BGE 63 II 240
52. Arrêt de la I re Section civile du 16 septembre 1937 dans la cause de
Fligue et Dame Roehr contre Le Syndicat Financier S.A.
Regeste:
Etendue de la gestion usuelle des dépôts en banque ouverte. Appréciation de
l'inactivité d'une banque dans un cas extraordinaire, imprévu et subit (délai
de quatre jours fixé pour l'estampillage de titres hors du pays). Art. 99
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 99 - 1 En général, le débiteur répond de toute faute. |
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1 | En général, le débiteur répond de toute faute. |
2 | Cette responsabilité est plus ou moins étendue selon la nature particulière de l'affaire; elle s'apprécie notamment avec moins de rigueur lorsque l'affaire n'est pas destinée à procurer un avantage au débiteur. |
3 | Les règles relatives à la responsabilité dérivant d'actes illicites s'appliquent par analogie aux effets de la faute contractuelle. |
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 394 - 1 Le mandat est un contrat par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis. |
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1 | Le mandat est un contrat par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis. |
2 | Les règles du mandat s'appliquent aux travaux qui ne sont pas soumis aux dispositions légales régissant d'autres contrats. |
3 | Une rémunération est due au mandataire si la convention ou l'usage lui en assure une. |
et sv., 472 et sv. CO.
A. - Le 11 janvier 1932, les parties au procès ont conclu un «contrat de
compte-joint solidaire» dont l'article premier est ainsi conçu:
«Le Syndicat Financier S. A., à Genève, dépositaire, établit aux noms de
Monsieur Nicolas de Fligue et Madame Ljubov Roehr, déposants et créanciers
solidaires, un dépôt de titres et leur ouvre un ou plusieurs comptes désignés
par M. de Fligue et Madame L. Roehr».
Le contrat ne règle pas les droits et obligations des parties, sauf qu'il
statue le droit de disposition des cotitulaires, fixe le for judiciaire à
Genève et déclare applicable la législation en vigueur dans ce canton.
N. de Fligue et Dame Roehr ont déposé auprès du Syndicat entre autres sept
titres de l'emprunt belge de 7% remboursables en 1955 par 7000 dollars or.
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Les Etats-Unis d'Amérique ont dévalué le dollar en avril 1933. Le 1 er mai de
cette année-là le gouvernement belge décida de payer les coupons desdits
titres à raison de 7,12 belge ou 35,60 fr. belges par dollar, à condition que
les obligations soient présentées jusqu'au jeudi 4 mai, aux fins
d'estampillage, à la Banque nationale de Belgique. Les sept titres déposés à
Genève n'ont pas été envoyés à temps à Bruxelles. Les déposants en imputent la
responsabilité au Syndicat Financier. Le 13 juillet 1934 celui-ci a transféré
son siège à Lausanne; le 28 février 1935 il est entré en liquidation.
B. - Par commandement de payer no 95046 du 23 juillet 1935, Nicolas de Fligue
et Dame Roehr, agissant conjointement et solidairement, ont poursuivi le
Syndicat Financier S. A. en paiement de 14000 fr. de dommages-intérêts en
raison du non-estampillage de 7000 $ titres emprunt belge 7% 1955.
La débitrice ayant fait opposition, les poursuivants l'ont actionnée devant le
Tribunal de première instance de Genève en portant au cours du procès leur
réclamation à 30000 fr. Ils invoquent les art. 97
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 97 - 1 Lorsque le créancier ne peut obtenir l'exécution de l'obligation ou ne peut l'obtenir qu'imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable. |
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1 | Lorsque le créancier ne peut obtenir l'exécution de l'obligation ou ne peut l'obtenir qu'imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable. |
2 | Les dispositions de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite44 et du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC)45 s'appliquent à l'exécution.46 |
font valoir qu'au lieu de 364 francs suisses par coupon ils n'en ont reçu que
210, en sorte que leur perte est de 154 fr. par coupon et au total (sept
titres pendant 73 années) 24794 francs. Quant aux titres eux-mêmes, la perte
atteint 15400 fr. Calculée a en valeur actuelle n leur perte totale est de
20000 francs suisses.
La société défenderesse en liquidation a conclu au déboutement des demandeurs;
elle décline toute responsabilité.
C. - Le Tribunal de 1 re instance de Genève a rejeté la demande par jugement
du 28 avril 1936. La Cour de Justice civile du canton de Genève a confirmé ce
prononcé par arrêt du 4 mai 1937.
Les demandeurs ont recouru contre cet arrêt au Tribunal fédéral. Ils
reprennent leurs conclusions en paiement de 30000 fr. de dommages-intérêts
avec intérêt à 5% dès le 20 juillet 1935, en mainlevée de l'opposition faite à
la
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poursuite no 95046 et, subsidiairement, au renvoi de la cause à la Cour
cantonale.
L'intimée a conclu au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt
attaqué.
Considérant en droit:
1.- Le «dépôt ouvert» de titres auprès d'une banque crée entre les parties un
rapport de dépôt selon les art. 472
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 472 - 1 Le dépôt est un contrat par lequel le dépositaire s'oblige envers le déposant à recevoir une chose mobilière que celui-ci lui confie et à la garder en lieu sûr. |
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1 | Le dépôt est un contrat par lequel le dépositaire s'oblige envers le déposant à recevoir une chose mobilière que celui-ci lui confie et à la garder en lieu sûr. |
2 | Le dépositaire ne peut exiger une rémunération que si elle a été expressément stipulée, ou si, eu égard aux circonstances, il devait s'attendre à être rémunéré. |
banquier dépositaire ne s'épuisent pas en règle générale dans la garde des
titres en lieu sûr et à leur restitution lorsqu'il en est requis par le
déposant. Le plus souvent, le dépôt n'est pas simplement opéré aux fins de
garde mais aussi aux fins de gestion des titres. En ce cas, la gestion est
même économiquement l'objet le plus important de la convention. Au dépôt se
joint alors un mandat suivant les art. 394
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 394 - 1 Le mandat est un contrat par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis. |
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1 | Le mandat est un contrat par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis. |
2 | Les règles du mandat s'appliquent aux travaux qui ne sont pas soumis aux dispositions légales régissant d'autres contrats. |
3 | Une rémunération est due au mandataire si la convention ou l'usage lui en assure une. |
contrat mixte (v: ELLENBERGER, Das offene Bankdepot, p. 15 et suiv.).
Le contrat-joint passé entre les parties le 11 janvier 1932 ne prévoit que le
dépôt des titres; il ne parle pas de leur gestion. Alors même que, dans la
pratique, les deux choses sont le plus souvent réunies, l'obligation de garder
les titres n'implique pas de plano celle de les gérer. La gestion ne se
présume pas (v. STAUB, Kommentar zum deutschen HGB, 12/13 e édit., 4 p. 810,
adjonction ad § 424, rem. 34; RIESSER, Das (deutsche) Bankdepotgesetz, 4e
édit., p. 50, note 2).
Toutefois, les parties sont d'accord qu'en fait la défenderesse a géré les
titres déposés par les demandeurs. On peut en déduire que, tacitement du
moins, elles sont convenues de compléter le dépôt aux fins de garde par un
dépôt aux fins de gestion. Faute de stipulation sur la nature et l'étendue de
cette prestation du Syndicat Financier, le juge doit s'en tenir aux usages des
banques en la matière. La Cour de Justice civile genevoise a, il est vrai,
omis d'établir ces usages comme il lui eût appartenu de le faire. Mais le
Tribunal fédéral peut se dispenser de lui renvoyer
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la cause par ce motif, car le juge chargé de l'instruction du recours a comblé
cette lacune.
2.- Lorsque les parties n'ont point passé une convention particulière
spécifiant les actes de gestion incombant au dépositaire, la banque ne doit,
en règle générale, fournir que les prestations principales suivantes:
a) détacher et encaisser les coupons échus d'intérêt et de dividende;
b) renouveler les feuilles de coupons;
c) contrôler les tirages, dénonciations, conversions et amortissements de
valeurs;
d) encaisser les titres remboursables;
e) échanger les certificats provisoires contre les titres définitifs;
f) échanger les titres en cas de réduction du capitulations. etc.
A cet égard, il suffit de se référer aux règlements des principaux
établissements bancaires suisses (v. entre autres Société de Banque suisse, §
5; Banque populaire suisse, B, 20; Union de Banques suisses, § 3; Banque
fédérale, B, 17; Banque cantonale vaudoise, p. 14 et suiv.; v. aussi
ZIMMERMANN, Das Bankdepot in der Schweiz, p. 72 et 196 et suiv.; ELLENBERGER,
OP. cit. p. 20). L'administration usuelle des dépôts ouverts de titres diffère
donc sensiblement de la «gérance de fortunes» en vertu de conventions
spéciales et moyennant rémunération. On peut d'emblée se demander si la
gestion habituelle des dépôts ouverts comprend aussi les mesures
extraordinaires comme celles du gouvernement belge dont il s'agit en l'espèce.
Cette question peut cependant rester indécise, car voulût-on même la résoudre
affirmativement que les circonstances particulières du cas s'opposeraient à
l'allocation de dommages-intérêts aux demandeurs.
Sans conteste, le Syndicat Financier n'a pas perçu de rémunération pour ses
actes de simple gestion; il semble s'être contenté du bénéfice occasionnel
réalisé lors
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d'opérations de vente et d'achat de titres composant le dossier des
demandeurs.
Aux termes de l'art. 99
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 99 - 1 En général, le débiteur répond de toute faute. |
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1 | En général, le débiteur répond de toute faute. |
2 | Cette responsabilité est plus ou moins étendue selon la nature particulière de l'affaire; elle s'apprécie notamment avec moins de rigueur lorsque l'affaire n'est pas destinée à procurer un avantage au débiteur. |
3 | Les règles relatives à la responsabilité dérivant d'actes illicites s'appliquent par analogie aux effets de la faute contractuelle. |
débiteur répond en règle générale de toute faute mais l'étendue de sa
responsabilité dépend de la nature particulière de ses obligations; elle
«s'apprécie notamment avec moins de rigueur lorsque l'affaire n'est pas
destinée à procurer un avantage au débiteur». Du moment que le dépôt des
titres des demandeurs n'assurait pas à la banque un profit direct et que
l'avantage indirect non stipulé était, dans tous les cas, peu important, la
responsabilité de la défenderesse n'était pas engagée par une faute légère
(cf. OSER-SCHÖNENBERGER, art. 99 rem. 11 et ses renvois à la jurisprudence).
Cette restriction se justifie d'autant plus que même les banques qui,
moyennant rémunération, se chargent de la gestion de titres en conformité d'un
règlement, déclinent expressément toute responsabilité pour des actes
analogues à ceux dont il s'agit en l'espèce (p. ex. le contrôle de tirages,
dénonciations, conversions et amortissements, v. les règlements cités). En
outre, il s'agit d'une mesure anormale que les règlements ordinaires ne
prévoient pas et ne pouvaient même guère prévoir, parce que pour ainsi dire
imprévisible. Enfin, le gouvernement belge a fixé un délai extraordinairement
bref, voire même trop bref. On peut donc tout au plus imputer à la
défenderesse une légère négligence dans la gestion des titres des demandeurs.
En raison des circonstances toutes particulières de l'espèce, la banque
n'encourt ainsi pas de responsabilité, et il est indifférent pour l'issue du
procès que d'autres banques suisses aient peut-être fait estampiller en temps
utile les titres de leurs clients....
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.