Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4A_576/2008 ajp
Arrêt du 19 février 2009
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente,
Corboz et Kiss.
Greffière: Mme Crittin.
Parties
Messieurs X.________, Y.________ et Z.________,
recourants, représentés par Me Pascal Pétroz, avocat,
contre
A.________ et B.________,
intimés, représentés par Me Pierre Stastny, avocat,
Objet
bail à loyer,
recours contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève du 3 novembre 2008.
Faits:
A.
Le 16 mars 2004, C.________, alors propriétaire de l'immeuble, a donné à bail à B.________ et A.________ une arcade d'environ 80 m2 au rez-de-chaussée d'un bâtiment sis XX, rue D.________ à Genève. Le contrat indiquait que les locaux étaient destinés exclusivement à l'exploitation d'un laboratoire et qu'il était interdit de les utiliser pour faire de la cuisine. Le bail a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, du 1er avril 2004 au 31 mars 2009, étant précisé qu'il était ensuite renouvelable tacitement d'année en année. Le loyer annuel, charges non comprises, a été fixé à 16'800 francs.
Par lettre du 21 avril 2004, les locataires ont été informés que l'immeuble avait été acquis par X.________, Y.________ et Z.________.
En date des 11 et 26 octobre 2004, les acquéreurs de l'immeuble ont signé avec B.________ et A.________ un "avenant" prévoyant que l'affectation des locaux était modifiée en café-restaurant et que le loyer serait porté à 20'400 fr. par an dès le 1er janvier 2005, tous les travaux étant à la charge des locataires, lesquels renonçaient à toute indemnité de plus-value.
B.
Par requête du 16 novembre 2004, les locataires ont déclaré contester le loyer initial, demandant que le loyer soit ramené à 16'800 fr. conformément au contrat précédent (sous réserve de l'indexation convenue) et que le trop-perçu soit restitué.
Par jugement du 22 août 2006, le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève a fait droit à la demande, en considérant qu'il se trouvait en présence d'une augmentation de loyer qui était nulle pour n'avoir pas été notifiée sur la formule officielle.
Statuant sur recours des bailleurs le 22 juin 2007, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers a considéré que l'avenant donnait lieu à un loyer initial et elle a renvoyé la cause au Tribunal des baux et loyers pour examiner le problème sous cet angle.
Statuant à nouveau le 13 mars 2008, le Tribunal des baux et loyers a constaté que les bailleurs ont refusé de produire les pièces utiles permettant un calcul de rendement dont le Tribunal avait pourtant ordonné l'apport, ce dont on pouvait déduire qu'ils cachaient un rendement abusif. Estimant que rien ne justifiait que le loyer soit fixé à un montant différent de celui convenu dans le bail du 16 mars 2004, il a, pour la seconde fois, fait droit aux conclusions des locataires.
Par arrêt du 3 novembre 2008, la Chambre d'appel a rejeté le recours formé contre cette décision par les bailleurs. Tout en relevant que la surface louée avait été augmentée d'une manière négligeable (de 1 m2 selon les locataires ou de 2,7 m2 selon les bailleurs), la cour cantonale, en soulignant que les bailleurs avaient refusé de produire les documents requis permettant un calcul de rendement, a estimé que rien n'avait été apporté qui puisse justifier un changement de loyer de 21,43 % entre le contrat du 16 mars 2004 et l'avenant des 11 et 26 octobre 2004.
C.
Ayant reçu cet arrêt le 6 novembre 2008, les bailleurs ont déposé dans un bureau de poste suisse, le lundi 8 décembre 2008, un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Invoquant un état de fait manifestement inexact, une appréciation arbitraire des preuves, une qualification juridique inexacte de l'avenant, un renversement du fardeau de la preuve, ainsi qu'une violation des règles en matière de contestation du loyer initial et de loyer abusif, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué, à l'irrecevabilité de la requête en contestation du loyer initial et à la constatation de la validité de l'avenant, sous suite de dépens.
Les locataires intimés ont conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité avec suite de dépens.
Considérant en droit:
1.
1.1 Le litige porte sur une différence de loyer de 3'600 fr. par an (20'400 fr. - 16'800 fr.). S'agissant d'un bail de durée indéterminée, il faut multiplier ce montant par vingt, conformément à l'art. 51 al. 4


1.2 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions sur le montant du loyer dû (art. 76 al. 1







1.3 Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95







1.4 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1



La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2



1.5 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1


2.
2.1 Sur deux points, les recourants se plaignent d'un état de fait manifestement inexact (art. 97 al. 1


Il faut préalablement rappeler qu'une modification de l'état de fait ne peut être demandée que si elle est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1

L'art. 270 al. 1







l'entrée en matière. La discussion sur l'état de contrainte des locataires au sens de l'art. 270 al. 1 let. a


Au demeurant, la cour cantonale a constaté que les recourants n'avaient pas discuté les circonstances de la contrainte "dans le cadre du présent appel" (arrêt attaqué p. 7 consid. 5.1); les recourants font valoir qu'ils les ont contestées lors de leur premier appel; cette argumentation est impropre à démontrer qu'il était arbitraire de retenir que ce point n'était pas contesté "dans le cadre du présent appel", c'est-à-dire lors du second appel.
Invoquant les mêmes principes juridiques, les recourants se plaignent que la cour cantonale n'a pas tenu compte d'un témoignage selon lequel les locataires auraient accepté le loyer en échange du changement d'affectation. Le propre de l'art. 270 al. 1

2.2 Les recourants contestent que l'avenant signé les 11 et 26 octobre 2004 puisse être considéré comme un nouveau bail, ouvrant la voie d'une contestation du loyer initial.
Cette question a déjà été tranchée dans le premier arrêt de la Chambre d'appel qui a renvoyé la cause à l'autorité inférieure. Il s'agissait cependant d'une décision incidente qui n'était pas susceptible de recours au Tribunal fédéral (art. 93 al. 1


Le bail à loyer est un contrat par lequel le bailleur s'oblige à céder l'usage d'une chose au locataire, moyennant un loyer (art. 253


En l'espèce, le contrat du 16 mars 2004 prévoyait que les locaux pouvaient être utilisés exclusivement pour un laboratoire et qu'il était interdit d'y faire de la cuisine. Dans le document signé les 11 et 26 octobre 2004, les locaux sont cédés pour en faire un café-restaurant. On se trouve donc en présence d'un changement essentiel.
Si l'on compare le contrat du 16 mars 2004 avec le document signé les 11 et 26 octobre 2004, on constate de nombreuses et importantes différences: les parties ne sont plus les mêmes, l'usage de la chose louée n'est plus le même, les locaux loués ne sont plus exactement les mêmes en raison de l'adjonction d'une petite surface, le loyer est sensiblement différent et on peut encore observer que le contrat du 16 mars 2004 ne permettait pas de modifier ainsi le loyer dès le 1er janvier 2005, comme le prévoit le document des 11 et 26 octobre 2004.
Les changements sont si importants que la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en considérant que le document des 11 et 26 octobre 2004 constituait un nouveau bail.
Comme le changement d'affectation était manifestement souhaité par les locataires, on doit supposer que ce sont eux qui ont pris l'initiative de la négociation. On ne se trouve donc pas dans l'hypothèse où un bailleur essayerait de déguiser une hausse de loyer en la faisant apparaître comme un pseudo nouveau contrat de bail. Comme l'usage de la chose est profondément modifié, il ne s'agit pas non plus - contrairement à ce que soutiennent les recourants - d'une convention passée en cours de bail qui porterait seulement sur une modification du loyer.
En qualifiant l'accord passé les 11 et 26 octobre 2004 comme un nouveau contrat de bail, la cour cantonale a appliqué correctement l'art. 253


2.3 Il est constant que les locataires ont saisi la commission de conciliation en temps utile (art. 270 al. 1


Les conditions d'une contestation du loyer initial étaient donc remplies, sans qu'il y ait à se demander si elles le seraient également sous l'angle des conditions alternatives posées par l'art. 270 al. 1 let. a

C'est donc à juste titre que la cour cantonale est entrée en matière sur la contestation du loyer initial et on ne discerne à cet égard aucune violation de l'art. 270 al. 1

2.4 L'art. 270 al. 1



Lors d'une contestation du loyer initial, le locataire doit être admis à apporter la preuve, par un calcul selon la méthode absolue, que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif au sens de l'art. 269

Certes, le fardeau de la preuve incombe au locataire, mais cela n'exclut pas que sa partie adverse doive contribuer loyalement à l'administration des preuves (Higi, Zürcher Kommentar, 1998, n°s 79 et 80 ad art. 270




En conséquence, le juge n'a pas violé les règles sur le fardeau de la preuve - en particulier l'art. 8

Les recourants s'y sont refusés. C'est une pure question d'appréciation des preuves de dire quelles conclusions on peut tirer d'une telle attitude (arrêt 4A_345/2007 du 8 janvier 2008 consid. 2.4.3; arrêt 4P.196/2005 du 10 février 2006 consid. 5.2; Higi, Zürcher Kommentar, 1996, n° 93 ad art. 274d


Le Tribunal fédéral ne peut examiner l'appréciation des preuves que sous l'angle restreint de l'arbitraire. Il n'y a rien d'arbitraire à conclure qu'une partie se refuse à produire des documents qu'elle détient parce que ceux-ci mettraient à néant sa position dans la procédure. Il n'est donc pas arbitraire de déduire du refus des recourants que le loyer demandé dans le nouveau bail est entièrement abusif par rapport à celui prévu dans le bail précédent, qui est admis par les intimés pour le nouveau bail.
2.5 Il reste à se demander s'il n'y aurait pas des indices qui devraient ébranler cette conviction.
Les recourants évoquent les loyers usuels dans le quartier (art. 269a let. a

Ils se prévalent certes des statistiques genevoises sur les loyers, mais il a déjà été jugé qu'elles étaient trop imprécises pour être utilisées en vue de fixer des loyers et qu'elles ne correspondent pas aux statistiques officielles envisagées à l'art. 11 al. 4

En l'absence de tout autre élément, le juge a fait un raisonnement fondé sur le loyer précédent, ce qui est en principe admissible (arrêt 4C.274/1997 du 27 avril 1998, publié in SJ 1998 I p. 718 consid. 4b/aa). On ne voit pas que le changement d'affectation puisse avoir des répercussions sur le rendement ou les coûts des bailleurs (tous les frais étant à la charge des locataires), alors qu'il s'agit d'éléments déterminants pour apprécier le loyer au regard des art. 269




3.
Les frais judiciaires et les dépens sont mis solidairement à la charge des recourants qui succombent (art. 66 al. 1





Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 3'500 fr., sont mis solidairement à la charge des recourants.
3.
Les recourants sont tenus solidairement de verser aux intimés une indemnité de 4'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.
Lausanne, le 19 février 2009
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:
Klett Crittin