S. 247 / Nr. 45 Niederlassungsfreiheit (f)

BGE 64 I 247

45. Arrêt du 4 novembre 1938 dans l'affaire Dame Anzani contre Cour de Justice
du canton de Genève.

Regeste:
Liberté d'établissement, art. 45 al. 3 Const. féd. - Les tribunaux ne peuvent
prononcer la peine de l'expulsion que dans les conditions fixées à l'art. 45
Const. féd. (consid. 1).
Le simple racolage n'est pas un délit grave au sens dudit article
constitutionnel (consid. 2).

A. - L'art. 2 de la loi genevoise du 30 mai 1925 «concernant les délits contre
la morale publique» statue:
«Sera puni d'un emprisonnement pouvant s'élever jusqu'à trois mois et d'une
amende jusqu'à 300 fr., ou de l'une de ces peines seulement:
» a) Toute personne qui, dans un lieu public, aura par paroles, par signes ou
gestes, manifestement provoqué une ou plusieurs personnes à la débauche.»

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Aux termes de l'art. 10 du code pénal genevois, «dans tous les cas où la loi
prononce la peine d'emprisonnement, le juge peut convertir une partie de cette
peine en une expulsion du canton d'une durée triple». Les Genevois sont
exceptés.
B. - Germaine Anzani, ressortissante tessinoise par mariage, est domiciliée à
Genève. Elle se livre à la prostitution. Le Tribunal de police genevois l'a
condamnée deux fois en vertu de l'art. 2 de la loi de 1925, soit le 27 juin
1938 à huit jours d'emprisonnement et six mois d'expulsion du territoire
cantonal et le 11 juillet à 21 jours d'emprisonnement. Le Juge constate que,
dans l'un et l'autre cas, la recourante avait accosté dans la rue et invité à
venir chez elle un gendarme chargé de surveiller en civil les prostituées. Le
second racolage est postérieur aux débats de la première affaire, mais
antérieur à la prononciation du jugement. Sur appel de la condamnée, la Cour
de Justice du canton de Genève a confirmé le 1er octobre 1938 les deux
jugements dans leur principe mais, opérant la jonction des causes, a confondu
les peines «en ce sens que seule la peine de huit jours d'emprisonnement
suivis de six mois d'expulsion sera appliquée à Germaine Anzani».
Le Juge s'appuie sur un arrêt du 3 décembre 1934 de la Cour de cassation
genevoise (Sem. jud. 1935 p. 54) pour interpréter les art. 39 du code pénal et
339 du code d'instruction pénale, en vertu desquels, si l'accusé est reconnu
coupable de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule
appliquée. Conformément à la jurisprudence, il étend ce principe au cas où le
prévenu, avant sa condamnation pour un premier délit, en commet un second qui
n'est réprimé que plus tard. Les considérations relatives à l'expulsion sont
les suivantes:
«Contrairement à ce que soutient Dame Anzani, la nature des délits qu'elle a
commis permet de lui appliquer les dispositions de l'art. 45 CF; - elle a déjà
été condamnée le 1er avril à 48 heures d'arrêts pour tapage, le sursis dont
elle avait bénéficié à cette occasion a été révoqué le

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3 juin 1937 lors d'une nouvelle condamnation à 48 heures d'arrêts pour
scandale, rixe et bataille, condamnation confirmée par la Cour de céans; -
enfin elle a été condamnée le 4 avril 1938 à 3 jours de prison et 20 fr.
d'amende pour outrages aux gendarmes par le Tribunal de police; - en tout cas
la dernière de ces condamnations concerne un délit grave, il en est de même de
celle prononcée ce jour, étant donnée la répétition des faits qui l'a motivée;
- dès lors le premier juge pouvait prononcer la peine de l'expulsion.»
C. - Le recours de droit public de Germaine Anzani conclut à l'annulation de
l'arrêt du 1er octobre en tant qu'il prononce l'expulsion. La recourante
invoque les arrêts Chappuis et Hirschi (RO 46 I p. 8; 63 I p. 145) d'après
lesquels, vu les circonstances des cas concrets, ni le racolage ni l'outrage
ou la résistance aux gendarmes ne constituent des délits graves selon l'art.
45 al. 3 CF. Comme la recourante n'a pas subi d'autres condamnations pour des
délits qui puissent être traités de graves, son expulsion viole la liberté
d'établissement constitutionnelle.
La Cour de Justice s'est référée à son arrêt et le Ministère public genevois a
conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.- L'expulsion de la recourante du territoire genevois, prononcée par la Cour
de Justice, est une sanction pénale que la Constitution fédérale n'exclut pas;
l'art. 44 interdit seulement d'expulser les Suisses du territoire de la
Confédération ou de leur canton d'origine. Mais cette peine ne peut être
infligée que dans les conditions fixées à l'art. 45 CF, al. 2 et 3, car elle
constitue en réalité le retrait du droit d'établissement garanti par cet
article à l'alinéa premier. Le Tribunal fédéral a déjà jugé dans ce sens (RO 1
p. 79 et 26; cf. SCHOLLENBERGER, Bundesverfassung, p. 344 et 351 i. f. et
352).
La Cour cantonale est du reste partie de cette conception puisqu'elle déclare
que la nature des délits commis par la

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recourante «permet de lui appliquer les dispositions de l'art. 45 CF». Il y a
donc lieu d'examiner s'il en est bien ainsi.
2.- L'art. 45, deuxième et troisième alinéas, de la Constitution fédérale
permet de retirer l'établissement à celui qui 1°) est privé de ses droits
civiques par suite d'un jugement pénal, 2°) a été puni à réitérées fois pour
des délits graves, 3°) tombe d'une manière permanente à la charge de la
bienfaisance publique, sans que la commune ou le canton d'origine, invité
officiellement à le secourir, lui accorde une assistance suffisante.
Le premier et le troisième motifs d'expulsion n'entrent pas en considération
ici. Il ne peut s'agir que du deuxième.
Parmi les condamnations infligées à la recourante, celles de 1937, à 48 heures
d'arrêts de police, l'une pour «tapage» et l'autre pour «bataille et tapage»,
paraissent d'emblée inopérantes dans le cadre de l'art. 45 CF. Aussi bien, ni
la Cour de Justice, dans son arrêt, ni le Ministère public, dans sa réponse,
ne s'appuient sur ces deux jugements; ils ne les mentionnent que par surcroît.
L'expulsion se fonde sur les condamnations du 4 avril 1938: 3 jours de prison,
20 fr. d'amende pour outrage aux agents, et du 1er octobre 1938: 8 jours de
prison et six mois d'expulsion pour racolage (confirmation et jonction des
jugements du 27 juin et 11 juillet).
D'après le jugement du 4 avril et les données de l'enquête, la résistance et
l'outrage se réduisent à ceci: invitée à circuler par un gendarme, la
recourante s'est obstinée à stationner dans la rue, a traité l'agent de la
force publique d'«espèce de tête de con» et a dû être amenée de force par lui
au poste. Pareilles apostrophe injurieuse et résistance purement passive ne
sauraient constituer un délit grave selon l'art. 45 CF. Elles ne sont
accompagnées d'aucune des circonstances aggravantes (menaces graves, voies de
fait, etc.), qui, d'après une jurisprudence dont il n'y a pas lieu de revenir,
pourraient seules leur conférer cette gravité (v. les arrêts Hirschi, RO 63 I
p. 145 et Scioberet, non publié, du 15 janvier 1937).

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Dès lors, la condition posée à l'art. 45 al. 3 CF (individu «puni à réitérées
fois») ne serait pas réalisée même si les racolages commis par la recourante
devaient être considérés comme des délits graves. Car voulût-on s'en tenir aux
deux jugements de police sans égard à la jonction des causes et à la confusion
des peines par l'arrêt d'appel, il n'en resterait pas moins que le second
délit est antérieur à la répression du premier et que, suivant la
jurisprudence constante, il n'y a punition réitérée au sens de l'art. 45 CF
que si l'individu expulsé commet un nouveau délit grave après avoir été
condamné pour une telle infraction (Ro 49 I p. 114 et les arrêts cités). Au
surplus, par suite de l'arrêt du 1er octobre, la recourante n'est - même dans
la forme - punie qu'une seule fois pour racolage (RO 62 I p. 72 c. 3)
Le Tribunal fédéral pourrait donc se dispenser d'examiner si le racolage est
un «délit grave». Mais, vu l'opinion émise par la Cour cantonale, attendu
aussi que le Ministère public genevois insiste tout particulièrement sur cette
qualification et que la question ne manquerait pas d'être soulevée à nouveau,
il convient de déclarer que le Tribunal fédéral maintient sa manière de voir
exprimée dans l'arrêt Chappuis (RO 46 I p. 8).
Plusieurs des inconvénients relevés par le Procureur général sont dénués
d'importance pour l'application de l'art. 45 al. 3 CF. Il est possible que la
prostitution exercée au moyen du racolage fasse du tort à «la réputation de
Genève, centre d organismes internationaux», et cause un préjudice aux
commerçants «dont les magasins se trouvent sur les artères où les prostituées
stationnent de jour et de nuit». Mais, indépendamment du fait qu'une action
énergique contre le racolage pourrait le combattre aussi efficacement à Genève
que dans d'autres villes, ces conséquences ne sont pas constitutives d'un
trouble sérieux de la sécurité et de l'ordre publics qu'impliqueraient les
actes reprochés à la recourante et qui entrerait seul en considération pour la
question du délit grave. D'autres

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arguments du Procureur général procèdent d'une conception juridique erronée.
La qualification et la peine du simple racolage dans la législation cantonale
(en l'espèce la loi genevoise du 30 mai 1925) ne sont pas décisives; ce qui
importe, c'est la nature effective du délit et c'est le danger, indiqué plus
haut, qu'il présente pour la collectivité.
Or, depuis que l'arrêt Chappuis a été rendu, le législateur fédéral s'est
inspiré des mêmes considérations que le Tribunal fédéral. Le nouveau Code
pénal suisse range le racolage parmi les contraventions (art. 206 et 101) et
exclut ainsi la peine de l'expulsion (art. 104 al. 2) même pour les étrangers
(art. 55 al. 1er). Le tribunal a donc d'autant moins motif de changer sa
manière de voir. Quant à la simple répétition des actes de racolage, elle n'en
fait pas une infraction grave. L'arrêt Chappuis l'a déjà dit (p. 10 loc. cit.)
et l'arrêt Hirschi l'a répété (loc. cit. 146). Le Procureur général relève
tout spécialement le danger particulier que les sollicitations des prostituées
créent pour les jeunes gens. Mais cette hypothèse n'étant pas réalisée dans le
cas actuel, le tribunal peut réserver la question. Le Procureur général arguë
aussi du fait que les racolages importunent des gens qui vaquent honnêtement à
leurs occupations. Toutefois, il n'y a pas là une atteinte telle à la
tranquillité et à l'ordre de la rue qu'elle puisse justifier l'application de
l'art. 45 al. 3 CF. Tant que la prostitution est tolérée dans les grands
centres comme un mal plus ou moins inévitable, on ne peut attribuer, pour
l'application de l'art. 45 CF, une importance décisive au fait que cette
activité immorale «s'étale» davantage parce que des femmes font du racolage
dans les rues ou autres lieux publics.
Au surplus, permettre l'expulsion en cas de simple racolage sans circonstances
aggravantes comme par exemple le vol à l'entôlage (arrêt Chappuis, p. 11)
risque de favoriser l éclosion de foyers de prostitution dans de petites
localités qui jusqu'ici en étaient épargnées.

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Enfin le tribunal ne peut approuver le rôle joué par des agents en civil. La
police devrait s'abstenir de pareilles pratiques.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
admet le recours et annule l'arrêt cantonal dans la mesure où il prononce
l'expulsion de la recourante du territoire genevois pour une durée de six
mois.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 64 I 247
Date : 01. Januar 1937
Publié : 04. November 1938
Source : Bundesgericht
Statut : 64 I 247
Domaine : BGE - Verfassungsrecht
Objet : Liberté d'établissement, art. 45 al. 3 Const. féd. - Les tribunaux ne peuvent prononcer la peine de...


Répertoire ATF
64-I-247
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
mois • emprisonnement • tribunal fédéral • code pénal • liberté d'établissement • jonction de causes • constitution fédérale • commettant • tribunal de police • vue • examinateur • décision • danger • membre d'une communauté religieuse • ue • ordre public • recours de droit public • place de parc • parlement • autorité législative
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