S. 75 / Nr. 16 Familienrecht (f)

BGE 60 II 75

16. Arrêt de la IIe Section civile du 22 février 1934 dans la cause Goncet
contre Lodynsky.


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Regeste:
1. Avant de décider si un conjoint peut réclamer des aliments à l'autre
conjoint, et de désigner la loi qui règle leurs obligations matrimoniales, on
doit examiner si les parties étaient valablement mariées à l'époque dont il
s'agit in casu.
2. Cette question préjudicielle doit être tranchée en application de la loi
nationale des parties.
3. En droit autrichien le mariage déclaré nul est censé n'avoir jamais existé,
et l'une des parties n'a pas le droit de réclamer à l'autre des aliments pour
la période antérieure au jugement de nullité.
4. L'art. 132 al. 2 CCS n'est pas d'ordre public international.
Art. 132 al. 2, 169, 170 CCS.; 2, 19 Tit. fin. CCS., 7 litt. c, 19 L. f. 1891
s. rapp. de dr. civ.; 83, 93 al. 2, 94 OJF.; § 160 C. civ. autrich.

A. - Valérie-Eugénie Dumonal, divorcée Ycard, veuve Goncet, ressortissante
suisse, a épousé en troisième noces, à Versoix, le 28 mai 1921, Jérôme-Pierre
de Lodyna Lodynsky, citoyen autrichien, qui s'était fait passer pour divorcé,
alors que, en réalité, il n'était que séparé de corps de sa première femme,
Anna-Sidonia, née Meixner.
En 1931, Eugénie née Dumonal a introduit devant les tribunaux autrichiens une
instance en nullité de mariage pour bigamie. Par jugement du 9 avril 1932, le
Tribunal de Vienne a admis la demande et annulé le mariage. Ce jugement a été
confirmé par la Cour d'appel le 24 juin 1932; un pourvoi du défendeur a été
rejeté par la Cour de cassation le 13 octobre de la même année. Le 30 mars
1933, l'annulation a été inscrite en marge de l'acte de mariage sur les
registres de l'état civil de Versoix.

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Entre temps, soit le 24 décembre 1930, Lodynsky avait assigné Eugénie née
Dumonal devant les tribunaux genevois, en concluant à ce qu'il plaise aux
juges prononcer la suspension de la vie commune et condamner la défenderesse à
pourvoir à l'entretien de son époux par le paietent d'une somme de 350 fr. par
mois.
B. - La défenderesse a tout d'abord décliné la compétence des tribunaux
genevois, puis elle a renoncé à cette exception. En revanche elle a conclu à
libération en vertu du droit autrichien, qu'elle estime applicable. Elle
prétend que, n'ayant jamais été valablement mariée, elle ne saurait être tenue
de pourvoir à l'entretien du demandeur.
C. - Dans un jugement préparatoire du 15 juin 1933, le Tribunal genevois de
première instance, estimant la demande fondée dans son principe, a renvoyé la
cause à l'instruction pour déterminer la position financière respective des
parties. Ce jugement est motivé de la façon suivante:
Les art. 169 et 170 CCS sont applicables à toute personne habitant la Suisse,
quelle que soit sa nationalité. Par conséquent les prestations prévues par ces
articles sont dues aussi longtemps que le mariage subsiste au regard de la loi
suisse; or, aux termes de l'art. 132 CCS, le mariage entaché de nullité a,
jusqu'au jugement de nullité, tous les effets d'un mariage valable. En
l'espèce, les effets du mariage ont donc subsisté jusqu'au 13 octobre 1932,
date à laquelle la nullité a été définitivement prononcée par la Cour de
cassation autrichienne. La suspension de la vie commune n'en devait pas moins
être décidée, conformément à l'art. 170 CCS, à partir de l'ouverture du
procès, car le demandeur est atteint d'une jalousie morbide, et d'ailleurs
injustifiée, que seule la séparation d'avec sa femme parvient à calmer. Pour
la durée de cette suspension, Lodynsky a droit, en principe, à des aliments,
conformément à l'art. 170 al. 3; mais ce droit a pris fin le 13 octobre 1932,
terme des effets du mariage déclaré nul.
Statuant le 2 novembre 1933, après une nouvelle enquête, et considérant que le
demandeur n'avait plus aucune

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ressource, tandis que la défenderesse disposait d'un revenu de 6000 fr. par
an, le Tribunal l'a condamnée à verser à son ex-mari, la somme de 125 fr. par
mois pour la période du 22 décembre 1930 au 13 octobre 1932.
D. - Par acte déposé en temps utile, la défenderesse a formé, contre ce
jugement, un recours de droit civil, en concluant au rejet de la demande.
...F. - L'intimé conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du
recours.
Considérant en droit:
1.- ...
2.- Il est vrai que la doctrine admet généralement que, lorsque des conjoints
étrangers sont domiciliés en Suisse, c'est le droit suisse qui règle leurs
obligations alimentaires réciproques (STAUFFER, rem. 7 devant art. 19 L. f.
1891 sur les rapp. de dr. civ.; cf. RO 36 I 316 /17). Mais la question ne
paraît pas avoir jamais été tranchée en jurisprudence, ni même posée en
doctrine, lorsque seul l'époux défendeur habite la Suisse, tandis que l'autre
- celui qui réclame des aliments - est un étranger domicilié à l'étranger.
Toutefois cette question peut ici demeurer ouverte. En effet, avant de
désigner la loi qui règle les obligations matrimoniales des parties, il
convient d'examiner si celles-ci sont mariées (ou, du moins, devaient être
considérées comme telles à l'époque dont il s'agit in casu). Mais cette
question préjudicielle ne peut être examinée en l'espèce qu'à la lumière de la
loi autrichienne, car c'est la loi nationale des parties qui règle la validité
de leur mariage (art. 7 litt. c de la loi fédérale du 25 juin 1891 sur les
rapports de droit civil; art. 59 Tit. fin. CCS).
A moins que les dispositions du droit suisse ne doivent être considérées comme
étant d'ordre public - question qui sera examinée plus bas - on doit donc
constater que les premiers juges ont fait erreur en ce qui concerne la loi
applicable et que le jugement attaqué doit être annulé par ce motif.

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Il n'est toutefois pas nécessaire de renvoyer l'affaire au Tribunal genevois
pour qu'il se prononce à nouveau en application du droit autrichien (art. 93
al. 2 OJF). En effet, comme on va le voir, la solution de ce droit est
évidente et, par conséquent, l'issue du présent procès ne fait aucun doute
(cf. art. 83 OJF applicable au recours de droit civil; art. 94).
D'après la loi autrichienne, il n'y a qu'une seule différence entre le mariage
nul (nichtige Ehe) et le mariage inexistant (Nichtehe), c'est que la nullité
doit être constatée par jugement. Tant qu'elle ne l'a pas été, l'union est
censée valable. Mais, une fois le jugement rendu, le mariage est considéré
comme n'ayant jamais existé (sauf en ce qui concerne la légitimité des enfants
en cas de mariage putatif: § 160 Oest. BGB). Le § 160 dit en effet: «Die
Nichtigerklärung wirkt zurück, die nichtig erklärte Ehe wird als von Anfang an
nicht bestehend behandelt» (cf. MAYR, «Lehrbuch des bürg. Rechts», II p. 28
sq.; EHRENZWEIG, «System des öst. allg. Privatrechts», II/2, p. 67 sq.).
Le droit autrichien va donc encore plus loin, dans ce domaine, que le droit
allemand. En effet, celui-ci attache, dans quelques hypothèses, certains
effets au mariage nul; toutefois il pose en principe que, après la déclaration
de nullité, l'un des époux ne peut réclamer à l'autre des secours pour la
période antérieure au jugement et doit même lui restituer ceux qu'il aurait
perçus (ERG, 104 p. 247; GENSMER, dans «Archiv für Rechts- u.
Wirtschaftsphilosophie», 16 p. 421). Si cette solution vaut pour le droit
allemand, à plus forte raison vaut-elle pour le droit autrichien qui, comme on
vient de le montrer, pousse plus loin encore les conséquences de la force
déclarative et rétroactive du jugement de nullité.
3.- A vrai dire, la solution qui précède peut paraître contraire au texte de
l'art. 132 al. 2 CCS, lequel dispose que, «jusqu'au jugement, le mariage, même
entaché de nullité absolue, a tous les effets d'un mariage valable»

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(cf. cependant RO 60 II 1). Mais, quoi qu'il en soit, cet article ne saurait
prévaloir contre les dispositions de la loi étrangère, dont l'application en
l'espèce résulte des normes suisses sur les conflits de législation; car il
n'est pas d'ordre public international.
Pour qu'on puisse prétendre qu'une règle est d'ordre public international, il
faut qu'elle soit telle que toute disposition contraire apparaisse absolument
inconciliable avec notre sens de la morale et de l'équité (WEBER, «Die Lehre
vom Ordre public international», no. 55; cf. MUTZNER, n. 26 ad art. 2 et BECK,
n. 74 devant art. 59 Tit. fin. CCS). Or ce n'est pas le cas de l'art. 132 al.
2 CCS. Cette disposition s'explique par la grande faveur que le législateur a
accordée aux unions légitimes ou réputées légitimes; mais il paraît difficile
d'affirmer qu'elle soit plus logique, ni même plus morale que la règle
autrichienne, qui dénie tout effet à une union dont le vice fondamental a été
constaté par un jugement. A tout le moins, la solution suisse ne s'impose pas
comme la seule conciliable avec la morale, lorsque l'époux qui l'invoque, pour
en tirer des conclusions alimentaires, a conclu le mariage de mauvaise foi,
soit notamment (comme c'est le cas en l'espèce) alors qu'il se savait ou
devait se savoir bigame.
Bref, Lodynsky ne peut invoquer son mariage déclaré nul pour prétendre à des
prestations de la part d'Eugénie, née Dumonal, pour la période antérieure au
jugement de nullité. En d'autres termes, contrairement à ce qu'ont décidé les
premiers juges, la demande doit être entièrement rejetée, sans qu'il y ait
lieu de se prononcer sur la compétence des tribunaux suisses en l'espèce,
moyen que la recourante avait renoncé à faire valoir en première instance.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis. Le jugement attaqué est annulé, et la demande est
entièrement rejetée.
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 60 II 75
Datum : 01. Januar 1934
Publiziert : 22. Februar 1934
Quelle : Bundesgericht
Status : 60 II 75
Sachgebiet : BGE - Zivilrecht
Gegenstand : 1. Avant de décider si un conjoint peut réclamer des aliments à l'autre conjoint, et de désigner la...


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