S. 407 / Nr. 70 Schweizerbürgerrecht (f)

BGE 72 I 407

70. Arrêt du 14 juin 1946 dans la cause Madeleine Levita-Mühlstein contre le
Département fédéral de justice et police.


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Regeste:
Nationalité de la Suissesse qui épouse un étranger.
Les autorités suisses sont-elles compétentes pour examiner si le mari possède
telle nationalité étrangère? S'agissant de la nationalité, les autorités
suisses peuvent-elles tenir compte de lois étrangères contraires à l'ordre
public suisse (distinctions faites en raison de la race)?
Bürgerrecht der Schweizerin, die einen Ausländer heiratet.
Dürfen die schweizerischen Behörden selbständig prüfen, ob der Ehegatte Bürger
eines ausländischen Staates ist? Dürfen sie bei der Frage des Bürgerrechts
ausländische Gesetze berücksichtigen, die in Widerspruch stehen zu
schweizerischen Auffassungen von öffentlicher Ordnung (Rassengesetze)?
Nazionalità della donna svizzera che contrae matrimonio con uno straniero,
Le autorità svizzere sono competenti ad esaminare se il marito possieda una
certa nazionalità estera? Per quanto concerne la questione della nazionalità,
le autorità svizzere possono tenere conto di leggi estere contrarie all'ordine
pubblico svizzero (leggi razziali)?

A. ­ La recourante, alors bourgeoise de Genève, a épousé Werner Levita le 31
juillet 1945. Celui-ci avait quitté l'Allemagne en 1933 et avait séjourné
depuis lors en France et en Suisse. Son passeport n'ayant pas été renouvelé,
il fut considéré comme apatride et astreint comme tel au service militaire par
la France. Il a formé une demande de naturalisation qui est actuellement
pendante devant les autorités françaises.
B.­Dame Levita-Mühlstein prétendit avoir conservé sa nationalité suisse malgré
son mariage, conformément à l'art. 5 ch. 2 de l'ACF du 11 novembre 1941
modifiant les dispositions sur l'acquisition et la perte de la nationalité
suisse.
Le 17 avril 1946, le Département fédéral de justice et police décida que, par
son mariage avec le ressortissant allemand Werner Levita, elle avait perdu sa
nationalité

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suisse et sa bourgeoisie genevoise. Cette décision est, en résumé, motivée
comme suit:
Selon l'art. 5 ch. 1 et 2 de l'ACF du 11 novembre 1941, dame Levita n'aurait
conservé sa nationalité suisse que si, en la perdant du fait de son mariage,
elle était devenue apatride. Il faut donc examiner préjudiciellement si Levita
était apatride le 31 juillet 1945. Etant donné qu'il a possédé la nationalité
allemande, il n'aurait pu devenir apatride que s'il avait perdu cette
nationalité. Il allègue qu'en sa qualité de Juif habitant à l'étranger, il a
été privé de sa nationalité allemande par l'ordonnance allemande du 25
novembre 1941. Mais le Département fédéral de justice et police n'a jamais
reconnu qu'un Allemand ait perdu sa nationalité du seul fait de cette
ordonnance; il a exigé, dans chaque cas particulier, une confirmation émanant
de l'autorité allemande compétente. En effet, les autorités suisses n'auraient
pas été à même de constater avec certitude si une personne était «Juive» selon
les lois allemandes fondées sur la race; de plus l'application de l'ordonnance
par les autorités allemandes était confuse. La capitulation de l'Allemagne a
mis en question la souveraineté de l'Etat allemand, la validité de sa
législation, mais non pas la nationalité allemande comme telle. C'est pourquoi
le Département estime devoir maintenir sa jurisprudence. Doit par conséquent
être considéré comme Allemand celui qui l'était, le 8 mai 1945, selon la
législation allemande alors en vigueur et qui n'a pas acquis d'autre
nationalité depuis lors. On ne peut admettre le retrait de la nationalité
allemande conformément à cette législation que lorsqu'elle est prouvée par une
décision individuelle publiée dans le «Reichsanzeiger» ou par une attestation
établie avant le 8 mai 1945 par une autorité allemande compétente. Tel n'est
pas le cas pour Levita; il doit donc être considéré comme ressortissant
allemand. En conséquence, la recourante a, par son mariage, acquis la
nationalité allemande et perdu la nationalité suisse. Il importe peu, dans la
présente espèce, que Levita ait été considéré en France comme

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apatride; il ne l'a du reste été que du point de vue des obligations
militaires.
C.­Contre cette décision, dame Levita-Mühlstein a formé, en temps utile, un
recours de droit administratif. Elle conclut à l'annulation de la décision
attaquée et à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral dire que la recourante
possède la nationalité suisse avec la bourgeoisie de Genève. Elle se réfère
aux observations contenues dans les mémoires adressés au Département fédéral
de justice et police par son père et son mari et elle allègue en outre:
Il est incontestable que Levita était apatride lors du mariage. En sa qualité
de Juif, il avait perdu sa nationalité allemande de plein droit, par l'effet
de l'ordonnance allemande du 25 novembre 1941. Il n'aurait plus eu aucune
possibilité de se faire reconnaître cette nationalité par les autorités
allemandes. Le Département fédéral de justice et police a du reste toujours,
dans des cas semblables, considéré les intéressés comme apatrides; cela
résulte des permis de tolérance qu'il leur a délivrés. Si la recourante
n'était pas reconnue comme Suissesse, elle serait effectivement apatride et ne
pourrait obtenir de papiers valables. «Pour le surplus, la soussignée se
réfère à l'avis de droit de M. le Professeur Egger, de Zurich, et de M. le D r
Schnitzer, qui confirment sa manière de voir.»
D.­Ces avis de droit ont été produits au dossier d'une affaire analogue,
actuellement pendante, et la Cour en a eu connaissance.
E.­Le Département fédéral de justice et police conclut au rejet du recours, en
résumé par les motifs suivants:
L'autorité suisse n'examine la question de la nationalité étrangère qu'à titre
préjudiciel. Il est inévitable «que la nationalité étrangère puisse être
appréciée différemment suivant le fond de l'affaire et les autorités chargées
de cette appréciation». Pendant longtemps, la police des étrangers a assimilé
le «sans-papiers» et l'apatride, comme le fait aussi la France. Mais dans les
cas où la possession de la nationalité suisse est en jeu, «les indications
d'apatride

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ou de sans-papiers figurant dans les documents de la police des étrangers
n'ont pas de valeur». Il n'y a pas place, dans une telle question, pour la
libre appréciation de l'autorité. «Les faits dont sa solution dépend exigent
une preuve absolue.» Dans le cas où il est constant qu'une personne a possédé
une nationalité étrangère, la perte de cette nationalité doit être prouvée. En
général, cette perte ne peut être constatée avec sûreté que par les autorités
compétentes du pays d'origine. C'est pourquoi le Département fédéral de
justice et police a «toujours exigé ou un décret de dénationalisation ou une
confirmation de la perte de la nationalité allemande émanant d'une autorité
allemande compétente».
Considérant en droit:
1. ­ Selon l'art. 5 de l'arrêté du Conseil fédéral du 11 novembre 1941
modifiant les dispositions sur l'acquisition et la perte de la nationalité
suisse, la Suissesse qui conclut avec un étranger un mariage valable en Suisse
perd la nationalité suisse; elle ne la conserve exceptionnellement que si, en
la perdant, elle devenait apatride.
Dans la présente espèce, il est constant que le mari de la recourante a
possédé la nationalité allemande. Le mariage a été conclu en France, le 31
juillet 1945, et il n'y a aucune raison de douter qu'il soit valable en
Suisse. Si donc Levita avait conservé la nationalité allemande jusqu'au
mariage, il l'aurait conférée à la recourante en vertu du § 6 du «Reichs- und
Staatsangehörigkeitsgesetz» du 22 juillet 1913. Il allègue cependant avoir
perdu cette nationalité par l'effet de la «Elfte Verordnung zum
Reichsbürgergesetz», du 25 novembre 1941, et être devenu apatride dès avant le
mariage. Si tel était le cas, la recourante aurait conservé sa nationalité
suisse, car autrement elle serait devenue apatride par son mariage. Il faut
donc examiner, en l'espèce, si, au moment du mariage, Levita était apatride ou
s'il avait conservé sa nationalité allemande.

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C'est seulement à titre préjudiciel, en vue de trancher une autre question de
leur compétence, que les autorités suisses peuvent examiner si une personne
déterminée possède telle nationalité étrangère. Leur décision sur ce point
n'est donc qu'un simple motif du prononcé sur la question litigieuse
elle-même; elle n'a pas la portée d'une décision au fond contenue dans un
dispositif passé en force (RO 55 I 16). Elle n'a pas force de chose jugée.
Ainsi, chacune des autorités appelées à trancher telle question à titre
préjudiciel le fait sans être liée par la décision préjudicielle qu'une autre
autorité aurait pu rendre antérieurement sur le même objet.
Pour la décision qui doit être prise dans la présente procédure, il n'est donc
nullement décisif que Levita ait été considéré comme apatride par les
autorités suisses du point de vue des règles applicables en matière de police
des étrangers. Il est moins décisif encore qu'un Etat étranger ­ à savoir la
France ­ l'ait jusqu'ici considéré comme tel.
2. ­ L'arrêté du Conseil fédéral du 11 novembre 1941 (précité) ne crée aucune
présomption quant à la nationalité de la Suissesse qui épouse un étranger; il
ne met pas non plus le fardeau de la preuve à la charge de la femme qui
prétend avoir conservé son indigénat suisse malgré son mariage avec un
étranger. L'autorité suisse, saisie de la question, devra donc l'instruire
d'office et ordonner notamment les preuves nécessaires. Ainsi, dans le cadre
du recours de droit administratif, qui lui permet de revoir soit les points de
fait, soit les points de droit, le Tribunal fédéral peut examiner librement
si, au moment de son mariage avec la recourante, Levita avait conservé sa
nationalité allemande.
3.­Cette question ressortit à la loi allemande. Selon la «Elfte Verordnung zum
Reichsbürgergesetz», qu'invoque la recourante, un Juif qui a sa résidence
ordinaire à l'étranger ne peut pas être ressortissant allemand («deutscher
Staatsangehöriger»). Il y a résidence ordinaire à l'étranger lorsqu'un Juif
séjourne à l'étranger dans des circonstances

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qui font reconnaître qu'il n'y demeure pas seulement provisoirement (§ 1). En
outre (§ 2), un Juif perd sa qualité de ressortissant allemand dès l'entrée en
vigueur de cette ordonnance, lorsqu'à ce moment, il a sa résidence ordinaire à
l'étranger.
La recourante allègue que, conformément à ces dispositions, son mari avait
perdu ex lege la nationalité allemande lors du mariage. Elle estime par
conséquent ­ et cela paraît exact ­ que les textes légaux précités emportent
par eux-mêmes la perte de la nationalité pour les personnes qu'ils visent,
sans qu'il soit besoin encore d'un acte constitutif ou même seulement
déclaratif de l'autorité compétente. Mais il n'en reste pas moins que l'on
peut se heurter à des difficultés sérieuses lorsqu'il s'agit de savoir si les
dispositions précitées s'appliquent à telle personne déterminée et si
notamment tel individu rentre dans la catégorie des «Juifs» au sens de la loi
allemande.
Lorsque l'application de la loi étrangère touchant la nationalité suscite des
difficultés semblables, l'autorité administrative est en principe fondée à
demander la production d'une déclaration de l'autorité étrangère elle-même.
Cette attestation peut être soit une décision ou un jugement définitifs
émanant de l'autorité compétente en matière de nationalité, soit une simple
affirmation d'une autorité administrative. Une telle affirmation ne constitue
qu'un indice, dont il appartient à l'autorité suisse d'apprécier la portée
suivant les circonstances du cas.
Dans la présente espèce, il paraît actuellement impossible de produire une
telle attestation, faute d'autorités allemandes qui puissent la délivrer. Mais
on ne saurait conclure de l'absence d'une attestation officielle allemande,
que Levita avait conservé la nationalité allemande lors de son mariage, car,
comme il a été dit plus haut, la loi suisse ne crée aucune présomption à cet
égard et n'impose pas à l'intéressé le fardeau de la preuve. Les autorités
suisses à qui il incombe de décider si la recourante a conservé la nationalité
suisse après son mariage sont tenues dès lors

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de prononcer préjudiciellement de leur chef si en vertu de la législation
allemande, le mari avait perdu sa nationalité.
4.­Cependant, il apparaît que, dans la mesure où elle fait une distinction du
point de vue de la race entre `r Juifs r et «Aryens», la législation allemande
est contraire à l'ordre public suisse et ne saurait par conséquent être
appliquée en Suisse, parce que son application violerait d'une manière
intolérable le sentiment de la justice, tel qu'il existe en général dans le
pays (RO 64 II 98). Les différences faites par la loi allemande et fondées sur
des arguments racistes ne sont pas compatibles avec le sentiment de la
justice, parce qu'elles sont contraires au principe de l'égalité entre les
hommes et violent d'une manière intolérable l'idée de l'égalité des citoyens
devant la loi, telle qu'on la conçoit en Suisse. Les dispositions qui font de
telles différences ne sont donc pas applicables en Suisse et ne sauraient en
principe être sanctionnées par les autorités suisses. Selon le droit en
vigueur en Suisse, le mari n'a donc pas perdu la nationalité allemande.
A la vérité, le Tribunal fédéral, dans sa jusrisprudence (RO 60 I 80), a admis
que les Etats déterminent souverainement les conditions d'acquisition et de
maintien du droit de cité et il a considéré comme douteux que ce pouvoir
souverain soit soumis à des rectrictions en vertu du droit des gens. Mais, en
l'espèce, il ne s'agit pas simplement d'une violation du droit des gens
(«Völkerrechtswidrigkeit»), mais d'une incompatibilité avec l'ordre public
suisse, ce qui, suivant les principes généraux, interdit l'application en
Suisse du droit étranger.
5.­Toutefois, dans l'application de la règle de droit suisse suivant laquelle
la Suissesse qui épouse un étranger est maintenue dans son droit de cité
lorsqu'elle n'acquiert pas la nationalité de son mari et deviendrait apatride
en perdant la nationalité suisse, on peut se demander si, au regard de la loi,
le seul fait du heimatlosat ne constitue pas en soi une condition suffisante.
Autrement dit, lorsqu'il résulte d'une décision concrète, définitive et
irrévocable,

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rendue par l'autorité compétente de l'Etat étranger, que celui-ci ne
reconnaîtra pas sa nationalité à la Suissesse qui épouse un de ses
ressortissants, on peut se demander si cette situation de fait ­ fût-elle même
contraire à des principes de droit ­ suffirait exceptionnellement à maintenir
le droit de cité suisse nonobstant le mariage avec un étranger.
Cette question d'interprétation du droit fédéral peut, dans le présent cas,
demeurer indécise.
Même si l'on admet qu'une décision définitive de l'Etat étranger, qui
établirait le heimatlosat, suffit, cette condition, en l'espèce, n'est pas
réalisée. Selon le dossier, les autorités allemandes n'ont rendu aucune
décision concrète déniant à la recourante ­ ou à son mari ­ la nationalité
allemande. Bien plus, il semble que les autorités allemandes qui fonctionnent
en Allemagne sous le régime de l'occupation par les puissances alliées
reconnaîtraient à la recourante et à son mari la nationalité allemande, si
elles pouvaient être appelées à se prononcer.
En effet, le Professeur Egger, dans un exposé du 28 octobre 1945 sur le statut
actuel des apatrides d'origine allemande en Suisse, exposé établi à
l'intention de l'Office central suisse pour l'aide aux émigrés, à Zurich, cite
une loi no 1, proclamée par le gouvernement militaire des Alliés le 18
septembre 1944 déjà, loi qui abolit les principes et les doctrines du
national-socialisme dans le droit et d'administration allemands et abroge un
certain nombre de lois introduites depuis 1933, y compris toutes les lois
complémentaires et d'exécution. Parmi ces lois figurent le
«Reichsbürgergesetz» du 15 septembre 1935, ainsi que toutes les ordonnances
relatives à son exécution. Selon le texte de la loi, que cite M. Egger, toutes
ces dispositions légales «verlieren hiermit ihre Wirksamkeit innerhalb des
besetzten Gebietes». L'art. 2 porte que, dans les régions occupées, il n'est
permis aux tribunaux ni à l'administration d'appliquer aucune règle de droit
allemand qui pourrait porter préjudice à des personnes en raison de leur race,
de

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leur nationalité, de leur croyance ou de leur opposition au parti
national-socialiste et à ses doctrines.
Dans ces conditions, la recourante, qui ne saurait se prévaloir d'une
législation étrangère contraire à l'ordre public suisse, ne peut pas davantage
alléguer que, en vertu d'une décision concrète et définitive des autorités
étrangères, la nationalité allemande ne lui est pas acquise par le mariage.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 72 I 407
Date : 01. Januar 1946
Publié : 13. Juli 1946
Source : Bundesgericht
Statut : 72 I 407
Domaine : BGE - Verwaltungsrecht und internationales öffentliches Recht
Objet : Nationalité de la Suissesse qui épouse un étranger.Les autorités suisses sont-elles compétentes...


Répertoire ATF
55-I-11 • 60-I-67 • 64-II-88 • 72-I-407
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
allemand • autorité suisse • département fédéral • examinateur • droit de cité • race • ordre public • vue • tribunal fédéral • police des étrangers • chose jugée • autorité administrative • recours de droit administratif • suppression • conseil fédéral • autorité étrangère • fardeau de la preuve • doctrine • décision • pays d'origine
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