BGE 64 I 194
36. Arrêt du 1er juillet 1938 dans la cause Dame Cottier contre Banque
Populaire Genevoise.
Regeste:
Il n'appartient pas au juge, en matière de faillite ordinaire, de surseoir à
statuer sur la réquisition de faillite, même à la demande du créancier; il
doit, au premier jour fixé pour la comparution, ou statuer séance tenante sur
la réquisition, ou considérer le consentement du créancier au renvoi comme un
retrait pur et simple de la réquisition. La pratique contraire implique une
violation du principe de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 2 disp.
transit. const. féd.).
A. - La Banque populaire genevoise (désignée ci-dessous en abrégé: la Banque)
se trouvait, en août 1937,
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créancière de Dame Augustine Cottier d'environ 16000 francs. La créance était
garantie par un cautionnement solidaire du mari de la débitrice et de son
gendre, M. Gradet. Les cautions avaient déposé, l'une une police
d'assurance-vie, l'autre 21 actions de la Banque en garantie de leur
engagement.
Le 9 août 1937, la Banque requit la faillite de Dame Cottier et le 21 du même
mois intenta des poursuites en réalisation de gage contre les cautions. Des
pourparlers d'arrangement suivirent. Moyennant certains engagements de M.
Gardet, la Banque déclara, le 11 septembre 1937, qu'elle ne requerrait pas la
faillite. Les engagements n'ayant pas été tenus, la Banque renouvela sa
demande de faillite en octobre. Le 20 octobre, Dame Cottier fut citée à
comparaître à l'audience du 26 pour voir statuer par voie de procédure
sommaire sur cette demande. La recourante ne se présenta pas à l'audience et
la Banque consentit à un renvoi au 23 novembre. Le 29 octobre M. Gardet versa
6500 francs à compte sur le montant de la créance de la Banque. Après de
nouvelles correspondances, M. Gardet fit un nouveau versement qui réduisit la
créance de la débitrice à 9329 francs, qui devaient être payés par acomptes de
200 francs le 10 de chaque mois, plus les intérêts. M. Gardet versa 200 francs
le 11 décembre, mais ne versa pas les 200 francs échus les 10 février et 10
mars 1938. Le 11 mars la Banque l'avisa qu'elle reprenait la poursuite contre
les époux Cottier et lui-même. Durant ce temps la demande de faillite avait
été, à la requête de la Banque, remise successivement au 14 décembre 1937,
puis au 25 janvier, 22 février et enfin au 22 mars 1938.
Le 18 mars 1938 la Banque avisa Dame Cottier que son solde débiteur était de
9159 fr. 80 et que les promesses faites par M. Gardet pour le remboursement de
ce solde n'ayant pas été tenues, son avocat demanderait le prononcé de la
faillite à l'audience du 22 mars 1938, sauf payement de 1127 fr. 20.
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Dame Cottier prétend n'avoir reçu cette lettre que le 21 mars. Elle ne se
présenta pas à l'audience du 22 et ce jour-là le Tribunal prononça la
faillite.
Dame Cottier, représentée cette fois par Me Blanc, porta l'affaire devant la
Cour de Justice, en faisant valoir les moyens suivants: Aux termes de l'art.
168
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 168 - Ist das Konkursbegehren gestellt, so wird den Parteien wenigstens drei Tage vorher die gerichtliche Verhandlung angezeigt. Es steht denselben frei, vor Gericht zu erscheinen, sei es persönlich, sei es durch Vertretung. |
jour et de l'heure de son audience au moins trois jours l'avance, le défaut de
citation constituant un déni de justice. Si Dame Cottier a été régulièrement
citée pour l'audience du 26 octobre 1937, elle ne l'a pas été pour celle du 22
mars 1938. Le fait que, sur la demande unilatérale de la Banque, la cause a
été successivement renvoyée ne modifie pas la situation. Le sursis doit être
considéré comme un retrait pur et simple de la demande de faillite, et une
nouvelle demande était nécessaire (cf. JAEGER, art. 167 ch. 1 et 3 et art. 172
ch. 9 in fine. Cf. également arrêt du Tribunal fédéral du 9 octobre 1936 dans
la cause Häberli et fils contre Banque Cantonale Vaudoise, Sem. jud. 1937, p.
124).
Par arrêt du 20 mai 1938, la Cour de Justice civile de Genève a confirmé le
jugement du Tribunal de première instance et condamné l'appelante aux frais et
dépens. La Coure estime que Dame Cottier n'ayant formulé aucune opposition ni
réserve au sujet des renvois successifs de la cause, doit être réputée avoir
consenti à ce mode de faire, qui est d'ailleurs pratiqué d'une manière
constante et ancienne par le Tribunal en pareille occurrence et qui se
justifie par l'intérêt évident des parties. Dans le cas particulier, dit la
Cour, cette façon de procéder s'explique d'autant mieux que Dame Cottier ne
contesta pas que des promesses de règlement avaient été faites à la
créancière. La preuve en est fournie par la lettre du 18 mars 1938. Dès lors,
la cause étant restée inscrite au rôle du Tribunal, on ne saurait dire que la
Banque ait retiré la demande de faillite. Dame Cottier n'ayant pas démontré
que sa créancière ait donné son consentement écrit à une prorogation de la
procédure de faillite, il n'y a pas de sursis au sens
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attribué à ce mot par le législateur. Au surplus, il importe de relever que le
18 mars 1938 la Banque a informé Dame Cottier que les promesses qui lui
avaient été faites n'ayant pas été tenues, elle ferait prononcer la faillite
le 22 du même mois. Enfin, Dame Cottier ayant bénéficié de délais destinés à
lui permettre d'éviter sa faillite, est mal venue à alléguer que la Banque a
retiré la demande qu'elle avait faite à ce sujet.
B. - Contre cet arrêt, notifié le 21 mai, Dame Cottier a formé le 24 mai un
recours de droit public tendant à l'annulation du jugement du 22 mars 1938 et
de l'arrêt confirmatif du 13 mai 1938. Ses moyens peuvent se résumer comme
suit: Les décisions attaquées constituent un déni de justice et consacrent une
violation arbitraire des art. 167
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 167 - Zieht der Gläubiger das Konkursbegehren zurück, so kann er es vor Ablauf eines Monats nicht erneuern. |
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 168 - Ist das Konkursbegehren gestellt, so wird den Parteien wenigstens drei Tage vorher die gerichtliche Verhandlung angezeigt. Es steht denselben frei, vor Gericht zu erscheinen, sei es persönlich, sei es durch Vertretung. |
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 172 - Das Gericht weist das Konkursbegehren ab: |
|
1 | wenn die Konkursandrohung von der Aufsichtsbehörde aufgehoben ist; |
2 | wenn dem Schuldner die Wiederherstellung einer Frist (Art. 33 Abs. 4) oder ein nachträglicher Rechtsvorschlag (Art. 77) bewilligt worden ist; |
3 | wenn der Schuldner durch Urkunden beweist, dass die Schuld, Zinsen und Kosten inbegriffen, getilgt ist oder dass der Gläubiger ihm Stundung gewährt hat. |
citée pour les audiences des 23 novembre 1937, 14 décembre 1937, 25 janvier
1938, 22 février 1938 et 22 mars 1938. Elle a ignoré ces renvois, persuadée
que la créancière avait retiré purement et simplement sa réquisition de
faillite. Elle n'a pas sollicité ni fait solliciter le renvoi de la faillite.
Dans ces conditions, la Banque n'avait qu'un droit, celui de faire prononcer
la faillite le 26 octobre 1937. Elle n'avait pas le droit de demander au juge
de surseoir indéfiniment au prononcé de faillite. Le créancier qui demande au
juge de surseoir au prononcé de la faillite est censé retirer sa demande. La
thèse des tribunaux genevois est absolument insoutenable et inadmissible.
C'est en violation manifeste de la loi que la recourante a été déclarée en
faillite. La Cour et le Tribunal ont méconnu les prescriptions impératives de
l'art. 167
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 167 - Zieht der Gläubiger das Konkursbegehren zurück, so kann er es vor Ablauf eines Monats nicht erneuern. |
décembre 1937 et 25 janvier - 22 février 1938, le délai d'un mois n'a pas été
observé.
C. - La Banque populaire genevoise a conclu au rejet du recours. Elle conteste
que Dame Cottier n'ait pas connu les renvois successifs de la demande de
faillite. Elle avait un conseil, Me Blanc, qui a suivi l'affaire et qui a fait
plusieurs démarches auprès de la Banque pour assurer cette dernière nue sa
cliente ferait des propositions de
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payements et obtenir ainsi le renvoi de la demande de faillite. C'est après
avoir vainement attendu l'exécution des promesses de Dame Cottier, qui
n'ignorait pas que la cause serait appelée le 22 mars 1938 que la Banque a
demandé au juge de donner suite à la réquisition de faillite. Les renvois
n'ont d'ailleurs pas été préjudiciables à la recourante. Tout au contraire.
Grâce à la mansuétude de la créancière, Dame Cottier a pu réaliser son actif
et elle a ainsi réduit son passif dans une forte proportion. Si la faillite
avait été prononcée le 26 octobre 1937, comme Dame Cottier prétend qu'elle
aurait dû l'être, la réalisation de l'actif aurait été faite par voie
d'enchères publiques et le produit de cette réalisation aurait été de beaucoup
inférieur à celui obtenu par la vente de gré à gré.
D. - La Cour de Justice a également conclu au rejet du recours. Elle relève
que Dame Cottier n'a jamais ignoré les renvois successifs de l'instance de
faillite, car c'est précisément pour les obtenir que son mandataire a fait des
propositions de règlement. Les parties sont donc évidemment tombées d'accord
pour que la cause introduite régulièrement le 26 octobre reste au rôle
jusqu'au moment où un règlement définitif serait intervenu entre elles. Dame
Cottier, qui a bénéficié de ces renvois successifs est donc mal fondée à
prétendre qu'elle n'a pas été au courant de ceux-ci et que la faillite a été
prononcée à son insu à une audience où elle ignorait qu'elle serait demandée.
La Cour relève enfin qu'il est de pratique constante devant le Tribunal de
première instance de Genève, lorsque le créancier manifeste son assentiment,
d'accorder des renvois successifs permettant dans un certain nombre de cas de
surseoir à prendre la mesure grave et définitive que constitue la faillite.
Cette pratique est à l'avantage des créanciers comme des débiteur.
Considérant en droit:
Ainsi que le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de le relever dans son
arrêt du 9 octobre 1936 dans la cause
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Häberli und Sohn contre Banque Cantonale Vaudoise (RO 62 I p. 211), la
doctrine et la jurisprudence s'accordent pour interpréter l'art. 167
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 167 - Zieht der Gläubiger das Konkursbegehren zurück, so kann er es vor Ablauf eines Monats nicht erneuern. |
sens que s'il est loisible au créancier de consentir à ce que le juge surseoie
à statuer sur la réquisition de faillite, ce consentement doit toutefois être
assimilé à un retrait pur et simple de la réquisition ce qui a pour
conséquence que si le créancier se décide plus tard à faire prononcer la
faillite, il devra formuler une nouvelle réquisition et attendre pour le faire
qu'il se soit écoulé un mois depuis le retrait de la première. Comme on l'a
dit, cette interprétation se justifie essentiellement par le fait qu'en
autorisant le juge à différer simplement la mise en faillite du débiteur, on
court le risque de voir le créancier éluder la disposition de l'art. 167 et
maintenir indéfiniment le débiteur sous la menace de la faillite, ce que la
loi a précisément voulu éviter. Les décisions attaquées procèdent donc
incontestablement d'une application erronée de l'art. 167. Mais cela
n'autoriserait pas encore à en prononcer la nullité si le Tribunal fédéral
devait limiter son examen au moyen tiré de la violation de l'art. 4 Const.
féd. Le Tribunal fédéral ne peut, en effet, intervenir en vertu de cette
disposition que lorsque l'autorité dont émane la décision a violé le principe
de l'égalité devant la loi, soit en faisant acception de personne, soit en
donnant d'un texte légal une interprétation si manifestement arbitraire
qu'elle équivaille à un déni de justice. Or il n'en est certainement pas ainsi
en l'espèce. D'une part la recourante reconnaît elle-même que les décisions
attaquées sont conformes à la pratique constante des tribunaux genevois, et
elle ne saurait dans ces conditions prétendre avoir été l'objet d'une mesure
exceptionnelle; d'autre part, si cette pratique est contraire à la
jurisprudence du Tribunal fédéral, cela ne suffit pas pour la taxer
d'arbitraire, l'interprétation des tribunaux genevois n'étant pas absolument
incompatible avec le texte légal qui vise uniquement le «retrait» de la
réquisition.
Mais, en l'espèce, et bien que la recourant n'ait invoqué
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expressément que l'art. 4 Const. féd., on doit admettre qu'elle a
implicitement soulevé aussi le grief pris de l'art. 2 des dispositions
transitoires de la Constitution fédérale qui consacre le principe de la force
dérogatoire du droit fédéral, et cela pour les raisons suivantes:
Sous la réserve des prescriptions expressément ou implicitement contenues dans
la loi fédérale, c'est du droit cantonal que relève, en vertu de l'art. 25
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 25 |
la procédure en matière de réquisition de faillite. Or, aucune disposition de
la loi fédérale ne prévoit la faculté pour le juge de renvoyer, à la demande
des parties ou de l'une d'elles, le prononcé de faillite. Les décisions
attaquées ne peuvent donc avoir été prises qu'en vertu, sinon d'un texte
formel de la loi de procédure civile, du moins d'un principe général de cette
procédure et par analogie avec le cas d'un procès civil ordinaire. Dès lors,
en soutenant, ainsi qu'elle le fait, que ces décisions se heurtent à l'art.
167
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 167 - Zieht der Gläubiger das Konkursbegehren zurück, so kann er es vor Ablauf eines Monats nicht erneuern. |
recourante reproche en réalité au Tribunal de première instançe et à la Cour
de Justice d'avoir appliqué une règle de droit cantonal contraire au droit
fédéral et d'avoir ainsi violé l'art. 2 des dispositions transitoires de la
Constitution fédérale.
Or, lorsqu'il est saisi de ce grief, le Tribunal fédéral doit nécessairement
commencer par déterminer exactement le sens et la portée de la règle de droit
fédéral dont on allègue qu'elle fait échec à la règle de droit cantonal. Il a,
en conséquence, le pouvoir d'examiner ici librement et non plus seulement du
point de vue restreint de l'arbitraire, les questions qui peuvent se poser à
ce sujet. S'agissant dans le cas particulier de l'art. 167
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG) SchKG Art. 167 - Zieht der Gläubiger das Konkursbegehren zurück, so kann er es vor Ablauf eines Monats nicht erneuern. |
admettre, pour des raisons qui ont été exposées et conformément d'ailleurs à
sa jurisprudence, que l'interprétation rationnelle de cette disposition
conduit à refuser au juge, en matière de faillite ordinaire, la faculté de
surseoir à statuer à la réquisition de faillite. Le juge doit ou se prononcer
séance tenante sur cette réquisition ou, si le créancier
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manifeste son assentiment à un renvoi du prononcé de faillite, se dessaisir de
la cause, en considérant cette déclaration comme un désistement pur et simple.
En jugeant différemment, le Tribunal de première instance et la Cour de
Justice ont donc méconnu la portée du droit fédéral en la matière. Leurs
décisions impliquent par conséquent dans cette mesure une violation de l'art.
2 précité, ce qui suffit à en justifier l'annulation. La règle susrappelée
intéressant l'ordre public, il importe peu qu'en l'espèce la recourante ait
consenti aux renvois ou les ait même sollicités.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis. En conséquence l'arrêt rendu par la Cour de Justice
civile de Genève le 13 mai 1938 et le jugement rendu par le Tribunal de
première instance de Genève le 22 mars 1938 sont annulés.