Bundesstrafgericht Tribunal pénal fédéral Tribunale penale federale Tribunal penal federal
Numéro de dossier: BK.2010.2 Procédure secondaire: BP.2010.15
Arrêt du 13 août 2010 Ire Cour des plaintes
Composition
Les juges pénaux fédéraux Tito Ponti, président, Patrick Robert-Nicoud et Joséphine Contu , le greffier Aurélien Stettler
Parties
A. défendu d’office par Me Marc Wollmann, avocat, requérant
contre
MinistÈre public de la ConfÉdÉration, intimé
Objet
Indemnité en cas de non-lieu (art. 122


Faits:
A. Le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC) a ouvert le 25 avril 2005 une enquête de police judiciaire à l’encontre du dénommé B. pour participation à une organisation criminelle, financement du terrorisme et vol au sens des art. 260ter



B. A. a été arrêté le 12 mai 2006 et placé en détention préventive jusqu’au 27 juillet 2006.
C. En date du 27 décembre 2007, le MPC a ouvert une nouvelle enquête de police judiciaire (réf. EAII.2007.0200) à l’encontre de A. pour financement du terrorisme, laquelle a été étendue le 23 janvier 2008 à l’infraction de soutien à une organisation criminelle. La démarche du MPC reposait sur les soupçons selon lesquels A. aurait pu transférer des fonds en faveur de résidents égyptiens périssant dans des opérations kamikazes en Iraq (act. 2.2 et 2.3).
D. La procédure pénale ouverte contre A. en 2005 (réf. EAII/1/05/0097) a été suspendue à l’égard de ce dernier par une décision de clôture partielle du Juge d’instruction fédéral (ci-après: JIF) rendue le 25 mars 2009, au motif que ledit A. n’était pas en relation avec les agissements de l’inculpé principal visé par cette procédure (act. 2.4, p. 2; dossier MPC, doc. 16030100).
E. La procédure ouverte contre A. en 2007 a été suspendue par ordonnance du MPC rendue le 15 mars 2010 (act. 2.4).
F. Par acte du 23 mars 2010, A. demande qu’une indemnité journalière de Fr. 200.-- lui soit versée pour les 77 jours passés en détention préventive, soit un montant total de Fr. 15'400.--. Il requiert en outre le remboursement de divers frais de déplacement liés à la consultation de son avocat, à hauteur de Fr. 250.-- (act. 1).
Le défenseur d’office désigné à A. demande pour sa part le remboursement des frais de défense nécessaires, soit un montant de Fr. 20'766.70 au total (act. 1).
G. Dans sa prise de position du 6 mai 2010, le MPC affirme n’avoir aucune objection quant au remboursement des frais d’avocat dans la mesure alléguée, ainsi que des Fr. 250.-- de frais de déplacement (act. 2, p. 4).
Il en va en revanche différemment du montant de l’indemnité journalière pour détention injustifiée, montant qui, selon l’autorité de poursuite, ne saurait dépasser les Fr. 50.--, « compte tenu de la responsabilité du requérant dans les deux enquêtes susmentionnées dont il a fait l’objet » (act. 2, p. 4).
H. Invité à faire une avance de frais, A. a demandé à être mis au bénéfice de l’assistance judiciaire et rempli le formulaire ad hoc (dossier BP.2010.15, act. 1).
I. Appelé à répliquer, A. a, par acte du 15 juin 2010, expressément confirmé les positions revendiquées initialement (act. 6), à l’exception des frais de défense relatifs à la procédure devant le MPC et le JIF, au sujet desquels le requérant précise n’avoir plus de revendication à formuler devant l’autorité de céans, dans la mesure où ils ont été intégralement réglés par le MPC en date du 14 avril 2010 (act. 6, p. 2 in fine).
J. Le MPC a, par envoi du 17 juin 2010, informé la Cour qu’il renonçait à déposer des observations complémentaires (act. 8).
Les arguments et moyens de preuve invoqués par les parties seront repris, si nécessaire, dans les considérants en droit.
La Cour considère en droit:
1. Aux termes de l’art. 122 al. 3

2.
2.1 Détenu du 12 mai au 27 juillet 2006 dans le cadre de l’enquête menée par les autorités de poursuite pénale de la Confédération, le requérant sollicite une indemnité journalière de Fr. 200.--, montant qu’il qualifie de « standard » (act. 6, p. 2), pour les 77 jours de détention préventive effectués en lien avec la première procédure ouverte à son encontre, soit un montant total de Fr. 15'400.-- à ce titre.
2.2 A teneur de l’art. 122

Le droit à une indemnité est subordonné non seulement au prononcé d’un non-lieu, mais également à une certaine gravité objective des opérations de l’instruction et à l’existence d’un préjudice important à mettre en relation de causalité avec ces dernières. Il s’agit de tenir compte de toutes les circonstances, notamment des effets négatifs de la détention sur l’intégrité physique, psychique, la situation familiale et professionnelle, ou encore sur la réputation (ATF 128 IV 53 consid. 7a; arrêts du Tribunal fédéral 1P.580/2002 du 14 avril 2003, consid. 5.2; 1P.571/2002 du 30 janvier 2003, consid. 5; 4C.145/1994 du 12 février 2002, consid. 5b et arrêts cités).
Les autres actes d’instruction au sens de l’art. 122


2.3 En cas de détention injustifiée de courte durée, une indemnité de Fr. 200.-- par jour est en principe appropriée s’il n’existe pas de circonstances particulières qui pourraient fonder le versement d’un montant inférieur ou supérieur (arrêts du Tribunal fédéral 6B_745/2009 du 12 novembre 2009, consid. 7.1; 6B_215/2007 du 2 mai 2008, consid. 6). En revanche, lorsque la détention injustifiée s’étend sur une longue période – ce qui est le cas en l’espèce (voir notamment TPF 2007 104 consid. 3.2) –, une augmentation linéaire du montant accordé dans les cas de détentions plus courtes n'est pas adaptée, car le fait de l'arrestation et de la détention pèse d'un poids en tout cas aussi important que l'élément de durée pour apprécier l'atteinte que subit la personne incarcérée (arrêt du Tribunal fédéral 4C.145/1994 du 12 février 2002, consid. 5b et les arrêts cités). Il ne s'agit ainsi pas d'augmenter le montant en principe accordé en cas de détention plus courte, mais de prévoir une somme globale tenant compte de l’ensemble des circonstances (Hauser/Schweri/Hartmann, Schweizerisches Strafprozessrecht, 6ème éd., Bâle/Genève/Munich 2005, § 109 no 8a). Un survol des décisions soumises à l’examen du Tribunal fédéral au cours des quinze dernières années montre que, en cas de détention injustifiée qui n’est pas de courte durée, l’indemnité globale admise correspond en règle générale à une indemnité journalière bien inférieure à Fr. 200.-- (TPF 2007 104 consid. 3.2 et les exemples cités; arrêts du Tribunal pénal fédéral BK.2009.1 du 4 juin 2009, consid. 2.2; BK.2007.2 du 30 août 2007, consid. 3.2 et 3.3).
Il y a enfin lieu de souligner que, à moins que la détention n’ait occasionné au détenu une perte de nature économique, l’indemnité fixée en fonction des circonstances particulières du cas constitue une indemnité pour tort moral (arrêt du Tribunal fédéral 4C.145/1994 précité, consid. 5). Il n’y a donc pas lieu de prévoir une indemnité à ce titre en sus du montant global fixé en fonction des circonstances particulières du cas. Lorsque le requérant sollicite l'allocation d'une indemnité plus élevée en raison du préjudice économique causé par la détention, il doit apporter la preuve de ce dommage (ATF 117 IV 209 consid. 4b et les arrêts cités).
2.4 En l’espèce, et au vu des conclusions formulées par le requérant, c’est ainsi l’octroi d’une indemnité pour tort moral que requiert ce dernier.
3.
3.1 Dans son arrêt 6B_215/2007 du 2 mai 2008, consid. 6, le Tribunal fédéral a considéré que l'art. 122 al. 1


Or les frais directs et indirects d'une procédure pénale, y compris l'indemnité qui doit éventuellement être payée au prévenu acquitté ou mis au bénéfice d'un non-lieu, constituent un dommage pour la collectivité publique. De même, le droit de procédure pénal interdit implicitement de créer sans nécessité l'apparence qu'une infraction a été ou pourrait être commise, car une telle attitude est susceptible de provoquer l'intervention des autorités répressives et l'ouverture d'une procédure pénale et, partant, de causer à la collectivité le dommage que constituent les frais liés à une instruction pénale engagée inutilement. Il y a comportement fautif, dans ce cas, lorsque le prévenu aurait dû se rendre compte, sur le vu des circonstances et de sa situation personnelle, que son attitude risquait de provoquer l'ouverture d'une enquête pénale (arrêt du Tribunal fédéral 1P.553/1993 du 31 mai 1994, non publié, cité par Thélin, L'indemnisation du prévenu acquitté en droit vaudois, in JdT 1995 III 103 s.).
De plus, les principes qui valent pour la fixation des frais de procédure en cas d'acquittement ou de non-lieu sont applicables, mutatis mutandis, à la détermination de l'indemnité due au prévenu libéré, aussi bien dans son principe que dans la quotité, soit aussi en fonction d'une éventuelle cause de réduction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_724/2007 du 11 janvier 2008, consid. 2.5 et référence citée; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, 2ème éd., Genève/Zurich/Bâle 2006, n° 1562 note de bas de page 3957).
3.2 Il ressort en l’occurrence du dossier de la cause que le requérant a été interpellé notamment ensuite des contacts qu’il avait entretenus avec le dénommé B., principal suspect de l’organisation criminelle présumée, objet de l’enquête référencée EAII/1/05/0097 (supra let. A) (act. 2.4). Il appert à cet égard que les différents dispositifs de surveillance mis en place dans le cadre de cette enquête ont notamment permis aux enquêteurs d’intercepter des conversations entre les deux hommes dont la teneur avait tout lieu d’alerter les autorités de poursuite pénales. Il en va ainsi notamment d’une conversation que le requérant a tenue avec B. en date du 25 novembre 2005 et qui avait entre autres pour objet un projet d’attaque d’un avion de la compagnie israélienne « El Al » (act. 2.5; dossier MPC, doc. 05050970). Selon les éléments recueillis par les enquêteurs, le requérant serait allé – dans le courant de la discussion – jusqu’à suggérer à B. de commettre son attentat à Zurich (dossier MPC, doc. 05050970 in initio).
Au vu de ces éléments – et en particulier de l’extrême gravité du projet évoqué et du fait que B. a été repéré pas moins de 73 fois aux environs ou dans les aéroports de Zurich-Kloten et Genève-Cointrin (dossier MPC, doc. 05050964) – l’on ne saurait aucunement reprocher au MPC d’avoir mené et poursuivi des investigations à l’encontre du requérant. Dans un contexte « post-11 septembre 2001 », et au vu de l’onde de choc répandue tout autour du globe et des moyens draconiens mis en œuvre pour combattre le terrorisme islamiste, il y a lieu de considérer que le requérant devait se rendre compte, sur le vu des circonstances du cas d’espèce – et en particulier de ses fréquentations et des propos tenus avec B. – que son attitude risquait de provoquer l’ouverture d’une enquête à son encontre notamment. Le fait que le requérant ait nié, dans son audition du 15 mars 2007 par le JIF (dossier MPC, doc. 13030421), la tenue de cette conversation ne change rien au constat qui précède dans la mesure où elle est avérée par des rapports de police détaillés (des 23 février [act. 2.5] et 14 mars 2007 [dossier MPC, doc. 05050962]), d’une part, et par B. en personne, d’autre part, lequel s’il a certes fortement minimisé le sens à donner à ses propos et l’écoute que A. lui aurait prêtée en son temps, n’en a pas moins attesté son existence (dossier MPC, doc. 13030423). La tenue de pareils propos, dans un contexte de vaste lutte antiterroriste apparaît ainsi de nature à conclure que c’est par sa faute que le requérant s'est trouvé impliqué dans l'enquête et a été soupçonné d'appartenir à, respectivement de soutenir, l'organisation criminelle en question. Ces éléments justifient une réduction de l’indemnité réclamée.
4. Compte tenu de la responsabilité du requérant dans l'enquête dont il a fait l'objet, mais également de l’abandon des charges liées aux infractions qui lui ont été imputées tout au long des deux procédures ouvertes à son encontre, une indemnité réduite sous la forme d’un montant global de Fr. 6'000.--, destiné à l’indemniser tant de la détention préventive subie que des autres actes d’instruction – soit en l’espèce les frais de déplacements allégués (act. 1, p. 2) – apparaît proportionnée à l’ensemble des circonstances. Il sied de préciser à cet égard que, s’il est de jurisprudence qu’il ne convient de s’éloigner de la proposition présentée par le MPC que pour des motifs pertinents (arrêt du Tribunal pénal fédéral BK.2005.9 du 12 octobre 2005, consid. 1.1 et références citées), tel est manifestement le cas en l’espèce dans la mesure où – et cela vient d’être rappelé – le fait que le requérant ait vu non seulement une mais les deux procédures diligentées à son encontre être clôturées par un non-lieu en sa faveur apparaît comme un élément prépondérant justifiant une réduction d’indemnité de moindre importance que celle proposée par le MPC.
L’indemnité ainsi arrêtée doit être mise à la charge de l'autorité intimée, soit en l'espèce le MPC (TPF 2007 104 consid. 3.4; arrêt du Tribunal pénal fédéral BK.2007.2 du 30 août 2007, consid. 3.4).
5. Dans le cadre de l’indemnité fixée selon l’art. 122


6. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 66 al. 1



7. Me Marc Wollmann ayant été désigné d'office comme défenseur du requérant, il appartient à la Cour de céans de fixer son indemnité pour l'activité déployée dans le cadre de la présente procédure (art. 38 al. 1

A teneur de l'art. 3 al. 1 du règlement sur les dépens (RS 173.711.31), les honoraires sont fixés en fonction du temps effectivement consacré à la cause et nécessaire à la défense de la partie représentée. Le tarif horaire est de Fr. 200.-- au minimum et de Fr. 300.-- au maximum. En l'absence d'un mémoire d'honoraires, le montant de ceux-ci est fixé selon l'appréciation de la Cour (art. 3 al. 2). Compte tenu de la nature de l'affaire et de l'activité déployée par l'avocat devant la Cour de céans, une indemnité de Fr. 1’000.--, TVA incluse, paraît justifiée. Cette indemnité, qui sera acquittée par le Tribunal pénal fédéral (art. 5 al. 1 par analogie), devra être intégralement remboursée à la caisse fédérale par le requérant (art. 5 al. 2; infra consid. 9).
8. La Cour décide si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe (art. 68 al. 1

9. S'agissant de la demande d'assistance judiciaire, il ressort du formulaire rempli à cet effet que le requérant vit de l’aide sociale (dossier BP.2010.15, act. 3.1 et 6). Toutefois, dans la mesure où celui-ci dispose désormais d'une créance immédiatement exigible de Fr. 6'000.-- contre la Confédération, entité solvable, il y a lieu de considérer que ce montant suffit largement à acquitter les frais judiciaires, ses frais de défense étant couverts par les dépens alloués, de sorte que le critère de l'indigence posé à l'art. 64 al. 1

10. Dans la mesure où la Confédération est créancière de l’émolument (cf. supra, consid. 6) et débitrice des indemnités accordées au requérant pour tort moral, en compensation de la détention préventive subie et des autres actes d'instruction (cf. supra, consid. 4), respectivement à titre de dépens (cf. supra, consid. 8), les prétentions exigibles peuvent être compensées au sens de l’art. 120 al. 1

En l’espèce, le MPC est condamné à verser au requérant un total de Fr. 6’800.-- (soit Fr. 6'000.-- à titre d’indemnité au sens du consid. 4 supra et Fr. 800.-- à titre de dépens). Par ailleurs, le Tribunal pénal fédéral acquittera l'indemnité du défenseur d'office, que le requérant est condamné à lui rembourser. Suite à la compensation avec l’émolument réduit de Fr. 800.-- mis à la charge du requérant, le MPC versera donc Fr. 5’000.-- à ce dernier et Fr. 1’800.-- à la caisse du Tribunal pénal fédéral.
Par ces motifs, la Ire Cour des plaintes prononce:
1. La requête est partiellement admise.
2. Une indemnité de Fr. 6'000.-- est accordée à A., à la charge du Ministère public de la Confédération.
3. La requête d’assistance judiciaire est rejetée.
4. Un émolument réduit de Fr. 800.-- est mis à la charge du requérant.
5. L’indemnité d’avocat d’office allouée à Me Marc Wollmann pour la présente procédure est fixée à Fr. 1’000.-- (TVA comprise). Elle sera acquittée par le Tribunal pénal fédéral mais lui sera remboursée par le requérant, lequel, pour sa part, se verra allouer des dépens à hauteur de Fr. 800.-- (TVA comprise).
6. Par l’effet de la compensation des prétentions des chiffres 2, 4 et 5 du présent dispositif, le Ministère public de la Confédération versera Fr. 5'000.-- au requérant, et Fr. 1'800.-- à la caisse du Tribunal pénal fédéral.
Bellinzone, le 13 août 2010
Au nom de la Ire Cour des plaintes
du Tribunal pénal fédéral
Le président: Le greffier:
Distribution
- Me Marc Wollmann, avocat
- Ministère public de la Confédération
Indication des voies de recours
Il n’existe pas de voie de recours ordinaire contre cet arrêt.