S. 256 / Nr. 42 Privatversicherung (f)

BGE 58 I 256

42. Arrêt du 30 juin 1932 dans la cause Société pour la Protection juridique
des assurés, S.A contre Département fédéral de Justice et Police.

Regeste:
1. Notion de l'entreprise d'assurance au sens de l'art. 1 al. 1 de la loi
fédérale de surveillance clu 26 jUill 1885.
2. Constitue une entreprise cl'assurance et doit être assujettie à la
surveillance de la Confédération, conformément à la loi précitée,
l'établissement qui se propose de réunir un grand nombre de clients en leur
promettant, oontre une rémunéra tion forfaitaire, d'assumer pour eux les frais
de justice et les honoraires d'avocats, dans les procès nés des incidents et
des accidents de la circulation.
3. Il importe peu, à cet égard, que octte entreprise offre, en outre, à ses
assurés des prestations non pécuniaires qui n'ont pas, en fait, une importance
prépondérante,
4. ni que le prix des frais de justioe et d'avocat ne soit pas exclu sivement
eouvert par les taxes uniformément perçues de tous les assurés, mais que
l'entreprise réclame en outre, dans ohaque oas de procès, une provision
proportionnelle à la valeur litigieuse, et que ses prestations soient, en
pareil eas, subordonnées au paiement de ladite provision.

Résumé des faits:
A. - Par arrêtés des 7 juin 1926 et 18 février 1927, le Conseil fédéral a
accordé l'autorisation de faire des opé rations d'assurance en Suisse à la
«Défense automobile et sportive» (ici appelée DAS) et à la «Compagnie
d'assistance et de protection juridique pour les usagers de la route» (ici
appelée CAP), toutes deux à Genève.

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Moyennant le paiement d'une redevance périodique, ces sociétés assument, pour
leurs adhérents, en cas d'ac cidents ou de contraventions, tous les frais de
procès, d'assistance judiciaire et d'expertise et se chargent des démarches
nécessaires, soit qu'il s'agisse de faire valoir une prétention contre un
tiers responsable du dommage causé à un de leurs a&érents. soit qu'il s'agisse
de défendre celui-ci devant les autorités judiciaires ou administratives à la
suite d'une infraction aux lois et règlements auxquels sont soumis les usagers
de la route.
B. - Le 5 juillet 1929 a été fondée à Genève la «Société pour la Protection
juridique des assurés (SPA)». Suivant les conditions générales d'abonnement
qu'elle a élaborées au début de son activité, la SPA promet à ses adhérents,
moyennant une redevance annuelle fixe, de leur donner des conseils et des
renseignements en matière d'assurance, de les représenter dans leurs rapports
ou leurs litiges avec les assureurs ou les tiers assurés et de prendre à sa
charge les honoraires d'avocat et les frais de justice, dans ces litiges,
jusqu'à concurrence d'un certain maximum, à condition toutefois que le procès
ne soit pas dénué de toute chance de succès.
En mai 1931, la SPA a adopté de nouvelles a conditions générales
d'abonnement». Ces conditions s'écartent des précédentes notamment sur les
points suivants:
1. L'abonné doit verser à la société, en cas de procès, une provision
proportionnelle à la valeur litigieuse. A défaut de ce versement préalable, la
SPA n'assume pas les frais du procès.
2. En ce qui concerne l'étendue de l'assistance accordée par la société,
l'art. 2, 1 e dispose:
«Cette protection s'étend à toutes les branches de l'assurance... ainsi qu'aux
démarches devant les auto rités administratives ou pénales pour délits et
contra ventions en faisant usage de véhicules à moteur ou autres moyens de
transports, désignés sur l'abonnement, ou pour infractions aux lois et
règlements sur la circulation.»

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C. - Le 15 janvier 1932, le Département fédéral de justice et police a pris la
décision ci-après:
«1. La Société pour la Protection juridique des Assu rés (SPA), à Genève, n'a
pas l'obligation de se mettre au bénéfice d'une autorisation d'exploiter
l'assurance, dans la mesure où elle s'engage, en échange d'une rémunération, à
fournir à ses abonnés des renseignements et conseils en matière d'assurance.
«2. La société susnommée n'a pas non plus l'obligation de se mettre au
bénéfice d'une autorisation dans la mesure où elle s'engage... à faire des
démarches en faveur de ses abonnés et à les représenter, s'il survient des
contestations entre eux et des tiers.
«3. La société susnommée a par contre l'obligation de se mettre au bénéfice
d'une autorisation d'exploiter l'assurance, dans la mesure où elle s'engage à
payer, à la place de ses abonnés, ou à leur rembourser, en échange d'une
rémunération forfaitaire, leurs frais d'avocat, les émoluments de justice, les
frais de procès dus à la partie adverse et les frais d'arbitrage...»
Dans les motifs de cette décision, le Département expose qu'on trouve dans la
garantie des frais et dépens des procès tous les éléments de l'assurance.
D. - Par acte déposé en temps utile, la SPA a formé un recours de droit
administratif au Tribunal fédéral.
E. - Dans un mémoire du 11 mars 1932, le Départe ment fédéral de justice et
police conclut aurejet du recours.
Extraits des considérants:
2.- Aux termes de l'art. 1 al. 1 de la loi fédérale du 25 juin 1885 (loi de
surveillance), les entreprises privées en matière d'assurance qui veulent
opérer en Suisse sont soumises à la surveillance de la Confédération. Mais ni
cette loi, ni aucun autre acte législatif fédéral réglant le régime de droit
public ou les relations de droit privé desdites entreprises ne les définit ni
ne définit leurs opérations. Pour savoir quelles institutions doivent être

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réputées «entreprises privées en matière d'assurance», il est donc
indispensable de recourir aux critèree distinctifs posés par la science et la
doctrine. Le Conseil fédéral n'a pas procédé autrement quand il a dû statuer
sur le cas de la DAS et de la CAP. Dans ses arrêtés des 7 juin 1926 et 18
février 1927, il a énuméré les éléments essentiels de la notion d'assurance et
décidé que lesdites sociétés devaient être soumises à la surveillance
fédérale, parce qu'à son avis leurs opérations réunissaient tous ces élé ments
(Jurisprudence des autorités administratives de la (Jonfédération, 1 er
fascicule, No 61). D'après le Conseil fédéral, ceux-ci sont les suivants:
a) le risque,
h) la prestation de l'assuré (prime),
c) la prestation de l'assureur,
d) le caractère autonome de l'opération,
e) la compensation des risques conformément aux données de la statistique.
Cette analyse de la notion d'assurance et cette façon de caractériser les
«entreprises d'assurance», soumises à la surveillance fédérale s'inspirent
directement des travaux de la doctrine récente (cf. ROELLI, vol. I, p. 24 sq.;
OSTER-TAG-HIESTAND, 2e éd., n. 1 ad art. 33; HEMARD, Théorie et Pratique des
assurances terrestres, I, p. 72 sq.; MANES, Versicherungswesen, 3e éd., p. 3
sq.; cf. aussi, quoique partiellement divergents: BRUCK, Versicherungsrecht,
p. 50 sq. et HAGEN, dans Ehrenhergs Handbuch des ges. Handelsrechts vol. 8/I,
p. 9 sq.). Elles n'ont pas été critiquées par la recourante, et le tribunal
fédéral peut s'y rallier dans la mesure où le Département fédéral de justice
et police les fait encore siennes aujourd'hui. Les points sur lesquels le
Département s'en écarte actuellement seront examinés plus bas en tant que de
besoin.
Quoi qu'il en soit, l'examen du présent recours doit porter sur les cinq
éléments essentiels qui viennent d'être énumérés.
3.- Afin de faire ressortir les Particularités de la SPA,

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il convient de commencer cet examen par les prestations que la recourante
offre à ses abonnés. Il est constant que ces prestations sont de nature mixte
et qu'elles consistent:
1 0 dans des services (assistance, conseils, etc.),
2 0 dans le paiement des frais de justice et des honoraires d'avocat.
Ainsi qu'il ressort de la première et de la seconde partie du dispositif de la
décision attaquce, le Département fédéral de justice et police a jugé que les
premières de ces prestations n'étaient pas des prestations d'assurance.
Le Département reconnaît lui-même que cette opinion n'est pas entièrement
conforme à celle que le Conseil fédéral avait adoptée dans ses décisions
concernant la DAS et la CAP. La question pourrait se poser de savoir si ce
changement de jurisprudence était justifié. Cepen dant, cette question doit
rester ouverte en l'espèce, faute d'un recours sur ce point.
Quant aux prestations pécuniaires de la SPA, auxquelles le Département
attribue le caractère d'assurance, elles sont identiques aux prestations de la
DAS et de la CAP, en tant qu'elles comprennent les frais des litiges nés des
accidents et des incidents de la circulation. la reopurante n'allegue pas que
lesdits frais soient payés ou remboursés par elle sous une forme différente de
celle adoptée par ces deux sociétés. Si elle refuse de leur être assimilée,
c'est parce qu'elle prétend que d'autres éléments de la notion d'assurance
font défaut dans son cas.
Il convient donc de passer à l'examen de ces autres éléments.
4.- Le risque. La recourante nie que l'événement à raison duquel ses
prestations sont dues présente le carac tère d'un risque d'assurance. Elle
soutient en effet que cet événement est le procés lui-même et non l'issue du
procés ou 1?obligation d'en payer les frais. Mais, déclare-t-elle, au moment
où les parties décident que la SPA assumera, au nom d'un de ses adhérents, la
charge de tel ou tel litige, celui-ci est déjà engagé: il n'est donc plus
incertain; or un événement certain n'est pas un risque.

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Mais il y a lieu d'observer qu'au moment de la litis contestation, chaque
plaideur ignore généralement encore s'il aura à supporter les frais et dépens
de l'instance et, si oui, dans quelle mesure. Les conséquences du procés sont
donc encore incertaines. Or, d'après d'éminents auteurs, qui ne paraissent pas
avoir été nettement contre dits en doctrine, cette incertitude quant aux
conséquences d'un événement suffit pour que celui-ci puisse être taxé de
risque, et de risque d'assurance (KISCH, dans Manes Versicherungslexikon, 3e
édit., v/o Gefahr; cf. BRUCK, p. 53 i. f. et 54 in inc.).
D'ailleurs, comme un procès est presque toujours un événement dommageable au
point de vue éconoqnique (et non seulement un ennui), il serait erroné de lui
dénier le caractère d'événement assuré en vertu d'une conception purement
théorique et abstraite du risque (cf. HAGEN, dans Xhrenbergs Handbuch, vol.
8/I, p. 385 i. f.). C'est donc à tort que la recourante nie l'existence d'un
risque dans les événements contre lesquels elle garantit ses abonnés.
5.- Dans ses décisions concernant la DAS et la CAP, le Conseil fédéral avait
mentionné l'autonoquie de l'opération comme un des éléments nécessaires de la
notion d'assurance. Cette opinion est conforme a la doctrine dominante en
Suisse et à l'étranger (ROELLI, P. 26; OSTERTAG-HIESTAND, P. 1/1 ad art. 33;
HEMARD, no. 46 et 57 i. f.; HAGEN, P. 12 sq.) et il y a lieu de la maintenir.
Mais le caractère autonome des prestations d'assurance ne disparaît pas
forcément lorsqu'elles sont réunies, avec des prestations d'une autre nature,
dans une seule et même convention. Au contraire, l'entreprise qui fait des
opérations mixtes de ce genre devra être considérée comme un assureur, à
condition que les premières de ces prestations revêtent une certaine
importance, et qu'elles n'apparais sent pas comme un simple accessoire ou une
modalité de l'autre partie du contrat (ROELLI, I P. 26; Vierteljahresschrift
für schweiz. Abgaberecht, I p. 175; cf. BBUCK, p. 52 n. 12). Pour déterminer,
dans un cas concret, l'im portance relative de ces deux parties, on ne saurait
se

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baser sur des critéres absolus, mais on doit apprécier les particularités de
l'espèce. Dans le cas présent, il y a lieu de relever que la SPA - comme la
DAS et la CAP - assume la protection juridique des propriétaires de véhi cules
à moteur. Or, dans ce domaine, il apparaît que la procédure doit jouer un rôle
extrêmement important. En effet, le nombre des contraventions, des plaintes
pénales et des litiges civils nés de la circulation est aujourd'hui
impressionnant et ne cesse pas de croître. La garantie des frais de procès
constitue donc, à l'heure actuelle, un élément essentiel de la protection des
usagers de la route. Ma s cette garantie est foncièrement différente de la
repré sentation devant les tribunaux. Normalement, en effet, celui qui promet
à un plaideur de l'assister et de le repré senter en justice ne s'engage pas,
en outre, à payer pour lui les frais du procès, ni même à lui en faire
l'avance.
Ainsi donc, la garantie des frais de procès des usagers de la route n'est pas,
pour la SPA, plus que pour la DAS ou la CAP, l'accessoire ou la modalité d'un
autre contrat (mandat)
6.- Compensation des risques conformément à la loi des grands nombres. La
recourante admet en principe la nécessité de cet élément, qui a été contestée
par certains auteurs. Or, si l'on tient compte des exigences de la tech nique,
on ne voit pas en quoi la SPA se différencierait sur ce point de la DAS et de
la CAP, dans la mesure, du moins, où elle assume la garantie des frais
judiciaires dans les litiges de la circulation. A vrai dire, les pièces du
dossier ne permettent pas de voir si, jusqu'à présent, la recourante s'est
effectivement conformée à ces exi gences dans le calcul de ses tarifs. Mais,
comme le relève justement le Département intimé, à la suite du Conseil
fédéral, il suffit que la compensatiou des risques suivant la loi des grands
nombres tienne à la nature d'une entre prise, et que celle-ci ne puisse
fonctionner normalement sans s'y conformer, pour qu'on doive parler
d'assurance

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(à supposer, bien entendu, que les autres éléments de cette notion se trouvent
réalisés).
7.- La prime. Cet élément de la notion d'assurance est intimement lié au
précédent. L'assuneur établit un rapport entre le total des indemnJtés d'une
période d'as surance (ou prévues pour une période d'assunance) et le total des
assurés soumis au risque pendallt la même période. Ce rapport lui donne le
montant à payer par chaque assuré pour supporter sa part proportionnelle du
risque. Si l'assureur assume des risques divers (en nature, fréquence ou en
intensité), le rapport s'établit entre risques identiques d'une part, et
assurés soumis auxdits risques, de l'autre. Mais, qu'il s'agisse de risques
homogènes ou divers, la part incombant à chaque assuré individuellement
(augmentée des chargements pour frais généraux, etc.) constitue la prime au
sens technique de ce mot.
Il n'est pas contesté que, dans ses calculs, la SPA pro cède ou tend à
procéder de cette façon.
Mais la recourante croit pouvoir écarter la conclusion qui en découle
logiquement, en alléguant que la taxe d'abonnement n'est que le prix de ses
services (auxquels le Département intimé lui-même nie le caractère
d'assurance), que, par conséquent, elle n'est pas une prime et que, dès lors,
la «provision», prélevée en cas de procés ne peut être considérée comme une
s?`rprime. Mais le Département relève justement que le contra,t dans son
ensemble est conclu dès avant le paiement de ladite provision. Dès ce moment,
la société ne peut plus accepter ou refuser, suivant son bon plaisir,
d'assumer pour son abonné la charge des procès éventuels. Certes, pour avoir
droit à cette assistance, l'abonné devra, le cas échéant, payer encore la
provision. Mais ce paiement, auquel il peut renoncer, peut être comparé avec
ce qu'on appelle en allemand une «Obliegenheit» (cf. art. 45 ICA; ROELLI, vol.
I, p. 530 sq.; von TUHR, trad. Torrenté et Thilo, I p. 9 et 10). Il suit de là
que les dispositions des

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conditions générales relatives au versement éventqbel d'une provision ne sont
pas contraires à la notion même du contrat d'assurance.
D'autre part, il est évidemment possible que la taxe d'abonnement constitue,
en partie, le prix du risque de procès. Le Département remarque d'une façon
très per tinente que si tel n'était pas le cas, on ne s'expliquerait pas le
montant relativement faible de la provision.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral pononce: Le recours est rejeté.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 58 I 256
Date : 01. Januar 1931
Publié : 30. Juli 1932
Source : Bundesgericht
Statut : 58 I 256
Domaine : BGE - Verwaltungsrecht und internationales öffentliches Recht
Objet : 1. Notion de l'entreprise d'assurance au sens de l'art. 1 al. 1 de la loi fédérale de surveillance...
Classification : Änderung der Rechtsprechung


Répertoire ATF
58-I-256
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
abonnement • conseil fédéral • doctrine • département fédéral • tribunal fédéral • frais judiciaires • quant • autorisation d'exploiter • compensation des risques • prestation d'assurance • valeur litigieuse • incident • calcul • automobile • acte législatif • rapport entre • autorité judiciaire • membre d'une communauté religieuse • connaissance • procédure
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