S. 97 / Nr. 11 Urheberrecht (f)

BGE 76 II 97

11. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 4 avril 1950 dans la cause
Mollard & Duboin contre Noël Dentelles S.à.r.l.


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Regeste:
Protection internationale du droit d'auteur (art. 4 de la Convention de
Berne). Loi fédérale concernant le droit d'auteur (art. 1er).
Applicabilité aux modèles de broderie (consid. 1).
Détermination de la mesure en laquelle la protection du droit d'auteur est
requise (consid. 2 litt. a).
Notion de l'oeuvre d'art au sens de la loi; appréciation du degré
d'originalité de dessins pour l'exécution de nappages en broderie (consid. 2
litt. b).
Internationaler Urheberrechtsschutz (Berner Übereinkunft Art. 4) BG betreffend
das Urheberrecht (Art. 1).
Anwendbarkeit auf Stickereimodelle (Erw. 1).
Bestimmung des Umfanges, in welchem der Urheberrechtsschutz verlangt wird
(Erw. 2 lit. a).
Begriff des Kunstwerkes im Sinne des Gesetzes. Bestimmung des Grades der
Originalität von Zeichnungen für die Ausführung von gestickten Tischdecken
(Erw. 2 lit. b).
Protezione internazionale del diritto d'autore (art. 4 della Convenzione di
Berna). Legge federale concernente il diritto d'autore (art. 1).
Applicabilità ai modelli di ricamo (consid. 1).
Determinazione della misura in cui la protezione del diritto d'autore è
richiesta (consid. 2, lett. a).
Concetto dell'opera d'arte a sensi della legge; apprezzamento del grado di
originalità di disegni per l'esecuzione di tovaglie ricamate (consid. 2 lett.
b).

La société Noël Dentelles exploite à Paris un commerce et un atelier de
broderies et de dentelles. Elle compose aussi des modèles et des dessins
d'ouvrages de dames. C'est ainsi qu'en 1941 et 1942, dame Noël, de la maison
Noël, a créé, sous forme de divers dessins, un modèle «chardons» pour
l'exécution en broderie d'une grande nappe et de serviettes. Deux de ces
dessins représentent quelques fleurs de chardons stylisées, sur une longue
tige légèrement inclinée et portant des feuilles également stylisées. Trois
autres dessins présentent une combinaison

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de chardons pour l'exécution complète d'une nappe. On y voit trois ou cinq
chardons dont les tiges sont réunies en gerbes lâches, celles-ci étant
réparties sur la nappe pour former un ensemble harmonieux. Selon l'un de ces
dessins, la place réservée pour le couvert de chaque convive est entourée de
chardons dont les tiges s'inclinent les unes vers les autres.
Noël Dentelles a reproché à la société en nom collectif Mollard & Duboin, qui
exploite à Genève une maison semblable à la sienne, d'avoir imité dans des
dessins et sur des nappages le motif des chardons créé par dame Noël.
Invoquant en particulier les dispositions sur le droit d'auteur, elle lui a
intenté une action en constatation, en interdiction et en dommages-intérêts.
La Cour de Justice civile de Genève a admis l'action dans son principe.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours en réforme dirigé contre cet arrêt. Il
a notamment admis l'applicabilité de la loi fédérale sur le droit d'auteur et
reconnu aux modèles créés par la demanderesse le caractère d'oeuvres
protégeables.
Motifs:
1.- La demanderesse fonde en première ligne ses conclusions sur les règles
concernant le droit d'auteur.
D'après la Convention de Berne révisée pour la protection des oeuvres
littéraires et artistiques, convention à laquelle la France et la Suisse sont
parties, la demanderesse jouit des mêmes droits qu'un national et peut donc
invoquer la législation suisse sur le droit d'auteur, tant pour ses oeuvres
non publiées que pour ses oeuvres publiées dans un pays de l'Union (art. 4 de
la Convention).
L'art. 1er de la loi fédérale concernant le droit d'auteur sur les oeuvres
littéraires et artistiques protège aussi les ouvrages d'arts appliqués, en
tant qu'ils ont le caractère d'oeuvres d'art.
Les oeuvres protégées comprennent en principe non

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seulement les ouvrages finis, mais aussi les projets et modèles, par exemple
les croquis, les dessins et plans d'architecte, et aussi les modèles tels que
ceux dessinés par la demanderesse. En matière d'arts appliqués comme la
broderie, ces dessins sont précisément l'essentiel, car l'exécution de
l'ouvrage lui-même repose uniquement sur les formes fixées dans le dessin pour
les reporter sur l'étoffe, il suffit généralement de l'habileté manuelle.
Il n'est pas contesté que la demanderesse a créé les dessins et les nappes
dont elle fait état et qui portent le motif des chardons. Aussi bien sa
qualité d'auteur n'est-elle comme telle pas mise en doute.
2.- En revanche, la défenderesse dénie aux modèles créés par la demanderesse
le caractère d'oeuvres protégeables.
a) Il importe préablement de rechercher dans quelle mesure la demanderesse
revendique la protection de son droit d'auteur.
La défenderesse prétend que la demanderesse ne veut voir protéger que la
disposition d'ensemble des touffes de chardons, savoir «le mouvement des
branches qui encadrent chaque convive». Mais le passage des écritures de la
défenderesse au quel la recourante fait allusion n'autorise pas cette
interprétation. Noël Dentelles y déclare que «la contrefaçon n'est pas
caractérisée par le choix du même sujet, mais bien par le fait que le
contrefacteur a traité ce sujet d'une manière identique à l'auteur»; et la
demanderesse de faire allusion à la «combinaison des lignes», c'est-à-dire à
une façon particulière de traiter le motif, telle qu'elle a été réalisée dans
ses modèles, la défenderesse demeurant libre de représenter des chardons sous
une autre forme. On ne voit pas que la demanderesse ait voulu par là limiter
sa demande à certaines lignes et a certains mouvements de lignes.
Par ailleurs, la portée de la protection attachée au droit d'auteur est une
question de droit. L'étendue de cette protection dépend du point de savoir
dans quelle mesure

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l'ouvrage considéré a le caractère d'une oeuvre au sens de la loi et de la
jurisprudence. Il y a lieu d'admettre que l'auteur réclame la protection du
juge dans toute cette mesure à moins qu'il n'y ait partiellement renoncé.
Cette renonciation devrait être expresse et non équivoque. Or, il n'est pas
question en l'espèce d'une telle renonciation.
C'est ainsi à tort que la Cour cantonale a de sa propre autorité restreint la
mesure de la protection requise en ne retenant comme une «création originale»
que «la disposition des touffes de chardons inclinées les unes vers les autres
en un mouvement harmonieux de façon à encadrer en deux jetées la place de
chaque convive». Avec une telle limitation, on ne voit d'ailleurs pas
nettement à quelles lignes et formes la protection du droit d'auteur est
accordée et auxquelles elle est refusée.
b) D'après les principes dégagés par la jurisprudence, un ouvrage doit, pour
être élevé au rang d'oeuvre d'art, constituer une création originale, c'est
-à-dire se présenter comme une oeuvre nouvelle de l'esprit, qui incorpore une
idée créatrice ou porte l'expression personnelle d'une pensée. Ce qui compte,
ce n'est pas tant la nouveauté que l'originalité: «la création de quelque
chose d'original, ayant son cachet propre et constituant le produit d'une idée
personnelle». Que cette création corresponde au sentiment esthétique de
quelques-uns ou du grand nombre, cela n'est pas décisif (RO 59 II 402, 68 II
58
-59, 75 11 356).
Pour apprécier le degrè d'originalité des dessins de la demanderesse, il faut
commencer par considérer deux choses. D'abord l'oeuvre en question n'a qu'une
fonction décorative elle n'est aucunement assujettie au but d'utilité de la
nappe. Le champ est dès lors largement ouvert à la création des formes il en
va autrement pour les meubles, les services de table et d'autres objets
d'usage courant, dont la forme dépend en général étroitement de leur fonction
utilitaire, de sorte qu'il ne reste plus ou que peu de place pour la recherche
artistique. Ensuite la création de modèles tels que ceux de la demanderesse se
heurte

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à une difficulté qu'on ne saurait méconnaître. Le dessin est destiné à être
reporté sur une étoffe, c'est-à-dire sur une surface plane, et cela uniquement
au moyen du fil de broderie. Et malgré cela, il doit rester net et expressif
et produire un effet esthétique original. Si ce résultat est atteint, c'est
déjà le signe d'une compétence technique particulière et d'un certain pouvoir
artistique.
Les dessins de la demanderesse reproduisent des chardons sous une forme
stylisée, claire et expressive. La façon même de traiter chaque fleur, avec
ses pétales allongés sortant d'un calice bien arrondi, sa longue tige
légèrement inclinée, portant des feuilles nettement découpées, offre une
originalité certaine en ce qu'elle exprime heureusement le caractère de la
plante.
La réunion en touffes de trois et cinq fleurs ne nuit pas à la clarté de
l'image qui conserve par ailleurs son mouvement. Il en est de même pour les
compositions qui recouvrent la nappe: la disposition des lignes est telle que
les diverses touffes semblent légèrement se défaire tout en demeurant
harmonieusement groupées. Qu'on considère les détails rapportés au tout, ou
l'ensemble lui-même, les dessins de la demanderesse manifestent un sens
certain du style et révèlent un réel talent de dessinateur, sans parler de
leur habile utilisation comme modèles de broderie. Le dessin des divers
chardons, celui des fleurs réunies en touffes et les compositions d'ensemble
portent la marque de l'apport personnel et de l'originalité. Il y a lieu de
leur reconnaître la qualité d'oeuvre d'art.
La protection qui leur est due doit s'étendre non seulement aux compositions
figurant sur les divers patrons de nappes, mais aussi aux dessins représentant
certains chardons ou touffes de chardons. Ces dessins forment en effet la base
de toutes les compositions. Celles-ci ne sont pas concevables sans le
mouvement donné aux diverses plantes; le noeud de la composition réside
précisément dans la façon particulière de concevoir le motif des chardons et
de le saisir dans le dessin.

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Dès lors, pour juger de l'atteinte au droit d'auteur, il n'importe pas,
contrairement à ce que pense la défenderesse, que celle-ci n'ait imité ou
contrefait que le dessin des chardons ou des touffes, et qu'elle se soit
écartée, dans sa composition, du modèle de la demanderesse. Ce qui est
protégé, ce sont les compositions et les éléments essentiels et indispensables
de celles-ci, pour autant que ces éléments, en eux-mêmes ou pris dans leur
relation au tout, incorporent une idée créatrice - ce qui est le cas pour les
chardons et les touffes de chardons de la demanderesse.
Le présent cas se distingue nettement, en ce qui cerne la qualité d'oeuvre
d'art, des deux espèces que le Tribunal fédéral a eu à juger dans les arrêts
RO 68 II 58 -59 et RO 75 11 356. Là, les formes que le demandeur voulait voir
protéger étaient en majeure partie demeurées assujetties au but pratique de
l'objet et ne dépassaient pas le niveau des solutions usuelles et de
l'habileté artisanale.
Certes, la façon dont la demanderesse a traité le motif des chardons ne laisse
pas l'impression d'une création extraordinaire. Mais, dans les ouvrages d'art
industriel, ce sera rarement le cas. La loi sur le droit d'auteur, en
englobant les oeuvres d'arts appliqués et les oeuvres photographiques (art.
1er al. 2 in fine et art. 2), a précisément voulu protéger non seulement le
chef-d'oeuvre artistique, mais aussi des productions de second ordre, autant
qu'elles représentent, dans leur domaine, un apport personnel d'une
originalité manifeste.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 76 II 97
Date : 01. Januar 1949
Publié : 04. April 1950
Source : Bundesgericht
Statut : 76 II 97
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : Protection internationale du droit d’auteur (art. 4 de la Convention de Berne). Loi fédérale...


Répertoire ATF
59-II-401 • 68-II-53 • 76-II-97
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
oeuvre d'art • original • arts appliqués • tribunal fédéral • calcul • membre d'une communauté religieuse • nouveauté matérielle • autorité législative • parlement • décision • application ratione materiae • question de droit • cern • architecte • société en nom collectif • dommages-intérêts • doute • photographe • nuit • falsification
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