Bundesstrafgericht Tribunal pénal fédéral Tribunale penale federale Tribunal penal federal
Numéro de dossier: BB.2017.121-122
Décision du 18 juillet 2018 Cour des plaintes
Composition
Les juges pénaux fédéraux Giorgio Bomio-Giovanascini, président, Patrick Robert-Nicoud et Stephan Blättler, la greffière Julienne Borel
Parties
A. B.V.,
A. SA,
représentées par Mes Benjamin Borsodi et Sylvie Bertrand-Curreli, avocats, recourantes
contre
Ministère public de la Confédération, ,
B., représenté par Me Philippe Prost, avocat,
C., représenté par Me Matteo Pedrazzini, avocat, intimés
Objet
Consultation des dossiers (art. 101 s



Faits:
A. Le 22 décembre 2011, le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC) a ouvert une instruction, référencée SV.11.0300, contre inconnus pour blanchiment d’argent (art. 305bis

B. Le 10 janvier 2012, les locaux de A. B.V. et A. SA (ci-après pour les deux: A.) ont été perquisitionnés par le MPC, ainsi que le domicile de C., ancien employé de A. Le 30 novembre 2012, A. a déposé une plainte pénale contre C. et le dénommé B. pour entre autres escroquerie (art. 146



C. Le 19 mai 2017, le MPC a étendu la procédure SV.11.0300 à A. pour corruption d’agents publics étrangers au sens de l’art. 322septies



D. Le 14 juin 2017, le MPC a suspendu la procédure SV.15.0084, considérant que l’issue de la procédure SV.11.0300 influera de manière déterminante sur celle-là. À la même date, le MPC a remis à A. un inventaire des pièces actualisés (in act. 8, p. 2).
E. A. a demandé le 16 juin 2017 un accès complet aux documents caviardés de la procédure SV.15.0084 ainsi qu’aux nouvelles pièces pour lesquelles il ne disposait pas de copies (act. 1.3).
F. Le 21 juin 2017, le MPC a répondu à la requête de A. en lui remettant notamment les pièces de la procédure SV.15.0084 postérieures à son dernier accès intégral de juillet 2016. Il s’agissait, en particulier, des derniers éléments obtenus de la part de la banque E. Concernant certains documents caviardés, le MPC précise que ceux-là figurent dans la procédure SV.11.0300 et qu’ils seront accessibles à A. en temps utile. En l’état, seuls des extraits de ces pièces ont été formellement versés à la procédure SV.15.0084. En outre, le MPC a indiqué à A. que la consultation de ces pièces était limitée à l’exercice de ses droits dans la présente procédure nationale. Par conséquent, sans autorisation expresse du magistrat en charge de la procédure, les éléments du dossier, sous quelque forme que ce soit, ne peuvent pas faire l’objet de copie et de diffusion. Cette mesure était assortie de l’injonction prévue par l’art. 292

G. Par un écrit du 22 juin 2017, A. a requis le MPC qu’il motive son refus d’octroyer un accès complet au dossier et l’obligation de garder le secret ainsi que de limiter celle-là dans le temps (act. 1.5).
H. Le 29 juin 2017, le MPC a motivé son refus et a précisé que l’utilisation des pièces qu’il avait transmises le 21 juin 2017 était limitée, dans un premier temps, pour une durée de 6 mois (act. 1.2).
I. Le 14 juillet 2017, A. a interjeté recours contre ce dernier prononcé, concluant, principalement et en substance, à l’annulation de ladite décision. Préalablement, A. conclut à la constatation de la violation de son droit d’être entendu et subsidiairement à ce que la limitation d’utilisation des pièces litigieuses n’excède pas trois mois (act. 1, p. 2).
J. Invités à répondre, B. conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité et C. s’en remet à justice quant au bien-fondé du recours (act. 6 et 7). Le MPC conclut au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité, sous suite de frais (act. 8.0).
K. A. réplique le 11 septembre 2017 et persiste dans ses conclusions (act. 12).
L. Dans sa duplique du 25 septembre 2017, le MPC a maintenu les conclusions de ses observations du 17 août 2017 et C. et B. se sont abstenus de déposer de nouvelles déterminations (act. 14).
M. Le 19 juin 2018, la Cour de céans a invité les parties à se déterminer sur le sort de la cause ainsi que sur les frais de celle-ci (act. 16). Le 22 juin 2018, C. conclut qu’en toute hypothèse il devra être dispensé de tous frais (act. 17) alors que B. s’en rapporte à justice et renvoie pour le reste à ses conclusions du 7 août 2017 (act. 18). Le MPC indique le 29 juin 2018 que le délai limitant l’utilisation des éléments remis le 21 juin 2017 à A. pour une durée de six mois n’a pas été reconduit et qu’il apparaît que la cause est devenue sans objet. Il relève en outre que l’art. 428 al. 1

Les arguments et moyens de preuve invoqués par les parties seront repris, si nécessaire, dans les considérants en droit.
La Cour considère en droit:
1. En tant qu'autorité de recours, la Cour des plaintes examine avec plein pouvoir de cognition en fait et en droit les recours qui lui sont soumis (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1296 in fine; Guidon, Commentaire bâlois, Schweizerische Strafprozessordnung, 2e éd. 2014 (ci-après: Commentaire bâlois), n° 15 ad art. 393; Keller, Donatsch/Hansjakob/Lieber [édit.], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], 2e éd. 2014 [ci-après: Kommentar StPO], n° 39 ad art. 393; Schmid/Jositsch, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3e éd. 2017 , n° 1512).
1.1 Les décisions du MPC peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour de céans (art. 393 al. 1 let. a




1.2 Le MPC met en doute le respect du délai de recours puisque la décision attaquée aurait été rendue le 21 juin 2017 et le recours interjeté le 14 juillet 2017 (act. 8.0, p. 3). L’avis du MPC ne saurait être suivi. Le 22 juin 2017, A.a requis le MPC qu’il motive son refus d’octroyer un accès complet au dossier et l’obligation de garder le secret ainsi que de limiter celle-là dans le temps (act. 1.5). Aux termes de l'art. 80


1.3 Dispose de la qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision (art. 382 al. 1

1.4 Vu l’expiration de la durée de l’obligation de garder le secret ordonnée par le MPC et l’absence de prolongation de cette mesure confirmée par celui-ci le 29 juin 2018 (act. 19), la présente cause est devenue sans objet. Il n’existe aucun intérêt public important qui commanderait de trancher, nonobstant le défaut d’intérêt actuel, le grief de A. et rien n’indique que celui-ci soit une question de principe susceptible de se poser à nouveau sans que la Cour de céans, saisi d’un recours, puisse statuer en temps utile (ATF 139 I 206 consid. 1.1; 137 I 23 consid. 1.2.1; TPF 2010 165 consid. 2.3.1; Schmid/Jositsch, op. cit., n° 1458, note 51). Au surplus, la renonciation à la condition de l’intérêt actuel est exceptionnelle (ibid.). Par conséquent, la procédure BB.2017.121-122 doit être rayée du rôle.
2. À teneur de l’art. 428 al. 1

3. Par un grief d’ordre formel, qu’il sied de traiter en premier lieu, les recourantes se plaignent d'abord de la violation de leur droit d'être entendues et ce sous l'angle du droit à une décision motivée. Elle font valoir à cet égard que l'autorité « […] a fourni pour seules explications fondant [l’obligation de garder le secret au sens de l’article 73 al. 2

3.1 Il découle notamment du droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2

3.2 C’est à raison que les recourantes affirment qu’une telle motivation ne permet pas de justifier la mesure qui leur est imposée. Comme elles le relèvent, la motivation du MPC consiste en de simples généralités ne répondant aucunement – dans le cas concret – à la question de savoir si le « but de la procédure », respectivement un « intérêt privé » exigerait véritablement d'imposer une interdiction de communiquer à A. Or il est constant qu'un seul risque abstrait – tel qu'en définitive allégué en l'espèce – que les pièces transmises sont susceptibles « […] de concerner des tiers non impliqués dans la présente procédure » et qu’« [i]l convient de préserver, en l’état, les intérêts privés de ceux-ci […] » ne suffit pas (décision du Tribunal pénal fédéral BB.2015.96 du 25 février 2016 consid. 3.2 et référence citée). Il sied dès lors d’admettre que la motivation contenue dans la décision attaquée constitue une violation du droit d’être entendues des recourantes.
3.3 Dans sa réponse au recours, l’autorité intimée motive les mesures qu’elle a prises comme suit: « [a]fin de préserver les droits des recourantes, le MPC a octroyé un accès le plus large possible à celles-ci en leur transmettant les pièces dont elles n’avaient pas encore pris connaissance. Le MPC a donc préservé les droits des parties plaignantes en garantissant un droit à l’information le plus étendu possible. Cependant, une limite a dû être imposée dans l’utilisation de ces pièces, afin en particulier que les intérêts privés de tiers à la procédure dont l’identité figure dans les pièces transmises, soient préservés. En l’espère, la limitation porte uniquement sur les documents transmis par la banque E. (07-01-1214 à 1222 et les annexes), soit notamment de nombreux courriels, contenant en particulier des détails sur le fonctionnement interne de la banque concernée. La protection des intérêts privés constitue une motivation suffisante pour enjoindre les parties à garder le secret quant aux documents qui leur ont été transmis. Lesdits documents contiennent également l’identité de plusieurs personnes qui pourraient être entendues par le MPC ultérieurement selon le résultat de la procédure connexe en cours. Par conséquent, en sus des intérêts de tiers, le but de la procédure exige également le maintien de la restriction imposée, ceci afin d’éviter tout risque de collusion ». En l’occurrence, il sied de considérer que l’exposé du MPC quant à l’obligation de garder le secret contenu dans sa réponse satisfait aux exigences précitées. De surcroît, A. a pu s’exprimer à ce propos (act. 12). Le vice de procédure a dès lors pu être réparé en instance de recours, la Cour de céans disposant d’un plein pouvoir de cognition en fait et en droit en vertu de l’art. 393 al. 2

4. En procédure pénale, l’accès au dossier – en principe total (Bendani, Commentaire romand, n° 11 ad art. 107















être appliquées avec retenue et dans le respect du principe de la proportionnalité. Elles doivent être absolument nécessaires (ibid., n° 11 ad art. 107




4.1 Les recourantes considèrent que l’interdiction de communiquer imposée par le MPC n’est pas justifiée. Elles font valoir que, s’agissant des nombreux courriels mentionnés par le MPC dans sa motivation, il semble que seules trois des 515 pièces seraient concernées par le fonctionnement interne de la banque en question. Elles relèvent que les autres pièces portent essentiellement sur la correspondance entre la banque et le MPC, la communication MROS, des instructions de virements ainsi que la documentation sous-jacente relative auxdites instructions. Quant aux personnes dont l’identité ressort des documents transmis et qui pourraient être entendues par le MPC, il apparaît qu’un cercle restreint de personnes pourrait potentiellement être visé (act. 12, p. 2). Elles estiment que ces motifs ne sauraient justifier l’interdiction de communiquer les documents transmis par la banque E., d’autant que le MPC auraient pu, selon elles, prendre des mesures moins incisives. A. allègue que l’interdiction de communiquer aurait pu se limiter aux documents contenant des détails sur le fonctionnement interne de la banque et à ceux qui font apparaître l’identité de personnes que le MPC pourrait entendre dans le cadre des différentes procédures. Les recourantes estiment en outre que le MPC aurait pu dresser une liste de personnes qui pourraient être entendues tout en indiquant que les noms de celle-ci devaient être caviardés en cas de communication.
4.2 En l’occurrence, l’enquête diligentée par le MPC ne paraît pas terminée en l’état. La procédure, initialement ouverte contre inconnus, présente une certaine complexité notamment au vu de son envergure internationale et de nombreux éléments à élucider. Le MPC fait valoir que les documents concernés contiennent entre autres l’identité de plusieurs personnes qui pourraient être entendues par le MPC ultérieurement selon le résultat de la procédure connexe en cours (act. 8.0, p. 3). Par la mesure prononcée, il souhaite dès lors éviter tout risque de collusion. Il ne faut en effet pas perdre de vue qu’une restriction d’accès au dossier est admissible pour éviter de mettre en péril la recherche de la vérité matérielle ou d’exposer les éléments de preuve principaux avant terme, ou pour parer au risque de collusion (ATF 137 IV 172 consid. 2.3 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 1B_597/2011 du 7 février 2012 consid 2.2; Brüschweiler, in Kommentar StPO, n° 6 ad art. 101).
4.3 L’obligation de garder le secret prononcée par le MPC ne porte par le flanc à la critique. Sa durée, de six mois, et qui n’a en l’espèce pas été prolongée, respecte le principe de la proportionnalité au regard de l’ampleur et de la complexité de l’enquête menée. De surcroît, si certes un caviardage des éléments à tenir secret aurait été moins incisif, il sied de constater que, comme l’a relevé le MPC dans sa réponse, celui-ci n’as pas interdit de manière générale toute diffusion des pièces mais l’a subordonnée à l’autorisation expresse de la direction de la procédure (« […] les éléments du dossier sous quelque forme que ce soit, notamment informatique, ne peuvent faire l’objet de copie et de diffusion, sauf autorisation expresse du magistrat en charge de la procédure »; act. 1.4, p. 2). Il appert dès lors que la mesure litigeuse respecte le principe de la proportionnalité.
4.4 Au vu de ce qui précède, le recours aurait été rejeté s’il n’était pas devenu sans objet en raison de l’écoulement du temps.
5. Dès lors que les recourantes auraient succombé, il se justifie de mettre les frais de la présente procédure à leur charge (art. 428 al. 1

6. La partie qui obtient gain de cause a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 436 al. 1



Par ces motifs, la Cour des plaintes prononce:
1. Devenue sans objet, la procédure BB.2017.121-122 est rayée du rôle.
2. Les frais de justice, arrêtés à CHF 1’200.--, couverts par l’avance de frais versée, sont mis à la charge solidaire des recourantes. La caisse du Tribunal fédéral restituera aux recourantes le solde de l’avance de frais acquittée par CHF 800.--.
3. Une indemnité de dépens de CHF 1'000.-- à la charge des recourantes est allouée à B.
4. Une indemnité de dépens de CHF 1'000.-- à la charge des recourantes est allouée à C.
Bellinzone, le 18 juillet 2018
Au nom de la Cour des plaintes
du Tribunal pénal fédéral
Le président: La greffière:
Distribution
- Mes Benjamin Borsodi et Sylvie Bertrand-Curreli, avocats
- Ministère public de la Confédération
- Me Philippe Prost
- Me Matteo Pedrazzini
Indication des voies de recours
Dans les 30 jours qui suivent leur notification, les arrêts de la Cour des plaintes relatifs aux mesures de contrainte sont sujets à recours devant le Tribunal fédéral (art. 79 et 100 al. 1 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral; LTF). La procédure est réglée par les art. 90 ss

Le recours ne suspend l’exécution de l’arrêt attaqué que si le juge instructeur l’ordonne (art. 103
