S. 421 / Nr. 64 Niederlassungsfreiheit (f)
BGE 60 I 421
64. Arrêt du 23 novembre 1934 dans la cause Graber contre Conseil d'Etat du
canton de Neuchâtel.
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Regeste:
1. Sauf disposition ou décision contraire des lois ou des autorités
cantonales, l'expulsion prononcée sur la base de l'art. 45 al. 3 CF. n'est pas
limitée dans le temps, et le canton qui a prononcé cette expulsion n'est pas
tenu d'admettre à nouveau sur son territoire le citoyen expulsé, après un
certain nombre d'années.
2. Le sauf-conduit temporaire accordé par les autorités neuchâteloises à un
citoyen d'un autre canton, pour lui permettre de fréquenter les foires et
marchés sur le territoire neuchâtelois n'implique pas renonciation à
l'expulsion prononcée antérieurement contre ce citoyen par lesdites autorités.
A. - Emile G., citoyen bernois, né dans le canton de Neuchâtel le 5 juillet
1890, a été condamné, par la Cour d'Assises de Neuchâtel, le 17 mars 1910, à
10 mois d'emprisonnement et à cinq ans de privation des droits civiques, pour
vol avec effraction et pour favorisation de vol. Le 6 mai 1911, il fut de
nouveau condamné, par le Tribunal correctionnel du Locle, à six mois
d'emprisonnement, 20 fr. d'amende et cinq ans de privation des droits
civiques, pour escroquerie.
B. - Par arrêté du 15 mai 1911, le Conseil d'Etat qui, l'année précédente,
avait déjà expulsé G. pour cinq ans, lui a retiré le droit d'établissement
dans le canton de Neuchâtel, pour une durée indéterminée, en application de
l'art. 45 al. 3 CF.
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Depuis cette époque G., qui est domicilié dans le canton de Berne, a entrepris
un commerce et parcourt notamment les foires et marchés pour y écouler sa
marchandise. Il a obtenu du Conseil d'Etat de Neuchâtel plusieurs
sauf-conduits temporaires, afin de pouvoir prendre part aux foires de ce
canton...
En hiver 1933/1934, G. s'est adressé au Conseil d'Etat de Neuchâtel, en lui
demandant de révoquer l'arrêté d'expulsion du 15 mai 1911 et de lui accorder
le droit de libre établissement.
Par arrêté du 27 avril 1934, le Conseil d'Etat a refusé d'accéder à cette
demande.
C.- Par acte déposé le 22 mai 1934, Graber a formé un recours de droit public
au Tribunal fédéral...
Considérant en droit:
1.- Aux termes de l'art. 45 CF, tout citoyen suisse a le droit de s'établir
sur un point quelconque du territoire national, moyennant la production d'un
acte d'origine ou d'une autre pièce analogue. Toutefois, suivant l'alinéa 3,
l'établissement peut être retiré à ceux qui ont été, à réitérées fois, punis
pour des délits graves.
En l'espèce, il n'est pas contesté que les délits qui ont motivé les
condamnations de G. en 1910 et 1911 ne fussent graves, ni que l'expulsion
prononcée contre ce citoyen par les autorités neuchâteloises, le 15 mai 1911,
ne fût justifiée à cette époque.
Depuis lors, le Conseil d'Etat n'est jamais revenu sur cette expulsion par une
décision contraire, prise en bonne et due forme. Et l'on n'a pas allégué qu'il
y soit revenu, en fait, par exemple en tolérant que Graber séjournât sur le
territoire neuchâtelois pendant un temps prolongé. Certes, il lui a accordé
depuis lors de nombreux sauf-conduits. Mais ces autorisations, dont l'effet
est strictement limité dans le temps, ne peuvent en aucune façon être
assimilées à un permis d'établissement; au contraire, le sauf-conduit
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implique une expulsion, et une expulsion maintenue en principe, ainsi qu'il
ressort très clairement du texte même de l'exemplaire qui figure au dossier du
Département cantonal de police.
2.- D'ailleurs, le recourant lui-même ne tire pas argument du fait de ces
sauf-conduits. Il se borne à prétendre qu'un décret d'expulsion prie par une
autorité cantonale dans le cadre de l'art. 45 al. 3 CF ne saurait avoir que
des effets limités dans le temps, et qu'après un certain délai, pendant lequel
le condamné a vécu d'une manière honorable, le Tribunal fédéral devrait avoir
la faculté de contrôler si les motifs qui justifiaient le retrait de
l'établissement subsistent encore et, le cas échéant, contraindre le canton à
admettre de nouveau, sur son territoire et d'une manière permanente, le
citoyen amendé.
A vrai dire, cette manière de voir a été soutenue, avec plus ou moins de
fermeté, par plusieurs auteurs (cf. notamment BURCKHARDT, Commentaire, 3e
édit. p. 405 n. 4; BERTHEAU, die bundesr. Praxis betr. die
Niederlassungsfreiheit, p. 69; LEO WEBER, Gutachten über die Autonomie der
Stadtgemeinde Zürich im Gebiete des Niederlassungsrechts, Zürich 1902, p.
71/73). Mais le Tribunal fédéral a toujours jugé que l'écoulement du temps ne
modifiait pas les conditions d'application de l'art. 45 CF (cf. RO 51 I 120).
C'est donc au droit cantonal à décider si, et dans quelles circonstances, un
individu jadis expulsé, conformément à l'art. 45 al. 3 CF, peut et doit être
réintégré dans le droit de s'établir sur le territoire cantonal. Ni ledit
article, ni aucune autre disposition constitutionnelle n'obligent les cantons
à observer des règles analogues à celles édictées par les lois bâloise et
saint-galloise qui, dans l'intérêt de l'équité, ont soumis les décrets
d'expulsion à une prescription extinctive.
Les critiques qui ont été formulées contre l'expulsion sans limite dans le
temps s'adressent, soit aux cantons qui, dans le cadre de leur souveraineté,
s'en tiennent à une pratique trop rigoureuse, soit à la Constitution fédérale,
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qui ne contient pas de prescriptions à cet égard. En revanche, ces critiques,
fondées ou non, ne peuvent être faites à la jurisprudence précitée, qui est
strictement conforme à la Constitution fédérale, notamment à l'art. 45.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté.