BGE 58 I 84
14. Arrêt du 23 mai 1932 dans la cause Humbert-Droz contre Conseil d'Etat
neuchâtelois.
Regeste:
Limites dans lesquelles la propagande politique contraire au régime établi
doit être tolérée en vertu des principes de liberté régissant le droit public
suisse actuel (art. 4
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 4 - Le juge applique les règles du droit et de l'équité, lorsque la loi réserve son pouvoir d'appréciation ou qu'elle le charge de prononcer en tenant compte soit des circonstances, soit de justes motifs. |
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 55 - 1 La volonté d'une personne morale s'exprime par ses organes. |
|
1 | La volonté d'une personne morale s'exprime par ses organes. |
2 | Ceux-ci obligent la personne morale par leurs actes juridiques et par tous autres faits. |
3 | Les fautes commises engagent, au surplus, la responsabilité personnelle de leurs auteurs. |
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 56 - Le siège des personnes morales est, sauf disposition contraire des statuts, au siège de leur administration. |
A. - 1. Le 13 novembre 1931, considérant qu'au cours de «deux récentes
conférences publiques» le recourant, secrétaire du parti communiste suisse,
avait «prononcé des discours contenant des appels à l'action révolutionnaire,
les méthodes employées en Russie devant servir d'exemple au prolétariat
suisse», le Conseil d'Etat neuchâtelois a pris l'arrêté suivant, fondé sur
l'art. 11 de la constitution cantonale:
«Article premier. - Sont interdits sur territoire neuchâtelois toutes
assemblées publiques organisées par le communiste Jules-Frédéric Humbert-Droz
ou dans les quelles le communiste Humbert-Droz devrait prendre la parole.
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»Art. 2. - Sont applicables, en cas de contravention, les art. 334 et 439 du
code pénal.
»Art. 3. - Le Département de police est chargé de veiller à l'observation du
présent arrêté.»
2. La conférence d'Humbert-Droz, du 21 octobre 1931, a fait l'objet d'un
rapport de police du 27 octobre qui renferme entre autres passages les
suivants: a Le conférencier débuta... en informant l'auditoire qu'il était
venu exposer les idées et le programme politique du communisme
international... Humbert-Droz parla de la situation économique de la Russie
des soviets et fit ressortir que l'ouvrier y était mieux que partout
ailleurs... Humbert Droz reprocha particulièrement aux socialistes suisses
qu'ils étaient responsables si actuellement le communisme ne dominait pas en
notre pays. Il précisa que la situation aurait été acquise pour eux si, lors
de la grève générale de 1918, les socialistes n'avaient pas cédé. Il annonça
en outre que le temps n'était pas éloigné où l'on verrait les ouvriers
d'usines travaillant porteurs d'un fusil et d'une baïonnette. Plus tard,
Humbert-Droz avoua cyniquement que le seul moyen à employer était la
révolution violente et qu'il fallait faire couler le sang... Un service
spécial assuré par six agents de police... avait été organisé... mais tout se
passa sans incident, mis à part quelques cris poussés hostilement à l'égard
d'Humbert-Droz... ·
Le même agent confirma le 10 novembre 1931 que Humbert-Droz avait seulement
«exposé le programme communiste»...» «à aucun moment il n'a provoqué ou incité
les auditeurs présents à une action violente immédiate. Il est vrai,
cependant, que, dans son discours, il a déclaré que le seul moyen d'arriver à
établir un gouvernement communiste, c'était la révolution et qu'alors le sang
coulerait».
Le juge d'instruction a procédé à une enquête aux fins d'établir si les
éléments constitutifs du délit réprimé à l'art. 48
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937 CP Art. 48 - Le juge atténue la peine: |
|
a | si l'auteur a agi: |
a1 | en cédant à un mobile honorable; |
a2 | dans une détresse profonde; |
a3 | sous l'effet d'une menace grave; |
a4 | sous l'ascendant d'une personne à laquelle il devait obéissance ou de laquelle il dépendait; |
b | si l'auteur a été induit en tentation grave par la conduite de la victime; |
c | si l'auteur a agi en proie à une émotion violente que les circonstances rendaient excusable ou s'il a agi dans un état de profond désarroi; |
d | si l'auteur a manifesté par des actes un repentir sincère, notamment s'il a réparé le dommage autant qu'on pouvait l'attendre de lui; |
e | si l'intérêt à punir a sensiblement diminué en raison du temps écoulé depuis l'infraction et que l'auteur s'est bien comporté dans l'intervalle. |
réunis. Le juge a interrogé l'agent de police, qui a maintenu ses rapports, et
deux
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témoins. L'un, Bréguet, a déclaré qu'il n'y avait eu «ni provocation, ni
incitation à une action violente immédiate» et qu'Humbert-Droz avait dit que
«la révolution ne pourrait se faire sans que du sang coulât»; l'autre,
Sattiva, a déclaré avoir «entendu l'orateur reprocher aux socialistes d'être
trop mous, en employant des termes ayant le sens suivant: «Vous socialistes,
vous ne voulez pas faire couler le sang des bourgeois, mais nous, communistes,
nous voulons voir couler le sang des bourgeois». «A l'ouïe de ces paroles, il
y eut plusieurs interruptions dont j'ai retenu le terme d'assassin... Pour
moi, il est certain que cette conférence n'avait qu'un but de propagande
communiste».
L'instruction n'a pas, semble-t-il, abouti à un renvoi en justice.
3.- Le Préfet de La Chaux-de-Fonds a fait rapport au Département cantonal de
police sur la conférence d'Humbert-Droz du 10 novembre: «... L'effet en a été
bien diminué par l'intervention des contradicteurs socialistes, les seuls qui
aient pris part au débat. - Le caractère dangereux de cette conférence
réside... dans l'appel d'Humbert-Droz à l'action révolutionnaire, les méthodes
employées en Russie devant servir d'exemples au prolétariat suisse. La
violence seule peut amener celui-ci à s'affranchir de la tutelle qu'il subit
pour son malheur et il faut, par conséquent, qu'il se prépare à la lutte sous
cette forme-là qui est la seule également capable de réaliser l'assainissement
des conditions économiques des travail leurs. - Par une préparation bien
ordonnée et par une propagande active, tous les moyens, quels qu'ils soient,
doivent être mis en oeuvre pour que, le moment venu, toutes les forces
prolétariennes soient prêtes à coopérer au vaste mouvement d'ensemble que
seule la révolution par la violence pourra soutenir et faire aboutir au but à
poursuivre. - Il faut en outre pour cela développer dans les armées - et en
particulier dans les armées à caractère impérialiste - un état de fermentation
qui les pousse
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à se jeter dans la mêlée au service des forces prolétariennes organisées comme
en Russie. - Voilà, en substance, ce qu'a exposé Humbert-Droz.»
Un rapport de police du 11 novembre résume la conférence d'Humbert-Droz,
rappelle que l'auteur a protesté contre la déformation de sa parole «nous
voulons faire couler le sang» et note qu'aucun incident ne s'est produit.
B. - Humbert-Droz a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral. Il
conclut à l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat. Il invoque la
constitution cantonale, l'art. 4 Const. féd. ainsi que la liberté de parole et
de réunion. La mesure prise contre lui se justifie d'autant moins, dit-il, que
les deux conférences incriminées «se sont déroulées sans que la force publique
ait eu à intervenir et n'ont pas été plus bruyantes que ne le sont d'habitude
des conférences contradictoires de ce genre». «Il n'y a donc aucune raison
d'ordre public pour interdire (au recourant) d'user de son droit de parole et
interdire lesdites conférences.»
C. - Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours. Il rappelle qu'en 1920 il
a interdit le congrès romand de la III e internationale ainsi que toutes les
manifestations s'y rapportant. On devrait y entendre entre autres orateurs le
recourant «qui a toujours prêché la révolution et l'insurrection». Le Grand
Conseil a approuvé cette mesure prise en vertu de l'art. 11 de la constitution
cantonale aux termes duquel seules «les assemblées publiques ainsi que les
associations qui, soit dans leur but, soit dans leurs moyens, n'ont rien
d'illégal, ne peuvent être ni restreintes ni interdites».
En outre, un jugement de 1919 du Tribunal militaire territorial 2 a dépeint le
recourant comme «un exalté et un impulsif agissant sans réflexion ni mesure».
Au cours d'une conférence à La Chaux-de-Fonds, quelques jours avant les
élections des 24 et 25 octobre 1931 au Conseil National, le recourant a
déclaré: «Il faut que le sang coule».
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Le 11 novembre 1931, à la Maison du Peuple à La Chaux-de-Fonds, Humbert-Droz,
dissertant sur le thème «Construction du socialisme en Russie des Soviets»,
s'est livré à un véritable appel à l'action révolutionnaire. Plusieurs des
auditeurs ont manifesté leurs inquiétudes au sujet des conséquences possibles
de semblables discours.
L'appel à la violence, à l'emploi des procédés bolchévistes émane d'un homme
qui a déjà passé de la théorie aux actes et qui a été condamné pour cela en
1919. Le gouvernement avait donc le devoir d'intervenir.
Le Code pénal neuchâtelois (art. 116), réprime les délits contre la sûreté
intérieure de l'Etat «quand l'attentat est manifesté par des actes
préparatoires tels qu'assemblées organisées pour l'exécution...». L'arrêté
attaqué est une mesure préventive conforme à l'esprit de cette disposition
légale.
Le recourant n'est point privé de toute liberté de parole; l'interdiction
l'empêche seulement «de continuer à se livrer à une activité illégale comme
celle que constitue son appel à la révolution».
L'art. 11 de la constitution cantonale n'est pas discuté par le recourant et
l'art. 4 Const. féd. n'a pas été violé, car le Conseil d'Etat n'a jamais
toléré des procédés comme ceux du recourant.
D. - Le recourant a répliqué. Tant que le parti communiste n'est déclaré
illégal ni par la Confédération, ni par le Canton de Neuchâtel, ses assemblées
publiques ne peuvent être interdites et il ne peut être interdit d'exposer sa
doctrine. L'art. 11 de la Const. cant. vise précisément à empêcher les
décisions arbitraires comme celle du Conseil d'Etat. La phrase: «il faut que
le sang coule» n'a pas été prononcée par Humbert-Droz. Elle lui a été
attribuée à des fins de polémique par l'organe du parti socialiste. Le rapport
du Préfet n'en fait pas mention. Dans sa conférence du 10 novembre, le
recourant a protesté contre cette imputation. Les rapports de police le
relatent et les socialistes l'ont reconnu après coup au Grand Conseil.
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Le recourant ne s'est pas davantage livré à un appel à l'insurrection. «La
Suisse n'est pas dans une situation révolutionnaire et la question d'une
insurrection ne peut par conséquent pas se poser dans la situation présente».
Le rapport du Préfet dit qu'Humbert-Droz a invité ses auditeurs à se préparer
à la lutte; il n'affirme nulle part qu'il les ait appelés à une action
violente.
Les faits de 1919 ont abouti à la condamnation à une peine qui a été purgée;
ils ne peuvent justifier de nouvelles mesures restrictives de la liberté. Il
n'y a pas eu de nouveau délit; ce serait interpréter abusivement le code pénal
que d'interdire des «assemblées publiques de propagande qui ne sont lices à la
préparation d'aucun attentat ou coup d'Etat».
L'arrêté attaqué est absolu; il interdit sur tout le territoire neuchâtelois,
et pour une durée illimitée, toute assemblée publique organisée par le
recourant ou dans laquelle il devrait prendre la parole, quel que soit le
sujet traité.
Le recourant a répété ses conférences dans d'autres cantons, sans qu'elles
aient donné lieu à aucun incident, à aucune plainte, à des mobilisations de
forces de police ou à des mesures semblables à celles du Conseil d'Etat
neuchâtelois.
E. - Dans sa réplique, le Conseil d'Etat observe que le parti communiste comme
tel n'est pas en cause: la mesure prise tend à empêcher le recourant «de
propager l'idée d'un changement de régime politique par l'action
révolutionnaire». Un citoyen a déclaré que le recourant avait prononcé dans sa
conférence du 21 octobre 1931 des paroles ayant le sens de: «nous,
communistes, nous voulons voir couler le sang des bourgeois». L'inquiétude du
Préfet a été partagée par d'autres personnes. Le Directeur de police a mis de
piquet un grand nombre d'agents. A Zurich, les 23 et 25 janvier 1932, l'ordre
public a été gravement troublé. «Une grande partie de l'opinion publique a
fait observer, par la voie de la presse, que les
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mesures préventives valent mieux que les mesures répressives... que, contre
ceux qui se déclarent ouvertement les ennemis de l'Etat et qui prêchent la
guerre civile, il ne faut pas attendre l'heure des troubles pour agir, il
faut... chercher à les mettre hors d'état e nuire.
Considérant en droit:
1.- L'arrêté attaqué a été pris en raison de deux conférences du recourant,
faites à La Chaux-de-Fonds, avant et après les élections au Conseil National,
l'une le 21 octobre 1931, l'autre le 10 novembre de la même année. Le Conseil
d'Etat, se fondant sur les rapports du Préfet, du 11 novembre, et de la
police, des 21 octobre et 11 novembre, constate que le conférencier s'est
livré à des «appels à l'action révolutionnaire, les méthodes employées en
Russie devant servir d'exemple au prolétariat».
Cette constatation de fait lie le Tribunal fédéral, malgré les dénégations du
recourant, car elle correspond aux rapports précités dont l'inexactitude n'est
pas démontrée. L'enquête du Juge instructeur les a au contraire confirmés: le
recourant a fait de la propagande communiste, prônant le système soviétique
russe et condamnant les méthodes socialistes suisses. Parlant de la
révolution, qu'il appelait de ses voeux, il a dit qu'alors le sang coulerait.
Les termes et le sens exacts de ce propos ne ressortent pas du dossier. On
peut cependant admettre que le recourant approuvait ainsi les moyens
bolchévistes, y compris le recours à la force (cf. GRABOWSKY, Handwörterbuch
der Soziologie p. 82, 1 re colonne). Mais - et tous les rapports et
témoignages concordent sur ce point - à aucun moment Humbert-Droz n'a provoqué
ou incité ses auditeurs à une action violente immédiate. Au cours des deux
conférences, tout se passa sans incident sérieux; la police n'eut pas à
intervenir. Les adversaires politiques des communistes purent d'ailleurs
défendre leurs principes. Et ils l'ont fait avec succès. L'effet de «l'exposé
séduisant»
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du conférencier «a été bien diminué», déclare le Préfet, par la riposte des
contradicteurs socialistes.
2.- En présence de ces faits, la décision du gouvernement ne peut se justifier
au regard des principes constitutionnels et légaux en vigueur. Pris à la
lettre, l'article premier de l'arrêté interdit sans aucune limitation quant au
temps, quant au lieu et quant à l'objet toute assemblée publique organisée par
le recourant ou dans lesquelles il devrait prendre la parole. Mais le
préambule de l'arrêté indique et le Conseil d'Etat confirme dans sa réponse et
sa duplique que l'interdiction a uniquement pour but d'empêcher Humbert-Droz
de tenir des discours analogues à ceux des 21 octobre et 10 novembre 1931.
Même ainsi circonscrite, la défense revient à interdire au recourant d'une
façon générale toute propagande communiste dans des assemblées publiques, car,
en définitive, les deux conférences incriminées n'ont pas eu d'autre but et
n'ont pas été autre chose.
La présente espèce diffère donc des mesures prises dans le canton de Neuchâtel
et dans d'autres cantons pour prévenir des troubles que les circonstances du
moment faisaient craindre (affaire Bréguet et consorts contre Tribunal de
police de La Chaux-de-Fonds, jugée par le Tribunal fédéral le 24 décembre
1917; interdiction du congrès romand de la III e internationale dans le canton
de Neuchâtel au mois d'avril 1920; manifestations communistes interdites dans
le canton d'Argovie au mois de mai 1930, RO 57 I p. 266 et sv., etc.). En
l'espèce, la paix et l'ordre publics n'ont pas été troublés lors des
conférences du recourant, et rien dans les rapports de police et du préfet ne
permettait de considérer la tranquillité générale comme menacée.
Le présent cas se distingue aussi de l'affaire de Fribourg (RO 55 I p. 241
consid. b) en ce sens qu'il ne s'agit pas d'un simple rappel de dispositions
répressives existantes, mais bien d'une défense sanctionnée elle-même par des
peines en cas d'infraction.
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3.- La défense faite au recourant de se livrer à la propagande communiste
repose exclusivement sur l'art. 11 de la constitution neuchâteloise, aux
termes duquel «les assemblées publiques ainsi que les associations qui, soit
dans leur but, soit dans leurs moyens, n'ont rien d'illégal, ne peuvent être
ni restreintes, ni interdites». Le recourant s'en tient également à cette
disposition, indiquée expressément dans la réplique. Il n'invoque pas l'art.
56 de la Const. féd., mais seulement l'art. 4, en sorte qu'il n'est pas
nécessaire d'examiner si - question controversée - la garantie du droit
d'association (art. 56) comprend aussi celle du droit de réunion.
Dès lors, il y a lieu de rechercher si, par leur but ou les moyens mis en
oeuvre, les deux conférences du recourant étaient «illégales» et permettaient
de supposer que de nouvelles conférences sur le même objet le seraient aussi.
L'art. 11 de la constitution cantonale ne disant pas ce qui est illégal, il
faut chercher le critère de cette notion dans le droit positif (fédéral ou
cantonal) en vigueur (RO 8 p. 254, consid. 4, 10 p. 28 c. 4, d2 I p. 10
consid. 4).
Le Conseil d'Etat invoque dans sa réponse le code pénal neuchâtelois (art.
116). Cette loi réprime les délits perpétrés contre la sûreté intérieure de
l'Etat, et l'art. 116 permet au juge de sévir déjà «quand'lattentat est
manifesté par des actes préparatoires tels qu'assemblées organisées pour
l'exécution...». Il suffit de se rappeler les faits qu'on vient d'exposer pour
se rendre compte de l'inapplicabilité de cette disposition tant dans sa lettre
que dans son esprit. On n'est pas en présence d'assemblées organisées en vue
de l'exécution d'un attentat contre la sûreté intérieure du Canton de
Neuchâtel. Par là on ne peut, évidemment, entendre qu'un attentat qui soit la
conséquence directe, immédiate ou tout au moins très prochaine de l'assemblée.
Il ne suffit pas qu'un orateur fasse d'une façon générale de la propagande
pour des idées révolutionnaires qui, peut-être, se réaliseront un jour plus ou
moins éloigné. Or, on l'a déjà relevé, c'est de cela qu'il
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s'agit dans le cas particulier. Le recourant a exposé la doctrine communiste
dans des conférences contradictoires où ses adversaires politiques ont
également pris la parole. Il n'a pas incité ses auditeurs à des actes de
violence immédiats. Aussi bien n'a-t-il pas été traduit en justice. Le Conseil
d'Etat ne cite aucune autre disposition du droit pénal neuchâtelois que le
recourant aurait violée. Il n'y a eu ni délit contre l'Etat ni actes
préparatoires d'un pareil attentat, et ce qui s'est passé dans les deux
conférences ne permet pas de dire que, dans une nouvelle assemblée, le
recourant enfreindrait la loi pénale.
L'interdiction d'organiser des assemblées visées par l'art. 116 ressort
d'ailleurs du texte même de la loi. Un arrêté à cette fin était inutile, et il
était superflu de prévoir une sanction spéciale pour réprimer des actes que la
loi pénale punit déjà. Seules des circonstances particulières -absentes en
l'espèce - pourraient justifier ce renforce ment de la loi (RO 47 I p. 433, 53
I p. 74 consid. 3).
4.- On doit dés lors admettre que, dans son arrêté, le Gouvernement
neuchâtelois ne vise pas uniquement les assemblées prévues par l'art. 116 Cp,
mais estime pouvoir interdire la propagande communiste, parce qu'elle met en
danger l'existence de l'Etat en prêchant la révolution et le recours à la
force.
Il est sans doute contraire aux principes juridiques en vigueur de modifier
l'organisation existante de l'Etat autrement que par les voies
constitutionnelles. Mais il est tout aussi indubitable que, selon les
principes régissant le droit public suisse actuel, la propagande de n'importe
quelle doctrine, par la presse ou la parole, est permise tant qu'elle ne
dégénère pas en actes illégaux. En 1854, s'agissant de l'Association du
Grütli, le Conseil fédéral a constaté que «l'hostilité, sourde ou déclarée,
contre l'ordre établi ou le Gouvernement» (le texte allemand parle de «offene
Feindseligkeit gegen eine bestehende Ordnung oder Regierung», B. B1. 1854 I p.
504) n'avait rien d'illicite, que «travailler et voter contre le Gouvernement
...
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c'est l'exercice d'un droit politique garanti, mais non un délit ni un danger
pour l'Etat, aussi longtemps qu'on n'a pas usé de moyens coupables, tels que
la corruption, l'intimidation ou la fraude» (rapport du Conseil fédéral à
l'Assemblée fédérale, du 28 janvier 1854, concernant le décret bernois relatif
à l'Association du Grütli, Feuille féd. 1854 I p. 479 ch. 2; cf. BURCKHARDT,
comment. 3e éd. p. 507 et 508, 523 al. 4). Le Tribunal fédéral (RO 34 I p. 260
et sv.; cf. aussi 2 p. 196) a déclaré licite la propagande des Mormons en
faveur de la polygamie - encore que celle-ci soit, en Suisse, un délit contre
les moeurs - tant que cette propagande ne provoque pas de façon illicite à
commettre ce délit. Cet arrêté a été rendu en vertu des art. 49 et 50 Const.
féd., mais ces dispositions ne garantissent pas à la manifestation de
convictions religieuses une plus grande liberté que la constitution fédérale
n'en assure à la manifestation d'opinions dans d'autres domaines (RO 57 I p.
116 consid. 2). On ne peut dès lors s'opposer à la propagande communiste si
elle reste dans les limites d'un exposé de doctrine et s'efforce de gagner de
nouveaux adhérents sans les inciter directement à se livrer à des actes de
violence immédiats. On comprend sans peine l'indignation des auditeurs non
communistes à l'ouïe de la doctrine et des propos du recourant, mais (sous
réserve des art. 56
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 56 - Le siège des personnes morales est, sauf disposition contraire des statuts, au siège de leur administration. |
liberté qui régissent actuellement la démocratie suisse obligent le citoyen à
tolérer même l'exposé de théories contraires à l'ordre établi (cf. BONHÔTE, La
liberté d'association, p. 221). Aujourd'hui, malgré l'art. 78 du code civil
qui permet de dissoudre les associations dont le but est illicite ou contraire
aux moeurs, les associations communistes ne sont interdites nulle part en
Suisse, où elles jouissent de la liberté de la presse pour défendre et
répandre leurs idées (BURCKHARDT, P. 508 et 524). Il doit en être de même de
la propagande par la parole dans les assemblées publiques, pourvu que les
limites qu'on vient de tracer soient respectées. Or, cette fois-ci, le
recourant
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ne les a dépassées ni dans le but, non immédiat, qu'il a proposé, ni dans les
moyens qu'il a préconisés pour l'avenir.
5.- L'art. 56 Const. féd. permet, à la vérité, d'interdire des associations
qui tendent à renverser par la force le régime en vigueur, lorsqu'on doit
craindre qu'effective ment elles ne mettent en danger l'Etat (BURCKHART, p.
524). Toutefois, l'art. 11 de la constitution cantonale, qui est seul en
discussion, ne parle pas de ce danger, mais d'illégalité, et ces deux notions
ne sont pas identiques. Voulût-on même admettre que le législateur
neuchâtelois a entendu le mot d'illégalité dans un sens large embrassant aussi
ce qui est dangereux pour l'Etat, il n'en demeurerait pas moins que l'autorité
n'a pas interdit les associations communistes dans le canton de Neuchâtel. Il
n'appartiendrait d'ailleurs pas au gouvernement de prendre cette décision. Aux
termes de l'art. 78
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907 CC Art. 78 - La dissolution est prononcée par le juge, à la demande de l'autorité compétente ou d'un intéressé, lorsque le but de l'association est illicite ou contraire aux moeurs. |
demande de l'autorité compétente»; le Conseil d'Etat peut seulement former
cette demande (art. 12 de la loi d'introduction neuchâteloise). Même si, à
l'occasion de telle ou telle mesure de police, le Conseil d'Etat devait être
compétent pour décider que les associations communistes mettent en danger
l'ordre public, il n'a rien dit de pareil jusqu'ici. Les associations
communistes ont, comme les autres associations politiques, le droit de
déployer leur activité sur le territoire neuchâtelois, tant qu'elles restent
dans le cadre délimité plus haut (consid. 4). Et cette activité, qui n'est pas
interdite à l'association, ne saurait être défendue à l'un de ses membres.
L'arrêté du Conseil d'Etat ne trouve dès lors un appui ni dans le droit pénal
neuchâtelois ni dans les limites de la propagande licite d'idées,
fussent-elles subversives, ni dans le caractère des associations communistes
elles mêmes. Aucune illégalité dans le but et les moyens employés ne pouvant
ainsi être reprochée au recourant en ce qui concerne l'association à laquelle
il appartient et les deux assemblées qui ont provoqué la mesure du Conseil
d'Etat,
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la décision prise pour l'avenir manque de base et doit être annulée, sans
qu'il soit nécessaire d'examiner si d'autres motifs encore exigent cette
annulation.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
admet le recours dans le sens des motifs et annule l'arrêté attaqué.