BGE 63 I 194
38. Arrêt de la IIe Section civil de 16 septembre 1937 dans la cause de Nervo
contre Direction de la Justice du canton de Fribourg.
Regeste:
Les autorités d'état civil peuvent être appelées, dans le cadre de l'art. 13
de l'ordonnance du Conseil fédéral du 18 mai 1928 sur le service de l'état
civil, à statuer préjudiciellement sur des droits contestés. Elles ne peuvent
toutefois trancher que des questions relativement simples, soulevées par
l'application du droit suisse contemporain, notamment par le droit fédéral en
vigueur; en présence de questions complexes ou régies, même partiellement, par
l'ancien droit ou le droit étranger, elles doivent surseoir à l'inscription
jusqu'à prononcé du juge compétent.
A. - Les recourants, domiciliés en France et ressortissants français, se
prétendent tous descendants ou épouses de descendants d'un nommé Jean-Baptiste
de Nervo auquel, en 1776, le Petit Conseil de Fribourg aurait reconnu la
qualité de «communier» de Bouloz. ils ajoutent que ni
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eux ni leurs ascendants n'ont jamais renoncé à la nationalité suisse qu'ils
estiment posséder à côté de la nationalité française. A la fin de 1936, ils
ont entrepris des démarches en vue de se faire inscrire au registre des
familles de la commune de Bouloz. Comme ils établissaient leur filiation au
moyen d'actes d'état civil français, ils se sont adressés, conformément à
l'art. 133 al. 1 de l'ordonnance du Conseil fédéral du 18 mai 1928 sur le
service de l'état civil, à la Direction de la Justice du Canton de Fribourg,
autorité de surveillance en la matière, et l'ont requise:
1. D'accorder à l'officier d'état civil compétent l'autorisation d'ouvrir un
ou des feuillets de famille aux descendants de Jean-Baptiste de Nervo;
2. De prier ledit officier de communiquer ensuite les inscriptions opérées à
la commune de Bouloz aux fins d'inscription dans le registre des bourgeois de
la commune;
3. De confirmer à la Légation de Suisse en France le droit de cité suisse des
recourants en vue de l'établissement des passeports qui seront demandés.
La Direction de la Justice communiqua cette requête à la commune de Bouloz;
celle-ci fit savoir qu'elle s'y opposait, attendu qu'elle n'avait pas
connaissance que les de Nervo fussent originaires de Bouloz, les registres de
bourgeoisie ne mentionnant aucunement ce nom. Par lettre du 11 mars 1937,
l'Autorité de surveillance a alors informé les requérants qu'en présence du
refus de la commune de les reconnaître comme bourgeois de Bouloz, elle ne
pouvait autoriser la transcription des actes d'état civil français relatifs à
la famille de Nervo.
B. - Par acte du 10 avril 1937, les requérants ont formé contre cette décision
un recours de droit administratif, en reprenant les conclusions reproduites
ci-dessus. ils ont en outre ouvert à la commune de Bouloz, devant les
tribunaux ordinaires, une action tendante à la reconnaissance de leur droit de
bourgeoisie.
C. - La Direction de Justice du Canton de Fribourg a conclu au rejet du
recours.
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Le Département fédéral de Justice et Police en proposé l'admission.
Considérant en droit:
1. - Le registre des familles est une innovation de l'ordonnance du Conseil
fédéral du 18 mai 1928; il remplace le registre B prévu par l'ordonnance,
aujourd'hui abrogée, du 25 février 1910. Il est tenu dans l'arrondissement du
lieu d'origine et comprend les familles et les personnes isolées qui ont droit
de bourgeoisie dans cet arrondissement (art. 113). Le registre des familles
est ainsi destiné à concentrer au lieu d'origine les renseignements d'état
civil concernant les bourgeois de la commune. L'ordonnance énumère les
catégories de personnes à qui un feuillet doit être ouvert (art. 115),
détermine les inscriptions qui doivent figurer au registre (art. 116) et
précise les justifications à fournir (art. 117).
L'inscription au registre des familles suppose, comme condition préalable, le
droit de bourgeoisie de la personne à inscrire (cf. art. 115). Le requérant
doit établir qu'il est ressortissant de la commune dont il revendique
l'indigénat. Il résulte de l'art. 117 précité, qui concerne aussi bien
l'ouverture d'un feuillet que les inscriptions sur des feuillets existants,
que l'intéressé pourra se fonder, à cet égard, sur les «constatations
consignées dans les registres spéciaux de la commune d'origine», sur des
«actes authentiques», sur un «ordre du juge». L'officier d'état civil
(respectivement, l'autorité de surveillance) examinera d'office les pièces
présentées; au besoin, il requerra la production de pièces complémentaires;
puis, s'il se convainc de l'existence du droit allégué, il procédera à
l'ouverture d'un feuillet (cf. art. 13 de l'ordonnance).
En l'espèce, à défaut d'inscription au registre des bourgeois ou de prononcé
judiciaire, les recourants ont produit une reconnaissance de bourgeoisie et
des actes d'état civil étrangers; ces pièces pouvaient, le cas échéant, en
tant qu'«actes authentiques», constituer une justification suffisante du droit
de cité; cependant, même en l'absence
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de contestation de la part de la commune intéressée, les autorités compétentes
avaient la faculté de refuser l'inscription, si les documents produits ne leur
paraissaient pas probants.
2. - Dans le cas particulier, la commune de Bouloz a contesté à la famille de
Nervo le droit de bourgeoisie qu'elle revendique. Or l'ordonnance ne renferme
aucune indication sur la procédure à suivre lorsque le droit de cité est
litigieux.
D'après l'autorité cantonale, il appartient, en pareil cas, aux requérants de
faire établir leur droit par les tribunaux ordinaires; ni l'officier d'état
civil, ni l'autorité de surveillance, ni, en cas de recours, le Tribunal
fédéral, n'ont à examiner cette question préalable. D'après les recourants -
dont l'avis est, dans une large mesure, partagé par le Département fédéral de
Justice et Police - les autorités d'état civil ne peuvent se borner à
constater que l'existence du droit de bourgeoisie est litigieuse; elles
doivent, comme en l'absence de contestation, se faire une opinion sur la
question, et décider de leur chef et sous leur propre responsabilité si une
inscription doit ou non être opérée.
Cette dernière manière de voir est, en principe, fondée. Elle assure
l'indépendance relative du service de l'état civil. On ne voit pas, d'autre
part, que l'art. 117 de l'ordonnance, qui permet de justifier du droit de
bourgeoisie autrement que par la production d'un ordre du juge, cesse d'être
applicable en cas d'opposition. Ainsi que le fait observer le Département
fédéral, il serait contraire à la bonne tenue des registres comme à la
sécurité juridique, de reconnaître aux communes la faculté d'empêcher
l'inscription à leur gré et contre toute évidence. Il reste d'ailleurs que
l'ouverture d'un feuillet à une personne n'emporte pas, au fond,
reconnaissance de son droit de bourgeoisie.
Toutefois le pouvoir d'examen des autorités de l'état civil est nécessairement
limité. Leur mission est avant tout d'enregistrer des faits constants. Si
elles sont parfois appelées à statuer préjudiciellement sur des droits
contestés
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(p. ex. légitimité d'un enfant, art. 262
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 262 - 1 La paternité est présumée lorsque, entre le trois centième et le cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant, le défendeur a cohabité avec la mère. |
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1 | La paternité est présumée lorsque, entre le trois centième et le cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant, le défendeur a cohabité avec la mère. |
2 | La paternité est également présumée lorsque l'enfant a été conçu avant le trois centième jour ou après le cent quatre-vingtième jour avant la naissance et que le défendeur a cohabité avec la mère à l'époque de la conception. |
3 | La présomption cesse lorsque le défendeur prouve que sa paternité est exclue ou moins vraisemblable que celle d'un tiers. |
des questions relativement simples, soulevées par l'application du droit
suisse contemporain, notamment par le droit fédéral en vigueur. En présence de
questions complexes ou de difficultés régies, ne serait-ce qu'en partie, par
le droit ancien ou le droit étranger, elles peuvent et doivent même surseoir à
l'inscription jusqu'à prononcé du juge compétent.
Au vu de ces principes, la Direction cantonale de Justice était en droit de
refuser l'ouverture d'un ou de plusieurs feuillets à la famille de Nervo. Elle
n'avait à faire oeuvre ni de généalogiste ni de juge. il ne lui appartenait
pas, étant donnée la complexité de la cause, de décider si, indépendamment de
son authenticité, la pièce établissant qu'un ancêtre éloigné avait possédé la
bourgeoisie revendiquée pouvait remplacer l'acte d'origine requis à défaut
d'inscription dans le registre des bourgeois ou d'ordre du juge; et cela
d'autant moins que l'opposition de la commune pouvait paraître plausible, soit
qu'il y ait eu, au cours des siècles, renonciation à la bourgeoisie, soit que,
d'après l'ancien droit que l'autorité n'avait pas à connaître, la bourgeoisie
pût se perdre par d'autres causes que la renonciation, soit enfin que la
filiation des requérants ne fût pas suffisamment établie. L'autorité cantonale
n'avait pas à trancher l'ensemble de ces questions de fait et de droit, alors
d'ailleurs qu'elles sont pendantes devant les tribunaux compétents.
Les recourants objectent que le Tribunal fédéral (RO 60 I 76 /7), lorsqu'il
est saisi d'un recours de droit public contre le refus d'une commune de
délivrer un acte d'origine, s'est reconnu le droit de trancher la question
préjudicielle du droit de bourgeoisie revendiqué. Mais le Tribunal fédéral a
eu soin de préciser, d'une part, que la solution qu'il donne à cette question
n'a que le caractère d'un motif à l'appui de sa décision sur la délivrance
d'un acte d'origine et n'a pas force de chose jugée et, d'autre part, qu'il ne
peut obliger la commune à inscrire le recourant dans son registre de
bourgeoisie. Indépendamment de ces réserves.
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on ne saurait tirer de cette jurisprudence, fondée sur les art. 44 et 45 CF,
que l'autorité d'état civil, requise d'ouvrir un feuillet au registre des
familles, est compétente dans tous les cas pour statuer sur un indigénat
contesté. Le contraire résulte de l'iulterprétation des dispositions légales
qui régissent son activité. Quant au Tribunal fédéral, saisi d'un recours de
droit administratif contre le refus d'une inscription, il doit se borner à
examiner si l'autorité cantonale a violé une prescription du droit fédéral
(art. 10 JAD); statuant à cet égard comme autorité de surveillance suprême, il
n'est tenu de se prononcer sur le droit de bourgeoisie que dans la mesure où
l'office cantonal était obligé de le faire
Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours.