BK_B 094/04
Arrêt du 16 septembre 2004 Cour des plaintes
Composition
Les juges pénaux fédéraux Hochstrasser, président, Ott et Ponti, La greffière Husson Albertoni
Parties
A.______, plaignant
représenté par MMes Marc Bonnant, Carlo Lombardini et Maurice Turrettini,
contre
Ministère public de la Confédération,
Objet
Plainte contre des opérations du Procureur fédéral (art. 105bis al. 2 PPF)
Faits:
A. Suite aux événements du 11 septembre 2001 (attentats à New York et Washington), le Ministère public de la Confédération (ci-après : MPC) a ouvert une enquête de police judiciaire contre inconnu(s) le 15 septembre 2001. Le 25 octobre 2001, l’enquête a été étendue à A.______, ressortissant saoudien résidant à Z.______ (Arabie Saoudite); celui-ci est soupçonné d'avoir financé, en tant que président de la Fondation B.______, l’organisation terroriste Al-Qaïda dirigée par Oussama Ben Laden. Les accusations formulées contre A.______ concernent en particulier des transferts de fonds d’un montant de 1,25 million de US$ effectués en Suisse en 1998 en faveur d’un certain C.______, soupçonné d’être l’un des principaux financiers du groupe terroriste susmentionné (cf. BK act. 1.12, annexe 10 de la plainte).
B. Le nom de A.______ figure sur la liste Bush II (liste établie par les autorités américaines qui vise à bloquer les avoirs et à interdire les transferts de fonds appartenant à des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les organisations terroristes telles qu’Al-Qaïda) et dans l’annexe 2 (personnes physiques et personnes morales soumises aux sanctions financières) de l’ordonnance du 2 octobre 2000 du Conseil fédéral instituant des mesures à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama Ben Laden, au groupe «Al-Qaïda» ou aux Taliban (RS 946.203). A.______ est par ailleurs désigné comme défendeur - parmi d’innombrables autres personnes physiques et morales, ainsi que divers Etats ou autorités gouvernementales du Moyen-Orient - dans le cadre d’une procédure civile collective ouverte aux Etats-Unis par les familles des victimes du 11 septembre 2001, entamée le 15 août 2002 et connue sous le nom de «Burnett Lawsuit», qui vise à l’indemnisation des familles des victimes pour un montant dépassant 1 trillion de US$.
C. Entre fin octobre et début décembre 2001, suite à diverses dénonciations du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent suisse (MROS), 27 comptes bancaires contrôlés par A.______ ont été bloqués par le MPC à Genève et à Zurich.
D. A.______ a été entendu par le représentant du MPC le 1er juillet 2003, lors d’une audition organisée dans les locaux de l’ambassade suisse à Y.______ (Arabie Saoudite). A cette occasion, il aurait donné des explications détaillées sur les transactions effectuées en 1998 en faveur de C.______: selon le prévenu, les versements en question étaient des donations de nature philanthropique - et, partant, absolument légitimes - destinées à la construction de logements pour étudiants universitaires au Yémen. La documentation relative à ces donations (pièces justificatives de la construction, extraits bancaires,…) a été envoyée au MPC le 25 août 2003.
Par la suite (en décembre 2003), le MPC a fait parvenir aux conseils du prévenu une liste de plus de deux cents questions écrites, auxquelles ce dernier a répondu par courrier du 12 mars 2004.
E. Le 27 mai 2004, A.______ a demandé au MPC des précisions au sujet du rôle joué dans l’enquête préliminaire par D.______, un journaliste d’investigation français mandaté par un cabinet d’avocat américain pour participer à la «Burnett Lawsuit». Le prévenu se plaignait notamment du fait que ce dernier avait pu obtenir une copie d’un document confidentiel transmis par les autorités américaines au MPC en novembre 2001, alors que la procédure pénale se trouvait encore au stade (secret) de l’enquête préliminaire.
Par courrier du 1er juin 2004, le MPC a nié toute violation des règles de la procédure pénale, en précisant avoir confié à D.______ - en raison de ses vastes connaissances du monde lié au terrorisme islamiste - un simple mandat «d’analyse» du dossier, dans le but de mieux saisir les tenants et aboutissants d’une cause aussi complexe.
F. Par requête du 11 juin 2004, A.______ a sollicité la prise d’une série de mesures par le MPC, parmi lesquelles la révocation immédiate du «mandat d’expert » à D.______, l’élimination du dossier de tous les documents, rapports ou notes rédigés par celui-ci, ainsi que la restitution par ce dernier de l’intégralité des pièces reçues. Parallèlement, estimant ne pas pouvoir se prononcer sur les accusations portées contre lui sans connaître les pièces qui l’incriminent, le prévenu a, à nouveau, sollicité un plein accès au dossier.
G. Le 1er juillet 2004, le MPC a répondu aux différentes requêtes formulées par le prévenu. Il a d'abord accepté de lui donner accès au dossier, proposant de fixer un rendez-vous à fin août afin d'avoir le temps de procéder à une nouvelle mise en ordre et pagination des documents. Il a par ailleurs refusé de révoquer le mandat confié à D.______, estimant être en droit de confier un «mandat d'analyse» à un tiers pour mieux comprendre une cause complexe et pour lui permettre, en tant que responsable des recherches de police judiciaire, d'orienter ses actes d'enquête.
H. Le 7 juillet 2004, A.______ a saisi la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral d’une plainte contre la «décision» du 1er juillet 2004. Il conclut à son annulation et à la révocation immédiate du mandat de D.______, à la restitution par ce dernier de l'intégralité des pièces reçues ou dont il aurait pu obtenir copie. Il demande également à ce qu'il s'engage par écrit et solennellement, sous la menace de l'article 292
SR 311.0 Schweizerisches Strafgesetzbuch vom 21. Dezember 1937 StGB Art. 292 - Wer der von einer zuständigen Behörde oder einem zuständigen Beamten unter Hinweis auf die Strafdrohung dieses Artikels an ihn erlassenen Verfügung nicht Folge leistet, wird mit Busse bestraft. |
Pour motifs, le prévenu a essentiellement contesté le fait que le MPC fasse appel à un tiers sans aucune qualité ni fonction particulières pour clarifier ses connaissances dans un dossier. Il a également invoqué la partialité de D.______ - mandaté pour faire des recherches par l'étude représentant les victimes dans la «Burnett Lawsuit» - et donc le fait qu'il ne pouvait être valablement désigné comme expert. Enfin, il a relevé que si ce dernier devait quand même être reconnu comme tel, il aurait alors violé le secret de fonction lui incombant en ayant communiqué aux autorités civiles américaines une pièce lui ayant été remise par le MPC.
I. Dans sa réponse du 13 août 2004, le MPC doute de la recevabilité de la plainte. Selon lui en effet, au stade des recherches de la police judiciaire, la mise en œuvre d'experts par le MPC ne constitue pas une désignation d'«experts judiciaires» au sens des articles 91
SR 311.0 Schweizerisches Strafgesetzbuch vom 21. Dezember 1937 StGB Art. 292 - Wer der von einer zuständigen Behörde oder einem zuständigen Beamten unter Hinweis auf die Strafdrohung dieses Artikels an ihn erlassenen Verfügung nicht Folge leistet, wird mit Busse bestraft. |
Dans sa réplique du 30 août 2004, A.______ maintient sa plainte que le MPC, dans sa duplique du 6 septembre 2004, persiste à considérer comme n'ayant plus d'objet.
La Cour des plaintes considère en droit:
1. A l’exemple de l’ancienne Chambre d’accusation du Tribunal fédéral, dissoute le 31 mars 2004, la Cour des plaintes examine d’office la recevabilité des plaintes qui lui sont adressées (ATF 122 IV 188 consid. 1 p. 190 et arrêts cités); en particulier, elle n’est pas liée par la dénomination de l’acte ou par l’autorité désignée comme compétente dans celui-ci.
1.1 Les opérations et les omissions du procureur général peuvent faire l’objet d’une plainte devant la Cour des plaintes en vertu des art. 214
SR 311.0 Schweizerisches Strafgesetzbuch vom 21. Dezember 1937 StGB Art. 292 - Wer der von einer zuständigen Behörde oder einem zuständigen Beamten unter Hinweis auf die Strafdrohung dieses Artikels an ihn erlassenen Verfügung nicht Folge leistet, wird mit Busse bestraft. |
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1.2 En l’espèce, il s’agit en premier lieu de déterminer si et dans quelle mesure la décision du 1er juillet 2004 du Procureur fédéral qui - en substance - nie au prévenu un plein accès immédiat au dossier et refuse de révoquer le mandat confié à «l’expert en terrorisme» D.______ dans le cadre de la présente procédure, constitue une «opération» susceptible de faire l’objet d’une plainte au sens de l’art. 105bis al. 2 PPF.
Dans l’arrêt ATF 120 IV 342, la Chambre d’accusation du Tribunal fédéral, qui a eu à se prononcer sur le refus du MPC de laisser un défenseur consulter l’ensemble du dossier et assister à l’interrogatoire de l’inculpé, avait déclaré la plainte irrecevable dans la mesure où, selon l’art. 105bis
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en l'espèce et le Procureur général suppléant a d’ailleurs lui-même considéré que sa décision constituait une opération (ou un acte) au sens de l’art. 105bis
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2. Dans un premier moyen, le plaignant a contesté le bien-fondé du mandat octroyé par le MPC à D.______, en a demandé la révocation et a réclamé la restitution de toutes les pièces dont ce dernier aurait pu obtenir copie.
Dans sa réponse du 13 août 2004, le MPC a indiqué renoncer au mandat d'analyse qu'il avait confié à D.______. Il précisait également que celui-ci serait dès lors requis de restituer l'intégralité des pièces reçues ou dont il aurait pu obtenir une copie et de produire un engagement solennel de ne conserver aucune copie des documents restitués.
La recevabilité de la plainte est soumise à l'exigence d'un intérêt actuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée, respectivement à l'examen des griefs soulevés. L'intérêt au recours doit encore exister au moment où l'autorité statue, laquelle se prononce sur des questions concrètes et non théoriques. Il fait défaut en particulier lorsque l'acte de l'autorité a été exécuté ou est devenu sans objet (arrêt 1P.340/2000 du 8 août 2000 consid. 2 et arrêt cité).
En l'espèce, vu que le MPC a renoncé au mandat contesté, le plaignant a obtenu ce qu'il demandait par le biais de sa plainte s'agissant non seulement de l'implication de D.______ dans le cadre de l'enquête préliminaire, mais également du sort des pièces que celui-ci aurait obtenues. L'engagement solennel que le MPC lui ordonnera de produire devrait suffire sans qu'il soit nécessaire d'assortir les injonctions lui étant faites de la menace des peines prévues à l'article 292
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3. Reste donc à examiner la question du plein accès immédiat au dossier tel que requis par le plaignant.
3.1 Déjà dans son courrier du 1er juillet 2004, le MPC précisait qu'il considère que l'accès au dossier dans la phase dite de l'enquête de police judiciaire est indispensable pour que les prévenus puissent exercer utilement leur droit de partie. Il invitait en conséquence le plaignant à prendre rendez-vous fin août pour lui permettre d'avoir accès audit dossier, constitué de quelque 70 classeurs. Dans ses écritures du 13 août 2004, il a répété sa disponibilité à mettre le dossier à disposition du prévenu. Rien ne s'oppose donc à ce que le plaignant puisse consulter le dossier de la cause. Etant donné que le MPC lui a proposé de fixer un rendez-vous à fin août pour qu'il puisse consulter le dossier, il y a d'ailleurs lieu de s'étonner que dans sa duplique du 30 août 2004, le prévenu réitère encore une fois sa demande en ce sens.
3.2 Certes, dans le courrier contesté du 1er juillet 2004, le Procureur général suppléant a refusé au plaignant tout accès aux notes qu'il aurait prises suite aux entretiens qu'il a eus avec D.______. Toutefois, depuis, l'autorité intimée a renoncé au mandat d'analyse qu'elle avait confié à ce dernier. A ce titre, elle ne devrait plus pouvoir invoquer quelque pièce que ce soit s'y rapportant. Force est de constater que ni dans sa réponse, ni dans sa duplique le MPC ne persiste dans sa volonté de limiter la consultation du dossier de la présente cause par le prévenu. Ainsi, rien ne s'oppose à ce que A.______ puisse, dans le cadre de la consultation du dossier, voir les notes concernées. Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser que le droit de consulter le dossier, qui découle de l’art. 29 al. 2
SR 101 Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft vom 18. April 1999 BV Art. 29 Allgemeine Verfahrensgarantien - 1 Jede Person hat in Verfahren vor Gerichts- und Verwaltungsinstanzen Anspruch auf gleiche und gerechte Behandlung sowie auf Beurteilung innert angemessener Frist. |
|
1 | Jede Person hat in Verfahren vor Gerichts- und Verwaltungsinstanzen Anspruch auf gleiche und gerechte Behandlung sowie auf Beurteilung innert angemessener Frist. |
2 | Die Parteien haben Anspruch auf rechtliches Gehör. |
3 | Jede Person, die nicht über die erforderlichen Mittel verfügt, hat Anspruch auf unentgeltliche Rechtspflege, wenn ihr Rechtsbegehren nicht aussichtslos erscheint. Soweit es zur Wahrung ihrer Rechte notwendig ist, hat sie ausserdem Anspruch auf unentgeltlichen Rechtsbeistand. |
SR 101 Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft vom 18. April 1999 BV Art. 4 Landessprachen - Die Landessprachen sind Deutsch, Französisch, Italienisch und Rätoromanisch. |
4.
4.1 Aux termes de l'article 72
SR 273 Bundesgesetz vom 4. Dezember 1947 über den Bundeszivilprozess BZP Art. 72 - Wird ein Rechtsstreit gegenstandslos oder fällt er mangels rechtlichen Interesses dahin, so erklärt ihn das Gericht nach Vernehmlassung der Parteien ohne weitere Parteiverhandlung als erledigt und entscheidet mit summarischer Begründung über die Prozesskosten auf Grund der Sachlage vor Eintritt des Erledigungsgrundes. |
SR 273 Bundesgesetz vom 4. Dezember 1947 über den Bundeszivilprozess BZP Art. 72 - Wird ein Rechtsstreit gegenstandslos oder fällt er mangels rechtlichen Interesses dahin, so erklärt ihn das Gericht nach Vernehmlassung der Parteien ohne weitere Parteiverhandlung als erledigt und entscheidet mit summarischer Begründung über die Prozesskosten auf Grund der Sachlage vor Eintritt des Erledigungsgrundes. |
4.2 En l'occurrence, la procédure est devenue sans objet en raison du fait que, suite à la plainte, le MPC a renoncé au mandat contesté qu'il avait confié à D.______. Il doit donc être considéré en l'espèce comme étant la partie qui succombe. En tant qu'autorité, des frais ne peuvent être mis à sa charge (art. 156 al. 2
SR 273 Bundesgesetz vom 4. Dezember 1947 über den Bundeszivilprozess BZP Art. 72 - Wird ein Rechtsstreit gegenstandslos oder fällt er mangels rechtlichen Interesses dahin, so erklärt ihn das Gericht nach Vernehmlassung der Parteien ohne weitere Parteiverhandlung als erledigt und entscheidet mit summarischer Begründung über die Prozesskosten auf Grund der Sachlage vor Eintritt des Erledigungsgrundes. |
Par ces motifs, la Cour des plaintes prononce :
1. Dans la mesure où elle est recevable, la plainte est devenue sans objet et la cause est rayée du rôle.
2. Il n'est pas perçu de frais.
3. Une indemnité de dépens de Fr. 2000.--, à la charge du Ministère public de la Confédération, est allouée au plaignant.
4. L'avance de frais de Fr. 5'000.-- payée par le plaignant lui est restituée.
Bellinzone, le 21 septembre 2004
Au nom de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral
Le président: La greffière:
Distribution
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- MMes Marc Bonnant, Carlo Lombardini et Maurice Turrettini
- Ministère public de la Confédération
Indication des voies de recours
Cet arrêt n'est pas sujet à recours.