Urteilskopf

85 II 378

61. Arrêt de la IIe Cour civile du 5 novembre 1959 dans la cause U. contre K.
Regeste (de):

Regeste (fr):

Regesto (it):


Sachverhalt ab Seite 378

BGE 85 II 378 S. 378

A.- G. U. épousa H. L. en 1916; elle lui donna une fille en 1927. La mésentente s'installa très tôt au ménage. L'épouse réagit violemment lorsqu'elle connut, en 1941, une liaison que son mari entretenait depuis 1939. En 1945, celui-ci ouvrit une action en divorce qui fut rejetée en dernière instance, le 24 mars 1949, par le Tribunal fédéral. U., en effet, avait fait la connaissance, en 1944, d'une nouvelle amie, S. K. En avril 1949, elle vint à La Chauxde-Fonds, à la demande de son amant, qu'elle reçut et installa dans son appartement; ils y vécurent maritalement jusqu'à la mort d'U., survenue le 18 mars 1958. Le défunt laissait, comme héritières légales, sa femme et sa fille. La succession, évaluée à 539 000 fr., a fait l'objet de

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plusieurs dispositions testamentaires. Le 20 décembre 1950, U. réduisit sa femme à la réserve; il institua sa fille héritière, à charge par elle de délivrer à S. K. divers objets et un legs de 35 000 fr., en reconnaissance "des bontés" de sa "compagne dévouée". Le 12 mars 1952, il laissa à cette dernière ses propres effets personnels et sa voiture. Le 15 novembre 1955, il porta le legs à 50 000 fr. Le 13 décembre 1957, enfin, il compléta ces dispositions (et deux codicilles des 30 mars et 1er novembre 1953) en ces termes: "Madame S. K. m'a permis de supporter l'existence depuis que j'ai dû me séparer de mon épouse... Je lui dois une profonde reconnaissance, en sorte que je ne veux, en aucun cas, qu'après ma mort, elle soit ennuyée ou tracassée de quelle façon que ce soit par qui que ce soit et que mes héritiers discutent les dispositions que j'ai pu prendre en sa faveur. Si, après ma mort, mon épouse, ou ma fille ..., ou toutes deux ensemble, ou toute autre personne agissant à leur suggestion ou pour leur faire plaisir, cherchaient à créer des difficultés quelles qu'elles soient à Madame S. K., je déclare réduire ma fille ... à sa réserve et instituer héritière de toute la quotité disponible Madame S. K. De plus, dans cette éventualité, j'annule les clauses bénéficiaires de mes deux polices d'assurances non encore échues que j'avais attribuées à ma fille ... dans mon codicille du trente mars mil neuf cent cinquante-trois (30 mars 1953), et je déclare que je lui substitue Madame S. K., qui sera ainsi seule bénéficiaire de toutes mes polices." Dans une lettre à sa fille, U. expliqua en outre longuement ses déboires conjugaux, dont S. K. n'était pas la cause, et rendit hommage à sa maîtresse qui lui apporta l'amour durable, la sensibilité féminine, le respect et le bonheur; il se sentait, disait-il, une immense reconnaissance.
B.- Par mémoire du 20 juin 1958, la veuve et sa fille requirent l'annulation totale de toutes les dispositions pour cause de mort d'U.; elles tendaient, selon les demanderesses, à récompenser l'adultère et à empêcher, par une contrainte exercée sur la fille U., l'annulation judiciaire. S. K. conclut à libération; étant restée étrangère, disaitelle, à la préparation et à la rédaction des dispositions, elle n'avait connu celles-ci réellement et dans toute leur
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étendue qu'après le décès; son amant s'était borné à lui dire que "tout était en ordre quoi qu'il arrive". Par jugement du 1er juin 1959, le Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté l'action. Il tient pour constant que la défenderesse connaissait l'existence de dispositions pour cause de mort, mais qu'elle en ignora le contenu jusqu'au décès.
C.- Les demanderesses ont recouru en réforme, reprenant toutes leurs conclusions.
Erwägungen

Considérant en droit:

1. Les demanderesses prétendent que les libéralités du défunt sont immorales parce que leur motif réside dans le commerce adultérin entretenu avec la défenderesse. Elles soutiennent en outre que la réduction conditionnelle du droit de la fille l'est aussi, ayant été prévue pour assurer le respect de dispositions testamentaires contraires aux moeurs. Comme l'expose exactement le jugement attaqué, G. U. aurait pu opérer cette réduction sans motifs, en tout cas sans indiquer de motifs; il pouvait donc le faire dans le cas seulement où sa fille adopterait une certaine attitude, notamment en exerçant un droit. Mais si ce droit est celui de faire constater le caractère illicite ou immoral d'un acte, toute mesure qui tend à en restreindre l'exercice favorise ou maintient une situation illicite ou immorale; elle est donc elle-même illicite ou immorale. Il s'ensuit que la réduction incriminée est contraire aux moeurs et nulle dans le sens de l'art. 519 CC si les dispositions que la fille n'eût pas dû attaquer sont elles-mêmes immorales. La validité des legs entraîne donc celle de la réduction conditionnelle. Les recourantes, d'ailleurs, ne contestent pas sérieusement cette argumentation.
2. Selon l'art. 519 ch. 3 CC, une disposition pour cause de mort peut être annulée lorsqu'elle est contraire aux moeurs, soit par elle-même, soit par les conditions dont elle est grevée. Elle ne saurait l'être en raison seulement
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de son mobile; il faut au contraire que la libéralité prévue soit, comme telle, contraire aux moeurs, ou que le testateur ait voulu un tel résultat, ou qu'il l'ait tout au moins prévu et approuvé. Une disposition est ainsi nulle si la testatrice avait pour but, en la rédigeant, de déterminer le bénéficiaire à se fiancer avec elle et à rompre son union légitime, ou tout au moins à continuer des relations contraires à la notion du mariage, ou encore si elle devait simplement envisager cette éventualité et qu'elle ait admis que sa libéralité pouvait avoir un tel résultat ou contribuer à l'obtenir (RO 73 II 15 sv.).
Il est hors de doute, en l'espèce, que la libéralité n'a pas pour seul motif les relations adultérines consenties par la défenderesse (pretium stupri; RO 18.328, 20.998). Certes, après le rejet de son action en divorce, le disposant eût dû reprendre la vie commune, non en entreprendre le simulacre aux côtés de la défenderesse. Mais ce concubinage, qui ne fut pas la cause principale, ou du moins unique, de la désunion déjà profonde du ménage du testateur, a duré neuf ans au cours desquels la maîtresse devint peu à peu, dit le jugement attaqué, la compagne puis la garde-malade d'un vieillard condamné par la maladie dès 1956. Des soins attentifs et dévoués ont vraisemblablement pris de jour en jour plus de poids, aux yeux du testateur, que les relations charnelles, si même elles duraient encore. Aussi bien, ayant lié à son destin, sans l'épouser, une jeune femme de 34 ans employée de l'administration fédérale, le disposant dut-il se considérer comme moralement tenu d'assurer dans une certaine mesure, puisqu'il le pouvait largement, l'avenir matériel de son amie qui l'avait rendu heureux (cf. RO 20.998). Il ressort de la procédure de divorce que le défunt s'était toujours senti frustré de l'affection de sa femme et s'en plaignait amèrement depuis longtemps. Il dit tout cela dans ses testaments et codicilles et dans la lettre qu'il a adressée à sa fille; il n'y a pas de motif de douter qu'il l'ait pensé, à tort ou à raison, et que cette opinion l'ait déterminé à récompenser la légataire de l'appui moral
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qu'elle lui accorda dans ses vieux jours et dont il se croyait sevré. Ce motif, de l'avis général, est honorable; il ne saurait rendre la disposition pour cause de mort immorale comme telle ou par le résultat recherché.
3. Du reste, si le disposant avait voulu atteindre un résultat contraire aux moeurs, ou qu'il l'ait tout au moins prévu et approuvé, il faudrait encore que sa libéralité ait pu l'y faire parvenir. Une telle influence ne se conçoit que si le bénéficiaire est informé de la disposition et de ses clauses essentielles, avant ou après la rédaction (RO 73 II 15 ss). Le jugement attaqué constate que si la défenderesse connaissait l'existence de dispositions pour cause de mort, son amant l'ayant assurée que tout était en ordre quoi qu'il arrive, elle ignora néanmoins le contenu des testaments et codicilles jusqu'au décès. La juridiction cantonale n'a pas commis une inadvertance manifeste, ni violé aucune règle fédérale de preuve (art. 63 al. 2 OJ); sa constatation, dès lors, ne pouvait être attaquée que par la voie du recours de droit public pour violation de l'art. 4
SR 101 Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft vom 18. April 1999
BV Art. 4 Landessprachen - Die Landessprachen sind Deutsch, Französisch, Italienisch und Rätoromanisch.
Cst. Il suit de là que les legs attaqués ne sont pas immoraux, la défenderesse n'en ayant pas connu les clauses essentielles. Si les legs sont valides, la clause de réduction conditionnelle l'est aussi (consid. 1). Dès lors, l'action et le recours doivent être rejetés dans leur ensemble.
Dispositiv

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours et confirme le jugement attaqué.