S. 241 / Nr. 36 Bürgerrecht (f)

BGE 61 I 241

36. Arrêt du 7 juin 1935 dans la cause Dame Menge contre Bourgeoisie de
Granges.

Regeste:
1. Quand une personne fait un recours de droit public contre une commune dont
elle se prétend citoyenne, mais qui lui refuse des papiers d'origine, le
Tribunal fédéral est compétent pour examiner, à titre préjudiciel, la question
même du droit de cité, encore que l'action en constatation de ce droit reste
réservée la juridiction cantonale. Art. 44 et 45 CF (consid. 2).
2. D'après l'ancienne législation impériale (loi du 1er juin 1870), la
nationalité allemande se perdait dès l'instant où l'acte de dénationalisation
(Entlassungsurkunde) était notifié à l'intéressé, sans égard pour le fait que
celui-ci eût ou n'eût pas acquis une autre nationalité à ce moment (consid.
3).

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3. D'une façon générale, depuis l'entrée en vigueur du BGB, la renonciation à
la nationalité allemande s'étendait aux enfants mineurs d'une veuve investie
de la puissance paternelle (consid. 3).
4. En droit français, la femme qui épouse un étranger cesse d'être française
par le seul fait qu'elle acquiert la nationalité de son époux (consid. 4).
5. La femme suisse ne perd sa nationalité par son mariage avec un étranger que
quand elle acquiert, en même temps, le droit de cité de son mari. Au
contraire, quand elle épouse un apatride, elle reste suisse et transmet cette
nationalité aux enfants du mariage, lorsque sans cela, lesdits enfants
seraient eux-mêmes heimatlos (consid. 6).
6. Quand la femme avait acquis un droit de cité suisse par un premier mariage,
elle garde ce droit, lors de son second mariage avec un apatride, et ne
reprend pas le droit de cité suisse qu'elle possédait comme jeune fille
(consid. 6).

Extrait de l'état de faits:
A. - William-Noë-Augustin Menge est né le 14 juillet 1897. Il est fils de
Charles-Alexandre Menge, originaire de Neumark (Allemagne) et de Marie-Hermine
née Favre, originaire de Limoges (France). Après le décès de son mari, Dame
Menge-Favre s'établit à Genève, le 20 juin 1910.
En 1913, Dame Menge déclara renoncer à la nationalité allemande et, le 1er
avril de cette année, elle reçut de l'autorité compétente allemande un acte de
dénationalisation (Entlassungsurkunde).
B. - Le 31 décembre 1918, William Menge s'est marié avec Marie-Thérèse, fille
de Gérard Ortelli, de Morbio Superiore (Tessin), veuve de (Charles-Marie
Germanier, de Granges (Valais), qu'elle avait épousé en 1909.
Du mariage de William Menge avec Marie-Thérèse née Ortelli, veuve Germanier,
sont nés trois enfants.
C. - En 1930, 1932 et 1934, Dame Menge née Ortelli - alléguant que son mari
était heimatlos et que, par conséquent, elle avait gardé le droit de cité
qu'elle possédait avant son mariage - a demandé à la commune de Granges des
actes d'origine pour elle-même et pour ses trois enfants. Mais elle s'est
heurtée à un refus.

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D. - Par acte déposé le 28 décembre 1934, William Menge a interjeté un recours
de droit public, en concluant à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral inviter la
commune de Granges à délivrer à sa femme et à ses enfants les actes d'origine
réclamés.
Il invoque les art. 44 et 45 CF.
E. - La commune intimée conclut au rejet du recours.
Considérant en droit:
2.- ... Sur la base des art. 44 et 45 CF, les recourants ne peuvent demander
au Tribunal fédéral que d'ordonner à la commune récalcitrante de leur délivrer
un acte d'origine. En revanche, l'action en constatation du droit de cité,
proprement dite, relève des tribunaux cantonaux.
Mais, en pratique, le résultat est sensiblement le même, car, dans un cas
comme la présente espèce, le Tribunal fédéral ne peut statuer sur les
conclusions des recourants sans examiner et trancher la question même du droit
de cité. La solution de cette question n'est toutefois qu'un motif de l'arrêt
et ne participe pas à l'autorité de la chose jugée attachée au seul dispositif
(RO 47 I 267 sq.; 54 I 232 c. 1; 55 I 16 c. 1; 55 I 22 c. 1; 60 I 67 sq.).
3.- Il s'agit donc en l'espèce de déterminer, à titre préjudiciel, quel est le
droit de cité d'une femme mariée et de ses enfants mineurs. Pour répondre à
cette question, il importe tout d'abord d'établir quelle est la nationalité de
leur époux et père, ou, du moins, quelle elle était, au moment du mariage,
soit le 31 décembre 1918.
Il n'est pas contesté que William Menge est légitimement issu d'un père
allemand et d'une mère née française. Mais il est également constant qu'après
le décès de son père, et alors qu'il était âgé lui-même de 16 ans, soit en
1913, sa mère a expressément renoncé à la nationalité allemande.
A ce moment était en vigueur en Allemagne la loi du 1er juin 1870 sur
l'acquisition et la perte de la nationalité impériale, qui resta en vigueur
jusqu'au 31 décembre 1913, pour être remplacée, dés le 1er janvier 1914, par
une

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nouvelle loi, du 22 juillet 1913. Or, d'après la loi de 1870 (§ 18 al. 1), la
nationalité allemande se perd dès l'instant où l'acte de dénationalisation
(Entlassungsurkunde) est notifié à l'intéressé, sans égard pour le fait que
celui-ci ait ou n'ait pas acquis une autre nationalité à ce moment. En
l'espèce, cet acte a été remis à Dame Menge en 1913...
Il est vrai que le régime légal qui vient d'être décrit comportait une
exception dans le cas où la personne qui déclarait renoncer à la nationalité
allemande était domiciliée sur le territoire impérial au moment de la
notification de l'acte de dénationalisation et ne le quittait pas dans les six
mois (art. 18 al. 2). Mais rien n'indique que Dame Menge-Favre fût domiciliée
en Allemagne en 1913, et la preuve de ce fait eût incombé à la commune
intimée, du moment qu'il serait constitutif d'une exception à la règle
générale...
D'autre part, il résulte des §§ 14 a, al. 2, et 19 al. 2, introduits dans la
loi précitée par l'art. 41 de la loi d'introduction du code civil allemand (d.
B.G.B.; v. aussi § 1684 de ce code) que la renonciation à la nationalité
allemande faite par une mère veuve s'étend aux enfants sur lesquels elle
exerce la puissance paternelle, excepté dans certains cas, dont la réalisation
en l'espèce n'a pas été alléguée. La renonciation de Dame Menge-Favre à la
nationalité allemande valait donc aussi pour son fils William, âgé de 16 ans.
Ainsi ce jeune homme, qui n'habitait pas l'Allemagne à cette époque, a perdu
cette nationalité avec sa mère, dès la notification de l'acte de
dénationalisation...
4.- La commune de Granges soutient qu'en perdant la nationalité allemande,
Dame Menge-Favre a été ipso facto réintégrée dans la nationalité française
qu'elle possédait avant son mariage. Cette opinion est erronée.
En droit français, la femme qui épouse un étranger cesse d'être française par
le seul fait qu'elle acquiert la nationalité de son époux. Et si, par la
suite, elle perd ce nouveau droit de cité, elle ne reprend pas
automatiquement, en principe, la nationalité française et ne la transmet pas à
ses

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enfants. Cette réintégration peut avoir lieu dans certains cas, notamment
lorsque la femme est domiciliée en France ou revient s'y établir (art. 19
SR 210 Schweizerisches Zivilgesetzbuch vom 10. Dezember 1907
ZGB Art. 19 - 1 Urteilsfähige handlungsunfähige Personen können nur mit Zustimmung ihres gesetzlichen Vertreters Verpflichtungen eingehen oder Rechte aufgeben.14
1    Urteilsfähige handlungsunfähige Personen können nur mit Zustimmung ihres gesetzlichen Vertreters Verpflichtungen eingehen oder Rechte aufgeben.14
2    Ohne diese Zustimmung vermögen sie Vorteile zu erlangen, die unentgeltlich sind, sowie geringfügige Angelegenheiten des täglichen Lebens zu besorgen.15
3    Sie werden aus unerlaubten Handlungen schadenersatzpflichtig.
CC,
mod. par L. 26 juin 1889; cf. actuellement L. 10 août 1927 sur la nationalité,
art. 11, 13 et 14 a). Mais, en l'espèce, la preuve que Dame Menge-Favre se
soit de nouveau établie, après son veuvage, au pays de ses pères, n'a
nullement été rapportée.
La commune de Granges déclare cependant qu'il serait facile à William Menge de
rentrer aujourd'hui dans les droits de citoyen français, en allant s'établir
sur le territoire de la République. Cette affirmation est inexacte. William
Menge n'a jamais eu la nationalité française, que sa mère elle-même avait
perdue par son mariage; il ne pourrait donc aujourd'hui récupérer ladite
nationalité par le moyen suggéré par la commune de Granges. Pour se faire
Français, il n'aurait d'autre ressource que la naturalisation.
5.- Mais si Dame Menge-Favre et ses enfants ont perdu la nationalité
allemande, sans récupérer ou acquérir la nationalité française - et comme
d'ailleurs il n'est pas allégué qu'ils aient acquis aucun autre droit de cité
- ils étaient apatrides depuis 1913, et William Menge l'est encore
aujourd'hui.
Vainement la commune de Granges soutient-elle que, d'après le traité
d'établissement germano-suisse du 13 novembre 1909, l'Allemagne serait tenue
de le recevoir comme ex-sujet allemand, actuellement heimatlos. Cette
circonstance n'aurait pas pour effet de rendre à Menge sa nationalité
allemande, ni d'effacer le fait qu'au moment de son mariage, en 1918, il
n'avait pas de nationalité.
6.- Suivant la jurisprudence fédérale constante, la femme ne perd sa
nationalité suisse, par son mariage avec un étranger, que quand elle acquiert,
en même temps, la nationalité de son mari. Au contraire, elle reste suisse
quand le mariage n'a pas pour effet de lui faire acquérir une autre
nationalité. Tel est le cas notamment quand son mari est apatride.

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Il est également de jurisprudence constante que cette femme transmet sa
nationalité suisse aux enfants du mariage lorsque, sans cela, lesdits enfants
seraient eux-mêmes heimatlos. (Cf. RO 7 p. 85 sq.; 17 p. 98 c. 1; 36 I 215
sq.; 54 I 233; 60 I 67 sq.; SALIS-BURCKHARDT I Nr. 358 VI; FF. 1927 I p. 503;
Ord. 18 mai 1928 sur le service de l'état civil, art. 115, dern. al.; R.O.L.F.
44,273).
En l'espèce, Marie-Thérèse, veuve Germanier, a gardé sa nationalité suisse,
même après son second mariage, et elle a transmis cette nationalité aux
enfants de cette union, encore tous mineurs.
7.- La seule question qui se pose encore est de savoir quelle est leur
bourgeoisie.
Il appert que Marie-Thérèse Ortelli est née bourgeoise de Morbio Superiore
(Tessin), d'où son père était originaire... Mais, par son mariage avec
Charles-Marie Germanier, elle a perdu la bourgeoisie de Morbio Superiore, pour
acquérir celle de son conjoint, à savoir la bourgeoisie de Granges (Valais)
(art. 54 al. 4 CF). Elle a conservé ce droit de cité après la mort de son
premier mari et ne l'a pas perdu en épousant William Menge en secondes noces,
ainsi qu'il a été démontré plus haut. Comme il n'est pas prouvé, ni même
allégué qu'elle l'ait perdu pour une autre cause (p. ex. naturalisation), elle
peut toujours le revendiquer, pour elle-même et pour ses enfants.
Vainement la commune de Granges invoque-t-elle la circulaire que le Conseil
fédéral a adressée aux gouvernements cantonaux le 1er mars 1922 (FF. 1922 I
314
). Sans doute, cette circulaire pose en principe que, quand une femme
d'origine suisse, mariée en premier lieu à un Suisse, et, en secondes noces, à
un étranger, demande à être réintégrée dans la nationalité suisse, c'est la
bourgeoisie qu'elle possédait comme jeune fille, et non la bourgeoisie acquise
par son mariage, qui doit faire règle. Mais ce principe a été posé en faveur
des femmes qui, par leur second mariage, ont perdu leur droit de cité suisse.
Il n'est donc pas applicable à celles qui - comme Dame

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Menge - n'ont jamais perdu le droit de cité qu'elles avaient acquis par leur
premier mariage.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis. La décision attaquée est annulée, et la commune de
Granges est tenue de délivrer à la partie recourante les actes d'origine
réclamés.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 61 I 241
Date : 01. Januar 1935
Publié : 07. Juli 1935
Source : Bundesgericht
Statut : 61 I 241
Domaine : BGE - Verwaltungsrecht und internationales öffentliches Recht
Objet : 1. Quand une personne fait un recours de droit public contre une commune dont elle se prétend...


Répertoire des lois
CC: 19
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907
CC Art. 19 - 1 Les personnes capables de discernement mais privées de l'exercice des droits civils ne peuvent contracter une obligation ou renoncer à un droit qu'avec le consentement de leur représentant légal.10
1    Les personnes capables de discernement mais privées de l'exercice des droits civils ne peuvent contracter une obligation ou renoncer à un droit qu'avec le consentement de leur représentant légal.10
2    Elles n'ont pas besoin de ce consentement pour acquérir à titre purement gratuit ni pour régler les affaires mineures se rapportant à leur vie quotidienne.11
3    Ils sont responsables du dommage causé par leurs actes illicites.
Répertoire ATF
36-I-215 • 47-I-263 • 54-I-230 • 55-I-11 • 55-I-19 • 60-I-67 • 61-I-241
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
allemand • droit de cité • tribunal fédéral • veuve • acte d'origine • enfant • recours de droit public • examinateur • action en constatation • chose jugée • membre d'une communauté religieuse • code civil suisse • nationalité suisse • décision • traité d'établissement • entrée en vigueur • mois • incombance • doute • conseil fédéral
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FF
1922/I/314 • 1927/I/503