S. 342 / Nr. 52 Doppelbesteuerung (f)
BGE 60 I 342
52. Arrêt du 7 décembre 1934 dans la cause Küffer contre cantons de Neuchâtel
et de Berne.
Regeste:
Si, dans la procédure cantonale de taxation, le contribuable n'a pas contesté
qu'il possède un domicile fiscal dans le canton, ou si l'existence de ce
domicile a été constatée par un arrêt du Tribunal fédéral, le contribuable est
dès lors tenu de fournir
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au fisc cantonal les renseignements concernant l'ensemble de sa fortune et de
son revenu nécessaires pour une taxation conforme à l'art. 46 al. 2 CF.
S'il refuse, le fisc est en droit de le taxer en procédant par voie
d'estimation, d'après les renseignements qui sont en sa possession et le
contribuable n'est dés lors plus fondé à se plaindre de ce que l'impôt ainsi
établi excéderait la part revenant au canton et serait incompatible pour ce
motif avec l'art. 46 al. 2 CF.
Résumé des faits:
A. - Ernest Küffer est domicilié à Anet (canton de Berne) et y exploite un
commerce de vins et de fourrages. En outre, il cultive les vignes dont il est
propriétaire à Anet et à Cortaillod (canton de Neuchâtel). Dans cette dernière
localité il possède un pressoir et une cave où il traite le moût de ses vignes
et celui qu'il achète sur place à des tiers. Après la mise en bouteilles, les
vins sont transportés de Cortaillod dans ses caves à Anet. Les travaux de la
vigne et le traitement du moût sont effectués à Cortaillod par des ouvriers de
l'entreprise dont, suivant le recourant, la plupart habitent Anet et
quelques-uns Cortaillod. Toute l'activité purement commerciale relative au vin
a lieu à Anet, sauf l'achat de moût aux vignerons neuchâtelois et l'expédition
du vin nouveau en automne. Küffer déclare tenir une comptabilité unique pour
les différentes branches de son commerce.
B. - Jusqu'en 1932 Küffer ne fut soumis à l'impôt dans le canton de Neuchâtel
que sur les immeubles dont il est propriétaire à Cortaillod.
Le 12 décembre 1932, le canton de Neuchâtel l'a imposé pour la première fois
d'office pour l'année en cours sur une part de la fortune totale placée dans
l'entreprise et du revenu qu'il en tire. Auparavant déjà, Küffer avait payé
dans le canton de Berne l'impôt pour 1932 sur la fortune et sur un revenu de
première classe (produit du travail).
Il recourut contre la taxation neuchâteloise en demandant notamment la
défalcation des dettes hypothécaires du montant de la fortune et la
suppression de l'impôt sur
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les ressources, en raison des frais importants qu'il avait dû supporter pour
la mise en valeur de ses vignes à Cortaillod et de la mauvaise récolte de
l'année.
C. - Par arrêté du 15 avril 1933, le Département neuchâtelois des finances
rejeta ce recours.
Il constatait que Küffer possédait à Cortaillod des immeubles et des
installations servant à son commerce de vins et qu'il avait dès lors un
domicile fiscal dans le canton de Neuchâtel. Convoqué par l'inspecteur des
contributions en vue de l'examen de son recours, il ne s'était pas présenté.
Ayant été invité par la suite à produire sa comptabilité ou, tout au moins, un
bilan et un compte de profits et pertes, il avait répondu qu'ayant déjà payé
l'impôt au canton de Berne il ne devait rien au canton de Neuchâtel et qu'il
tenait sa comptabilité à la disposition des organes du fisc à son bureau à
Anet. A défaut de pièces comptables, le fisc se trouvait dans l'impossibilité
matérielle de déterminer de manière exacte la part de la fortune et du revenu
du contribuable imposable dans le canton de Neuchâtel selon les principes de
répartition établis par le Tribunal fédéral et la taxation attaquée devait,
partant, être maintenue.
Küffer déféra cet arrêté à la Commission neuchâteloise de recours en matière
fiscale devant laquelle il reprit les arguments présentés au Département des
finances, sans produire toutefois des pièces comptables à l'appui de ses
conclusions.
D. - Par décision du 27 février 1934, la Commission neuchâteloise de recours a
maintenu l'arrêté du Département cantonal des finances en adaptant les motifs
de ce dernier. La taxation, déclarait-elle, n'avait pas pu être établie
d'après le système des facteurs de production en raison de l'attitude de
Küffer, qui n'avait pas soumis au fisc les éléments nécessaires.
E. - Küffer a interjeté en temps utile un recours de droit public tendant à ce
que le Tribunal fédéral annule la décision prise le 27 février 1934 par la
Commission
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neuchâteloise de recours au sujet de l'impôt de 1932. Le recourant invoque
l'art. 46 al. 2 CF et fait valoir qu'il exerce toute son activité commerciale
à Anet, tandis qu'à Cortaillod il se borne à cultiver ses vignes et à traiter
le moût. Il ne peut être imposé dans le canton de Neuchâtel que sur ceux de
ses immeubles qui sont situés dans ce canton. Au cas où cette manière de voir
ne serait pas admise, il demande que le Tribunal fédéral fixe la quote-part de
la fortune et du revenu imposable dans chaque canton et condamne le canton de
Berne et la commune d'Anet à lui rembourser les sommes perçues en trop pour
1932. Pour cette année, dit-il, il avait en effet payé dans le canton de Berne
l'impôt sur la totalité de sa fortune et de son revenu, à l'exception des
immeubles situés à Cortaillod.
F. - Le Conseil d'Etat de Neuchâtel et la Commission neuchâteloise de recours
ont conclu au rejet du recours en tant qu'il est dirigé contre le prononcé de
cette dernière.
Il ressort de la réponse du Conseil d'Etat que la fortune imposable dans le
canton de Neuchâtel a été déterminée en tenant compte de l'estimation
cadastrale des immeubles situés à Cortaillod et de la valeur du matériel
nécessaire à l'encavage des moûts et des marchandises en cave au er janvier de
chaque année.
G. - Le Conseil d'Etat du canton de Berne conclut au rejet du recours en tant
qu'il demande le remboursement des impôts payés au fisc bernois. Il reconnaît
que le recourant possède des installations permanentes à Cortaillod et qu'il
est partant soumis à la souveraineté fiscale neuchâteloise sur une partie de
sa fortune et du revenu qu'il tire du commerce des vins. Pour calculer la part
de chaque canton, des renseignements plus précis seraient toutefois
nécessaires sur certains points. Or ces renseignements n'ont pas été fournis
par le recourant. Quoi qu'il en soit à cet égard, la demande de remboursement
dirigée contre Berne ne saurait être admise, rien n'autorisant en l'espèce à
admettre que l'impôt bernois ait été prélevé aussi sur
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la fortune et sur le revenu imposables dans le canton de Neuchâtel. Le fisc
bernois avait en effet ignoré jusqu'alors que le contribuable exerçait son
activité aussi hors du canton et n'avait pas tenu compte de ce fait dans la
taxation.
Considérant en droit:
1.- ...
2.- Celui qui possède un domicile fiscal secondaire dans un canton est de ce
fait soumis à la procédure de taxation de ce canton. S'il y est invité par le
fisc, il a partant l'obligation de s'expliquer non seulement sur l'activité
déployée dans le canton même, mais aussi de fournir les renseignements et les
pièces justificatives concernant l'ensemble de son entreprise, dans la mesure
où ces éléments d'appréciation sont nécessaires à la détermination de la
fortune et du revenu imposables dans le canton. S'il refuse, le fisc est en
droit de le taxer en procédant par voie d'estimation, d'après les
renseignements qui sont en sa possession, et le contribuable n'est dès lors
plus fondé à se plaindre de ce que l'impôt établi de cette manière excéderait
la part revenant au canton en question et serait, pour ce motif, contraire à
l'art. 46 al. 2 CF. Le Tribunal fédéral s'est déjà prononcé à plusieurs
reprises en ce sens (cf. RO 53 I p. 459 et 461 in fine, ainsi que les arrêts
non publiés Terlinden & Cie du 16 mai 1917, Verband der Genossenschaften
Konkordia du 11 avril 1924, A.-G. Delsam du 27 décembre 1927).
Il a aussi constamment appliqué le même principe au contribuable propriétaire
d'un immeuble situé hors du canton de son domicile, en refusant d'astreindre
le canton sur le territoire duquel l'immeuble est situé à la défalcation d'une
partie proportiennelle des dettes du contribuable, lorsque ce dernier avait
omis de fournir au fisc cantonal les renseignements et les preuves concernant
le montant de la fortune totale et la réalité des dettes dont il se prévalait
(cf. RO 41 I p. 122; 50 I p. 41 et l'arrêt non publié Stürchler c.
Bâle-Campagne du 22 décembre 1933).
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La déchéance en question suppose toutefois que, dans la procédure cantonale,
l'existence d'un domicile fiscal dans le canton n'ait pas été contestée par le
recourant, ou qu'elle ait déjà été constatée par un arrêt du Tribunal fédéral.
Sauf dans ce dernier cas, l'on ne saurait en effet exiger du recourant, qui
conteste l'existence d'un domicile fiscal, qu'il fournisse des renseignements
sur le montant de sa fortune et de ses ressources avant même qu'ait été
tranchée la question de principe de l'assujettissement à la souveraineté
fiscale cantonale. En outre, il appartient au Tribunal fédéral de rechercher
si les renseignements exigés ne dépassaient pas la mesure de ce qui était
nécessaire pour une taxation conforme aux règles fédérales de répartition.
Enfin, il est évident que l'autorité cantonale ne saurait se prévaloir de la
carence du contribuable pour justifier une taxation manifestement insoutenable
déjà en regard des renseignements dont elle disposait (cf. l'arrêt non publié
Fabrique suisse des balanciers c. Berne, du 8 juin 1923).
3.- Contrairement à ce qu'il a fait dans le recours de droit public, le
recourant n'a pas contesté en principe, dans la procédure cantonale, le droit
du canton de Neuchâtel de l'imposer sur une part de sa fortune totale et de
son revenu. Il s'y est borné à critiquer le montant exigé et à faire valoir
qu'ayant payé l'impôt intégral pour 1932 au fisc bernois, le canton de
Neuchâtel devait s'adresser pour cette année à l'autorité bernoise.
Dès lors, le recourant était aussi tenu de fournir au fisc neuchâtelois les
renseignements et les pièces justificatives nécessaires pour une taxation
exacte. Or il résulte d'une constatation faite par le Département neuchâtelois
des finances dans la décision du 15 avril 1933, constatation dont l'exactitude
n'a pas été contestée, qu'ayant été invité à produire sa comptabilité, ou tout
au moins un bilan et un compte de profits et pertes, le recourant n'a soumis
ces pièces ni au Département ni, par la suite, à la Commission cantonale de
recours et qu'il a subordonné
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l'examen de ses livres à la condition qu'il eût lieu à Anet. Or le canton de
Neuchâtel n'était pas tenu d'accepter cette condition. En l'espèce, sa demande
de documentation n'était nullement exorbitante. Enfin, l'on ne saurait
affirmer que, à la lumière des faits connus du fisc neuchâtelois, la taxation
décidée par ce dernier dépasserait manifestement la part pouvant
raisonnablement revenir au canton de Neuchâtel. Pour la fortune, l'impôt a en
effet été calculé sur des biens (les immeubles et les installations situés à
Cortaillod) dont l'assujettissement à la souveraineté fiscale neuchâteloise
n'est pas douteux, ou apparaît tout au moins soutenable (les marchandises en
cave au 1er janvier). Pour le revenu, il porte sur le tiers du revenu total
attribué au contribuable. Cette proportion correspond à celle proposée par le
recourant lui-même dans son mémoire du 15 décembre 1933 au Département
neuchâtelois des finances. Le fait que le canton de Berne n'avait estimé qu'à
... fr. le revenu total pour 1932 ne lie pas le fisc neuchâtelois. D'autre
part, le recourant n'a pas démontré que l'estimation de ce dernier serait
arbitraire. Quant à la défalcation proportionnelle des dettes du montant des
actifs situés sur territoire neuchâtelois, le recourant n'y a pas droit, en
vertu de la jurisprudence susmentionnée, n'ayant fourni aucun renseignement
sur le montant de la fortune placée hors de ce canton.
4.- Il résulte des considérants qui précèdent qu'en ne fournissant pas au fisc
neuchâtelois les éléments d'appréciation nécessaires à la détermination de
l'impôt, le recourant a perdu le droit d'attaquer ce dernier comme contraire à
l'art. 46 al. 2 CF en raison de son montant trop élevé. Dés lors les
conclusions du recours tendant au remboursement d'une partie des impôts payés
pour 1932 dans le canton de Berne doivent également être rejetées, le montant
des sommes à restituer éventuellement ne pouvant pas être fixé tant que
l'étendue du droit d'imposition du canton de Neuchâtel n'aura pas été
déterminée de manière exacte. Pour 1932, là taxation bernoise ne peut d'autre
part plus
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être attaquée indépendamment de la taxation neuchâteloise, le délai de recours
prévu à l'art. 178 OJ étant échu depuis longtemps à l'égard du canton de
Berne.
5.- ...
Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours.