S. 312 / Nr. 51 Motorfahrzeugverkehr (f)

BGE 64 II 312

51. Arrêt de la Ire Section civile du 29 juin 1938 dans la cause La
Préservatrice contre Genetiempo.


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Regeste:
Pour se libérer, le détenteur doit faire, entre autres, la preuve négative
qu'aucune faute ne lui est imputable (art. 37 al. 2 LA); il lui incombe ainsi
d'établir (et cette preuve est aussi pour l'assureur, art. 49 LA) qu'il a pris
toutes les précautions voulues pour éviter l'accident. Le conducteur qui vire
à gauche doit surtout regarder devant lui; c'est au conducteur qui suit d'être
sur ses gardes et de ne pas obliquer à gauche quand il a sujet de penser que
le véhicule qui le précède pourrait faire la même manoeuvre (proximité de
bifurcation p. ex.) (consid. 1).
Les art. 26 al. 3 LA et 46 al. 2 RA qui interdisent de dépasser aux «croisées
de routes» s'appliquent à toutes les rencontres de deux ou de plusieurs routes
(carrefour, croisement, bifurcation, jonction) (consid. 2).
Celui qui réclame la réparation d'un tort moral doit faire la preuve positive
d'une faute imputable au détenteur ou à la personne pour laquelle le détenteur
est responsable (art. 42 LA) (consid. 4).

A. - Le 6 février 1934, à 17 heures, un accident s'est produit dans les
circonstances suivantes, à l'angle sud-ouest du Parc de la Grange, sortie
nord-est de la ville de Genève:
Fernand Frossard, mécanicien à Genève, venant du centre de la ville, suivait
au volant d'une automobile la route de Frontenex. Son intention était de se
diriger à gauche par l'avenue William Favre vers le quai des Eaux-Vives. Au
moment où il entamait son virage, sa voiture étant à peine oblique sur la
route, surgit, roulant dans la même direction et allant le dépasser, une
motocyclette conduite par L. Genetiempo; elle portait sur le porte-bagages son
propriétaire Cattaneo. Le motocycliste ne put éviter le choc. La roue avant de
sa machine heurta le pare-boue et la roue gauche avant de l'automobile.
Cattaneo fut jeté à terre. La motocyclette continua néanmoins à rouler, passa
devant la voiture, s'engagea sur la voie du tram, monta sur le trottoir de
gauche de la route de

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Frontenex, dans sa direction de marche, puis se renversa à une vingtaine de
mètres environ du point probable de la collision. L'automobile avait, elle
aussi, continué sa route dans l'avenue William Favre et s'était arrêtée
quelques mètres plus loin. Genetiempo fut relevé avec une fracture du bras
gauche et une grave commotion cérébrale. Il resta cinq jours sans
connaissance.
Au moment du choc, l'automobiliste tenait sa droite et circulait à 25/30 km/h.
La motocyclette roulait à 40/50 km/h.
L. Genetiempo, âgé de 49 ans, exploite à Genève un commerce de cycles et de
motocyclettes. Au moment de l'accident, il essayait la motocyclette de
Cattaneo. Cette machine, qu'il venait de reviser, n'était pas munie d'un siège
arrière.
Aucun témoin autre que l'occupant et propriétaire de la motocyclette,
Cattaneo, et l'occupant de l'automobile, nommé Serraillon, n'avait assisté à
la collision. Une instruction pénale, ouverte d'office, a été classée.
B. - Par exploit du 28 mars 1935, L. Genetiempo a actionné devant le Tribunal
de Ire instance de Genève la Préservatrice auprès de laquelle Frossard était
assuré contre les risques de la responsabilité civile de l'automobiliste. Le
demandeur a réclamé à la défenderesse 37985 fr. 75 de dommages-intérêts avec
intérêt à 5% dès le 6 février 1934. Il reproche au détenteur et conducteur de
l'automobile notamment de n'avoir pas levé son indicateur de direction ni fait
aucun autre signe pour montrer qu'il allait virer à gauche, de n'avoir pas non
plus klaxonné ni vérifié si la route était libre.
La défenderesse a conclu au rejet de la demande, en soutenant que Frossard
avait pris toutes les précautions voulues tandis que le lésé avait commis la
faute grave de dépasser à une croisée de routes sans prendre garde au signal
donné par Frossard et en lui reprochant d'avoir circulé à une vitesse
excessive.
C. - Le Tribunal de Ire instance a condamné le 9 avril

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1937 la défenderesse à payer au demandeur la somme de 22990 fr. 80 avec les
intérêts réclamés. Il a mis à la charge du lésé un tiers de la responsabilité
de l'accident.
La Cour de Justice civile a réformé ce jugement par arrêt du 5 avril 1938.
Elle n'impute aucune faute au demandeur et lui accorde la réparation complète
du dommage, soit 22494 fr. 50.
D. - La défenderesse a recouru en réforme au Tribunal fédéral contre l'arrêt
de la Cour de Justice civile. Elle a repris ses conclusions libératoires.
Le demandeur a formé un recours par voie de jonction en persistant dans sa
réclamation.
Extrait des motifs:
1.- Responsabilité de la défenderesse.
Les premiers juges et la Cour d'appel genevoise ont estimé qu'il s'agissait en
l'espèce d'un dommage corporel causé par un détenteur de véhicule à moteur à
un autre détenteur de semblable véhicule, hypothèse prévue à l'art. 39 LA.
Cette manière de voir est erronée. La motocyclette n'appartenait pas au
demandeur mais à Cattaneo qui, au moment de l'accident, en avait repris la
maîtrise effective et pouvait en disposer à sa guise, ce qui lui conférait la
qualité de détenteur (v. STREBEL, art. 37 LA no 55). Le demandeur est le
«tiers» visé à l'art. 38 LA (v. dans le même sens l'arrêt Siegenthaler c.
Paquier du 10 mai 1938).
Peu importe, en revanche, que Frossard soit ou non le détenteur de
l'automobile qu'il conduisait et qui appartenait à son père. L'action est
dirigée contre la Compagnie d'assurance qui répond en vertu de l'art. 49 LA du
dommage causé par l'emploi du véhicule, que ce soit le détenteur ou une
personne pour laquelle il est responsable qui ait tenu le volant lors de la
collision.
C'est donc l'art. 38 al. 1 LA qui est applicable. La défenderesse répond
solidairement avec le détenteur de la motocyclette du dommage causé au
demandeur. L'étendue de

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la responsabilité du détenteur et partant de l'assureur (STREBEL, art. 49 no
15) envers le lésé et les effets d'une faute concomitante de ce dernier
doivent s'apprécier selon l'art. 37 LA dont les règles relatives à la preuve
libératoire sont aussi applicables (RO 62 II p. 309; STREBEL, art. 38 LA, no
2).
Aux termes de l'art. 37 al. 2, le détenteur (ou l'assureur) n'est libéré que
s'il prouve que le dommage a été causé par une faute grave du lésé ou d'un
tiers, sans que lui-même ou des personnes pour lesquelles il est responsable
aient commis de faute.
Comme le Tribunal fédéral l'a jugé (Schweiz. Allgemeine Versicherungs-A.-G. c.
Meyer, arrêt de la Ire Section civile, du 24 novembre 1937), les mots «sans
que lui-même ...» dépendent également de «s'il prouve», c'est-à-dire qu'il
incombe au détenteur de rapporter la preuve négative qu'aucune faute ne lui
est imputable dans l'accident ou que, s'il y a eu faute de sa part, celle-ci
n'a pu causer le dommage (voir également STREBEL, art. 37, note 173). Le
fardeau de la preuve est également pour le détenteur dans les cas visés aux
alinéas 2 in fine et 3 de l'art. 37.
La défenderesse devait par conséquent fournir la preuve que le conducteur de
l'automobile avait pris les précautions voulues avant de tourner à gauche, à
savoir qu'il avait mis en mouvement son indicateur de direction ou tendu le
bras à gauche hors de la voiture comme le prescrit l'art. 75 RA.
L'indicateur était levé après l'accident. Mais, appréciant les preuves
administrées, le juge du fait constate de manière à lier le Tribunal fédéral
que la défenderesse n'a pas établi que Frossard avait indiqué assez tôt sa
direction. La Cour cantonale en déduit avec raison que la responsabilité de la
Compagnie d'assurance est engagée. La défenderesse ne saurait en tout cas se
libérer complètement. Le fait que le demandeur, de son côté, n'a pas non plus
établi que la flèche de direction n'était point levée avant le changement de
direction ne supprime pas la responsabilité purement causale du détenteur
selon l'art 37 al. 1 LA.

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Le juge cantonal n'a pas examiné (du moins cela ne ressort pas de son arrêt)
si le conducteur de l'automobile avait commis les autres fautes alléguées par
le demandeur. Le recours par voie de jonction rend nécessaire cet examen.
Le demandeur reproche en effet à Frossard de ne pas avoir regardé dans son
rétroviseur ni jeté un coup d'oeil en arrière pour s'assurer que la route
était libre. Cette précaution eût sans doute été utile. Mais l'obligation
stricte de la prendre dépend des circonstances. Comme la Cour de cassation du
Tribunal fédéral l'a déclaré dans l'arrêt Favre c. Genève, du 6 avril 1938, le
conducteur qui vire à gauche «doit avant tout regarder devant lui, afin de
pouvoir, le cas échéant, laisser la priorité à un véhicule qui viendrait au
même instant en sens inverse (art. 47 RA). C'est au conducteur du véhicule qui
suit d'être sur ses gardes, en maintenant toujours une distance suffisante
(art. 48 RA) et en n'obliquant pas à gauche au moment où il aurait sujet de
penser que le véhicule qui le précède pourrait faire la même manoeuvre. Aussi
bien l'art. 46 al. 2 RA interdit-il de dépasser aux croisées de routes. Cette
règle doit s'appliquer également aux bifurcations.» Ces principes valent pour
la présente espèce où la proximité de la jonction des routes Frontenex et
William Favre devait mettre en garde le motocycliste, comme aussi le simple
fait que, circulant dans ou à la limite de l'agglomération urbaine, il devait
s'attendre à des changements de direction des véhicules devant lui (ces
circonstances différencient la présente espèce de l'affaire Siegenthaler c.
Paquier, jugée le 10 mai 1938, où le motocycliste roulant en rase campagne
n'avait pas eu sujet de supposer que le camion devant lui pourrait obliquer à
gauche: la flèche de direction du camion était masquée à la vue et il n'y
avait pas de jonction de routes à proximité). En l'espèce, on ne saurait donc
imputer à faute au conducteur de n'avoir pas regardé en arrière... La
défenderesse encourt uniquement la responsabilité causale instituée à l'art.
37 LA combiné avec l'art. 49.

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2.- Responsabilité concurrente du demandeur.
La Cour de Justice civile a condamné la défenderesse à réparer la totalité du
dommage. Elle a exonéré le demandeur de toute faute bien qu'il eût dépassé
l'automobile à la jonction de la route de Frontenex et de l'avenue William
Favre. Le juge cantonal a en effet rejeté le grief de la défenderesse pris des
art. 26 al. 3 LA et 46 al. 2 RA, qui interdisent de dépasser «aux croisées de
routes»; il s'est estimé lié par le mot «croisée» (dans le texte allemand
«Kreuzung») et a déclaré la prescription légale inapplicable parce que
«l'avenue William Favre débouche sur la route de Frontenex mais ne la traverse
pas ni ne la croise».
Cette interprétation littérale est erronée. Il ne saurait faire de doute que
le législateur a voulu interdire d'une manière absolue le dépassement, quels
que soient le champ de vue et l'état des lieux, non seulement lorsque les
routes se traversent (carrefour, croisée, «Kreuzung»), mais encore
lorsqu'elles forment une bifurcation («Gabelung») ou une jonction, l'une
débouchant dans l'autre à angle plus ou moins droit sans la traverser
(«Einmündung»). La prescription de la loi, reprise dans le règlement, tire sa
raison du danger particulier que crée pour la circulation la rencontre de deux
ou de plusieurs routes. Or ce danger est pour ainsi dire le même qu'il
s'agisse de croisement proprement dit ou de simple jonction (sur sept risques
de collision, deux seulement sont particuliers aux croisées: un véhicule qui
dépasse un autre dans une branche de la croix se rencontre avec un troisième
véhicule qui traverse l'autre branche de la croix de droite à gauche ou de
gauche à droite). Si donc on adoptait l'interprétation stricte et étroite de
la Cour cantonale et du commentateur Badertscher (p. 74), on aboutirait à un
résultat inadmissible qui enlèverait presque toute valeur pratique à une règle
de circulation des plus nécessaires. Et il serait d'autant plus absurde de
prendre le mot «croisée» au pied de la lettre que les deux cas particuliers à
cette configuration des lieux

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sont ceux qui présentent le moins de danger puisque les véhicules qui roulent
sur l'une des routes formant croisée traversent l'autre sur le trajet le plus
court tandis que, dans tous les autres cas, le véhicule qui passe d'une route
sur l'autre décrit une courbe dans cette dernière et peut même heurter de
front le véhicule qui dépasse.
L'art. 26 al. 3 LA (46 al. 2 RA) doit donc sans hésitation s'entendre dans ce
sens que par le mot croisée le législateur a en réalité visé toute espèce de
jonction de deux ou de plusieurs routes, le mot «route» étant pris dans le
sens que lui donne l'art. 1er LA tel que l'interprète la jurisprudence (cf.
STREBEL, art. 1 nos 11 et 15 et art. 26 no 25).
L'avenue William Favre est sans conteste une route au sens de la LA. Elle est
ouverte à la circulation de tous véhicules. Il ne s'agit pas d'un chemin de
campagne sans importance pour la circulation des automobiles ni d'un chemin
privé auquel l'art. 26 LA serait d'emblée inapplicable (arrêts Petermann c.
Müller du 16 mars 1927 et Siegenthaler c. Paquier du 10 mai 1938). Le
demandeur devait envisager la possibilité que l'automobile de Frossard
s'engage dans l'avenue.
La Cour de Justice civile a donc libéré à tort le demandeur de toute
responsabilité concomitante. La faute du motocycliste n'est cependant pas
grave. Le juge du fait constate que l'avenue William Favre est visible de la
route de Frontenex. Le demandeur se rendait ainsi compte qu'en dépassant il ne
risquait pas d'entrer en collision avec un véhicule débouchant de l'avenue.
Pratiquement il lui suffisait de vouer toute son attention à un signal
éventuel de changement de direction de l'automobile devant lui. Le fait qu'il
n'est pas établi qu'un tel signal ait été donné (la défenderesse a échoué dans
sa preuve) diminue la faute du demandeur d'avoir transgressé l'interdiction de
dépasser. Mais cette faute n'en est pas moins en relation de cause à effet
avec l'accident, car si le motocycliste n'avait pas doublé, la collision ne se
serait évidemment pas produite.
Aucune autre faute ne peut être imputée au demandeur...

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3.- (Détermination du dommage à réparer par la défenderesse.)
4.- Tort moral.
La Cour cant. a alloué au demandeur une somme de 3000 fr. de ce chef. Cette
décision n'est pas en harmonie avec l'art. 42 LA qui ne permet de condamner la
défenderesse à réparer un tel préjudice que si le détenteur du véhicule ou la
personne dont il est responsable a commis une faute. Or, en l'espèce, si la
défenderesse n'a pu établir que le conducteur de l'automobile avait levé son
indicateur de direction avant d'obliquer à gauche, le demandeur n'a pas non
plus fourni la preuve contraire, soit que l'indicateur n'était effectivement
pas levé avant l'accident. Une faute imputable au détenteur n'est donc pas
établie. Cette preuve incombait au demandeur, car la condamnation de la
défenderesse ne repose pas sur une présomption de faute du détenteur de
l'automobile, mais sur sa responsabilité causale (art. 37 al. 1 LA). Le
fardeau de la preuve se répartissait en effet de la manière suivante: Pour se
libérer entièrement de sa responsabilité causale, le détenteur (soit la
défenderesse) devait, selon l'art. 37 al. 1 LA, prouver entre autres
circonstances l'absence d'une faute à lui imputable. Et pour avoir droit à la
réparation du tort moral, le demandeur devait, selon le principe général de
l'art. 8 CC, faire la preuve positive d'une faute du détenteur ou d'une
personne pour laquelle le détenteur est tenu de répondre (STREBEL, art. 42, no
14; BUSSY, art. 42 n. 2). Ni l'une ni l'autre partie n'ayant pu fournir la
preuve exigée, la défenderesse a l'obligation de réparer les 5/6 environ du
dommage matériel résultant des lésions corporelles et le demandeur n'a pas
droit à une indemnité pour tort moral.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
rejette le recours par voie de jonction; admet partiellement le recours
principal et réforme l'arrêt de la Cour de Justice civile du Canton de Genève
dans ce sens que la

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Compagnie défenderesse est condamnée à payer au demandeur la somme de 17000
francs avec intérêt à 5% dès le 6 février 1934.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 64 II 312
Date : 01 janvier 1937
Publié : 29 juillet 1938
Source : Tribunal fédéral
Statut : 64 II 312
Domaine : ATF - Droit civil
Objet : Pour se libérer, le détenteur doit faire, entre autres, la preuve négative qu'aucune faute ne lui...


Répertoire des lois
CC: 8
LNA: 1  26  37  38  39  42  49
Répertoire ATF
64-II-312
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
automobile • motocyclette • tort moral • tribunal fédéral • indicateur de direction • changement de direction • virement • responsabilité causale • incombance • calcul • vue • faute grave • fardeau de la preuve • doute • roue • croisement de routes • virage • responsabilité de droit privé • danger • membre d'une communauté religieuse • prolongation • diligence • dommages-intérêts • détenteur de véhicule • route • tribunal cantonal • signal avertisseur • décision • travaux d'entretien • bénéfice • preuve libératoire • rejet de la demande • dommage matériel • d'office • montre • véhicule à moteur • examinateur • cycle • dommage corporel • interprétation littérale • allaitement • tennis • trottoir • allemand • lésion corporelle
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