S. 244 / Nr. 52 Erbrecht (f)

BGE 59 II 344

52. Extrait de l'arrêt de la IIme Section civile du 28 septembre 1933 dans la
cause Brauen contre P.


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Regeste:
L'exécuteur testamentaire n'a pas qualité, même en vertu d'une clause expresse
du testament, pour former une demande en interdiction contre un héritier.

A. - Dame L.-P. est décédée le 30 octobre 1932. Par testament du 26 juin 1922,
elle avait institué comme héritiers son fils M. P. pour les 3/4 et ses
petits-enfants, soit les enfants du prénommé, pour le solde de la succession.
Elle désignait Me Numa Brauen, notaire à Neuchâtel, comme exécuteur
testamentaire et demandait en outre à l'autorité tutélaire de nommer ce
dernier curateur des biens qui reviendraient à ses petits-enfants. Enfin elle
priait son fils lui-même de consentir à ce que les biens qu'elle lui laissait
fussent également gérés par un curateur. Aux termes d'un acte du même jour,
joint au testament et intitulé: «Instructions données à mon exécuteur
testamentaire en ce qui concerne les biens qui reviendront a mon fils M. P.»,
elle déclarait: «Si M. refuse de soumettre l'administration de ses biens à un
curateur qui sera nommé par l'autorité tutélaire, je prie mon exécuteur
testamentaire d'introduire une action en interdiction contre mon fils M. P. en
raison de la mauvaise gestion de ses affaires...» Elle ajoutait que le
prénommé avait dépensé une somme de 100000 fr. d'une manière qu'elle jugeait
inconsidérée et qu'elle le croyait «incapable d'administrer une fortune un peu
importante sans s'exposer lui et les siens, à subir les conséquences de sa
mauvaise administration».
B. - M. P. ayant refusé de consentir à la curatelle prévue au testament, le
notaire Brauen, en sa qualité

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d'exécuteur testamentaire et se prévalant du mandat donné par la testatrice, a
introduit une instance en interdiction contre le prénommé devant l'autorité
tutélaire de La Chaux-de-Fonds.
M. P. a conclu préjudiciellement au rejet de la demande, en contestant au
demandeur la qualité voulue pour agir en l'occurrence.
Par jugement du 21 juin 1933, l'autorité tutélaire de La Chaux-de-Fonds a
admis que le demandeur, en sa qualité d'exécuteur testamentaire, était
recevable à conclure à l'interdiction du défendeur M. P.
Sur recours de ce dernier, le Tribunal cantonal de Neuchâtel, relevant le fait
que l'exécuteur testamentaire ne rentrait pas dans le cercle des personnes que
l'art. 30 de la loi cantonale d'introduction du code civil suisse considère
comme habiles à former une demande en interdiction, a dénié au demandeur le
droit de conclure à l'interdiction de M. P.
Le demandeur a formé contre l'arrêt du Tribunal cantonal un recours de droit
civil. Il conclut à l'annulation de cet arrêt et à la confirmation du jugement
de l'autorité tutélaire.
Considérant en droit:
C'est en vain tout d'abord que le recourant entendrait faire découler ce droit
(le droit de demander l'interdiction d'un héritier) de sa qualité d'exécuteur
testamentaire. Que l'exécuteur testamentaire tienne de son mandat des pouvoirs
qui lui sont propres, cela n'est pas douteux, et il est vrai aussi que la
jurisprudence lui a reconnu le droit d'ester en justice en cette qualité et de
son chef. Mais encore faut-il qu'il agisse dans l'intérêt de la succession, ce
qui n'est pas le cas d'une demande tendant à l'interdiction d'un héritier.
L'interdiction d'un héritier est en réalité sans rapport avec la sauvegarde
des intérêts de la succession. Elle ne saurait être invoquée pour assurer la

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conservation des biens qui composent la succession. Tout au plus
servirait-elle à sauvegarder la part de l'héritier. Mais c'est là un soin qui
excède les pouvoirs de l'exécuteur testamentaire. Celui-ci doit se borner à
veiller à ce que les biens reviennent à ceux auxquels ils sont destinés selon
la loi et les volontés du testateur et n'a pas à se préoccuper de ce qu'il
peut advenir des biens après leur remise aux ayants droit. Il pourra se faire
sans doute que l'exécuteur testamentaire ait à assurer le transfert des biens
d'un héritier à un autre (à l'appelé, par exemple) ou l'accomplissement de
certaines charges et conditions; mais c'est alors à d'autres mesures qu'il y
aura lieu de recourir, et tel n'est d'ailleurs pas le cas en l'espèce.
Le fait, d'autre part, que Dame L.-P. a expressément chargé le recourant de
demander l'interdiction de son fils si celui-ci ne consentait pas à ce que les
biens qu'elle lui laissait fussent gérés par un curateur importe peu. Une
mesure de ce genre ne saurait être prise dans la forme de dispositions à cause
de mort, car elle ne touche pas seulement aux biens, mais à la personnalité
même de celui qui en est l'objet. Si Dame L.-P. était sans doute en droit de
subordonner la délivrance à telle ou telle condition qui lui aurait paru
utile, pourvu qu'elle fût compatible avec les règles relatives à la réserve,
en revanche il ne lui appartenait pas de prescrire qui que ce soit
d'intervenir en son nom et après sa mort dans le domaine des intérêts
personnels de son fils. Supposé qu'elle eût eu le droit de demander
l'interdiction de son fils de son vivant, ce droit s'est en tout cas éteint à
sa mort et ne pouvait être transmis à l'exécuteur testamentaire.
Le Tribunal fédéral prononce
Le recours est rejeté.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 59 II 344
Date : 01. Januar 1932
Publié : 28. September 1933
Source : Bundesgericht
Statut : 59 II 344
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : L'exécuteur testamentaire n'a pas qualité, même en vertu d'une clause expresse du testament, pour...


Répertoire ATF
59-II-344
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
autorité tutélaire • curateur • petits-enfants • tribunal cantonal • notaire • doute • décision • rejet de la demande • neuchâtel • intérêt personnel • tribunal fédéral • droit civil • action en interdiction • ayant droit • code civil suisse