S. 183 / Nr. 31 Familienrecht (f)

BGE 58 II 183

31. Arrêt de la IIe Section civile du 26 mai 1932 dans la cause Dame Sauthier
contre Sauthier.


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Regeste:
Les tribunaux suisses sont compétents pour prononcer le divorce et la
séparation de corps entre époux français domiciliés en Suisse, dans le cas du
moins où leur compétence n'a pas été contestée par les parties.
L'art. 7 h de la loi fédérale du 25 juin 1891 n'exige pas que la cause du
divorce invoquée devant le juge suisse constitue également une cause de
divorce d'après la loi nationale des époux. Il suffit que le divorce (ou la
séparation de corps) puisse être accordé par la loi nationale et par la loi
suisse, encore que ce soit pour des causes différentes.

A. - Les époux Sauthier, de nationalité française, se sont mariés à Genève, le
11 juillet 1914. Une enfant, Berthe, est née de cette union, le 19 mars 1915.
Par exploit du 27 février 1930, Sauthier a ouvert action en divorce, en
concluant en outre à ce que l'exercice de la puissance paternelle sur sa fille
lui fût confié. Il alléguait que de graves dissentiments s'étaient élevés
entre les époux: Dame Sauthier avait un caractère pénible; elle ne cessait de
faire des scènes à son mari; elle l'injuriait grossièrement, le menaçait,
négligeait son intérieur et ruinait son autorité sur son enfant. Il faisait
enfin état d'une procédure pénale ouverte par sa femme contre lui, pour
abandon de famille et qui s'était, prétendait-il, révélée sans fondement.
Dame Sauthier s'est opposée au divorce, et, reconventionnellement, a formé une
demande en séparation de corps en réclamant la garde de son enfant ainsi
qu'une pension

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de 150 francs, tant à titre de pension alimentaire pour elle-même qu'à titre
de part contributive à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Elle
soutenait que le demandeur avait manqué à ses devoirs envers sa famille; qu'il
l'avait laissée dans le dénuement et la misère. A la suite d'une plainte
pénale, déposée par la défenderesse, le demandeur avait été condamné à 5 jours
d'emprisonnement par le Tribunal de police. Il ne s'était pas acquitté de la
pension à laquelle il avait été condamné. La défenderesse avait dû quitter le
domicile conjugal pour échapper aux brutalités de son mari. Ce dernier est un
ivrogne invétéré qui frappait journellement sa femme et menaçait son enfant.
B. - Par jugement du 24 avril 1931, le Tribunal de première instance de Genève
a prononcé la séparation de corps pour une durée indéterminée, aux torts et
griefs de Sauthier et en application des art. 231 du code civil français et
142 du code civil suisse. Il a confié à Dame Sauthier l'exercice de la
puissance paternelle sur sa fille, réglé le droit de visite en ce sens que
Sauthier aurait le droit de voir sa fille une après-midi par quinzaine de 14 à
18 heures, tantôt le samedi tantôt le dimanche, condamné Sauthier à payer à
titre de part contributive à l'entretien de sa femme la somme de 60 francs par
mois et d'avance, condamné Sauthier à payer à la défenderesse pour sa part à
l'entretien de sa fille la somme de 40 francs par mois et d'avance jusqu'à ce
qu'elle ait atteint l'âge de dix-huit ans révolus, débouté les parties du
surplus de leurs conclusions et compensé les dépens.
Le Tribunal a estimé que tandis que le demandeur avait échoué dans la preuve
qu'il avait offerte, la défenderesse avait justifié d'une cause de divorce
tant au regard de l'art. 231 du code civil français qu'au regard de l'art 142
du code civil suisse. Il a considéré comme constant que Sauthier cherchait des
querellés à sa femme, qu'il lui arrivait de rentrer en état d'ivresse à la
maison et qu'il se montrait alors brutal avec la défenderesse. Il relevait en

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outre que le demandeur avait déménagé son mobilier un jour que Dame Sauthier
était en traitement hors de chez elle.
C. - Sur appel du demandeur, la Cour de Justice civile de Genève a, par arrêt
du 29 janvier 1932, confirmé ce jugement en tant qu'il avait débouté Sauthier
de ses conclusions et compensé entre les parties les dépens de première
instance. Le réformant pour le surplus, il a également débouté la défenderesse
de toutes ses conclusions et compensé les dépens d'appel.
Cet arrêt est motivé en résumé comme il suit: Comme il n'a pas été articulé
que l'un ou l'autre des époux se soit rendu coupable d'adultère ou ait encouru
une condamnation infamante, seuls pourraient être applicables les articles 138
du code civil suisse et 231 du code civil français qui visent les atteintes à
la vie, excès, sévices et injures graves. C'est donc à tort que le Tribunal de
première instance a appliqué l'art. 142 du code civil suisse qui n'a pas son
correspondant dans le code civil français. Il y a lieu d'admettre que le
demandeur n'a pas rapporté la preuve qui lui incombait et que sa demande en
divorce est par conséquent mal fondée. Les faits qui ont été rapportés par
certains témoins, à savoir que la défenderesse faisait des «histoires», et
n'avait pas bon caractère, qu'elle aurait un jour jeté par terre les effets de
son mari, que les époux se querellaient au sujet de l'éducation de leur fille
et que leurs opinions religieuses ne s'accordaient pas, ne constituent pas des
excès, des sévices ou des injures graves. La scène rapportée par le témoin
Rosset, qui a déclaré que la détenderesse avait injurié un jour son mari et
tenu des propos obcènes devant sa fille, s'est passée vers la fin de 1928 et
le droit que le demandeur pouvait en tirer est par conséquent prescrit. Quant
aux faits allégués par la défenderesse à l'appui de sa demande en séparation
de corps. ou ils Sont prescrits, ou ils ne présentent pas un caractère de
gravité suffisant pour justifier ses conclusions. Suivant le témoin Golay,
Sauthier a, pendant la maladie de sa

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femme, déménagé tous les meubles de l'appartement. Ce procédé, quoique
répréhensible, n'est cependant pas suffisamment grave pour tomber sous le coup
des art. 138 et 231 susvisés. Il est exact, d'autre part, que Sauthier cherche
des querelles à sa femme, qu'il l'a un jour menacée avec un revolver chargé et
qu'il est rentré chez lui à diverses reprises en état d'ébriété (témoignage
Chatel). Mais ces faits, si blâmables qu'ils puissent être, ne paraissent pas
suffisants pour légitimer une mesure aussi grave qu'une séparation de corps.
Dame Sauthier a recouru en réforme en reprenant ses conclusions.
Sauthier s'est joint au recours en concluant de nouveau au divorce et en
demandant l'attribution de la puissance paternelle sur sa fille.
Considérant en droit:
1.- Le premier point à trancher, encore qu'il n'ait pas été discuté devant la
Cour cantonale, est celui de savoir si les tribunaux suisses sont compétents
pour connaître de la présente action, l'art. 7 h al. 1 de la loi fédérale du
25 juin 1891 sur les rapports de droit civil des citoyens établis ou en séjour
(cf. Tit. fin. du CCS), qui régit la matière depuis la dénonciation de la
Convention de la Haye, subordonnant en effet la recevabilité des actions en
divorce formée par des époux étrangers à la condition que les lois ou la
jurisprudence nationales des conjoints reconnaissent la juridiction suisse.
Dans un arrêt du 28 juin 1928 (affaire Motard, RO 43 II, p. 276 et suiv.; cf.
cependant ibid. 50 I, p. 43), le Tribunal fédéral posait en principe que les
tribunaux suisses étaient incompétents pour connaître de demandes en divorce
formées par des époux français. Cette décision se fondait essentiellement sur
l'impossibilité où l'on se trouvait à l'époque d'affirmer que la jurisprudence
française reconnaissait la compétence des tribunaux suisses en la matière. En
présence des justifications apportées depuis lors devant

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les tribunaux cantonaux, il n'y a plus de raison de maintenir cette
jurisprudence.
Au double point de vue auquel se plaçait le Tribunal fédéral dans l'arrêt
Motard, c'est-à-dire tant en ce qui concerne la compétence des tribunaux
suisses pour connaître de demandes en divorce d'époux français domiciliés en
Suisse, qu'en ce qui concerne la compétence des tribunaux français pour
connaître de demandes en divorce d'époux suisses domiciliés en France, on peut
dire que la preuve exigée par le Tribunal fédéral est actuellement rapportée,
tout au moins dans les cas où, comme en l'espèce, ni l'une ni l'autre des
parties n'a contesté la compétence des tribunaux suisses.
Dans son étude parue dans le Journal des tribunaux (1925, p. 440), le
professeur Secretan a mentionné, en effet, toute une série de décisions de
tribunaux français accordant l'exequatur à des jugements de tribunaux suisses
prononçant le divorce d'époux français depuis la dénonciation de la Convention
de la Haye. Une décision nouvelle dans le même sens a été signalée dans le
Journal des tribunaux du 15 mars 1928 (p. 130). On peut inférer de ces
décisions que dans l'hypothèse visée ci-dessus, c'est-à-dire lorsque les
parties sont d'accord pour porter le litige devant les tribunaux suisses, les
tribunaux français reconnaissent actuellement sans difficulté le droit pour
les tribunaux suisses de prononcer le divorce d'époux français. Mais il y a
même plus: Dans son arrêt Motard, le Tribunal fédéral avait, ainsi qu'on vient
de le dire, argumenté également de certaines décisions de cours françaises se
déclarant incompétentes pour connaître de demandes en divorce formées par des
époux suisses domiciliés en France. Si, disait-on, les tribunaux français
dénient leur compétence pour connaître de demandes en divorce formées par des
Suisses domiciliés en France, on peut supposer qu'en application des mêmes
principes les tribunaux français ne reconnaîtraient pas la compétence des
tribunaux suisses en matière de divorce d'époux français. Or une décision
d'une Cour

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d'appel, sanctionnée par la Cour de cassation (cf. Journal des Tribunaux 1928,
p. 130 et Journal de droit international 1927, p. 388) prouve que les
tribunaux français s'estiment également compétents pour divorcer des époux
suisses en France.
2.- S'il est exact, ainsi que le relève la Cour de Justice civile, qu'en
présence de l'art. 7 h al. 1 de la loi fédérale du 25 juin 1891 sur les
rapports de droit civil des citoyens établis ou en séjour, il appartenait aux
parties de justifier de l'existence d'une cause de divorce ou de séparation de
corps tant au regard du droit français qu'au regard du droit suisse, c'est à
tort toutefois que la Cour a jugé qu'il fallait en outre que cette cause fût
commune aux deux législations. Comme il a été déjà relevé (RO 38 II p. 48
consid. 3), en dépit des apparences, l'art. 7 h n'exige pas que la cause de
divorce ou de séparation de corps invoquée devant le juge du lieu où la
demande est formée constitue également une cause de divorce ou de séparation
suivant la loi nationale des époux; il doit s'interpréter dans le même sens
que l'art. 2 de la Convention de la Haye du 12 juin 1902, qui tout en posant
le principe que le divorce devait être admis par les deux législations,
prévoyait expressément qu'il pouvait l'être pour des causes qui ne fussent pas
identiques dans l'une et l'autre. Le fait, par conséquent que la disposition
de l'art. 142 du code civil suisse n'a pas d'équivalent en droit français
n'autorisait pas le juge suisse à refuser le divorce ou la séparation de corps
si, les conditions d'application de cet article étant réalisées, les griefs de
l'une ou l'autre partie constituaient par ailleurs une cause de divorce ou de
séparation en droit français.
La Cour de Justice a estimé que le demandeur n'avait pas rapporté la preuve
qui lui incombait. En tant qu'il s'agit de la preuve d'une cause déterminée de
divorce, le Tribunal fédéral ne peut que se ranger à cette manière de voir.
Sans doute, les faits articulés par le demandeur démontrent-ils que les époux
ne vivent plus, depuis un

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certain temps déjà, en bonne intelligence, mais si l'on compare leurs griefs
respectifs, on doit convenir que cette situation est principalement imputable
au demandeur dont l'attitude envers la défenderesse témoignait d'une
méconnaissance complète de ses devoirs d'époux. Il n'est donc pas douteux que
même au regard de l'art. 142 Cc, l'action du demandeur devait être rejetée, et
il en est par conséquent de même de son recours.
Quant au recours de la défenderesse, son mérite dépend, ainsi qu'on l'a dit,
de la question de savoir si les faits retenus par la Cour constituent une
cause de séparation en droit suisse comme en droit français. Bien que cette
question relève en partie du droit étranger, elle n'en rentre pas moins, en
vertu même de l'art. 7 h de la loi de 1891, dans la compétence du Tribunal
fédéral (cf. RO 43 II, p. 283). Or s'il est vrai que les scènes rapportées par
les témoins Golay et Chatel et dont la Cour a admis la réalité ne peuvent être
considérées comme constitutives de l'injure visée par l'art. 138 du code civil
suisse, on ne saurait en dire autant de l'injure prévue à l'art. 231 du code
civil français. Il est constant, en effet, que la jurisprudence française
interprète l'art. 231 d'une manière très extensive et qu'elle assimile à
l'injure grave toute violation des devoirs découlant du mariage, de même que
toute attitude, conduite, tous faits outrageants ou blessants pour l'un des
conjoints (cf. Josserand, Cours de droit civil positif français, T.I., No 919;
Planiol et Rippert, Traité pratique de droit civil français, T.II.No 604; cf.
également RO 43 II p. 283). Il n'est donc pas contestable que la défenderesse
ne fût fondée à s'autoriser de l'art. 231 du code civil français. Mais il en
est de même de l'art. 142 du code civil suisse. Il ressort, en effet, de
l'ensemble des circonstances de la cause que le lien conjugal est si
profondément atteint que la vie commune est devenue insupportable. Comme la
désunion est surtout imputable au mari, la défenderesse était certainement en
droit de conclure à

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la séparation de corps, qui doit être prononcée en l'espèce sans égard à la
question de savoir si la réconciliation- évidemment désirable - est ou non
probable.
Quant aux autres conclusions de la défenderesse, elles apparaissent également
comme fondées. A cet égard le Tribunal fédéral ne peut que se rallier aux
motifs et aux décisions du Tribunal de première instance.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours par voie de jonction est rejeté' Le recours principal est admis et
l'arrêt attaqué est réformé en ce sens: 1° que la séparation de corps est
prononcée pour un temps indéterminé aux torts du demandeur, etc.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 58 II 183
Date : 01 janvier 1931
Publié : 26 mai 1932
Source : Tribunal fédéral
Statut : 58 II 183
Domaine : ATF - Droit civil
Objet : Les tribunaux suisses sont compétents pour prononcer le divorce et la séparation de corps entre...


Répertoire ATF
58-II-183
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
séparation de corps • code civil suisse • tribunal fédéral • cause de divorce • première instance • injure grave • quant • convention de la haye • rapport de droit • membre d'une communauté religieuse • incombance • droit suisse • action en divorce • domicile en suisse • mois • droit civil • décision • tribunal cantonal • obligation d'entretien • autorisation ou approbation • parlement • autorité législative • titre • comportement • tribunal • accord de volontés • pension d'assistance • salaire • reprenant • samedi • montre • ivresse • doute • emprisonnement • durée indéterminée • droit étranger • vue • tribunal de police • plainte pénale • acquittement • mention • procédure pénale • dimanche • tombe
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