Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6B 798/2015
Arrêt du 22 juillet 2016
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président,
Jacquemoud-Rossari et Rüedi.
Greffière : Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
A.X.________, représentée par Me Romain Jordan, avocat,
recourante,
contre
1. Ministère public de la République et canton de Genève,
2. E.________, représentée par Me Elisabeth Gabus-Thorens, avocate,
intimés.
Objet
Ordonnance de non-entrée en matière (faux rapport, etc.),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 17 juin 2015.
Faits :
A.
Le 25 avril 2014, A.X.________ a déposé une plainte pénale contre la doctoresse E.________, psychiatre, pour faux rapport et faux témoignage (art. 307 CP).
Elle y expliquait en substance ce qui suit:
Depuis juin 2010, elle-même et son mari, B.X.________, étaient engagés dans une procédure de divorce. Le tribunal de première instance lui avait attribué la garde de leurs deux enfants, C.X.________, née en zzz, et D.X.________, né en yyy, et réservé au père un droit de visite qui devait s'exercer notamment un week-end sur deux du samedi 9h au dimanche 17h30. En juin 2012, au vu du témoignage de la psychologue de C.X.________, qui avait relevé un certain malaise chez l'enfant en relation avec ses séjours auprès du père (C.X.________ lui avait fait part de difficultés à dormir avec son père nu et de rêves sexués avec un "zizi qui s'allonge"), le tribunal de première instance avait décidé de suspendre le droit de visite du père et d'ordonner une expertise du groupe familial. La mission d'expertise consistait notamment à faire des propositions quant aux modalités d'exercice du droit de visite du parent non gardien et à indiquer si des mesures de protection des enfants étaient nécessaires. Cette expertise fut confiée à la doctoresse E.________, psychiatre. Selon A.X.________, le rapport d'expertise rendu le 14 mai 2013, qui préconisait entre autres mesures le rétablissement du droit de visite au père, était basé sur des considérations
partiales et lacunaires. Ainsi, ce rapport ne faisait que partiellement état des propos inquiétants que sa fille C.X.________ avait tenus devant l'experte en sa présence, en particulier au cours d'une audition du 26 février 2013 qu'elle avait enregistrée sans le consentement de la psychiatre. A cette occasion, sa fille avait notamment dit ces paroles: "ce qu'il fait c'est quand il fait pipi, ce qu'il fait... parce que c'est magique parce que son zizi il s'allonge mais je ne sais pas pourquoi mais moi j'ai pas envie de revoir ça mais lui veut toujours que je vois ça mais moi j'ai plus envie." Or, interrogée le 12 septembre 2013 par le tribunal de première instance, l'experte avait certes confirmé le fait que C.X.________ lui avait parlé de son père qui urinait devant elle, mais nié que l'enfant aurait déclaré dans ce contexte "c'est magique" et "son zizi s'allonge". A l'appui de sa plainte, A.X.________ a produit une clé USB contenant l'enregistrement ainsi que la retranscription de celui-ci réalisée par un huissier.
Après que la police eut procédé à l'audition de la doctoresse E.________, le ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière le 23 octobre 2014. Il a considéré qu'il n'y avait aucun élément permettant d'établir une prévention pénale à l'encontre de l'experte.
B.
Par arrêt du 17 juin 2015, la Chambre pénale de recours de la Cour de Justice de la République et canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé par A.X.________ contre l'ordonnance de non-entrée en matière du 23 octobre 2014.
C.
A.X.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Elle conclut à son annulation et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle entre en matière sur le fond.
Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 140 IV 57 consid. 2 p. 59).
2.
2.1. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions celles qui sont fondées sur le droit civil et qui doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s'agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO.
2.2. Lorsque le recours est dirigé contre une décision de non-entrée en matière ou de classement de l'action pénale, il n'est pas nécessaire que la partie plaignante ait déjà pris des conclusions civiles. En revanche, elle doit expliquer dans son mémoire quelles prétentions civiles elle entend faire valoir à moins que, compte tenu notamment de la nature de l'infraction alléguée, l'on puisse déduire directement et sans ambiguïté quelles prétentions civiles pourraient être élevées et en quoi la décision attaquée pourrait influencer négativement leur jugement (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 4).
2.3. La recourante allègue pouvoir invoquer contre la doctoresse E.________ des dommages-intérêts pour tort moral à hauteur de 1'500 fr. en raison d'une atteinte à sa cellule familiale et à sa fille, ainsi que le remboursement des frais qu'elle a engagés pour l'huissier judiciaire et la retranscription de l'enregistrement, soit un montant de 3'000 francs.
2.4. Selon la jurisprudence, le rapport juridique existant entre l'expert et l'autorité judiciaire cantonale qui l'a mandaté relève du droit public cantonal (ATF 134 I 159 consid. 3 p. 163; voir aussi arrêt 6B 1168/2014 du 13 février 2015 consid. 1.2). En vertu de l'art. 2 de la loi [du canton de Genève] sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989 (LREC; RS/GE A 2 40), l'Etat de Genève et les communes du canton sont tenus de réparer le dommage résultant pour des tiers d'actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l'accomplissement de leur travail (al. 1); les lésés n'ont aucune action directe envers les fonctionnaires ou agents (al. 2). Le canton de Genève ayant fait usage de la faculté réservée à l'art. 61 al. 1 CO, la recourante ne dispose donc que d'une prétention de droit public à faire valoir non pas contre la doctoresse E.________, mais contre l'Etat. De telles prétentions ne peuvent être invoquées dans le procès pénal par voie d'adhésion et ne constituent, dès lors, pas des prétentions civiles au sens de l'art. 81 LTF (ATF 138 IV 86 consid. 3.1 p. 88; 133 IV 228 consid. 2.3.3 p. 234; 128 IV 188 consid. 2).
Quant aux frais d'huissier et de retranscription de l'enregistrement, ils ne peuvent pas faire l'objet de prétentions civiles au sens de cette même disposition dès lors qu'ils ne découlent pas directement de l'infraction invoquée (voir arrêt 6B 768/2013 du 12 novembre 2013 consid. 1.3).
Il s'ensuit que la recourante n'a pas la qualité pour recourir sur la base de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF.
3.
3.1. La recourante fait également valoir un droit de recours fondé sur les art. 3 et 13 CEDH, 7 Pacte ONU II, 10 al. 3 Cst. et 13 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
3.2. La jurisprudence admet dans certains cas la qualité pour recourir de la partie plaignante lorsque les actes dénoncés sont susceptibles de tomber sous le coup des dispositions prohibant les actes de torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradants (cf. ATF 138 IV 86 consid. 3.1.1 p. 88). Un mauvais traitement doit en principe être intentionnel et atteindre un minimum de gravité (cf. arrêt 6B 474/2013 du 23 août 2013 consid. 1. 4).
3.3. En l'occurrence, la recourante n'expose pas en quoi elle aurait été victime d'un traitement inhumain ou dégradant de la part de l'experte. En particulier, en tant que la recourante semble voir un motif d'application de l'art. 3 CEDH dans le fait que l'experte a prétendument omis de rapporter dans son expertise certains propos inquiétants de l'enfant au sujet du comportement du père, elle perd de vue l'objet de la procédure de classement. Celle-ci ne portait pas sur d'éventuels actes contre l'intégrité sexuelle de l'enfant mais uniquement sur le point de savoir si les actes reprochés à l'experte dans le cadre de sa mission d'expertise réunissaient les éléments constitutifs d'un faux témoignage et d'un faux rapport en justice. Or, ces infractions ne sauraient en elles-mêmes être assimilées à des mauvais traitements au sens de la disposition invoquée. La recourante ne peut donc se voir reconnaître la qualité pour recourir sous cet angle. Par identité de motifs, les autres dispositions qu'elle cite n'entrent pas non plus en considération. La recourante ne présente du reste aucune motivation quant à leur pertinence dans son cas (art. 42 al. 2 LTF).
4.
4.1. Indépendamment des conditions posées par l'art. 81 al. 1 LTF, la partie plaignante est également habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel, sans toutefois pourvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés du fond (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 5).
4.2.
4.2.1. La recourante se plaint tout d'abord d'une violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) par la cour cantonale. D'une part, elle lui reproche de ne pas s'être prononcée sur l'application de l'art. 3 CEDH alors qu'elle avait invoqué sa qualité pour recourir sur cette base dans son recours cantonal. D'autre part, elle soutient que la cour cantonale ne pouvait déclarer son recours irrecevable faute d'un intérêt actuel et pratique à recourir au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, sans lui avoir préalablement donné l'occasion de prendre position à ce sujet.
4.2.2. Le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour la partie intéressée de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision touchant sa situation juridique ne soit prise (ATF 137 II 266 consid. 3.2 p. 270). Ce droit porte avant tout sur les questions de fait. Les parties doivent éventuellement aussi être entendues sur les questions de droit lorsque l'autorité concernée entend se fonder sur des normes légales dont la prise en compte ne pouvait pas être raisonnablement prévue par les parties (ATF 129 II 492 consid. 2.2 p. 505 et les références citées). Par ailleurs, une autorité se rend coupable d'une violation du droit d'être entendu si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 133 III 235 consid. 5.2 p. 248).
4.2.3. Comme on l'a vu (consid. 3 supra), il est patent que l'art. 3 CEDH n'est pas applicable en l'espèce. Il n'y a, partant, pas lieu de faire grief à la cour cantonale de ne pas avoir discuté l'application d'une norme qui n'entre manifestement pas en ligne de compte. Il n'en va pas différemment s'agissant de l'absence d'interpellation de la recourante sur la question de son intérêt actuel à recourir contre la décision attaquée. Selon l'art. 382 al. 1 en liaison avec l'art. 393 al. 1 let. a CPP, la qualité pour recourir contre une décision du ministère public est subordonnée à l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de celle-ci. De jurisprudence constante, cet intérêt doit être actuel et pratique (ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299). Il s'agit d'une condition légale de recevabilité que l'autorité saisie examine d'office et dont il incombe à la partie recourante de démontrer la réalisation. Aussi bien, la recourante, qui bénéficiait de l'assistance d'un conseil professionnel, ne saurait-elle se déclarer surprise par la motivation de l'arrêt cantonal et l'autorité précédente n'avait-elle aucune obligation, sous l'angle du droit d'être entendu, de l'interpeller à cet égard. Les griefs y
relatifs sont donc mal fondés.
4.3.
4.3.1. La recourante prétend finalement que la cour cantonale aurait commis un déni de justice (art. 29 al. 1 Cst.) en refusant d'entrer en matière sur son recours. Elle se prévaut d'une violation de l'art. 382 al. 1 CPP.
4.3.2. On rappellera qu'en vertu de cette disposition, la qualité pour recourir suppose un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée. Cet intérêt doit être pratique et actuel. De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 136 I 274 consid. 1.3 p. 276). A en particulier la qualité pour recourir contre une ordonnance de non-entrée en matière le lésé qui, lorsqu'il s'est constitué demandeur au pénal et indépendamment d'éventuelles conclusions civiles, est atteint directement dans ses droits par l'infraction (art. 115 al. 1 CPP; ATF 139 IV 78 consid. 3 p. 80). En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 141 IV 1 consid. 3.1 p. 5 s.). L'art. 307 CP (faux rapport et faux témoignage en justice) protège en première ligne l'intérêt collectif, à savoir l'administration de la justice, dont le but est la recherche de la vérité matérielle (ATF 123 IV 184 consid. 1c p. 188). Les intérêts privés ne sont défendus que de manière secondaire (arrêt 6B 243/2015 du 12 juin 2015 consid. 2.1).
Les particuliers ne seront donc considérés comme des lésés que si leurs intérêts privés ont été effectivement touchés par le faux rapport, respectivement le faux témoignage, ce qu'ils doivent exposer (cf. ATF 123 IV 184 consid. 1c p. 188; arrêt 6B 1004/2014 du 30 juin 2015 consid. 1.2 et les références citées). Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (voir arrêts 1B 72/2014 du 15 avril 2014 consid. 2; 1B_ 669/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.3.1).
4.3.3. En l'espèce, la cour cantonale a constaté que si, dans un premier temps, le tribunal de première instance avait rétabli le droit de visite du père suivant en cela les conclusions de l'expertise et les déclarations faites en justice de la doctoresse E.________ - ce qui avait été confirmé sur recours par la Cour de Justice -, celui-ci avait toutefois révisé sa position sur le caractère concluant de cette expertise en raison justement de la plainte pénale déposée par la recourante et des pièces produites à son appui. Saisi par celle-ci d'une requête en modification des mesures provisionnelles le 5 juin 2014, il a décidé de limiter à nouveau le droit du visite du père, mesure qui a été confirmée par la Cour de Justice, et d'ordonner une nouvelle expertise en vue de déterminer les modalités du droit de visite du père (ordonnance du 15 juillet 2014). En considération du fait que les actes reprochés à l'experte n'avaient eu qu'un effet temporaire sur les décisions rendues par les tribunaux civils, la cour cantonale a estimé que la recourante ne disposait plus, à la date du dépôt de son recours (le 7 novembre 2014), d'un intérêt actuel et pratique à contester la décision de non-entrée en matière du ministère public du 23 octobre
2014.
4.3.4. Ces considérations ne prêtent pas flanc à la critique. La recourante reconnaît elle-même qu'elle a obtenu la modification des décisions civiles qui avaient été influencées par les conclusions de l'experte indépendamment du classement de sa plainte pénale. Les circonstances d'espèce ne sont donc en rien comparables à l'affaire traitée dans l'arrêt 6B 243/2015 du 12 juin 2015 cité par la recourante, où le Tribunal fédéral avait reconnu la qualité pour recourir à un prévenu d'assassinats contre le refus d'entrer en matière sur sa plainte pour dénonciation calomnieuse et faux témoignage. Dans ce cas, la Cour de céans avait jugé qu'il n'était pas a priori exclu, en particulier dans le cadre d'une procédure pénale, qu'un faux témoignage puisse, même déjà au stade de la procédure préliminaire et nonobstant l'appel interjeté contre la condamnation prononcée en première instance, atteindre un droit personnel du prévenu concerné (tels sa liberté, son honneur ou son patrimoine). Pour ce qui la concerne, la recourante n'explique toutefois pas en quoi consiste l'atteinte à ses droits personnels qui subsisterait encore du fait des prétendues infractions au moment où elle a saisi la cour cantonale, vu que l'expertise contestée n'a plus
aucune valeur probante. Certes, elle allègue qu'elle a engagé des frais pour étayer sa plainte pénale. Il ne s'agit toutefois pas d'un préjudice résultant directement des actes dénoncés.
4.3.5. Il en résulte que la cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, dénier à la recourante la qualité pour recourir concernant l'infraction pour faux rapport et faux témoignage en justice.
5.
Compte tenu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
La recourante, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens à l'intimée qui n'a pas été invitée à procéder (art. 68 al. 1 et 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 22 juillet 2016
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
La Greffière : von Zwehl