant d'un usage antérieur en Allemagne et à
l'étranger, notamment en Suisse, la maison défenderesse en invoquant
l'antériorité d'inscription en Suisse. C'est aux demandeurs que la Cour
cantonale a reconnu le droit de réclamer la protection légale. Les premiers
juges partent du principe que l'antériorité d'emploi dans le pays ou à
l'étranger prime l'antériorité d'inscription; or il résulte, tant du dépôt de
la marque «Virilium» en 1906 et en 1926 que du jugement de Francfort, que les
demandeurs ont utilisé leur marque en Allemagne et hors d'Allemagne, en
l'apposant sur leurs produits et en la faisant figurer sur leurs prospectus,
bien avant que les spécialités du Dr Weiss eussent été introduites sur le
marché; il ressort d'autre part d'une déclaration Galenica S. A. que le
«Virillum» est vendu en Suisse, en petite quantité, mais d'une manière
régulière.
En droit suisse, ce n'est pas la formalité de l'inscription qui crée le droit
à la marque, mais l'usage effectif d'un signe comme marque. L'enregistrement
n'a qu'un effet déclaratif; il met le premier déposant au bénéfice d'une
simple présomption de légitimité (art. 5 loi sur les marques). Le Tribunal
fédéral a considéré d'autre part qu'en tant que droit individuel, le droit à
la marque avait un caractère universel et qu'à cet égard, peu importait que le
premier usage eût lieu en Suisse ou à l'étranger (principe d'universalité,
énoncé dans l'arrêt «Apollo», RO 26 II 664, confirmé à différentes reprises,
cf. notamment 43 II 98, 47 II 354, 56 II 407).
En l'espèce, le premier usage à l'étranger est constaté par la Cour cantonale
d'une manière qui lie le Tribunal fédéral. En revanche il ne ressort pas de
l'arrêt attaqué que les demandeurs aient utilisé la marque «Virilium» en
Suisse avant le 23 juillet 1928, date de l'inscription de la marque
«Fertiline-Viriline». Les premiers juges n'ont pas cru devoir préciser ce
point, considérant que

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l'usage antérieur en Allemagne suffisait, au regard de la jurisprudence, à
créer le droit préférable des demandeurs. Il n'y a cependant pas lieu de
renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour complément d'instruction, car le
Tribunal fédéral n'a aucune raison, dans le cas particulier, de se départir de
sa pratique constante.
Le principe d'universalité, tel qu'il a été admis par le Tribunal fédéral, a
fait, il est vrai, l'objet de diverses critiques (cf. BURKHARDT, J.d.T. 1901
p. 274, à propos de l'arrêt «Apollo»; WALDKIRCH, Der Gebrauch der Marke nach
schweizerischem Recht. Zeitschr. f. schw. Recht, 1931 p. 127). Le Tribunal
fédéral ne l'a d'ailleurs conservé qu'en matière de premier usage; il l'a
abandonné quant au point de savoir si une désignation est devenue un signe
libre, un «Freizeichen» (RO 39 II 112), tout en relevant qu'il s'agit là d'une
question bien différente (RO 43 II 98). Mais on a fait observer que la nature
du droit individuel n'impliquait pas que celui-ci fût universel et ne pût être
lié à un territoire donné. D'autre part, les différences existant entre les
législations feraient obstacle à l'application du principe d'universalité:
certains pays n'attribuent à l'usage aucun rôle ou qu'un rôle subordonné (par
ex. l'Allemagne); d'autres, qui admettent le système de l'effet déclaratif de
l'inscription, ne tiennent cependant pas compte de l'usage à l'étranger (par
ex. la France et l'Angleterre). Ainsi, les Etats qui nous entourent
n'attacheraient jamais aucune valeur à l'usage en Suisse, tandis qu'en Suisse
l'usage à l'étranger crée le droit à la marque. On a insisté enfin sur les
conséquences fâcheuses du principe pour les industriels suisses; ceux-ci,
après avoir lancé à gros frais une marque, pourraient se voir opposer
l'existence d'une marque semblable dans un pays lointain. Il conviendrait donc
d'adopter le principe de territorialité et de ne prendre en considération que
le premier usage en Suisse. Ce principe trouverait d'ailleurs son correctif
dans les règles de la bonne foi qui ne permettraient pas à un déposant suisse
de mauvaise foi de se prévaloir de son dépôt. De même, l'art. 6 bis de la

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Convention d'Union de Paris assurerait à l'usager étranger une protection
suffisante.
Il faut tout d'abord relever, en réponse à ces critiques, que des motifs
d'équité ou des considérations d'ordre pratique pourront, le cas échéant,
justifier une exception au principe posé par la jurisprudence (cf. arrêt
«Apollo» in fine). Quant à ce principe lui-même, le Tribunal fédéral peut, en
l'espèce, laisser ouverte la question de son abandon, car, dans les
circonstances de la cause, un changement de jurisprudence ne modifierait pas
la solution à donner au litige.
On est en effet en présence de deux marques allemandes, partant de deux
intérêts allemands, voire de deux parties allemandes, car, derrière le
défendeur Silbermann, il y a le D r Weiss. On pourrait à cet égard déjà se
demander si, même dans le système de la territorialité, le premier usage à
l'étranger ne devrait pas faire règle en Suisse lorsque, comme dans le cas
particulier, deux titulaires étrangers entrent en conflit en Suisse sans
qu'aucun intérêt national soit engagé. Mais surtout - et indépendamment même
de la question d'imitation - le D r Weiss et son représentant Silbermann
n'étaient pas de bonne foi en introduisant en Suisse les marques «Viriline» et
«Virilinets» rejetées par l'Office allemand et interdites par le jugement de
Francfort; le défendeur ne pouvait pas ignorer ces deux dernières décisions;
son attention avait d'ailleurs été attirée par diverses mises en demeure.
L'attitude de Silbermann apparaît donc déloyale; elle ne lui permet, sous
aucun rapport, de réclamer la protection légale. En effet, à supposer qu'on
l'accueillît, le principe de territorialité trouverait lui-même ses limites
dans les règles de la bonne foi (art. 2
SR 210 Schweizerisches Zivilgesetzbuch vom 10. Dezember 1907
ZGB Art. 2 - 1 Jedermann hat in der Ausübung seiner Rechte und in der Erfüllung seiner Pflichten nach Treu und Glauben zu handeln.
1    Jedermann hat in der Ausübung seiner Rechte und in der Erfüllung seiner Pflichten nach Treu und Glauben zu handeln.
2    Der offenbare Missbrauch eines Rechtes findet keinen Rechtsschutz.
CC.); c'est ce qu'admet la
jurisprudence des pays qui ne tiennent pas compte de l'usage à l'étranger (cf.
POUILLET, Traité des marques de fabrique, 6e édit. no 36 et no 630).
Les demandeurs sont donc fondés à invoquer la priorité de leur marque et à en
exiger la protection...