Urteilskopf

88 II 172

28. Extrait de i'arrêt de la Ie Cour civile du 12 juin 1962 dans la cause Spinedi contre Bornand et Cavazza.
Regeste (de):

Regeste (fr):

Regesto (it):


Sachverhalt ab Seite 172

BGE 88 II 172 S. 172

Résumé des faits:
Le capital de la société anonyme Jean Spinedi (la société) s'élève à 500 000 fr. Il est divisé en 500 actions au porteur de 1000 fr. chacune. En 1957, les actions étaient réparties entre 5 actionnaires. Georges Spinedi en avait 192, Gérard Spinedi 192, Bloch 50, Bornand 33 et
BGE 88 II 172 S. 173

Cavazza 33. Gérard Spinedi, Bornand et Cavazza étaient membres du conseil d'administration de la société. Le 1er décembre 1957, Gérard Spinedi, Bornand et Cavazza signèrent une convention constituant un syndicat d'actionnaires dénommé "le groupe", qui, avec ses 258 actions, détenait plus de la moitié du capital social. L'art. 2 de la convention dispose:
"Les membres de ce groupe conservent la pleine propriété de leurs actions ainsi que leur qualité d'actionnaire. Ils s'engagent seulement à exercer leurs droits d'actionnaires dans le sens indiqué et adopté par le groupe." Selon l'art. 5, le groupe prend ses décisions à la majorité absolue, chaque membre possédant une voix, quel que soit le nombre de ses actions. L'art. 18, modifié par un avenant du 28 mai 1959, prescrit:
"Les présents signataires déclarent n'avoir pas conclu auparavant d'accords contraires à l'esprit et aux intentions de la présente convention. Ils s'engagent en outre à n'en pas signer d'autres. La violation de cette clause entraînera une pénalité de 1000 fr. (mille francs) par titres détenus par celui qui viole ladite clause, indemnité à verser au ou aux lésés..." Les membres s'engageaient à déposer leurs actions soit dans une banque soit chez un notaire, où elles resteraient bloquées en garantie de l'exécution intégrale de la convention (art. 20). Selon l'art. 23, la convention était conclue pour une durée de 6 ans à compter du 1er décembre 1957. Les parties avaient conclu auparavant une première convention, sous l'empire de laquelle elles se sont interdit de vendre, louer ou céder leurs actions, considérées comme bloquées, bien que n'étant pas encore déposées dans une banque, dès la signature de la convention provisoire du 10 décembre 1956, rendue définitive par l'avenant du 1er juin 1957. D'un commun accord, les membres du groupe ont prolongé au 30 juin 1959 le délai fixé à l'art. 20 pour déposer leurs actions.
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Le 15 juin 1959, Gérard Spinedi vendit ses 192 actions à Georges Spinedi. Le 19 octobre 1959, Bornand et Cavazza assignèrent Gérard Spinedi en paiement de 192 000 fr. représentant la peine conventionnelle de 1000 fr. par action prévue à l'art. 18 de la convention. Déboutés en première instance, ils obtinrent gain de cause devant la Cour de justice civile du canton de Genève, qui statua le 9 mars 1962. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours en réforme de Gérard Spinedi.
Erwägungen

Extrait des considérants:

1. La convention litigieuse est un accord sur l'exercice des droits de l'actionnaire et plus précisément une convention de vote combinée avec une convention de blocage. De tels accords sont valables dans les limites fixées par l'art. 19
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 19 - 1 L'objet d'un contrat peut être librement déterminé, dans les limites de la loi.
1    L'objet d'un contrat peut être librement déterminé, dans les limites de la loi.
2    La loi n'exclut les conventions des parties que lorsqu'elle édicte une règle de droit strict, ou lorsqu'une dérogation à son texte serait contraire aux moeurs, à l'ordre public ou aux droits attachés à la personnalité.
CO (PATRY, Les accords sur l'exercice des droits de l'actionnaire, RDS 1959, II, p. 63 a et 137 a ch. 4; GLATTFELDER, Die Aktionärbindungs-Verträge, RDS 1959, II, p. 243 a ss.). En l'absence d'un acte contraire à la loi ou aux statuts, tout actionnaire est en effet libre de voter suivant les désirs d'un tiers (RO 81 II 542, consid. 4 in fine). Le recourant ne conteste pas, avec raison, que les accords sur l'exercice des droits de l'actionnaire soient valables en principe. Il soutient, en revanche, que la convention conclue en l'espèce est nulle, parce que son objet serait illicite et contraire aux moeurs (art. 20
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 20 - 1 Le contrat est nul s'il a pour objet une chose impossible, illicite ou contraire aux moeurs.
1    Le contrat est nul s'il a pour objet une chose impossible, illicite ou contraire aux moeurs.
2    Si le contrat n'est vicié que dans certaines de ses clauses, ces clauses sont seules frappées de nullité, à moins qu'il n'y ait lieu d'admettre que le contrat n'aurait pas été conclu sans elles.
CO).
2. a) Le recourant invoque plus précisément l'art. 27 al. 2
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907
CC Art. 27 - 1 Nul ne peut, même partiellement, renoncer à la jouissance ou à l'exercice des droits civils.
1    Nul ne peut, même partiellement, renoncer à la jouissance ou à l'exercice des droits civils.
2    Nul ne peut aliéner sa liberté, ni s'en interdire l'usage dans une mesure contraire aux lois ou aux moeurs.
CC, aux termes duquel "nul ne peut aliéner sa liberté, ni s'en interdire l'usage dans une mesure contraire aux lois ou aux moeurs". Selon la jurisprudence, les engagements de nature pécuniaire ne sont contraires aux moeurs que s'ils mettent en péril l'existence économique du débiteur (RO 40 II 240, 51 II 167 s., 84 II 23, 277, 635). En s'obligeant à voter selon les décisions du groupe et à déposer ses actions en main tierce, pendant une durée de six ans, le recourant ne s'est pas exposé à un tel risque.
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Administrateur de la société, il était d'ailleurs à même de mesurer exactement la portée de ses engagements. En fait, le recourant n'a jamais été lésé par une décision du groupe. C'est grâce à celui-ci, au contraire, qu'il a présidé le conseil d'administration de la société. Aussi son argumentation repose-t-elle uniquement sur des hypothèses. A ses dires, le groupe aurait pu, par exemple, décider de faire révoquer par l'assemblée générale son mandat d'administrateur. Pareille décision serait toutefois contraire aux règles de la bonne foi. Le recourant n'eût dès lors pas été tenu d'émettre un vote dans ce sens. Il eût été fondé à opposer le moyen pris de l'abus de droit (art. 2
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907
CC Art. 2 - 1 Chacun est tenu d'exercer ses droits et d'exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi.
1    Chacun est tenu d'exercer ses droits et d'exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi.
2    L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi.
CC), si les autres membres du groupe lui avaient réclamé le paiement de la peine conventionnelle. b) Selon le recourant, la convention serait contraire aux moeurs parce qu'elle annulerait la puissance de vote attachée à ses actions. Certes, il aurait pu se voir obligé par une décision du groupe de voter à l'assemblée générale, avec ses 192 actions, dans le sens désiré par les intimés, qui n'ont ensemble que 66 actions. A l'intérieur du groupe, chaque membre dispose en effet d'une voix, quel que soit le nombre de ses actions. Une règle semblable serait exclue pour le droit de vote à l'assemblée générale de la société anonyme (cf. art. 692
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 692 - 1 Les actionnaires exercent leur droit de vote à l'assemblée générale proportionnellement à la valeur nominale de toutes les actions qui leur appartiennent.
1    Les actionnaires exercent leur droit de vote à l'assemblée générale proportionnellement à la valeur nominale de toutes les actions qui leur appartiennent.
2    Chaque actionnaire a droit à une voix au moins, même s'il ne possède qu'une action. La société peut toutefois limiter, dans les statuts, le nombre de voix attribué au porteur de plusieurs actions.
3    ...503
et 693
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 693 - 1 Les statuts peuvent déclarer que le droit de vote sera exercé proportionnellement au nombre des actions de chaque actionnaire sans égard à leur valeur nominale, de telle sorte que chaque action donne droit à une voix.
1    Les statuts peuvent déclarer que le droit de vote sera exercé proportionnellement au nombre des actions de chaque actionnaire sans égard à leur valeur nominale, de telle sorte que chaque action donne droit à une voix.
2    Dans ce cas, des actions de valeur nominale inférieure à d'autres actions de la société ne peuvent être émises que comme actions nominatives et doivent être intégralement libérées. La valeur nominale des autres actions ne peut pas être plus de dix fois supérieure à celle des actions à droit de vote privilégié.504
3    La détermination du droit de vote proportionnellement au nombre d'actions ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de:
1  désigner l'organe de révision;
2  désigner les experts chargés de vérifier tout ou une partie de la gestion;
3  décider d'instituer un examen spécial;
4  décider l'ouverture d'une action en responsabilité.506
CO). Mais le groupe est une société simple (art. 530 ss
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 530 - 1 La société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d'atteindre un but commun.
1    La société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d'atteindre un but commun.
2    La société est une société simple, dans le sens du présent titre, lorsqu'elle n'offre pas les caractères distinctifs d'une des autres sociétés réglées par la loi.
. CO). Or, selon l'art. 534
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 534 - 1 Les décisions de la société sont prises du consentement de tous les associés.
1    Les décisions de la société sont prises du consentement de tous les associés.
2    Lorsque le contrat remet ces décisions à la majorité, celle-ci se compte par tête.
al 2 CO, lorsque le contrat remet les décisions de la société à la majorité, celle-ci se compte par tête. Peu importe que les apports des membres soient inégaux (cf. art. 531 al. 2
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 531 - 1 Chaque associé doit faire un apport, qui peut consister en argent, en créances, en d'autres biens ou en industrie.
1    Chaque associé doit faire un apport, qui peut consister en argent, en créances, en d'autres biens ou en industrie.
2    Sauf convention contraire, les apports doivent être égaux, et de la nature et importance qu'exige le but de la société.
3    Les règles du bail à loyer s'appliquent par analogie aux risques et à la garantie dont chaque associé est tenu, lorsque l'apport consiste dans la jouissance d'une chose, et les règles de la vente lorsque l'apport est de la propriété même de la chose.
CO), comme en l'espèce. c) Le recourant soutient encore que la convention viole l'art. 693
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 693 - 1 Les statuts peuvent déclarer que le droit de vote sera exercé proportionnellement au nombre des actions de chaque actionnaire sans égard à leur valeur nominale, de telle sorte que chaque action donne droit à une voix.
1    Les statuts peuvent déclarer que le droit de vote sera exercé proportionnellement au nombre des actions de chaque actionnaire sans égard à leur valeur nominale, de telle sorte que chaque action donne droit à une voix.
2    Dans ce cas, des actions de valeur nominale inférieure à d'autres actions de la société ne peuvent être émises que comme actions nominatives et doivent être intégralement libérées. La valeur nominale des autres actions ne peut pas être plus de dix fois supérieure à celle des actions à droit de vote privilégié.504
3    La détermination du droit de vote proportionnellement au nombre d'actions ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de:
1  désigner l'organe de révision;
2  désigner les experts chargés de vérifier tout ou une partie de la gestion;
3  décider d'instituer un examen spécial;
4  décider l'ouverture d'une action en responsabilité.506
CO, en créant par un moyen détourné des actions à droit de vote privilégié. S'il est vrai qu'à l'intérieur du groupe, le droit de vote n'est pas proportionnel au nombre des actions détenues par chaque membre, le droit de vote à l'assemblée générale attaché à chaque action n'est pas diminué ni augmenté pour autant. L'accord restreint seulement la liberté des parties dans
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l'exercice de leurs droits d'actionnaires. Pareille limitation est licite, comme on l'a vu. d) Il ne résulte pas des faits constatés par la juridiction cantonale que la convention soit contraire aux statuts de la société. Le recourant ne le prétend d'ailleurs pas.