S. 402 / Nr. 69 Markenschutz (f)

BGE 56 II 402

69. Extrait de l'arrêt de la Ire Section civile du 23 septembre 1930 dans la
cause Société des Etablissements Mousset et Coron, S. A. contre Champagne
Strub, Mathiss & Cie .

Regeste:
Ne sont pas «d'une nature totalement différente» deux marchandises qui ont
entre elles une parenté suffisante pour que le public puisse raisonnablement
admettre qu'elles proviennent du même fabricant (art. 6 al. 3 de la loi
fédérale sur les marques de fabrique).

A. - La Société Champagne Strub, Mathiss & Cie, demanderesse et intimée, est
inscrite au registre du

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commerce de Bâle-Ville. Elle a pour objet la fabrication de vins mousseux au
moyen de vins de champagne et le commerce de vins de champagne provenant de la
Champagne. Elle a succédé à plusieurs autres sociétés (entre autres la société
Blankenhorn & Cie) également inscrites au registre du commerce de Bâle-Ville
et ayant le même objet.
Soit la demanderesse, soit les sociétés auxquelles elle a succédé ont fait
inscrire au. Bureau de la propriété intellectuelle à Berne, les marques
suivantes:
a) le 16 avril 1910, no 27 386, «Strub Sportsman Da Capo», marque verbale pour
vins naturels et mousseux (y compris les vins sans alcool), vins de fruit,
bière, etc.
b) le 16 mars 1917, no 39 681 (renouvellement du no 8653), marque combinée qui
figure une place publique au fond de laquelle s'élèvent des maisons et, sur la
place, une charrette anglaise à deux chevaux attelés en tandem et conduite par
un gentleman derrière lequel un groom est assis, dos à dos. Au-dessous du
dessin, on lit, à droite, les mots: «Blankenhorn & Cie Bâle» et, à gauche, un
peu plus bas: «Sportsman's demi-sec».
c) le 12 avril 1920, no 46 579 (renouvellement du no 12 002), «Sport», marque
verbale pour bouteilles de vins de champagne remplies à Bâle.
d) le 5 juin 1928, no 67 423, «Sportsman», marque verbale pour vins, vins
mousseux, vins sans alcool, etc.
B. - De son côté, la Société anonyme des Etablissements Mousset et Coron,
ayant son siège à Oullins (France) et une succursale à Carouge (canton de
Genève), a fait inscrire au Bureau fédéral de la propriété intellectuelle, à
Berne, le 5 mai 1923, sous le no 54 082, une marque verbale «Le Sportif», pour
tous vins apéritifs, soit apéritifs à base de vin et de quinquina.
C. - Mathiss & Cie ont ouvert action à la Société des Etablissements Mousset
et Coron, en concluant à la radiation de la marque «Le Sportif» no 64 082.

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D. - Par jugement du 13 mai 1930, la Cour de Justice civile de Genève a
ordonné la radiation de cette marque.
E. - Par acte déposé en temps utile, la Société des Etablissements Mousset et
Coron a recouru en réforme au Tribunal fédéral en reprenant ses conclusions
libératoires.
Extrait des considérants:
5.- Les différentes marques litigieuses pouvant être confondues entre elles,
il reste à examiner si la recourante doit néanmoins être libérée parce que ses
produits sont différents de ceux des demandeurs. A ce propos, il faut
remarquer que le droit moderne ne restreint pas le monopole du titulaire d'une
marque aux seules marchandises auxquelles celle-ci est destinée. Au contraire,
les lois étrangères étendent cette protection à l'égard des marchandises du
même genre (loi allemande, §§ 4, 5, 9, 15: «gleichartige Waren»; cf. loi
autrich., § 7; droit français: industries «similaires», POUILLET, Traité des
marques de fabrique, 6e édit., no 964). Le législateur suisse est allé encore
plus loin: parti du principe de la protection, il n'a fait d'exception qu'à
l'égard des produits ou marchandises «d'une nature totalement différente de
ceux auxquels la marque déposée se rapporte» (all.: «...die ihrer Natur nach
von den mit der schon hinterlegten Marke versehenen gänzlich abweichen») (art.
6 al. 3 LMF).
a) Pour déterminer si deux produits ou deux marchandises sont de nature
totalement différente, au sens de cette disposition, il ne faut pas considérer
leur substance même, mais s'en tenir à leur fonction économique. Il ne faut
pas tenir compte des classifications scientifiques, ni des catégories établies
par les spécialistes, fabricants et grossistes, voire même par les commerçants
de détail. C'est au public que les produits sont destinés; c'est son choix qui
importe au producteur. Seules donc seront déterminantes sa manière de voir et
d'apprécier, les

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distinctions qu'il fait, les classifications commerciales qu'il connaît et
emploie (cf. RO 33 II 451; 38 II 709; 47 II 236; JdT 1921 522-523; DUNANT, p.
148). Ces principes sont aussi suivis par la pratique et la doctrine
allemandes, lorsqu'il s'agit d'établir si deux produits sont semblables
(gleichartig); malgré l'existence d'une classification officielle des
marchandises, cette question est toujours résolue en Allemagne du point de vue
du consommateur (cf. SELIGSOHN, Gesetz zum Schutz der Warenzeichen, 3e édit.
(1925), p.101; HAGENS, Warenzeichenrecht (1927), p.121).
Se plaçant à ce point de vue, la recourante prétend que jamais le public moyen
ne prendra un apéritif pour un champagne. Présentée sous cette forme, cette
affirmation ne paraît pas contestable: les consommateurs habituels de boissons
alcooliques ne courent guère le risque de confondre celles dont il s'agit ici,
car elles sont très différentes par leur goût, leur consistance, leur qualité
et leur prix; de plus, elles sont généralement servies à des moments et dans
des occasions différentes et dans des verres de formes distinctes. Mais -
indépendamment du fait que toutes les marques des demandeurs ne sont pas
exclusivement destinées à des vins de champagne, mais aussi en partie à des
boissons très diverses - la différenciation entre champagne et apéritif n'est
pas encore suffisante pour permettre à la recourante d'exciper victorieusement
de l'art. 6 al. 3 LMF.
b) L'application d'une même marque à deux objets distincts peut en effet
donner lieu à des confusions non pas entre les produits, mais entre les
producteurs. En pareil cas, le titulaire de la marque est exposé à un
préjudice d'une nature un peu particulière, mais néanmoins très sensible. Ce
préjudice ne consiste pas dans un détournement de sa clientèle, mais en ce que
le public, trompé par l'identité des marques, attribuera à l'un des fabricants
les produits de l'autre; et si ceux-ci sont de mauvaise qualité, c'est au
titulaire de la première marque qu'il

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imputera leur défectuosité. Une réputation commerciale justement acquise
pourra ainsi être ébranlée et le discrédit rejaillir sur les produits qui
portent la marque imitée, quand même ceux-ci seraient différents des produits
de l'imitateur (cf. FAUCHILLE, dans Annales de droit comp., 1894 II p.267 s.).
Mais il est clair que la confusion entre les producteurs n'est à craindre que
lorsque les deux marchandises, sans être pareilles, ont cependant entre elles
une parenté suffisante pour qu'il soit vraisemblable de supposer qu'elles ont
été produites par le même fabricant. Tel n'était pas le cas dans la cause Yale
& Towne Manufactury Cy. contre Jakob Laib & Cie, jugée par le Tribunal fédéral
le 18 octobre 1927 (RO 53 Il 355, JdT 1928 p.72). Mais, dès le moment où une
semblable parenté existe entre deux marchandises, on ne peut plus dire que
celles-ci soient de nature totalement différente (ihrer Natur nach gänzlich
abweichend), au sens de l'art. 6 al. 3 de la loi. En d'autres termes,
l'application de cette disposition est exclue dés que les deux industries sont
assez voisines pour que le public puisse raisonnablement admettre qu'elles
sont exercées par un seul et même producteur (cf. RO 33 II 451: papier simple
et papier sensible pour la photographie; 34 II 376: articles de métal, etc.,
et ustensiles de ménage, instruments agricoles, etc.; 38 II 709: laine et
coton; - ADLER, System des österreichischen Markenrechts (1909), p. 199-200;
HAGENS, p. 121; FINGER, Das RG z. Schutze der Warenbezeichnungen, 3e édit.
(1926), p.159; PINZGER & Heinemann, Das d. Warenzeichenrecht, p. 99).
c) Il faut donc examiner si une confusion du genre qui vient d'être indiqué
est possible en l'espèce, en d'autres termes, s'il est à craindre que le
public attribue à la demanderesse la fabrication de l'apéritif de la
recourante. La réponse à cette question. ne saurait être douteuse. Il suffit
de relever qu'en fait, de nombreux apéritifs - et parmi les plus réputés -
sont fabriqués par des maisons dont la

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principale production est celle de vins mousseux assimilables en tous points
au champagne. Tel est notoirement le cas de certains vermouths, dont les
fabricants sont en même temps les producteurs des grands mousseux d'Italie. Si
les demandeurs eux-mêmes ne fabriquent pas d'apéritif, il est constant que
leurs marques no 27 385 et 67 423 sont destinées à toute une variété de
boissons alcooliques et non alcooliques. Il est donc parfaitement possible que
les consommateurs s'imaginent que, parmi leurs nombreuses spécialités, Mathiss
& Cie comptent des apéritifs à base de vin ou de quinquina, et il n'y aurait
rien d'étonnant à ce qu'ils leur attribuent la fabrication du produit de la
défenderesse.
Le fait que la marque «Le Sportif» a coexisté depuis 1923 avec les marques des
demandeurs ne permet nullement de dire qu'une confusion de ce genre soit peu
probable. Ce laps de temps est en effet beaucoup trop bref pour qu'il soit
possible d'eu tirer une telle conclusion. Il en était tout autrement dans
l'espèce, d'ailleurs très particulière, que le Tribunal fédéral a jugée le 28
juin 1921 (RO 47 II 237 -238; JdT 1921, 524).
C'est donc à juste titre que la cour cantonale a rejeté l'exception tirée de
l'art. 6 al. 3.
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 56 II 402
Datum : 01. Januar 1930
Publiziert : 23. September 1930
Quelle : Bundesgericht
Status : 56 II 402
Sachgebiet : BGE - Zivilrecht
Gegenstand : Ne sont pas «d'une nature totalement différente» deux marchandises qui ont entre elles une parenté...


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33-II-449 • 34-II-369 • 38-II-705 • 47-II-226 • 56-II-402
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