Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2C 617/2022
Arrêt du 21 mars 2024
IIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, Hänni, Hartmann et Ryter.
Greffière : Mme Vuadens.
Participants à la procédure
Administration fédérale des contributions, Service d'échange d'informations en matière fiscale SEI,
Eigerstrasse 65, 3003 Berne,
recourante,
contre
1. A.________ SA,
2. B.________ SA,
3. C.________ SA,
4. D.________ SA,
5. E.________ SA,
6. F.________ SA,
7. G.________ SA,
8. H.________ SA,
9. I.________ SA,
10. J.________ SA,
toutes représentées par Daniel Schafer, Benoît Biedermann et Stanislas Cramer, avocats,
intimées.
Objet
Assistance administrative (MAC / CH-BE), dépens,
recours contre la décision de radiation du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 12 juillet 2022
(A-4897/2021).
Faits :
A.
A.a. Le 20 décembre 2019, le Service public fédéral Finances belge (ci-après: l'autorité requérante) a adressé cinq demandes d'assistance administrative internationale en matière fiscale à l'Administration fédérale des contributions (ci-après: l'Administration fédérale), fondées sur les art. 4, 5 et 28 de la Convention du 25 janvier 1988 du Conseil de l'Europe et de l'OCDE concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (RS 0.652.1, communément abrégée "MAC" pour Convention on mutual administrative assistance in tax matters). Les demandes visaient l'obtention de renseignements concernant une dizaine de sociétés belges (ci-après: les Sociétés).
A.b. Par cinq décisions finales du 6 octobre 2021, l'Administration fédérale a accordé l'assistance administrative requise.
Les Sociétés ont recouru contre ces décisions finales auprès du Tribunal administratif fédéral, qui a joint les causes par décision incidente du 13 décembre 2021.
Au cours de la procédure, les Sociétés ont présenté de nouveaux moyens de preuve au Tribunal administratif fédéral. Par ordonnance du 11 avril 2022, ce dernier a partant ordonné à l'Administration fédérale de demander à l'autorité requérante si les informations concernées par les demandes d'assistance administrative étaient toujours attendues. L'Administration fédérale s'est exécutée et, par courriel du 26 avril 2022, l'autorité requérante a répondu qu'elle retirait ses demandes.
A.c. A la suite de ce retrait, l'Administration fédérale a, par décisions du 24 mai 2022, révoqué ses décisions finales et demandé le même jour au Tribunal administratif fédéral de déclarer la procédure sans objet, de rayer la cause du rôle, de renoncer aux frais de procédure et de ne pas allouer de dépens aux Sociétés. De leur côté, les Sociétés ont demandé au Tribunal administratif fédéral de rayer la cause du rôle, de mettre les frais à la charge de l'État et de leur allouer une indemnité de 40'000 fr. à titre de dépens.
B.
Par arrêt du 12 juillet 2022, le Tribunal administratif fédéral a constaté que, comme l'Administration fédérale avait révoqué ses décisions finales, la cause était devenue sans objet. S'agissant des dépens, il a jugé que, dans la mesure où la cause était devenue sans objet à la suite du retrait des demandes d'assistance administrative par l'autorité requérante, le comportement de cette dernière était imputable à l'Administration fédérale, qui devait partant verser des dépens aux Sociétés recourantes.
En conséquence, le Tribunal administratif fédéral a radié la cause du rôle (chiffre 1 du dispositif), n'a pas perçu de frais de procédure (chiffre 2 du dispositif) et a alloué aux Sociétés une indemnité de 10'000 fr. à titre de dépens, à charge de l'Administration fédérale (chiffre 3 du dispositif).
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'Administration fédérale demande au Tribunal fédéral d'annuler le chiffre 3 du dispositif de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 12 juillet 2022 en ce sens qu'aucune indemnité n'est allouée aux Sociétés à titre de dépens; subsidiairement, d'annuler le chiffre 3 du dispositif de l'arrêt attaqué et de renvoyer la cause au Tribunal administratif fédéral pour nouvel examen dans le sens des considérants.
Le Tribunal administratif fédéral s'en tient à son arrêt. Les Sociétés concluent à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
Considérant en droit :
1.
L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90




1.1. Le litige concerne un domaine relevant de l'assistance administrative internationale en matière fiscale. Conformément à l'art. 84a


1.1.1. Selon la jurisprudence, la présence d'une question juridique de principe suppose que la décision en cause soit importante pour la pratique; cette condition est en particulier réalisée lorsque les instances inférieures doivent traiter de nombreuses causes analogues ou lorsqu'il est nécessaire de trancher une question juridique qui se pose pour la première fois et qui donne lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du Tribunal fédéral (ATF 139 II 404 consid. 1.3; arrêt 2C 289/2015 du 5 avril 2016 consid. 1.2.1 non publié in ATF 142 II 218).
1.1.2. La recourante fait valoir que l'arrêt attaqué met en évidence une question d'importance majeure pour la conduite des procédures d'assistance administrative, qui consiste à savoir si, lorsque l'autorité étrangère retire sa demande d'assistance administrative alors qu'un recours est pendant devant le Tribunal administratif fédéral et sans que ce retrait n'ait été occasionné par la partie recourante, les actes de cette autorité étrangère sont imputables à l'Administration fédérale, comme le Tribunal administratif fédéral l'a retenu, avec pour conséquence que la partie recourante a droit à des dépens en vertu de l'art. 5 1e phrase du règlement du 21 février 2008 du Tribunal administratif fédéral concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF; RS 173.320.2). Elle ajoute que répondre à cette question est important en pratique, car, lorsqu'une demande d'assistance administrative est retirée alors qu'un recours est pendant devant le Tribunal administratif fédéral, elle ne dispose pas "d'autres moyens lui permettant de réduire les coûts de la procédure contentieuse" que de révoquer sa décision finale, afin de rendre la procédure sans objet.
1.1.3. Savoir dans quelle mesure le versement de dépens doit être supporté par une autorité administrative lorsqu'un litige perd son objet durant la procédure de recours est une question générale de procédure. Devant le Tribunal administratif fédéral, elle est réglée à l'art. 5


tant pour l'Administration fédérale que pour la partie qui recourt contre une décision finale auprès du Tribunal administratif fédéral. Cette situation peut en outre se présenter dans un nombre indéterminé de cas. Dans ces circonstances, il se justifie d'y apporter une réponse.
1.1.4. Contrairement à ce que les intimées, qui concluent à l'irrecevabilité du recours, soutiennent, cette question n'a jamais été tranchée. Les arrêts 8C 60/2010 du 4 mai 2010 et 9C 624/2008 du 10 septembre 2008 qu'elles citent traitent des dépens lorsqu'un recours devient sans objet dans un autre contexte que celui de l'assistance administrative internationale en matière fiscale; en outre, dans l'arrêt publié aux ATF 139 II 404 qu'elles invoquent également, le Tribunal fédéral a certes appliqué l'art. 5

C'est par ailleurs en vain que les intimées se prévalent du fait que le Tribunal fédéral a refusé à deux reprises d'entrer en matière sur les recours de l'Administration fédérale dans des affaires similaires. Dans chacune de ces causes (arrêts 2C 893/2017 du 23 octobre 2017 et 2C 917/2017 du 2 novembre 2017), le Tribunal fédéral a en effet déclaré le recours irrecevable non pas après avoir nié l'existence d'une question juridique de principe, mais parce que l'Administration fédérale n'avait pas contesté les deux motivations indépendantes que le Tribunal administratif fédéral avait développées pour justifier l'octroi de dépens à la partie recourante, afin de démontrer que chacune de ces motivations remplissait les conditions de l'art. 84a

1.1.5. Le recours remplit donc la condition de l'art. 84a

1.2. Au surplus, l'Administration fédérale, qui a qualité pour recourir (arrêt 2C 1174/2014 du 24 septembre 2015 consid. 1.3 non publié in ATF 142 II 161), a agi en temps utile (art. 100 al. 2 let. b


1.3. Il convient donc d'entrer en matière.
2.
Le litige porte sur le point de savoir si la partie recourante a droit à des dépens à la charge de l'Administration fédérale si celle-ci révoque sa décision finale parce que l'État requérant retire sa demande d'assistance administrative alors qu'un recours contre cette décision est pendant devant le Tribunal administratif fédéral.
3.
La question litigieuse nécessite de rappeler au préalable quelques étapes de la procédure en cas de demande d'assistance administrative internationale en matière fiscale.
3.1. Dans le domaine de l'assistance administrative internationale en matière fiscale, l'échange de renseignements peut intervenir sur demande, de manière automatique ou spontanée (ATF 141 II 436 consid. 3.2; cf. art. 5 à 7 MAC). A la différence de ce qui prévaut en matière d'échange de renseignements automatique (cf. arrêt 2C 946/2021 du 6 juin 2023 consid. 4.3 destiné à la publication) ou spontané (cf. ATF 147 II 116 consid. 5.1), l'échange de renseignements sur demande se caractérise par le fait que la transmission de renseignements s'effectue en réponse à une demande correspondante de l'État requérant (cf. les art. 4 par. 1 et 5 par. 1 MAC lorsqu'une demande est fondée sur cette Convention, ainsi que l'art. 26 par. 1 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE sur le revenu et la fortune lorsque la demande repose sur la clause d'une convention de double imposition calquée sur ce Modèle). Il en découle que, si un État requérant retire sa demande alors que la procédure est en cours en Suisse, aucun renseignement ne sera transmis.
3.2. En Suisse, la procédure administrative permettant de mettre en oeuvre les demandes d'assistance administrative étrangères est régie par la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur l'assistance administrative internationale en matière fiscale (LAAF; RS 651.1; art. 1 al. 1




3.3. La procédure de recours devant le Tribunal administratif fédéral est régie par la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021), pour autant que ni la LTAF ni la LAAF n'en disposent autrement (art. 37


3.3.1. Le recours auprès du Tribunal administratif fédéral a un plein effet dévolutif (cf. art. 54






BRÜHL-MOSER, Öffentliches Prozessrecht, 4e éd. 2021, § 1307; WIEDERKEHR/MEYER/BÖHME, op. cit., n° 5 ad art. 58

3.3.2. Dans le domaine de l'échange de renseignements sur demande, si l'État requérant retire sa demande d'assistance administrative alors qu'un recours contre la décision finale de l'Administration fédérale est pendant devant le Tribunal administratif fédéral, aucun renseignement ne peut alors être transmis à l'autorité étrangère, puisque la transmission de renseignements ne peut intervenir qu'en réponse à une demande correspondante (supra consid. 3.1). Sous l'angle procédural, trois situations sont alors envisageables. Soit l'Administration fédérale recourt à l'art. 58 al. 1


décision doit en principe être qualifiée de nulle (supra consid. 3.3.1 in fine), ce qui implique également l'admission du recours.
3.4. Reste à examiner les conséquences sur les dépens de ces différents cas de figure. Les dépens liés à la procédure devant le Tribunal administratif fédéral sont réglés à l'art. 64





3.4.1. Selon l'art. 64 al. 1




3.4.2. Lorsque la procédure de recours devant le Tribunal administratif fédéral devient sans objet à la suite de la révocation de la décision de l'Administration fédérale en application de l'art. 58 al. 1





3.4.3. Selon la jurisprudence, pour déterminer si le comportement de la partie a rendu la procédure sans objet au sens de l'art. 5



jurisprudence du Tribunal fédéral et que le Tribunal administratif fédéral risquerait de l'annuler (arrêt 2C 564/2013 du 11 février 2014 consid. 2.5).
Ce n'est que si la procédure est devenue sans objet sans que cela ne soit imputable aux parties que l'art. 5

4.
En l'espèce, l'autorité requérante a retiré ses demandes d'assistance administrative alors que la procédure de recours était pendante devant le Tribunal administratif fédéral. L'Administration fédérale a fait usage de l'art. 58 al. 1



4.1. L'Administration fédérale fait valoir que l'arrêt attaqué viole les art. 5




4.1.1. Il n'est pas contestable que seul l'État requérant peut prendre la décision de retirer la demande d'assistance administrative qu'il a formée. Cela ne signifie pas pour autant que l'on ne puisse pas imputer matériellement, en vertu de l'art. 5



informations. A cela s'ajoute qu'aucun élément de fait constaté dans l'arrêt attaqué ne permet de retenir que ce serait le comportement des recourants qui, matériellement, serait à l'origine du renoncement par l'État requérant à demander des informations à l'autorité intimée. C'est donc bien le comportement de l'Administration fédérale au sens de l'art. 5

4.1.2. Il serait par ailleurs contraire à l'équité de priver de dépens la partie recourante uniquement parce que l'Administration fédérale fait le choix procédural de recourir à l'art. 58 al. 1



4.1.3. Le Tribunal administratif fédéral n'a donc pas violé les art. 5


4.2. La recourante soutient également que l'arrêt attaqué viole les art. 58









4.3. La recourante fait encore valoir que le risque de devoir supporter des dépens si la demande est retirée alors qu'un recours est pendant devant le Tribunal administratif fédéral l'obligerait à demander systématiquement à l'État requérant s'il maintient ou non sa demande avant de rendre une décision finale, ce qui serait contraire à la diligence à laquelle elle est tenue dans l'exécution des demandes d'assistance administrative et au principe de la proportionnalité. Elle y voit une violation des art. 4 et 5 MAC.
Il ressort en substance des art. 4 et 5 MAC que l'État requis fournit, à la demande de l'État requérant, tout renseignement vraisemblablement pertinent pour l'administration ou l'application de sa législation interne relatives aux impôts visés par la Convention. On ne voit donc pas, et la recourante n'explique pas, en quoi l'arrêt attaqué contreviendrait à ces dispositions. Par ailleurs, la présomption de bonne foi dont bénéficie l'État requérant implique certes que l'État requis ne peut en principe pas mettre en doute les allégations de l'État requérant (principe de la confiance). Le principe de la confiance ne fait toutefois pas obstacle à la possibilité pour l'État requis de demander un éclaircissement à l'État requérant si des éléments qui apparaissent en cours de procédure font naître des doutes sérieux quant à l'utilité des renseignements requis pour l'État requérant (cf. ATF 143 II 202 consid. 8.7.1). Le sort de la procédure dépend alors de la réponse de l'État requérant (cf. par exemple ATF 144 II 206 consid. 4.5 et 4.6).
Au surplus, le fait que l'Administration fédérale doive verser des dépens à la partie recourante si l'autorité requérante retire sa demande en cours de procédure de recours devant le Tribunal administratif fédéral ne l'oblige nullement à demander systématiquement à tout État requérant s'il maintient ou non sa demande avant de rendre une décision finale, et ce d'autant moins que l'Administration fédérale ne soutient nullement que les retraits de demande alors qu'une procédure est pendante devant le Tribunal administratif fédéral seraient fréquents.
5.
Ce qui précède conduit au rejet du recours.
6.
Au vu de l'issue du recours, il y a lieu de mettre les frais judiciaires à la charge de la Confédération, dont l'intérêt patrimonial est en jeu (cf. art. 66 al. 1



Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'Administration fédérale des contributions.
3.
L'Administration fédérale des contributions versera aux intimées, créancières solidaires, une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué à l'Administration fédérale des contributions, Division d'échange d'informations en matière fiscale, aux mandataires des intimées et au Tribunal administratif fédéral, Cour I.
Lausanne, le 21 mars 2024
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : F. Aubry Girardin
La Greffière : S. Vuadens