S. 447 / Nr. 70 Familienrecht (f)
BGE 57 II 447
70. Arrêt de la IIe Section civile du 17 septembre 1931 dans la cause Spar-
und Leihkasse de Münsingen contre Dame Grossniklaus.
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Regeste:
Art. 201 al. 3 Cc. - Confirmation de la jurisprudence relative aux conditions
dans, lesquelles des titres au porteur non individualisés par eux-mêmes
peuvent acquérir cette qualité et demeurer propriété de la femme.
Interprétation d'un contrat de séparation de biens comportant des clauses
contradictoires.
Art. 189 al. 1 Cc. - Les droits des créanciers ne font pas obstacle au
transfert de la propriété résultant d'un contrat de séparation de biens conclu
pendant le mariage.
Résumé des faits:
A. - Les époux Grossniklaus-Etter se sont mariés le 18 mars 1921 à Ortschwaben
(Berne), sans faire de contrat de mariage. Le 1er mai 1926, Grossniklaus est
devenu laitier de la Société de laiterie de Marly-le-Grand. Invité à fournir
des sûretés en garantie de ses engagements, il s'est adressé à son beau-père
Nicolas Etter qui consentit à remettre en gage à la Société trois bons de
caisse de la Caisse hypothécaire du Canton de Berne et deux bons de caisse de
la Banque cantonale de Berne
Nicolas Etter est décédé le 19 juillet 1926. Sa succession a été partagée le
30 juin 1927. Aux termes de l'acte de partage, sa fille Dame Grossniklaus
s'est vu attribuer pour sa part 1° les cinq titres indiqués ci-dessus,
représentant avec les intérêts 25960 fr.; 2° une somme de 3000 fr. qui fut
compensée avec ce qu'elle avait perçu
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à titre d'avancement d'hoirie et, 3° et pour solde, une créance de 16304 fr.
30 contre un de ses frères. Sa part formait ainsi un total de 45264 fr. 30.
Suivant les dires de Dame Grossniklaus, non contestés par la partie adverse,
le solde de 16304 fr. 30 lui fut réglé en partie sous forme de mobilier, en
partie en espèces.
Au moment du partage, les cinq titres se trouvaient encore engagés auprès de
la Société de laiterie. A la demande des intéressés, celle-ci consentit à s'en
dessaisir momentanément en mains du notaire en vue des formalités du partage.
Après le partage ils furent retournés à la Société qui n'a pas cessé de les
détenir jusqu'à ce jour.
Le 28 décembre 1929, les époux Grossniklaus ont passé devant les notaires
Spycher et Zollet à Fribourg un contrat de mariage. Aux termes de l'art. 1er
de ce contrat, les époux convenaient d'adopter le régime de la séparation de
biens conformément aux art. 241 et suiv. Cc. Suivant l'art. 2 Grossniklaus
reconnaissait que la fortune apportée par sa femme s'élevait à la somme de
45264 fr. 30, «ainsi qu'il résultait du contrat de partage intervenu entre les
héritiers de Nicolas Etter du 30 juin 1927». L'art. 3 disposait «qu'en
conséquence» Grossniklaus reconnaissait devoir à sa femme 45264 fr. 30 et
s'engageait à lui payer cette somme aussitôt qu'il serait en mesure de le
faire.
Le 16 janvier 1930, Dame Grossniklaus et son mari se sont adressés à la
Justice de paix de Mouret, à l'effet d'obtenir pour Dame Grossniklaus
«l'autorisation de pouvoir donner en nantissement en faveur de ladite laiterie
(la laiterie de Marly-le-Grand) et pour garantir les engagements que son mari
a contractés vis à vis de la laiterie» les cinq titres déjà en possession de
la société en vertu de l'engagement antérieur. Cette autorisation fut accordée
le même jour.
Le 4 février 1930, la Justice de paix a approuvé le contrat de mariage passé
le 28 décembre 1929.
B. - Le 15 février 1930, la Spar- und Leihkasse de
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Münsingen a fait notifier à Grossniklaus, en qualité de caution, un
commandement de payer du montant de 41210 fr. et intérêts.
Le 24 février 1930, à la réquisition de la Banque Coopérative Suisse à
Fribourg, l'office des poursuites de Fribourg a saisi au préjudice de
Grossniklaus divers objets mobiliers ainsi que des fromages. A cette saisie
ont participé divers créanciers, pour un montant assez considérable. Parmi ces
créanciers figuraient la Spar- und Leihkasse et Dame Grossniklaus au nom de
laquelle Me Bourgknecht, son conseil, était intervenu en invoquant une créance
de 45000 fr. à titre d'apports.
Le 15 mars 1930, la demanderesse a succédé à son mari dans l'exploitation de
la laiterie et les titres sont demeurés en possession de la Société de
laiterie de Marly-le-Grand.
Les 22 et 27 mars 1930, l'office a procédé à une saisie complémentaire portant
sur les cinq bons de caisse en possession de la Société de laiterie de
Marly-le-Grand. Celle-ci a revendiqué immédiatement un droit de gage sur ces
titres.
De son côté, Dame Grossniklaus a revendiqué la propriété de ces mêmes titres.
Sa revendication ayant été contestée par la Spar- und Leihkasse, Dame
Grossniklaus a été sommée d'ouvrir action. Par demande déposée en temps utile,
elle a conclu à ce qu'il fût prononcé qu'elle était seule et légitime
propriétaire des titres et qu'en conséquence ils ne pouvaient être saisis ni
réalisés au profit des créanciers poursuivants.
La Spar- und Leihkasse a conclu au déboutement de la demanderesse.
C. - Par arrêt du 27 avril 1931, confirmant le jugement rendu par le tribunal
de première instance, la Cour d'appel a alloué à la demanderesse ses
conclusions et condamné la défenderesse aux dépens.
La Spar- und Leihkasse a recouru en réforme en reprenant ses conclusions
libératoires.
La demanderesse a conclu au rejet du recours.
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Considérant en droit:
1. - La question de savoir à qui, de la demanderesse ou de son mari,
appartenaient les titres jusqu'au 28 décembre 1928, c'est-à-dire jusqu'au jour
où les époux sont convenus d'adopter le régime de la séparation de biens,
pourrait prêter à discussion. Il n'a pas été contesté que ces titres, simples
bons de caisse d'établissements financiers, ne soient des titres au porteur.
Le fait qu'ils sont munis de numéros d'ordre reproduits dans les registres des
banques débitrices ne suffit pas, ainsi que le Tribunal fédéral l'a déjà jugé
(cf. RO 41 II p. 11, 47 II p. 133) pour leur conférer le caractère de «titres
individualisés» au sens de l'art. 201 al. 3 Cc. Mais il en est de même des
autres circonstances invoquées par la demanderesse. La mention des numéros des
bons dans l'acte de partage a sans doute eu pour effet «d'individualiser» les
titres entre héritiers, mais elle ne préjugeait pas la question de la
propriété entre mari et femme, qui restaient libres de la régler à leur guise,
et l'intervention même de Grossniklaus aux opérations de partage ne signifie
rien non plus, puisque de toute façon il était tenu de prêter son concours à
son épouse. De même aussi faut-il rejeter l'argument tiré du fait que les
titres étaient déjà engagés au moment de l'apport. Comme cette circonstance
n'était pas de nature à empêcher le transfert des titres au mari, ce transfert
s'opérant de plein droit, il est clair qu'elle ne pouvait pas non plus avoir
pour effet de dispenser les époux de témoigner leur volonté d'exclure
l'application de la règle générale, autrement dit de maintenir les titres dans
la propriété de la femme, si telle avait été leur intention. Tout ce qu'on
pourrait dire à ce propos, c'est que du fait des circonstances, la question de
la propriété des titres ne se posait pas effectivement pour les époux
Grossniklaus comme elle se serait posée (et comme elle se pose en général pour
les époux) s'ils avaient été en mesure de pouvoir en disposer. Mais encore
cela n'autorise-t-il pas
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à dire qu'ils étaient fondés à remettre leur détermination au jour où ils
pourraient à nouveau disposer des titres. Si le Tribunal fédéral a jugé, en
effet, que le critère de la distinction posée à l'art. 201 al. 3 Cc entre
titres au porteur individualisés et titres au porteur non individualisés est
un critère essentiellement subjectif, en ce sens qu'il est loisible aux époux
de convenir qu'un titre même non individualisé par lui-même demeurera la
propriété de la femme, il résulte également de cette même jurisprudence que
c'est à la condition encore que cette convention intervienne au moment même de
l'apport ou dans un court laps de temps après (cf. RO 43 II p. 471 et 47 II p.
133). Cette interprétation déjà large de l'art. 201 al. 3 ne saurait être
étendue davantage.
Or en l'espèce on chercherait vainement une manifestation quelconque de la
volonté des époux soit au moment de l'apport, soit dans la période
immédiatement subséquente. Le seul fait susceptible de révéler une intention
des époux quant à la propriété des titres est la démarche qu'ils ont faite
auprès de la Justice de paix le 16 janvier 1930, soit plus de deux ans et demi
plus tard, pour obtenir en faveur de la demanderesse l'autorisation de
maintenir l'engagement des titres en garantie des obligations de son mari.
Pour en tenir compte, il faudrait donc pouvoir admettre que cette démarche
témoignait, non pas d'une détermination plus ou moins récente et provoquée par
des circonstances postérieures à l'apport, mais d'une volonté commune qui
existait déjà à ce moment-là et qui simplement n'avait pas eu encore
l'occasion de s'exprimer.
Tout en convenant que certaines particularités de la cause pourraient militer
en faveur de cette interprétation, on peut cependant laisser la question
ouverte. En effet, même si, faute d'une justification suffisante de
l'existence d'une convention réservant la propriété de la femme sur ses
titres, on devait admettre que Grossniklaus en est devenu propriétaire en
vertu des règles du régime de
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l'union des biens sous lequel les époux vivaient au moment de l'apport, il
resterait en tout cas que la demanderesse en a recouvré la propriété en
application de l'art. 189 Cc par l'effet du contrat de mariage du 28 décembre
1929. Par ce contrat, en effet, les époux sont convenus d'adopter le régime de
la séparation de biens, et comme les titres faisaient encore partie des biens
matrimoniaux, ils doivent être considérés comme ayant fait retour à la femme,
de même que les autres apports qui existaient encore en nature à ce moment-là.
2. - Il est vrai que les articles 2 et 3 du contrat semblent déroger au
principe énoncé à l'article 1er, en ce sens qu'ils pourraient laisser supposer
que les parties ont entendu exclure entre elles les effets normaux de la
séparation de biens. Mais il suffit de se reporter aux circonstances de la
cause pour constater que telle ne peut avoir été leur intention. Il serait
tout d'abord étrange que les époux, qui en modifiant leur régime avaient
évidemment en vue de sauvegarder le mieux possible les biens de la femme,
aient pu, le sachant et le voulant, renoncer au principal avantage de
l'opération en ce qui concerne les titres et cela justement au moment où,
d'après les constatations de l'arrêt, Dame Grossniklaus se proposait de
reprendre à son compte l'exploitation de la laiterie et alors que ces titres
constituaient le seul gage qu'elle pouvait offrir à la Société. Mais il y a
plus: le 28 décembre 1929 soit après la conclusion du contrat, les époux se
sont présentés devant l'autorité tutélaire à l'effet d'obtenir pour Dame
Grossniklaus l'autorisation de confirmer l'engagement des titres en faveur de
son mari, et cela signifie évidemment que, en dépit des clauses du contrat,
elle s'en considérait encore propriétaire à ce moment-là. Et telle paraît
aussi bien avoir été l'opinion de la Justice de paix elle-même, puisqu'elle a
approuvé le contrat après avoir donné son assentiment à l'engagement des
titres. En effet, on peut admettre qu'elle aurait refusé d'approuver le
contrat si elle l'avait interprété comme impliquant
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une renonciation de la demanderesse à son droit de propriété. En présence de
manifestations de volonté aussi contraires, on est bien obligé de faire
prévaloir celle qui parait la plus vraisemblable. Il y a d'ailleurs lieu de
relever que les dispositions des articles 2 et 3 du contrat peuvent
s'expliquer par les craintes que les époux avaient très probablement quant au
sort des titres. Ceux-ci étaient en effet engagés et, étant donnée la
situation embarrassée où se trouvait Grossniklaus, il n'y aurait rien
d'étonnant à ce que les époux, peut-être même à l'instigation du notaire,
eussent envisagé l'hypothèse où Grossniklaus serait hors d'état de satisfaire
à son obligation de restituer les apports en nature. Les clauses 2 et 3 du
contrat n'auraient eu ainsi dans leur intention que la valeur d'une sorte de
règlement anticipé des questions qui se poseraient alors, autrement dit celle
d'un arrangement conditionnel.
3. - C'est à tort également que la défenderesse entend faire état de
l'intervention de Dame Grossniklaus dans la poursuite contre son mari. Sans
doute cette intervention ne se justifiait pas pour le montant qui dépassait la
valeur des apports sujets à restitution en nature et n'aurait dès lors pas dû
comprendre le montant des titres. Toutefois il serait exagéré d'inférer de là
que la demanderesse aurait reconnu n'être plus propriétaire des titres ou
renoncé à les revendiquer. L'intervention a été en effet le fait de son
conseil et l'on peut admettre que ce dernier n'y a pas attaché d'autre
importance que celle d'une mesure de précaution destinée à sauvegarder dans
toute éventualité les droits de sa cliente.
Quant au moyen pris de ce que l'art. 189 al. 1er Cc réserve les droits de
créanciers, - moyen qui ne saurait évidemment se concevoir que dans
l'hypothèse où la demanderesse n'aurait pas toujours conservé la propriété des
titres, - il n'y a pas lieu de s'y arrêter, les droits des créanciers ne
pouvant en tout cas faire obstacle au transfert résultant du contrat de
séparation de biens et la
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défenderesse n'ayant au reste pris aucunes conclusions de ce chef (cf. RO 45
II p. 110 et suiv.).
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.