S. 392 / Nr. 70 Niederlassungsfreiheit (f)

BGE 64 I 392

70. Arrêt du 23 décembre 1938 dans la cause Meier contre Conseil d'Etat du
canton de Genève.

Regeste:
Etablissement. - Retrait motivé par le fait que l'intéressée a été
hospitalisée pendant 51 jours aux frais de l'assistance publique. Durée de
l'assistance selon l'art. 45 al. 3 Const. féd. Rapport avec les art. 21 et 2
al. 5 du Concordat intercantonal sur l'assistance au domicile du 1er juillet
1937 (ROLF 53 p. 648 et suiv.).

A. - Dame Anne Meier-Boxheimer, divorcée Michel, née en 1895, originaire
d'Egnach (Thurgovie), était domiciliée à Genève depuis de nombreuses années.
Le 6 janvier 1938, elle est entrée à l'Hôpital cantonal afin d'y être traitée
pour une affection vénérienne. Elle y demeura jusqu'au 25 février. Les frais
de ce traitement s'élevèrent à 283 fr. 40. Comme elle ne put s'en acquitter,
l'Assistance publique médicale de Genève saisit de l'affaire les autorités
thurgoviennes en leur demandant de contribuer par une quote-part journalière
de 4 francs aux frais de l'hospitalisation et du traitement. Les autorités
thurgoviennes firent savoir qu'elles étaient disposées à recevoir Dame Meier à
l'Hôpital cantonal à Münsterlingen, où l'intéressée serait admise dès son
arrivée. Dame Meier s'étant obstinément refusée à se rendre volontairement
dans son canton d'origine, les autorités genevoises décidèrent de l'y faire
conduire et, le 25 février 1938, le Conseil d'Etat prit un arrêté lui retirant
son établissement et

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ordonnant son rapatriement dans son canton d'origine. Cet arrêté est ainsi
motivé: «Considérant que la prénommée, prostituée notoire, est tombée d'une
façon permanente à la charge de l'assistance publique par suite de son
indigence; que les autorités thurgoviennes se sont déclarées d'accord pour son
rapatriement immédiat, reconnaissant par là le besoin d'assistance de Madame
Meier».
Cet arrêté fut notifié à Dame Meier le 12 mars 1938, à son domicile où elle
était rentrée, tout en poursuivant son traitement à l'Hôpital cantonal. Elle
se plaignait, ce jour-là, de douleurs provenant d'une injection qui lui avait
été faite le matin. Elle fut de nouveau conduite à l'Hôpital, d'où elle
ressortit le 16 mars pour être conduite à Frauenfeld.
B. - Par acte déposé le 22 mars, soit en temps utile, Dame Meier a formé un
recours de droit public fondé sur l'art. 45 Const. féd. Elle soutient que
l'arrêté a été pris en violation de cette disposition, car, dit-elle, elle
n'est jamais tombée à la charge de l'assistance publique et ne risque pas d'y
tomber. Elle a déjà payé une partie des frais d'hospitalisation et pris un
arrangement pour payer le reste. Elle estime que, dans ces conditions, le
consentement donné par les autorités thurgoviennes à son rapatriement est sans
rapport avec la question. Elle conteste enfin se livrer à la prostitution et
relève que, même si c'était le cas, cela ne serait pas un motif pour justifier
la mesure prise à son égard.
C. - Le Conseil d'Etat de Genève a conclu au rejet du recours, en soutenant
que les conditions d'un retrait d'établissement pour cause d'indigence étaient
réalisées en l'espèce: Dame Meier, soutient le Conseil d'Etat, a séjourné
pendant 51 jours à l'Hôpital cantonal de Genève. D'après la législation
genevoise, cette hospitalisation constitue incontestablement une prestation
d'assistance publique. D'autre part, il est établi par une déclaration du
médecin traitant (rapport du Dr Monnier du 16 février 1938) que l'état de
santé de Dame Meier exigeait d'une

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façon impérieuse des soins médicaux de longue durée auxquels elle ne pouvait
matériellement pas faire face. Le rapport du Dr Monnier parle d'un traitement
spécifique ultérieur. Il ne s'agit donc pas d'un banal accident qui ne se
renouvellera pas, mais bien d'un état durable exigeant des soins prolongés.
Enfin, il n'est pas douteux qu'en acceptant de recevoir leur ressortissante
les autorités thurgoviennes ont refusé au Canton de Genève l'aide suffisante
qui aurait permis de tolérer la présence à Genève de Dame Meier.
D. - De l'enquête ordonnée par le Juge délégué, il est ressorti qu'à son
arrivée dans son canton d'origine Dame Meier n'a pas été hospitalisée à
l'Hôpital cantonal, mais à l'asile des pauvres de Bussnang. Elle a demandé
ensuite de pouvoir se rendre chez des parents en Savoie et les autorités ont
fait droit à cette requête.
Considérant en droit:
1.- L'art. 45 al. 3 Const. féd. dispose que l'établissement peut être retiré à
ceux qui tombent d'une manière permanente à la charge de la bienfaisance
publique et auxquels leur commune, soit leur canton d'origine, refuse une
assistance suffisante, après avoir été invitée officiellement à l'accorder.
La réponse donnée par les autorités thurgoviennes à la communication du Bureau
de l'Assistance médicale de Genève, qui leur demandait de contribuer aux frais
d'hospitalisation de Dame Meier, équivalant pratiquement au refus prévu à
l'art. 45 précité, le litige dépend par conséquent, en l'espèce, du point de
savoir si les autorités genevoises étaient fondées, lors de l'arrêté
d'expulsion, à considérer que Dame Meier était tombée d'une manière permanente
à la charge de la bienfaisance publique.
Ainsi qu'on l'a déjà jugé, cette condition peut être considérée comme réalisée
non seulement lorsque l'intéressé n'est pas en état de subvenir à son
entretien ou à

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celui des personnes auxquelles il est légalement tenu de fournir des aliments,
mais aussi lorsque l'assistance revêt la forme d'un traitement médical
nécessaire. Mais, comme dans le premier cas, il faut évidemment que cette
assistance ait duré un temps assez long pour présenter le caractère de
permanence visé à l'art. 45 al. 3 (RO 56 I p. 14 et arrêt Jaquet c. Genève, du
8 juillet 1938).
A la différence du concordat intercantonal sur l'assistance au domicile, entré
en vigueur le 1er juillet 1937 (ROLF 53 p. 648 et suiv.), l'art. 45 al. 3 ne
fixe pas le temps au bout duquel l'assistance cesse d'être temporaire pour
devenir permanente (cf. art. 21; cf. également art. 3 al. 2 du concordat du
1er juillet 1923, ROLF 39 p. 169 et suiv.), et cela s'explique aisément. Non
seulement il serait arbitraire et parfois même injuste de poser une règle
invariable en un tel domaine, surtout lorsqu'il s'agit de soins médicaux,
mais, comme la jurisprudence l'a déjà reconnu, il peut se trouver des cas où,
selon la nature du fait qui a été la cause de l'assistance, un entretien d'une
durée relativement courte peut déjà révéler la nécessité où se trouvera
l'intéressé de recourir d'une façon permanente à la bienfaisance publique (cf.
RO 53 I p. 291 et les citations).
Certes le concordat n'est pas applicable en l'espèce, et, le serait-il même,
qu'il ne pourrait modifier en quoi que ce soit les droits que la recourante
tient de l'art. 45 Const. féd. En effet, comme on l'a déjà dit, le concordat
vise seulement à répartir les charges de l'assistance entre les cantons
concordataires et s'il peut avoir pour conséquence, en ce domaine, de limiter
les cas où l'expulsion pourrait être ordonnée, il ne saurait en tout cas les
étendre, car, entre cantons et particuliers, les rapports sont exclusivement
régis par l'article constitutionnel (RO 61 I p. 196 et suiv. et l'arrêt Huber
c. Berne du 18 octobre 1935).
Mais si les dispositions du concordat ne sont pas applicables à un conflit de
la nature de celui qu'il s'agit de

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trancher présentement, on pourrait à la rigueur se demander si le fait qu'un
certain nombre de cantons ont jugé bon de fixer à un mois le délai au delà
duquel l'assistance est réputée prendre un caractère permanent, dans le sens
de l'art. 45 Const. féd., ne doit pas s'interpréter comme l'indice d'une
opinion si généralement répandue qu'elle devrait être également adoptée par la
jurisprudence quand elle a elle-même à interpréter cette disposition. La
question doit être cependant tranchée par la négative. En effet,
indépendamment des motifs qui, comme on vient de le voir, s'opposent d'emblée
à toute application même indirecte des règles posées par le concordat, en
matière de droit d'établissement, il y a une autre raison qui empêche de tenir
aucun compte du délai fixé par le concordat, c'est que la règle en question se
rattache à un système particulier d'après lequel les obligations d'assistance
du canton du domicile sont fixées en fonction de la durée de l'établissement
(cf. art. 21 et 2 al. 3 du concordat actuel et art. 3 et 1 al. 1 de l'ancien
concordat) et que c'est là une considération tout à fait étrangère aux motifs
qui ont dicté la disposition constitutionnelle. Il convient donc, comme
jusqu'ici, de faire abstraction de toute règle rigide et de trancher chaque
cas pour lui-même, en s'inspirant seulement des motifs retenus par la
jurisprudence.
2.- Il suffit dès lors de se référer aux précédents, notamment aux cas
Schönholzer (RO 53 I p. 285 et suiv.), Ronner (RO 56 I p. 10 et suiv.), Huber
c. Berne, du 18 octobre 1938, consid. 3, Genève c. Berne, du 12 février 1937,
Righini c. Genève, du 8 avril 1938, et Jaquet c. Genève, du 8 juillet 1938,
pour arriver à la conclusion que le fait d'avoir été hospitalisé une seule
fois durant 51 jours ne fournit pas encore la preuve que l'on est tombé d'une
manière permanente à la charge de la bienfaisance publique. A tout le moins
faudrait-il en l'espèce qu'il fût établi que l'état dans lequel Dame Meier a
quitté l'Hôpital pour être transférée dans son canton d'origine

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continuait de nécessiter des soins suivis et un traitement aux frais duquel
elle ne pouvait réellement faire face. Le Conseil d'Etat l'a bien prétendu,
mais le certificat médical du Dr Monnier, sur lequel il fonde cette opinion,
ne va en réalité pas jusque-là. S'il parle bien du «traitement spécifique
ultérieur» auquel Dame Meier devait encore se soumettre, il n'indique pas,
même approximativement, la durée de ce traitement, et l'on ne peut rien en
tirer de précis quant au temps durant lequel Dame Meier aurait encore eu
besoin de recourir à l'assistance publique. Ce qui s'est passé depuis que Dame
Meier est sortie de l'Hôpital de Genève, loin d'étayer l'opinion du Conseil
d'Etat, l'infirmerait plutôt, car, d'après les renseignements communiqués par
les autorités thurgoviennes, non seulement Dame Meier n'a pas été transférée à
l'Hôpital de Münsterlingen, comme il en avait été question tout d'abord - on
s'est borné à la faire entrer dans un établissement destiné à recueillir les
indigents -, mais quelque temps après, elle quittait même cet établissement,
du consentement des autorités thurgoviennes, pour se rendre chez des parents
en Savoie. Ces faits démontrent, semble-t-il, que le besoin d'assistance n'a
pas duré bien au delà du temps pendant lequel elle a été hospitalisée à
Genève, et, dans ces conditions, il faut convenir que l'expulsion du Canton de
Genève était en tout cas prématurée. En l'état, le recours doit donc être
admis, quitte à réserver au Canton de Genève la faculté de recourir à nouveau
à la mesure attaquée si l'avenir devait démontrer la nécessité d'une nouvelle
assistance dépassant cette fois-ci les obligations qui incombent au Canton.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis et l'arrêté du Conseil d'Etat de Genève du 25 février
1938 concernant la recourante est annulé.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 64 I 392
Date : 01. Januar 1937
Publié : 23. Dezember 1938
Source : Bundesgericht
Statut : 64 I 392
Domaine : BGE - Verfassungsrecht
Objet : Etablissement. - Retrait motivé par le fait que l'intéressée a été hospitalisée pendant 51 jours...


Répertoire ATF
64-I-392
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
assistance publique • conseil d'état • rapatriement • soins médicaux • autorisation ou approbation • intercantonal • tombe • décision • quote-part • matériau • prolongation • membre d'une communauté religieuse • assistance • devoir d'assistance • autonomie • dette alimentaire • recours de droit public • parlement • autorité législative • déclaration
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