S. 182 / Nr. 31 Markenschutz (f)

BGE 70 II 182

31. Extrait de l'arrêt de la Ie Section civile du 30 mai 1944 dans la cause
Pernod S. A. c. Etablissements Abel Bresson et Félix Pernod réunis, S. A.

Regeste:
Marques de fabrique. Conditions et limites de l'utilisation d'un nom
patronymique dans la marque (art. 1er LMF, 950 al. 2 CO)
Fabrikmarken. Voraussetzungen und Grenzen der Verwendung eines Familiennamens
in einer Marke (Art. 1 MSchG, Art. 950 Abs. 2 OR).
Marche di fabbrica. Condizioni e limiti dell'uso d'un nome patronimico nella
marca (art. 1 LMF, 950 cp. 2 CO).

3. ­ L'arrêt du Tribunal fédéral du 25 novembre 1941 a reconnu le droit de la
demanderesse Pernod S.A. d'utiliser dans ses marques le nom de Pernod, encore

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que, depuis de longues années, aucune personne de ce nom ne fasse plus partie
de l'administration ou de la direction. L'art. 950 al. 2
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 950 - 1 Le società commerciali e le società cooperative possono scegliere liberamente la loro ditta, purché siano osservate le norme generali sulla formazione delle ditte. Nella ditta dev'essere indicata la forma giuridica.
1    Le società commerciali e le società cooperative possono scegliere liberamente la loro ditta, purché siano osservate le norme generali sulla formazione delle ditte. Nella ditta dev'essere indicata la forma giuridica.
2    Il Consiglio federale stabilisce le abbreviazioni della forma giuridica ammesse.
CO permet de faire
figurer un nom de personne dans la raison sociale d'une société anonyme et
l'art. 1er LMF autorise l'emploi de la raison comme marque. En ce cas, la
marque ne doit pas nécessairement reproduire le texte intégral de la raison;
il est, en principe, loisible de n'y prendre que l'essentiel (RO 43 II 95; 64
II 249
). Seul un droit préférable de la défenderesse pourrait donc s'opposer à
l'usage que la demanderesse fait du nom de Pernod.
4.­La demanderesse, cependant, ne se contente pas de ce droit. Elle voudrait
l'armer d'exclusivité, en se faisant reconnaître la faculté d'interdire à
quiconque l'emploi du nom de Pernod pour la désignation de produits analogues
à ceux qu'elle fabrique ou met dans le commerce.
L'arrêt cité du Tribunal fédéral a déjà repoussé cette prétention. Mais la
demanderesse essaye de parvenir à ses fins en faisant valoir de nouveaux
arguments.
Elle se prévaut d'abord de l'usage prolongé, manifeste, public et indiscuté du
nom de Pernod, devenu ainsi la désignation distinctive de l'absinthe et, par
la suite, des autres produits fabriqués par elle à Couvet. Pareille notoriété
devrait être mise à l'abri de confusions résultant de l'homonymie.
a) Le droit auquel la demanderesse prétend peut notamment se heurter au droit
reconnu en doctrine et en jurisprudence à toute personne d'utiliser de bonne
foi son propre nom à des fins industrielles ou commerciales. Que si une marque
verbale ou mixte contient le nom d'une personne et qu'il y ait conflit entre
cette marque et le nom porté par un homonyme, le droit au nom est, en règle
générale, plus fort que le droit à la marque, car il est inhérent à la
personne même. L'ayant droit à la marque doit, partant, en tolérer l'usage (RO
30 I 132; 31 I 510; 50 I 323; entre autres auteurs POUILLET, Traité des
marques de fabrique, 6e éd., nos 923 et sv.).
Cette règle comporte toutefois des tempéraments dictés

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par le principe de la bonne foi commerciale. Comme l'arrêt RO 37 II 276 le
constate, «si, en principe, chaque individu a le droit de faire le commerce
sous son propre nom, de se servir de cc nom comme raison de commerce et marque
de fabrique' il y a cependant des cas où l'usage de ce nom revêt un caractère
frauduleux et devient par conséquent illicite. Il en est ainsi notamment
lorsqu'une personne qui porte le même nom qu'un commerçant connu entre dans
une société uniquement pour que celle-ci puisse faire figurer son nom dans sa
raison sociale et profiter de la confusion qui s'établira dans l'esprit du
public entre les produits des deux maisons grâce à la similitude des deux
raisons. Aussi bien celui qui prête ainsi son nom que celui qui se le fait
prêter et les tiers qui favorisent ou provoquent cette combinaison se rendent
coupables de concurrence déloyale» (v. aussi RO 50 I 324 et sv.).
Et même s'il ne s'agit pas d'un prête-nom ni de l'emploi manifestement abusif
d'un nom, l'homonyme ne pourra se servir sans retenue de son nom pour
s'emparer de la notoriété d'une marque. Il devra se soumettre aux restrictions
que la bonne foi impose à cet usage et prendre toutes les mesures propres à
diminuer le plus possible le risque de confusion; partant il n'utilisera son
nom que sous une forme et avec des adjonctions qui le différencient nettement
du nom de l'homonyme, protégé par une marque valable et au bénéfice de
l'antériorité de dépôt et d'usage (v. la jurisprudence du Tribunal fédéral sur
les raisons sociales et la concurrence déloyale; RO 47 II 64; 44 II 85 et sv.;
40 II 127).
b) La demanderesse n'ignore pas cette jurisprudence, mais elle estime qu'il
convient d'aller encore plus loin et, dans un cas tel que le sien, d'interdire
même à un homonyme de bonne foi l'utilisation de son nom. A l'appui de sa
thèse, elle invoque les arrêts 55 I 262, 59 II 207 et 64 II 244 .
Selon les deux premiers arrêts, conformément à la nouvelle tendance de la
doctrine et de la jurisprudence, l'usage prolongé d'une marque peut, suivant
les

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circonstances, assurer la protection légale à certains éléments verbaux, tels
des noms de lieux qui, en principe, n'y auraient pas droit. Le Tribunal
fédéral a ainsi protégé les marques «Tavannes Watch» et «Tunbridge Wells».
Mais un nom de lieu diffère essentiellement du nom d'une personne. Le nom
patronymique est indissolublement et imprescriptiblement attaché à la
personne. Il en fait en quelque sorte partie. En interdire l'utilisation,
c'est porter atteinte à la personnalité (v. les arrêts cités plus haut). Le
lien entre une personne et le lieu où elle exploite un commerce ou une
industrie est loin d'être aussi étroit. Il est donc bien moins choquant
d'empêcher quelqu'un de désigner ses produits ou sa marchandise sous un nom
local déjà devenu la marque distinctive d'une autre entreprise, que de lui
défendre d'employer de bonne foi son propre nom.
Quant au troisième arrêt, il n'étaye pas la thèse de la demanderesse. En
raison de l'usage prolongé et de la notoriété de la marque Wollen-Keller, le
Tribunal fédéral l'a, il est vrai, déclarée digne de protection, encore
qu'elle fût constituée par un nom générique et un nom de famille très connu.
Mais il n'a nullement privé le défendeur Keller du droit d'introduire son nom
dans sa raison de commerce. Il lui a simplement fait défense d'employer la
combinaison «Wollen-Keller», lui suggérant même comme licites celles de
«Tricot-Keller», «Hemden-Keller», «Garn-Keller», etc.
Dès lors, même s'il était exact ­ ce que la Cour cantonale conteste, sauf pour
ce qui concernait autrefois l'absinthe ­ que le nom de Pernod est devenu
caractéristique des seuls produits fabriqués par la demanderesse, ce fait
permettrait tout au plus d'accorder à ce nom une protection plus grande que la
protection assez faible des marques formées d'un nom de famille, sans conférer
pour autant à la demanderesse un droit exclusif à ce nom.
c) Il n'est du reste pas nécessaire d'étendre aussi loin la protection des
marques verbales qui jouissent d'une grande notoriété. Le juge dispose des
moyens voulus

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pour empêcher l'usage abusif d'un nom au détriment d'une marque existante, à
laquelle un long usage a conféré la renommée. Il peut ordonner toute mesure de
nature à écarter le plus possible un dommage. Mais aller jusqu'à interdire à
une personne s'appelant Gillette ou Suchard ou Pernod, d'employer de bonne foi
son nom dans sa raison de commerce et ses marques, c'est faire un pas de trop
et porter aux droits de la personnalité une nouvelle atteinte qui paraît
excessive et inutile.
d) C'est, à la vérité, la situation en Suisse qui importe et les jugements
français ne peuvent en l'espèce être d'aucun secours, vu la situation toute
différente des diverses maisons Pernod en France et de la maison de Couvet. En
France, la situation paraît inextricable. En Suisse, avant 1937, époque où
Bresson-Pernod et un nommé Mirault, représentant un certain Pernot, ont essayé
d'introduire dans le pays de nouvelles marques, seule, semble-t-il, la
demanderesse y avait déjà mis dans le commerce des boissons sous le nom de
Pernod. Il en sera tenu compte à propos du grief de l'imitation et des mesures
de protection à prendre, mais cela ne donne pas à la demanderesse le droit
exclusif au nom de Pernod et à son utilisation comme marque
L'arrêt attaqué doit donc être confirmé sur ce point.
5. ­ Si, dès lors, la demanderesse ne peut s'opposer à l'emploi du nom de
Pernod par de vrais homonymes, selon les règles de la bonne foi, elle est
cependant fondée à en interdire l'usage à tous ceux qui l'utilisent sans
droit. Elle prétend qu'il en est ainsi pour la défenderesse.
Ce moyen, que la juridiction cantonale n'a pas examiné, relève également du
droit suisse, car la question de savoir si un nom peut figurer dans une marque
sans léser les intérêts légitimes d'un autre ayant droit est, comme
l'imitation, la priorité, etc., une question de fond régie par la législation
interne et non par les conventions internationales (RO 63 II 123).
La défenderesse ne peut revendiquer l'utilisation du nom de Pernod qu'en vertu
d'un droit au nom, d'un

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droit à la raison sociale ou d'un droit à une marque opposable à la
demanderesse.
a) Le droit au,nom protège d'abord la personne physique. Elle peut utiliser
son nom soit comme raison de commerce individuelle, soit dans la raison de
commerce d'une société à responsabilité personnelle dont elle serait l'associé
indéfiniment responsable (art. 947
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 950 - 1 Le società commerciali e le società cooperative possono scegliere liberamente la loro ditta, purché siano osservate le norme generali sulla formazione delle ditte. Nella ditta dev'essere indicata la forma giuridica.
1    Le società commerciali e le società cooperative possono scegliere liberamente la loro ditta, purché siano osservate le norme generali sulla formazione delle ditte. Nella ditta dev'essere indicata la forma giuridica.
2    Il Consiglio federale stabilisce le abbreviazioni della forma giuridica ammesse.
CO), soit même dans la raison sociale d'une
personne morale, en particulier d'une société anonyme (art. 950 al. 2
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 950 - 1 Le società commerciali e le società cooperative possono scegliere liberamente la loro ditta, purché siano osservate le norme generali sulla formazione delle ditte. Nella ditta dev'essere indicata la forma giuridica.
1    Le società commerciali e le società cooperative possono scegliere liberamente la loro ditta, purché siano osservate le norme generali sulla formazione delle ditte. Nella ditta dev'essere indicata la forma giuridica.
2    Il Consiglio federale stabilisce le abbreviazioni della forma giuridica ammesse.
CO).
Bien que les personnes morales puissent choisir pour raison sociale des noms
de fantaisie ou encore des mots indiquant leur genre d'activité, et qu'à leur
endroit la protection due au nom patronymique s'impose avec moins de force que
pour les personnes physiques, le droit d'utiliser un tel nom dans une raison
sociale ne laisse pas d'être un droit individuel inhérent à la personnalité de
l'associé ou de l'actionnaire qui veut l'employer. Il n'eût guère été possible
en 1932 de défendre à Félix Pernod d'adopter pour la société anonyme qu'il
fondait la raison Félix Pernod S. A. Cela est encore moins possible
aujourd'hui, après douze ans d'existence de cette maison et dix ans après sa
fusion avec les Etablissements Bresson. La demanderesse ne s'élève d'ailleurs
pas contre la raison sociale de la défenderesse. Partant, l'utilisation du nom
de Pernod dans la marque de la défenderesse n'est en principe pas non plus
illicite.
b) Toutefois, le défendeur au présent procès n'est pas Félix Pernod, c'est la
société des «Etablissements Abel Bresson et Pernod réunis S. A. ''. Celle-ci
ne saurait tirer de l'art. 1er LMF plus de droits qu'il n'en assure aux
personnes morales qui entendent faire de leur raison sociale une marque de
fabrique ou de commerce.
Sans doute n'est-il pas requis, en règle générale, qu'une marque reproduise
intégralement la raison sociale; des abréviations peuvent être protégées, si
elles retiennent l'essentiel de la raison. Ce n'est point le cas pour la
défenderesse. Elle ne s'appelle pas «Félix Pernod S. A.», mais «Etablissements
Abel Bresson et Félix Pernod

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réunis S. A.». Les deux noms sont nécessaires pour former la raison sociale,
et aucun d'eux n'est principal par rapport à l'autre. Le choix d'un seul pour
l'utiliser comme marque ne trouve nulle justification dans les règles légales
qui protègent la raison sociale et son emploi comme marque.
La défenderesse ne peut donc tirer de l'art. 1er LMF aucun droit à la marque
«Félix Pernod» sans y ajouter le reste de sa raison sociale.
c) La défenderesse soutient néanmoins que, de toute façon, elle a le droit
d'employer le nom de Pernod ou de Félix Pernod comme marque, par suite d'une
antériorité de dépôt ou d'usage. Outre son droit propre, elle peut à cet effet
invoquer ceux qu'elle tient de l'ancienne maison Abel Bresson ou de l'ancienne
maison Félix Pernod S. A. qui ont fusionné en 1934.
La Cour cantonale a refait avec soin et dans le détail l'historique des
différentes marques Pernod et de leur usage. Elle est arrivée, comme le
Tribunal fédéral, à la conclusion que la défenderesse n'a aucun droit
préférentiel opposable aux moyens de la demanderesse.