Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B 524/2012

Arrêt du 15 novembre 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, Karlen et Chaix.
Greffière: Mme Sidi-Ali.

Participants à la procédure
A.________, représentée par Me François Membrez, avocat,
recourante,

contre

Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.

Objet
procédure pénale, qualité de partie plaignante,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 31 juillet 2012.

Faits:

A.
A.________, société active dans le domaine de la construction, a déposé le 20 juin 2011 une plainte pénale contre inconnu pour faux dans les titres. L'une de ses co-contractantes, B.________ dont elle allègue être créancière, lui a transmis deux factures libellées au nom de A.________. Selon A.________, ces factures ne se retrouvent pas dans sa comptabilité et ne correspondent pas à la créance qu'elle a contre B.________; les factures seraient des faux et auraient permis à une tierce entreprise, C.________, d'obtenir de B.________ le virement des montants facturés, prétendument pour en créditer A.________, mais en réalité pour se les attribuer.

B.
Par ordonnance du 4 juin 2012, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le Ministère public) a refusé de reconnaître à A.________ la qualité de partie plaignante. En substance, la décision querellée retient que les fausses factures n'étaient pas celles qui fondaient la créance de A.________ contre B.________ et que les quelque 240'000 fr. qui avaient été débités des comptes de celle-ci ne l'avaient pas été sur la base des factures litigieuses; par conséquent A.________ n'avait pas été touchée par les infractions dénoncées, seule B.________ étant directement lésée. A.________ ne subissait qu'un dommage par ricochet (du fait de l'appauvrissement de sa débitrice), ce qui ne lui permettait pas de se constituer partie plaignante.
Statuant sur recours de A.________, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a confirmé cette décision. Elle a en substance considéré que A.________ n'avait pas établi la relation de causalité directe entre l'infraction dénoncée et la difficulté qu'elle rencontre à obtenir de B.________ le paiement de sa créance.

C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral de lui accorder la qualité de partie plaignante, subsidiairement d'annuler l'arrêt cantonal et de renvoyer la cause à l'instance précédente. Le dossier de la cause a été produit par la Cour de justice, qui se réfère à son arrêt et n'a pas d'observations à formuler. Le Ministère public conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue dans le cadre d'une procédure pénale. Elle peut donc faire l'objet d'un recours en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 78 Principe - 1 Le Tribunal fédéral connaît des recours contre les décisions rendues en matière pénale.
1    Le Tribunal fédéral connaît des recours contre les décisions rendues en matière pénale.
2    Sont également sujettes au recours en matière pénale:
a  les décisions sur les prétentions civiles qui doivent être jugées en même temps que la cause pénale;
b  les décisions sur l'exécution de peines et de mesures.
LTF. Selon l'art. 81 al. 1 let. a
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 81 Qualité pour recourir - 1 A qualité pour former un recours en matière pénale quiconque:
1    A qualité pour former un recours en matière pénale quiconque:
a  a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire, et
b  a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, soit en particulier:
b1  l'accusé,
b2  le représentant légal de l'accusé,
b3  le ministère public, sauf pour les décisions relatives à la mise en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, à la prolongation de la détention ou à sa levée,
b4  ...
b5  la partie plaignante, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles,
b6  le plaignant, pour autant que la contestation porte sur le droit de porter plainte,
b7  le Ministère public de la Confédération et les autorités administratives participant à la poursuite et au jugement des affaires pénales administratives selon la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif56.
2    Une autorité fédérale a qualité pour recourir si le droit fédéral prévoit que la décision doit lui être communiquée.57
3    La qualité pour recourir contre les décisions visées à l'art. 78, al. 2, let. b, appartient également à la Chancellerie fédérale, aux départements fédéraux ou, pour autant que le droit fédéral le prévoie, aux unités qui leur sont subordonnées, si l'acte attaqué est susceptible de violer la législation fédérale dans leur domaine d'attributions.
et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Indépendamment de sa qualité pour recourir sur le fond, le plaignant peut invoquer la violation de droits que la loi de procédure applicable ou le droit constitutionnel lui reconnaît comme partie à la procédure, lorsque cette violation équivaut à un déni de justice formel (ATF 136 IV 41 consid. 1.4 p. 44, 29 consid. 1.9 p. 40; 133 IV 228 consid. 2.3.2 p. 232 s. et les références citées). Il en va notamment ainsi de la décision qui, comme en l'espèce, rejette une demande de constitution de partie plaignante dans le procès pénal puisqu'elle a pour effet d'écarter définitivement l'intéressée de la procédure. D'après la jurisprudence, il s'agit pour la partie concernée d'une décision finale au sens de l'art. 90
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 90 Décisions finales - Le recours est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure.
LTF (ATF 131 I 57 consid. 1.1 p. 60; 128 I 215 consid. 2.3/2.4 p. 217).
Le recours est dès lors recevable.

2.
La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue. Elle fait grief à la Cour de justice d'avoir ignoré sans aucune justification l'un des deux arguments qu'elle avait avancés auprès de cette instance pour fonder sa qualité de partie plaignante, à savoir que l'infraction qu'elle dénonçait avait porté atteinte à ses droits de la personnalité.

2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 29 Garanties générales de procédure - 1 Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
1    Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
2    Les parties ont le droit d'être entendues.
3    Toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre droit à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert.
Cst.) le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Pour répondre à ces exigences, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 138 IV 81 consid. 2.2 p. 84; 134 I 83 consid. 4.1 p. 88 et les références). Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 29 Garanties générales de procédure - 1 Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
1    Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
2    Les parties ont le droit d'être entendues.
3    Toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre droit à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert.
Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (cf. ATF 138 V 125 consid. 2.1 p. 127; 133 III 235 consid. 5.2 p. 248; 126 I 97 consid. 2b p. 102).
Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 135 I 187 consid. 2.2 p. 190; 122 II 464 consid. 4a p. 469). Une violation du droit d'être entendu peut toutefois être réparée dans le cadre de la procédure de recours lorsque l'irrégularité n'est pas particulièrement grave et pour autant que la partie concernée ait la possibilité de s'exprimer et de recevoir une décision motivée de la part de l'autorité de recours disposant d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit. Une réparation du vice procédural est également possible lorsque le renvoi à l'autorité inférieure constitue une vaine formalité, provoquant un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197; 133 I 201 consid. 2.2 p. 204; pour une réparation du vice procédural devant le Tribunal fédéral, cf. arrêt 1B 369/2012 du 4 juillet 2012).

2.2 En l'espèce, la recourante a expressément fait valoir deux motifs qui, selon elle, justifiaient que lui soit reconnue la qualité de plaignante: l'atteinte à ses droits de la personnalité, d'une part, et l'atteinte à ses droits patrimoniaux, d'autre part. Ainsi, dans une section entière (B1) de son écriture adressée à la Cour de justice, la recourante a expressément soulevé le fait que son identité avait été usurpée et que l'auteur de l'infraction dont elle se plaignait avait manifestement violé ses droits de la personnalité. La Cour de justice n'a pas examiné cet argument dans sa décision. Elle n'a motivé le rejet du recours qu'à raison de l'absence d'atteinte directe aux droits patrimoniaux, répondant ainsi à une autre argumentation, distincte, de la recourante. Elle a de la sorte violé le droit d'être entendu de la recourante en ignorant l'un des deux griefs soulevés, lequel n'apparaissait de prime abord pas entièrement dénué de pertinence.
Le Tribunal fédéral ne dispose pas du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (art. 97 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 97 Établissement inexact des faits - 1 Le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause.
1    Le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause.
2    Si la décision qui fait l'objet d'un recours concerne l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents ou de l'assurance militaire, le recours peut porter sur toute constatation incomplète ou erronée des faits.89
LTF) et les autres conditions de réparation, en instance de recours, de la violation du droit d'être entendu ne sont pas réunies.

3.
Le recours doit dès lors être admis pour ce motif, sans qu'il y ait lieu de discuter les moyens de fond. La cause est ainsi renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision après examen de l'ensemble des griefs soulevés par la recourante. En vertu de l'art. 68 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 68 Dépens - 1 Le Tribunal fédéral décide, dans son arrêt, si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe.
1    Le Tribunal fédéral décide, dans son arrêt, si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe.
2    En règle générale, la partie qui succombe est tenue de rembourser à la partie qui a obtenu gain de cause, selon le tarif du Tribunal fédéral, tous les frais nécessaires causés par le litige.
3    En règle générale, aucuns dépens ne sont alloués à la Confédération, aux cantons, aux communes ou aux organisations chargées de tâches de droit public lorsqu'ils obtiennent gain de cause dans l'exercice de leurs attributions officielles.
4    L'art. 66, al. 3 et 5, est applicable par analogie.
5    Le Tribunal fédéral confirme, annule ou modifie, selon le sort de la cause, la décision de l'autorité précédente sur les dépens. Il peut fixer lui-même les dépens d'après le tarif fédéral ou cantonal applicable ou laisser à l'autorité précédente le soin de les fixer.
et 2
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 68 Dépens - 1 Le Tribunal fédéral décide, dans son arrêt, si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe.
1    Le Tribunal fédéral décide, dans son arrêt, si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe.
2    En règle générale, la partie qui succombe est tenue de rembourser à la partie qui a obtenu gain de cause, selon le tarif du Tribunal fédéral, tous les frais nécessaires causés par le litige.
3    En règle générale, aucuns dépens ne sont alloués à la Confédération, aux cantons, aux communes ou aux organisations chargées de tâches de droit public lorsqu'ils obtiennent gain de cause dans l'exercice de leurs attributions officielles.
4    L'art. 66, al. 3 et 5, est applicable par analogie.
5    Le Tribunal fédéral confirme, annule ou modifie, selon le sort de la cause, la décision de l'autorité précédente sur les dépens. Il peut fixer lui-même les dépens d'après le tarif fédéral ou cantonal applicable ou laisser à l'autorité précédente le soin de les fixer.
LTF, la recourante, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens à la charge du canton de Genève. Conformément à l'art. 66 al. 4
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 66 Recouvrement des frais judiciaires - 1 En règle générale, les frais judiciaires sont mis à la charge de la partie qui succombe. Si les circonstances le justifient, le Tribunal fédéral peut les répartir autrement ou renoncer à les mettre à la charge des parties.
1    En règle générale, les frais judiciaires sont mis à la charge de la partie qui succombe. Si les circonstances le justifient, le Tribunal fédéral peut les répartir autrement ou renoncer à les mettre à la charge des parties.
2    Si une affaire est liquidée par un désistement ou une transaction, les frais judiciaires peuvent être réduits ou remis.
3    Les frais causés inutilement sont supportés par celui qui les a engendrés.
4    En règle générale, la Confédération, les cantons, les communes et les organisations chargées de tâches de droit public ne peuvent se voir imposer de frais judiciaires s'ils s'adressent au Tribunal fédéral dans l'exercice de leurs attributions officielles sans que leur intérêt patrimonial soit en cause ou si leurs décisions font l'objet d'un recours.
5    Sauf disposition contraire, les frais judiciaires mis conjointement à la charge de plusieurs personnes sont supportés par elles à parts égales et solidairement.
LTF, il n'est pas perçu de frais judiciaires.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à l'avocat de la recourante, à la charge du canton de Genève.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.

Lausanne, le 15 novembre 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

La Greffière: Sidi-Ali