BGE 56 II 17
4. Arrêt de la IIe Section civile du 7 février 1930 dans la cause Bally contre
Coeytaux.
Regeste:
Les héritiers réservataires sont nécessairement héritiers. Le de cujus ne peut
les priver par testament de la qualité d'héritier que dans les cas et selon
les formes prévues par les art. 477
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 477 - L'héritier réservataire peut être déshérité par disposition pour cause de mort: |
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1 | lorsqu'il a commis une infraction pénale grave contre le défunt ou l'un de ses proches; |
2 | lorsqu'il a gravement failli aux devoirs que la loi lui impose envers le défunt ou sa famille. |
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 479 - 1 L'exhérédation n'est valable que si le défunt en a indiqué la cause dans l'acte qui l'ordonne. |
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1 | L'exhérédation n'est valable que si le défunt en a indiqué la cause dans l'acte qui l'ordonne. |
2 | La preuve de l'exactitude de cette indication sera faite, en cas de contestation de la part de l'exhérédé, par l'héritier ou le légataire qui profite de l'exhérédation. |
3 | Si cette preuve n'est pas faite ou si la cause de l'exhérédation n'est pas indiquée, les volontés du défunt seront exécutées dans la mesure du disponible, à moins qu'elles ne soient la conséquence d'une erreur manifeste sur la cause même de l'exhérédation. |
A. - Le testament de feu Emile Coeytaux, décédé le 16 avril 1929 à Bettens,
contient, parmi d'autres, les dispositions suivantes:
«Art. 3. - Je lègue à ma femme Lina Coeytaux la jouissance de tous mes biens
pendant sa vie. (:et usufruit tiendra lieu de son droit de succession,
conformément à la loi.»
«Art. 5. - Je lègue à ma. fille Lucie Bally, née Coeytaux, pour sa part dans
ma succession, une somme en argent de trente mille francs.»
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«Art. 6. - J'institue héritier de mes biens non légués mon fils Louis
Coeytaux, à charge par lui de faire honneur à ma succession.»
«Art. 7. - Les sommes à payer en argent seront livrables dans le terme de un
an après la cessation de l'usufruit constitué, sans intérêt.»
Le 6 juin 1929, le juge de paix de Sullens a délivré un certificat d'héritiers
attestant que feu Emile Coeytaux laisse pour «seuls héritiers, savoir
héritiers légaux» son fils Louis et sa fille Lucie Bally et que sa veuve Lina
Coeytaux a un droit d'usufruit sur l'ensemble de la succession. Le certificat
réserve toutefois «toutes les questions successorales et les dispositions
testamentaires dont la validité n'est pas contestée».
B. - Par exploit du 1er juillet 1929, Dame Lucie Bally a conclu à ce que le
Président du Tribunal du district de Cossonay prononce «qu'il y a lieu de
procéder au partage de la succession de feu Emile Coeytaux» et ordonne «toutes
opérations nécessaires à ce sujet, notamment de commettre un notaire, avec
mission de stipuler le partage à l'amiable, si faire se peut, ou à ce défaut
de constater les points sur lesquels porte le désaccord des parties et faire
des propositions en vue du partage»
Les défendeurs Louis et Lina Coeytaux ont conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 9 juillet 1929, le Président du Tribunal de Cossonay a admis
les conclusions de la demanderesse et invité les parties à lui faire des
propositions en vue de la nomination d'un notaire chargé de procéder au
partage.
Sur recours des défendeurs, le Tribunal cantonal vaudois a, par arrêt du 21
novembre 1929, annulé ce jugement, admis les conclusions libératoires des
défendeurs, déclaré qu'il n'y avait pas lieu de procéder au partage de la
succession et condamné l'intimée aux frais.
Le Tribunal cantonal a estimé que la demanderesse ne peut se prévaloir du
certificat d'héritier délivré par le juge de paix de Sullens pour justifier de
sa qualité
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d'héritière. Ce certificat n'a, en effet, de valeur qu'à l'égard des tiers et
ne crée qu'une simple présomption en faveur de celui qui y est désigné comme
héritier. Il résulte du testament du défunt, dont la validité n'a pas été
attaquée en justice, que le testateur a voulu instituer comme unique héritier
son fils Louis et ne laisser à l'intimée que la qualité de légataire. Le legs
qui lui a été attribué tient lieu de sa part dans la succession, à laquelle
elle n'a pas cté appelée comme héritière. Dans le système du code civil
suisse, le réservataire n'est pas un héritier nécessaire. C'est pour cette
raison que les «directions» données le 12 juin 1928 par le Tribunal cantonal
et le Département des finances du canton de Vaud prescrivent à l'article 4 que
«les héritiers légaux, même réservataires, qui, par suite de dispositions à
cause de mort du défunt, ne sont pas appelés à la succession en qualité
d'héritiers, ne seront pas mentionnés dans le certificat».
N'étant pas héritière et n'ayant pas la possibilité de le devenir, à moins
d'intenter l'action en nullité du testament, l'intimée ne peut demander le
partage en application de l'art. (604 CC. Si elle estime que le legs est
inférieur à sa réserve, son seul droit est de demander qu'il soit complété à
concurrence de celle-ci.
C. - Dans le délai légal, Dame Lucie Bally a recouru en réforme en concluant à
ce que le Tribunal fédéral annule l'arrêt du 21 novembre, lui adjuge les
conclusions de sa demande et condamne les intimés aux frais.
Statuant sur ces faits et considérant en droit:
1.- Le fait que, dans une circulaire de caractère administratif, le Tribunal
cantonal et le Département des Finances du canton de Vaud ont prescrit à leurs
subordonnés de ne pas mentionner dans les certificats d'héritiers les
réservataires «qui, par suite de dispositions à cause de mort du défunt, ne
sont pas appelés à la succession en qualité d'héritiers» est sans intérêt en
l'espèce. La notion d'héritier relève en effet du droit fédéral et ne
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peut dès lors être modifiée par un acte des autorités cantonales.
2.- Aux termes de l'article 457
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 457 - 1 Les héritiers les plus proches sont les descendants. |
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1 | Les héritiers les plus proches sont les descendants. |
2 | Les enfants succèdent par tête. |
3 | Les enfants prédécédés sont représentés par leurs descendants, qui succèdent par souche à tous les degrés. |
descendants. D'autre part, l'article 470
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 470 - 1 Celui qui laisse des descendants, son conjoint ou son partenaire enregistré a la faculté de disposer pour cause de mort de ce qui excède le montant de leur réserve.480 |
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1 | Celui qui laisse des descendants, son conjoint ou son partenaire enregistré a la faculté de disposer pour cause de mort de ce qui excède le montant de leur réserve.480 |
2 | En dehors de ces cas, il peut disposer de toute la succession. |
héritiers réservataires (les descendants figurent parmi eux) ne peut disposer
pour cause de mort que «de ce qui excède le montant de leur réserve». Il
s'ensuit que les réservataires sont nécessairement héritiers et que le de
cujus ne peut les priver de cette qualité par testament que dans les cas et
selon les formes prévues par les articles 477
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 477 - L'héritier réservataire peut être déshérité par disposition pour cause de mort: |
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1 | lorsqu'il a commis une infraction pénale grave contre le défunt ou l'un de ses proches; |
2 | lorsqu'il a gravement failli aux devoirs que la loi lui impose envers le défunt ou sa famille. |
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 479 - 1 L'exhérédation n'est valable que si le défunt en a indiqué la cause dans l'acte qui l'ordonne. |
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1 | L'exhérédation n'est valable que si le défunt en a indiqué la cause dans l'acte qui l'ordonne. |
2 | La preuve de l'exactitude de cette indication sera faite, en cas de contestation de la part de l'exhérédé, par l'héritier ou le légataire qui profite de l'exhérédation. |
3 | Si cette preuve n'est pas faite ou si la cause de l'exhérédation n'est pas indiquée, les volontés du défunt seront exécutées dans la mesure du disponible, à moins qu'elles ne soient la conséquence d'une erreur manifeste sur la cause même de l'exhérédation. |
La doctrine unanime admet cette interprétation, qui avait été d'ailleurs
explicitement formulée dans le projet de 1904. Celui-ci prévoyait à l'article
535 que «les héritiers à réserve qui n'intentent pas l'action en réduction
sont, même en cas d'exclusion totale, considérés comme héritiers aussi
longtemps qu'ils n'ont pas répudié la succession». Il est vrai que, par la
suite, les Chambres fédérales ont supprimé cet article, mais la seule raison
en fut que, estimant la loi suffisamment claire, elles considérèrent dès lors
la disposition susmentionnée comme superflue. (V. Bull. sténog. 1905, p. 1398
et 1906, p. 427.)
En l'espèce, la circonstance que feu Emile Coeytaux n'a attribué à sa fille
qu'un legs et a institué son fils unique héritier ne peut, de toute évidence,
être considérée comme une exhérédation faite en conformité des articles 477 et
479 Cc. Les intimés eux-mêmes ne le prétendent d'ailleurs pas. Dès lors, la
recourante, n'ayant pas perdu sa qualité d'héritière réservataire, participe
sans autre aux droits et aux obligations que la loi confère aux héritiers dès
l'ouverture de la succession. Comme telle, elle peut, en vertu de l'article
604
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 604 - 1 Chaque héritier a le droit de demander en tout temps le partage de la succession, à moins qu'il ne soit conventionnellement ou légalement tenu de demeurer dans l'indivision. |
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1 | Chaque héritier a le droit de demander en tout temps le partage de la succession, à moins qu'il ne soit conventionnellement ou légalement tenu de demeurer dans l'indivision. |
2 | À la requête d'un héritier, le juge peut ordonner qu'il soit sursis provisoirement au partage de la succession ou de certains objets, si la valeur des biens devait être notablement diminuée par une liquidation immédiate. |
3 | Les cohéritiers d'un insolvable peuvent, aussitôt la succession ouverte, requérir des mesures conservatoires pour la sauvegarde de leurs droits. |
prétendu qu'elle soit légalement ou conventionnellement tenue de demeurer dans
l'indivision. Il va toutefois sans dire que ce partage devra être exécuté de
façon à ne pas préjudicier au droit
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d'usufruit qui peut appartenir à la veuve du de cujus sur les biens de la
succession.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral admet le recours et adjuge à la
demanderesse ses conclusions.