BGE 79 I 327
57. Arrêt du 30 septembre 1953 dans la cause Office suisse de compensation
contre Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois et
Compensator S.A.
Regeste:
L'Office suisse de compensation a qualité pour intenter une poursuite tendant
au payement des fonds qui doivent être versés à la Banque nationale en vertu
des accords de clearing et de compensation.
Cette qualité lui confère celle d'interjeter un recours de droit public contre
le jugement qui refuse de prononcer la mainlevée de l'opposition à une telle
poursuite fondée sur une décision définitive.
Die Schweizerische Verrechnungsstelle ist befugt. Betreibung einzuleiten zur
Eintreibung der Beträge, die auf Grund der Clearing- und Verrechnungsabkommen
an die Schweizerische Nationalbank einzubezahlen sind.
Auf Grund dieser Befugnis ist die Schweizerische Verrechnungsstelle auch
legitimiert, staatsrechtliche Beschwerde zu erheben gegen ein Urteil, durch
das in einer solchen gestützt auf eine endgültige Verfügung eingeleiteten
Betreibung die definitive Rechtsöffnung verweigert wird.
L'Ufficio svizzero di compensazione ha veste per promuovere un esecuzione
volta ad ottenere il pagamento degli ammontari che debbono essere versati alla
Banca nazionale in virtù degli accordi di clearing e di compensazione.
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Di conseguenza detto ufficio ha anche veste per interporre un ricorso di
diritto pubblico contro la sentenza che ha rifiutato di accordare il rigetto
dell'opposizione interposta a una tale esecuzione poggiante su una decisione
definitiva.
A. - La S.A. Compensator, dont le siège est à Lausanne, n'ayant pas versé à la
Banque nationale la contre-valeur de marchandises italiennes importées en
Suisse dans le cadre des affaires de compensation autorisées par la Division
du commerce du Département fédéral de l'économie publique, contre-valeur
qu'elle avait encaissée, l'Office suisse de compensation notifia à Compensator
S.A. trois décisions administratives l'astreignant à payer à la Banque
nationale une somme totale de 8 442 887 fr. 46 destinée à être transférée en
Italie par la voie du service réglementé des paiements italo-suisses.
Compensator S.A. a recouru à la Commission de clearing qui a maintenu les
décisions attaquées et porté même à 8 446 322 fr. 46 la somme à verser à la
Banque nationale.
Le dispositif de sa décision est ainsi conçu: «1. Les trois recours de
Compensator S.A., Lausanne, des 17 décembre 1951 et 30 avril 1952, contre
trois décisions de l'OSC des 19 novembre 1951 et 2 avril 1952 sont rejetés et
Compensator S.A. est tenue de verser à la Banque nationale suisse la somme de
8446322 fr. 46, pour être transférée en Italie par la voie du service
réglementé des paiements.» «2. Il peut être recouru...»
Saisi à son tour d'un recours de Compensator S.A., le Département fédéral de
l'économie publique a confirmé la décision de la Commission suisse de
clearing. Cette décision est devenue définitive.
B. - Sur réquisition de l'Office suisse de compensation, l'Office des
poursuites de Lausanne a notifié à Compensator S.A. un commandement de payer
pour la somme de 8 446 322 fr. 46 auquel la débitrice a fait opposition.
L'Office suisse de compensation a requis la mainlevée définitive de
l'opposition. Cette requête a été rejetée par le Président du Tribunal du
district de Lausanne pour les
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motifs suivants: La décision du Département fédéral de l'économie publique
constitue bien un titre exécutoire. Mais l'Office suisse de compensation n'est
pas créancier au sens des dispositifs de cette décision et de celles qui l'ont
précédée. Ces dispositifs, auxquels le juge de mainlevée doit s'en remettre à
l'exclusion des considérants, prévoient en effet que la Société Compensator
S.A. a à s'acquitter en mains de la Banque nationale suisse de la somme de 8
446 322 fr. 46 qui, elle-même, la transférera en Italie par la voie du service
réglementé des payements.
Sur recours de l'Office suisse de compensation, ce jugement a été confirmé par
arrêt de la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois du 2
juillet 1953, motivé de la manière suivante:
D'après le dispositif de la décision du Département fédéral de l'économie
publique, qui seul importe au juge de la mainlevée, la Banque nationale suisse
apparaît comme la créancière de la somme réclamée. La poursuite, qui est
fondée sur ce dispositif, n'émane pas de la Banque nationale mais de l'Office
suisse de compensation qui seul est désigné comme créancier dans le
commandement de payer. L'Office n'a pas justifié de son pouvoir de réclamer la
somme litigieuse au nom de la Banque nationale. Aucune disposition légale ne
prévoit que l'Office est fondé à réclamer des sommes qui, d'après les textes
applicables en la matière, doivent être versées à la Banque nationale.
C. - L'Office suisse de compensation a interjeté contre cet arrêt un recours
de droit public pour violation de l'art. 4
SR 101 Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft vom 18. April 1999 BV Art. 4 Landessprachen - Die Landessprachen sind Deutsch, Französisch, Italienisch und Rätoromanisch. |
cette décision et par voie de conséquence à l'annulation du jugement du 7 mai
1953.
La Société Compensator S.A. a conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.- Aux termes de l'arrêté du Conseil fédéral du 2 octobre 1934 relatif à la
compensation des créances et
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des dettes avec l'étranger, l'Office suisse de compensation est une
corporation de droit public qui a pour but d'assurer le règlement des
payements par voie de clearing avec l'étranger et à laquelle ont été dévolues
les attributions qui ressortissaient jusque-là à la Banque nationale en vertu
des accords de clearing et de compensation alors en vigueur. En regard des
principes posés par la jurisprudence (cf. RO 74 I 52 et les arrêts cités), il
n'est pas douteux qu'en dépit de la qualité de collectivité de droit public
que lui attribue l'arrêté du Conseil fédéral', l'Office suisse de compensation
ne soit recevable à exercer un recours de droit public contre l'arrêt attaqué.
En effet, ce dernier l'atteint juridiquement de la même façon, que cela serait
le cas s'il s'agissait d'une personne privée.
2.- Au fond, le litige se ramène à la question de savoir si c'est
arbitrairement, c'est-à-dire en violation évidente de la loi, que l'arrêt
attaqué a rejeté la demande de mainlevée par le motif qu'il ne résultait pas
du dispositif de la décision du Département fédéral de l'économie publique ni
de ceux des décisions antérieures que l'Office suisse de compensation fût
réellement créancier de la soin me réclamée et que ce serait en réalité la
Banque nationale qui le serait.
L'opinion selon laquelle le juge de mainlevée n'a pas à tenir compte d'autre
chose que du dispositif de la décision invoquée à l'appui de la demande est
l'expression d'un formalisme qui ne trouve aucun appui dans la loi fédérale.
Celle-ci parle en effet du «jugement», ce qui permet de dire que si le
dispositif ne mentionne pas expressément le nom du créancier ou ne reproduit
pas textuellement les conclusions de celui en faveur duquel le jugement a été
rendu, c'est au juge de la mainlevée à rechercher, en se reportant
éventuellement aux motifs du jugement, si ce dernier constitue bien le titre
nécessaire pour justifier la continuation de la poursuite. Ce n'est que si le
sens du dispositif est douteux et que ce doute ne peut être levé à l'examen
des motifs que la mainlevée peut être refusée
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(cf. la décision citée par PANCHAUD et CAPREZ, La mainlevée d'opposition, §
141 lettre e). Or, en l'espèce, le dispositif de la décision de la Commission
suisse de clearing ne dit pas que la Banque nationale est créancière de la
somme réclamée en vertu du commandement de payer No 136031. Il constate
simplement que Compensator S.A.
«est tenue de verser cette somme à la Banque nationale pour être transférée en
Italie par la voie du service réglementé des payements». Certes il ne dit pas
non plus qui est titulaire de la prétention ni n'indique quel service
administratif ou quelle institution a compétence pour contraindre l'intimée à
s'acquitter de sa dette. Mais la lecture des décisions produites dans les
instances de mainlevée, en particulier la lecture de la décision de la
Commission suisse de clearing, ne laisse subsister aucun doute à cet égard.
«Il convient d'examiner, dit cette décision, si l'Office suisse de
compensation était fondé à exiger que la recourante (c'est-à-dire Compensator
S.A.) verse à la Banque nationale suisse la contre-valeur des marchandises
qu'elle a importées». Et la discussion des moyens invoqués par Compensator
S.A. conduit à la conclusion que les décisions en vertu desquelles l'Office
suisse de compensation avait exigé de la part de Compensator S.A. le versement
d'une somme de 8 446 322 fr. 46 étaient fondées.
3.- C'est à tort, d'autre part, que le Tribunal cantonal affirme qu'aucune
disposition légale ne prévoit que l'Office suisse de compensation serait fondé
à réclamer les sommes qui doivent être versées à la Banque nationale. Cette
opinion méconnaît absolument le régime du règlement des payements par voie de
clearing tel qu'il est consacré par l'arrêté du Conseil fédéral du 2 octobre
1934 et celui du 12 mai 1950 concernant l'admission de créances au service
réglementé des payements avec l'étranger et la décentralisation dudit service.
L'arrêté fédéral de 1934 confère à l'office suisse de compensation une
compétence générale comportant le droit et l'obligation de prendre toutes les
mesures propres à assurer le règlement des payements par
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voie de clearing avec l'étranger. C'est donc à l'Office qu'il appartient de
veiller à ce que les payements à faire par les débiteurs suisses en faveur de
créanciers étrangers soient, sous le régime du clearing, opérés par le moyen
de la compensation. C'est à lui qu'il incombe, en cas de contestation, de
décider sous réserve des recours à la Commission suisse de compensation puis
au Département fédéral de l'économie publique si une créance est soumise au
clearing ou est bénéficiaire du clearing (RO 64 I 282). Une fois définitives,
ses décisions sont exécutoires par les voies prévues par la loi sur la
poursuite pour dettes et la faillite. En vertu des accords de clearing,
l'Office a également qualité pour autoriser des dérogations à l'obligation de
versements à la Banque nationale ou à une banque agréée (cf. art. 6 de
l'arrêté du Conseil fédéral relatif au service des payements entre la Suisse
et l'Italie, du 21 novembre 1950). D'autre part, c'est à l'encontre de
l'Office que naît la prétention du créancier au titre de clearing (cf. HUG,
Das Clearingrecht, ZSR 1936 p. 494 et suiv.; RO 67 II 229). C'est lui qui est
chargé de prendre toutes décisions concernant les payements aux créanciers de
clearing. Enfin il donne les ordres de payement qui seuls autorisent la Banque
nationale à opérer un versement à un créancier (cf. BISSIG, Die Schweiz.
Verrechnungsstelle, p. 27). Le système juridique qui régit le clearing fonde
ainsi entre le débiteur au titre de clearing et l'Office suisse de
compensation un rapport de droit public en vertu duquel le débiteur d'un
créancier étranger se trouve obligé envers l'Office de verser le montant de sa
dette à la Banque nationale (ou à un autre établissement agréé). Le débiteur
est donc lié à l'Office par un rapport juridique dans lequel l'Office,
agissant en vertu d'une délégation du pouvoir public, peut l'obliger à se
conformer aux prescriptions qui ont été édictées en vue d'atteindre le but
assigné au service du clearing (cf. HUG, loc. cit. p. 491, lettre a BISSIG,
loc. cit. p. 53).
La Banque nationale, en revanche, n'a aucune prétention
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à faire valoir à l'égard du débiteur. Depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté
du 2 octobre 1934, elle n'est plus chargée que de l'exécution des opérations
de technique bancaire du clearing. Sa fonction consiste à servir de caisse de
l'Office, parce que ce dernier ne possède pas de comptabilité au sens de la
technique bancaire. Elle ne possède aucun pouvoir de disposition sur les
valeurs qui lui sont confiées pour être portées au compte de l'Office et si
elle continue «de régler les payements se rapportant au clearing avec les
personnes intéressées à ce trafic et avec les banques d'émission étrangères»,
selon l'art. 2 de l'arrêté, c'est l'Office seul qui a qualité pour ordonner
les payements aux créanciers. Seul il possède, à l'égard du débiteur d'un
créancier étranger, le droit d'exiger un versement à la Banque nationale et ce
droit, de par la nature même de l'institution, comporte tout naturellement
celui de recourir aux voies d'exécution ordinaires dans le cas où le débiteur
refuserait de s'acquitter de sa dette (cf. FREY, Das Clearing- und
Devisenrecht der Schweiz, p. 44; HUG, op. cit. p. 485-6 a).
C'est avec raison par conséquent que l'Office suisse de compensation a requis
la poursuite contre Compensator S.A. en se désignant comme créancier. La
décision du Tribunal cantonal comme celle du premier juge sont donc
insoutenables et ne sauraient être maintenues.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.