S. 190 / Nr. 32 Familienrecht (f)
BGE 58 II 190
32. Arrêt de la IIe Section civile de 17 juin 1932 dans la cause Dame Brignoli
contre Brignoli.
Regeste:
Les tribunaux suisses sont compétents pour prononcer la séparation de corps
entre des époux italiens (art. 7 h de la loi fédérale du 25 juin 1891 sur les
rapports de droit civil des citoyens établis ou en séjour).
A. - Elisa Brignoli née Amaudruz a ouvert action en séparation de corps et de
biens et conclu en outre à ce que son mari fût condamné à lui payer une
pension alimentaire dont le montant serait fixé par le Tribunal.
Brignoli a conclu au rejet des conclusions de la demande et
reconventionnellement à ce que la séparation de coprs fût prononcée aux torts
exclusifs de la demanderesse, celle-ci étant d'autre part condamnée à lui
restituer certains meubles et à lui verser une indemnité de 1000 francs.
Par jugement du 12 novembre 1931, le Tribunal civil du district de Vevey a
écarté la demande pour cause d'incompétence. Se référant à l'arrêt rendu par
le Tribunal fédéral dans la cause Alladio (RO 57 II p. 241), il a jugé que les
parties n'avaient pas rapporté la preuve que les
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lois ou la jurisprudence italiennes reconnaissent la compétence des tribunaux
suisses pour prononcer la séparation de corps entre époux italiens.
La demanderesse a recouru en réforme en concluant à ce qu'il plaise au
Tribunal fédéral annuler le jugement et renvoyer la cause devant le même
Tribunal pour qu'il se prononce sur le fond.
Elle a produit une lettre de la Division de Justice du Département fédéral de
Justice et Police du 10 mars 1932, où il est dit notamment: «Les recherches
effectuées très soigneusement n'ont permis de découvrir ni dans la
jurisprudence, ni dans la doctrine aucun élément permettant de supposer qu'à
la suite des accords du Latran une orientation nouvelle de la jurisprudence
italienne puisse se produire en ce qui concerne la reconnaissance de la
juridiction suisse en matière de séparation de corps d'époux italiens
domiciliés en Suisse». Cette communication est accompagnée de consultations
émanant des avocats-conseils de la Légation de Suisse à Rome, du Consulat de
Suisse à Milan et du Consulat de Suisse à Gênes ainsi que de divers arrêts
rendus par des Cours italiennes.
Considérant en droit:
L'art. 7 h de la loi de 1891 sur les rapports de droit civil des citoyens
établis ou en séjour subordonne la compétence des tribunaux suisses en matière
de divorce ou de séparation de corps d'époux étrangers à la condition
notamment que la loi ou la jurisprudence du pays d'origine de l'époux
demandeur reconnaissance la juridiction suisse. Si la loi ou la jurisprudence
du pays d'origine réserve la juridiction nationale, il va de soi, par
conséquent, que, de même que sous l'empire de la convention de La Haye du 12
juin 1902, les tribunaux suisses doivent se déclarer incompétents.
Il n'est pas douteux que, jusqu'à la conclusion du concordat intervenu entre
le Saint-Siège et l'Italie, le 11 février
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1929, la jurisprudence italienne, dans le silence des lois, n'admît, avec la
grande majorité des auteurs, la compétence des tribunaux étrangers pour
prononcer la séparation de corps d'époux italiens, de même, réciproquement,
qu'elle reconnaissait aux tribunaux italiens le droit de prononcer la
séparation de corps entre époux étrangers (Feuille fédérale 1907 4 p.1024 et
suiv., FIORE, Diritto internazionale privato, 2e édition II p. 156; RO 40 II
p. 305; 44 II p. 2; ALEXANDER, Schweiz. Jur. Zeit. 25 p. 197/198; SAUSER-HALL,
Schweiz. Jur. Zeit. 29 p. 141 et suiv., PERASSI, Rivista di diritto
internazionale, année XXIV). Ainsi que le Tribunal fédéral l'a relevé dans son
arrêt du 22 mai 1931 en la cause Alladio, le concordat conclu entre le
Saint-Siège et l'Italie était de nature à faire naître certains doutes sur le
maintien de la jurisprudence antérieure. Bien que le dernier alinéa de l'art.
34 réserve expressément la compétence de la juridiction civile en matière de
séparation de corps, on pouvait se demander si les modifications apportées par
le concordat au droit matrimonial n'exerceraient pas indirectement une
influence sur la manière dont les tribunaux italiens avaient jusqu'alors
envisagé le problème de la compétence des tribunaux étrangers relativement aux
demandes en séparation de corps formées par des époux italiens.
En présence des documents produits par la recourante, on peut dire que ces
doutes sont actuellement levés. Les décisions de Cours italiennes dont la
recourante fait état n'ont trait, il est vrai, qu'à des jugements rendus par
des tribunaux suisses en matière d'annulation de mariage, mais il n'est aucune
raison de supposer que les tribunaux italiens n'appliqueraient pas les mêmes
principes en matière de séparation de corps. Cette opinion est partagée par
Perassi dans l'étude qu'il a consacrée à la question (loc. cit.). Il affirme,
sur la base d'arrêts rendus en matière d'annulation de mariage, que la
jurisprudence italienne, même après la conclusion du concordat, persiste à
considérer qu'il n'existe aucune règle de droit italien réservant à la
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juridiction nationale la connaissance des questions relatives aux rapports de
famille des citoyens italiens.
Il convient d'ailleurs de relever que même en matière d'annulation de mariage,
la compétence des autorités ecclésiastiques est loin d'être absolue; il y a
des cas pour lesquels les tribunaux civils sont restés exclusivement
compétents et d'autres où ceux-ci ont à revoir les décisions des susdites
autorités, du point de vue de leur conformité avec les règles du droit civil
(cf. SAUSER-HALL, loc. cit. p. 144 B et arrêt de la Cour de cassation du 22
juillet 1930 dans la cause Testa c. Rosasco, ainsi que les sentences citées
par Perassi).
Dans ces conditions et à l'inverse du cas Alladio, il faut admettre que la
recourante a rapporté la preuve qui lui incombait, et il se justifie par
conséquent de faire droit aux conclusions du recours.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis. En conséquence, le jugement rendu par le Tribunal civil
du district de Vevey, le 12 novembre 1931, est annulé et la cause renvoyée au
même Tribunal pour qu'il statue sur le fond.