BGE 61 II 274
64. Arrêt de la IIe Section civile du 20 septembre 1935 dans la cause Auguste
Grimm et Consorts contre Dame veuve Grimm
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Regeste:
Assurance-abonnement. Droit de l'abonné de désigner le bénéficiaire.
Forme de la désignation.
A. - Le 20 novembre 1932, Auguste Grimm est décédé des suites d'un accident.
Il laissait une femme, la défenderesse, et trois enfants d'un premier lit, les
demandeurs.
Auguste Grimm était abonné depuis le 28 septembre 1931 à la «Schweizerische
Volkszeitung» (Zofingerzeitung) et depuis le 17 août 1931 à la «Patrie
Suisse». En vertu des contrats passés avec les administrations de ces
périodiques, il se trouvait, de par sa qualité même d'abonné, assuré contre
les accidents auprès de la «Société d'assurance contre les accidents à
Winterthour». L'indemnité s'élevait pour chacune des assurances à 7000 francs
en cas de décès ensuite d'accident de la circulation. Les conditions générales
des polices contiennent notamment la disposition suivante: «Le bénéficiaire de
cette indemnité sera, en première ligne, le conjoint survivant. Si le sinistré
ne laisse pas de conjoint, l'indemnité de décès sera versée à ses enfants
légitimes et, à défaut de ceux-ci, à ses père et mère, à l'exclusion de tous
autres héritiers».
Au moment du décès de Grimm, les époux Grimm étaient désunis et vivaient
séparés.
On a retrouvé dans les papiers du défunt un document signé par lui mais écrit
à la machine et de la teneur suivante: «Testament. Moi, soussigné, déclare
reconnaître mes trois enfants Auguste, Nelly et Agnès comme seuls héritiers
universels en tout ce que je possède, soit titres,
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assurances et autres biens m'appartenant et me concernant. Je fais ce
testament étant sain d'esprit et de corps. Bulle, mardi 8 décembre 1931.»
Se fondant sur ce document, les enfants du défunt ont revendiqué le droit de
toucher les indemnités prévues par les contrats. Dame Grimm s'étant opposée à
cette prétention et ayant réclamé pour elle le bénéfice des assurances, la
compagnie d'assurance a renvoyé les parties à faire trancher leur différend
par le juge.
Par exploit du 30 septembre 1933, Auguste Grimm, Nelly Grimm et Agnès-Mathilde
Grimm, tous enfants du défunt, ont ouvert action contre Dame Grimm, en
concluant à ce qu'il fût prononcé avec dépens:
«1. qu'Auguste Grimm, Nelly Grimm et Agnès-Mathilde Grimm, fils et filles
d'Auguste Grimm, sont seuls et exclusifs bénéficiaires solidaires de tous
droits découlant des polices d'assurance-journaux conclues par feu Auguste
Grimm auprès de la Schweizerische Allgemeine Volkszeitung-Zofinger Zeitung
(soit contre son éditeur Verlag Ringier & Cie à Zofingue) et de la Patrie
Suisse (soit son éditeur G. Meyer à Genève et Zurich) couvertes par la Société
Suisse d'assurance contre les accidents à Winterthour, ensuite du décès
accidentel d'Auguste Grimm père survenu le 20 novembre 1932 près de Sierre.
» 2. qu'en conséquence les demandeurs sont seuls justifiés à encaisser jusqu'à
concurrence de 14000 fr. (quatorze mille francs) plus intérêts et frais les
prestations découlant des deux polices d'assurances précitées et du décès de
feu Auguste Grimm.
» 3. qu'enfin la défenderesse n'a aucun droit quelconque à exercer du chef de
ces polices et ensuite du décès de son mari, soit contre la Société Suisse
d'assurance contre les accidents à Winterthour, soit contre la maison
d'édition G. Meyer, à Genève et Zurich, soit contre la maison d'édition
Ringier & Cie, à Zofingue, éditeurs des deux journaux précités, soit contre
les instants eux-mêmes ou tous tiers quelconques.»
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La défenderesse a conclu avec dépens:
«1. à libération des conclusions prises par les demandeurs.
» 2. à ce qu'il soit prononcé qu'elle est seule et exclusive bénéficiaire des
indemnités prévues pour le cas de décès de son mari Auguste Grimm, par les
polices d'assurances conclues par la Patrie Suisse et la Zofinger Zeitung
auprès de la Société Suisse d'assurance La Winterthour et qu'elle est, en
conséquence, seule légitimée à encaisser les indemnités découlant desdites
polices.»
B. - Par jugement du 15 juin 1935, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois
a débouté les demandeurs de leurs conclusions, alloué à la défenderesse ses
conclusions libératoires et ses conclusions reconventionnelles et condamné les
demandeurs aux frais et dépens.
C. - Les demandeurs ont recouru en réforme en reprenant leurs conclusions.
La défenderesse a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement
entrepris.
Considérant en droit:
1.- Il n'est pas douteux qu'en rédigeant l'acte intitulé testament du 8
décembre 1931, feu Auguste Grimm entendait bien régler le sort de ses biens
après la mort. Cette intention ne ressort pas seulement de l'intitulé de
l'acte mais de sa teneur même. Or cet acte, qui n'est pas rédigé entièrement
de la main du testateur, ne remplit pas les conditions de forme exigées par la
loi. En tant qu'acte de dernières volontés, il est dès lors nul et de nul
effet. Les recourants ne le contestent pas, mais ils soutiennent que, dans la
mesure où il a trait aux assurances, il exprime la volonté certaine du défunt
d'en affecter le bénéfice à ses enfants - ce qui impliquerait par le fait même
la révocation de l'attribution convenue en faveur de sa femme lors de la
conclusion des contrats - et que cette nouvelle attribution qui n'était
soumise à aucune forme particulière
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doit produire ses effets nonobstant le vice qui affecte l'acte en tant que
testament.
A cette argumentation, la défenderesse a objecté que le défunt, tout d'abord,
n'avait pas qualité pour modifier l'attribution de bénéfice qui avait été
stipulé lors de la conclusion des contrats, puisqu'il n'était pas partie à
ceux-ci, et, secondement, qu'à supposer qu'il eût qualité pour le faire, et ce
par un acte de dernières volontés, il était tenu en tout cas d'en respecter
les formes.
2.- Il est indiscutable que l'abonné qui n'est pas partie au contrat
d'assurance ne peut pas s'attribuer la qualité de «preneur d'assurance» au
sens où l'entend l'art. 76. Mais cela n'est pas une raison suffisante pour lui
dénier absolument le droit de désigner la personne à qui, en cas de mort,
devra revenir la somme assurée. A vouloir considérer toujours le droit de
désigner le bénéficiaire comme un attribut exclusif de preneur d'assurance, on
arriverait en effet à ce résultat, dans l'assurance-abonnement, de réserver
l'exercice de ce droit à l'éditeur. Or ce serait méconnaître que ce dernier
n'est pas seulement lié envers l'assureur, mais qu'il l'est aussi envers
l'abonné qui a souscrit l'abonnement sous la réserve évidemment sous-entendue
que les prestations de l'assureur seraient payées aux conditions de la police.
On voit donc qu'il n'est pas possible, en pareil cas, de s'en tenir
strictement à la règle de l'art. 76, mais qu'il faut, si l'on veut arriver à
un résultat satisfaisant, tenir compte des particularités de
l'assurance-abonnement et de son but économique. Or, que l'on considère
l'assurance-abonnement comme une assurance pour le compte d'autrui ou comme
une forme spéciale de la stipulation pour autrui, on doit convenir que ni
l'éditeur ni l'assureur n'ont intérêt à ce que, dans le cadre des personnes
désignées dans la police, ce soit l'une plutôt que l'autre de celles-ci qui
bénéficie du capital assuré, en cas de mort de l'abonné. L'assureur a
peut-être un intérêt à ce que la somme assurée ne puisse pas être réclamée par
une personne autre que celles qui sont désignées dans la
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police, mais, dans ces limites-là - et en l'espèce le litige se restreint à
cette hypothèse -, peu lui importe que ce soit l'une plutôt que l'autre qui
soit appelée à recueillir le bénéfice de l'assurance. Et quant à l'éditeur, ce
qu'il cherche ce n'est pas, en règle générale, de favoriser un membre de la
famille de l'abonné au préjudice des autres, mais bien d'offrir à l'abonné un
marché présentant le maximum d'avantages pour ce dernier, car il ne faut pas
oublier que l'assurance-abonnement est le résultat du développement de la
presse et qu'elle a été conçue dès l'origine comme un procédé purement
commercial, autrement dit comme un moyen destiné avant tout à attirer des
clients. La seule personne qui puisse avoir intérêt à ce que la somme assurée
profite à l'un plutôt qu'à l'autre de ses parents, c'est donc en réalité
l'abonné, et cet intérêt est suffisant pour qu'on lui permette de le
satisfaire sans avoir à solliciter le concours de l'éditeur, et d'une manière
qui soit en même temps opposable à l'assureur. Si l'on tient compte par
conséquent du but que vise l'éditeur et de l'avantage incontestable que peut
présenter pour l'abonné la possibilité d'attribuer le bénéfice de l'assurance
à tel ou tel de ses parents, ainsi que le démontre du reste l'espèce actuelle,
il est parfaitement légitime d'admettre que l'abonné qui contracte un
abonnement comportant une assurance-accidents et vie soit fondé à supposer que
l'éditeur a tacitement renoncé en sa faveur vis-à-vis de l'assureur au droit
d'intervenir dans la désignation du bénéficiaire et que cette stipulation est
une condition sous-entendue du contrat passé entre l'éditeur et l'abonné.
Ce résultat pourrait encore se justifier par une autre considération. En
effet, si l'art. 76 ne parle que du preneur d'assurance, c'est parce que, sans
doute, il se rapporte au cas le plus fréquent, c'est-à-dire à celui où la
qualité de preneur d'assurance et celle d'assuré sont réunies sur la même
tête. Or, en pareil cas, on peut dire que celui qui contracte une assurance
sur sa propre vie ne le ferait pas s'il n'avait pas un intérêt à ce que, à sa
mort, la somme
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assurée revienne à la personne au profit de laquelle il s'est assuré. Lors
donc que le preneur d'assurance et l'assuré sont deux personnes différentes,
il n'y a pas de raison de présumer que le droit de désigner le bénéficiaire
reste nécessairement attaché à la qualité de preneur d'assurance. Il est plus
normal, au contraite, d'admettre qu'il suit la personne qui a réellement un
intérêt à l'exercer, et dans l'assurance-abonnement, comme on l'a vu, cette
personne ne peut être que l'abonné, en sa qualité d'assuré.
3.- Si l'on reconnaît à l'abonné, dans l'assurance abonnement, le droit de
désigner librement le bénéficiaire parmi les personnes indiquées dans la
police, il n'y a pas de raison de lui refuser le droit de modifier
l'attribution primitive en substituant au premier bénéficiaire un nouveau
bénéficiaire également choisi parmi les mêmes personnes. La loi suisse ne
prévoit pas expressément, il est vrai, la faculté de désigner le bénéficiaire
d'une assurance dans la forme d'un acte pour cause de mort, mais on peut
cependant la déduire des art. 476
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 476 - 1 Les assurances en cas de décès constituées sur la tête du défunt, y compris dans le cadre de la prévoyance individuelle liée, qu'il a contractées ou dont il a disposé en faveur d'un tiers par acte entre vifs ou pour cause de mort, ou qu'il a cédées gratuitement à une tierce personne de son vivant, ne sont ajoutées à la succession que pour la valeur de rachat calculée au moment de la mort. |
|
1 | Les assurances en cas de décès constituées sur la tête du défunt, y compris dans le cadre de la prévoyance individuelle liée, qu'il a contractées ou dont il a disposé en faveur d'un tiers par acte entre vifs ou pour cause de mort, ou qu'il a cédées gratuitement à une tierce personne de son vivant, ne sont ajoutées à la succession que pour la valeur de rachat calculée au moment de la mort. |
2 | Sont également ajoutées à la succession les prétentions des bénéficiaires résultant de la prévoyance individuelle liée du défunt auprès d'une fondation bancaire. |
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 529 - 1 Les assurances en cas de décès constituées sur la tête du défunt, y compris dans le cadre de la prévoyance individuelle liée, qu'il a contractées ou dont il a disposé en faveur d'un tiers par acte entre vifs ou pour cause de mort, ou qu'il a cédées gratuitement à une tierce personne de son vivant, sont sujettes à réduction pour leur valeur de rachat. |
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1 | Les assurances en cas de décès constituées sur la tête du défunt, y compris dans le cadre de la prévoyance individuelle liée, qu'il a contractées ou dont il a disposé en faveur d'un tiers par acte entre vifs ou pour cause de mort, ou qu'il a cédées gratuitement à une tierce personne de son vivant, sont sujettes à réduction pour leur valeur de rachat. |
2 | Sont également sujettes à réduction les prétentions des bénéficiaires résultant de la prévoyance individuelle liée du défunt auprès d'une fondation bancaire. |
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 563 - 1 Sauf disposition contraire, les legs d'usufruits, de même que les legs de rentes ou d'autres prestations périodiques, sont soumis aux règles concernant les droits réels et les obligations. |
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1 | Sauf disposition contraire, les legs d'usufruits, de même que les legs de rentes ou d'autres prestations périodiques, sont soumis aux règles concernant les droits réels et les obligations. |
2 | Lorsque le legs consiste dans une assurance en cas de décès constituée sur la tête du disposant, le légataire peut faire valoir directement ses droits. |
disposer, sous cette même forme, des assurances qu'il a contractées sur sa
tête, ce qui peut avoir pour résultat, suivant le cas, de conférer au tiers
gratifié des droits qui compétaient à un premier bénéficiaire et ce qui
équivaut par conséquent à une nouvelle attribution. Mais de ce qu'il faille
reconnaître la possibilité de désigner le bénéficiaire d'une assurance dans un
acte pour cause de mort et celle de révoquer en cette même forme, expressément
ou implicitement, une première désignation au profit d'une nouvelle personne,
il ne s'ensuit pas pour autant que l'assuré qui use de cette faculté soit
dispensé de se plier aux exigences légales concernant la forme de ces actes.
En vain voudrait-on détacher des autres clauses de l'acte la disposition
relative à l'attribution du bénéfice de l'assurance pour la considérer en
elle-même comme un acte valable indépendamment de toutes conditions de forme.
Sans doute, la jurisprudence a-t-elle appliqué parfois la théorie dite de la
conversion, suivant laquelle un acte peut
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être tenu pour valable bien que ne répondant pas aux exigences de la loi pour
l'acte que les parties avaient en vue, s'il satisfait à celles d'un autre acte
ayant un but ou un résultat analogues (VON TUHR, I p. 202), mais -
indépendamment de la question de savoir si cette théorie ne devrait pas être
rejetée d'une façon absolue dès qu'il s'agit de dispositions de dernières
volontés, domaine où elle risque de conduire à des solutions contraires aux
intentions du législateur - cette théorie ne saurait être invoquée en l'espèce
à raison de la différence qui sépare une désignation de bénéficiaire, au sens
strict de l'expression, d'une attribution du bénéfice de l'assurance découlant
d'un acte de dernières volontés. Elles ont beau en effet constituer, l'une et
l'autre, un acte unilatéral, être également révocables et aboutir pratiquement
au même résultat, c'est-à-dire à mettre le bénéficiaire en possession de la
somme assurée, elles n'en sont pas moins différentes quant à leur nature et
quant à leurs effets. La désignation d'un bénéficiaire lorsqu'elle est faite
par acte entre vifs est en effet une forme particulière de la stipulation pour
autrui et, aussi bien confère-t-elle au bénéficiaire des droits propres contre
l'assureur dès le moment déjà où elle parvient à la connaissance de ce
dernier. La désignation d'un bénéficiaire, au contraire, lorsqu'elle est faite
dans un acte pour cause de mort, constitue bien, il est vrai, en faveur du
bénéficiaire, un titre spécial, indépendant de sa vocation héréditaire; elle
n'en reste pas moins, dans l'intention même du disposant, une disposition de
dernières volontés, c'est-à-dire une disposition qui ne produira d'effets
qu'au moment de la mort du disposant. On ne voit donc pas de raisons de la
soustraire aux règles légales relatives à la forme de ces actes. Aussi bien,
serait-il inexact de dire que la désignation du bénéficiaire consiste en une
simple déclaration de volonté de la part du disposant; il faut encore, pour
qu'elle sorte des effets, que cette déclaration parvienne à la connaissance de
l'assureur, et si le législateur ne la soumet pas à une forme particulière, si
elle peut même se faire verbalement,
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c'est vraisemblablement parce qu'il a jugé que lorsqu'une déclaration est
adressée par le disposant à l'assureur, verbalement ou par écrit, c'était une
garantie suffisante de la réalité des intentions du premier. Or cette garantie
n'existe pas au même degré lorsque la désignation découle d'un acte pour cause
de mort. Entre le moment où le testateur rédige ses dernières volontés et
celui où le testament est ouvert, il peut se passer un temps considérable;
jusqu'alors son intention peut demeurer secrète, et, si le testament ne répond
pas aux exigences légales, on ne saurait présumer que l'intention exprimée
dans le testament corresponde encore à la volonté du testateur au moment de
l'ouverture du testament.
Il s'ensuit donc en l'espèce que le pseudo-testament de feu Grimm n'a pu
conférer aucun droit aux demandeurs sur le bénéfice des assurances contractées
par le défunt, et que l'attribution dudit bénéfice est exclusivement réglée
par les conditions de la police.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et le jugement attaqué est confirmé.