S. 442 / Nr. 69 Markenschutz (f)

BGE 57 II 442

69. Extrait de l'arrêt de la Ire Section civile du 9 juin 1931 dans la cause
Compagnie fermière de l'Etablissement thermal de Vichy S. A. contre Société
anonyme des Eaux minérales.

Regeste:
1. Les sels alcalins et les pastilles fabriquées au moyen de ces sels ne sont
pas d'une nature totalement différente de l'eau minérale dont ils ont été
extraits, ni, par conséquent, des autres eaux minérales qui peuvent être
confondues avec celle ci (consid. 1).

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2. La loi protège une marque déposée, quelle que soit la façon dont le
titulaire l'applique sur ses produits ou sur leur emballage, par exemple en la
faisant graver ou mouler dans le verre même de ses bouteilles (consid. 2).
3. Celui qui se procure des récipients portant la marque de son concurrent (p.
ex. les bouteilles susdites) et y introduit ses propres produits, commet une
usurpation de marque (consid. 3).

A. - La demanderesse, Compagnie fermière de l'établissement thermal de Vichy,
est une société anonyme ayant son siège à Paris. En qualité de
concessionnaire, elle exploite seule toutes les sources d'eau minérale
jaillissant sur le domaine de l'Etat français dans le bassin de Vichy.
Elle possède diverses marques de fabrique, notamment une marque verbale
«Vichy-Etat», pour sels et pastilles, enregistrée en France, et au Bureau
international sous No 527, puis sous No 17036 (renouvellement du 27 septembre
1915).
La demanderesse vend les eaux des sources de Vichy dans des bouteilles
d'origine de différentes grandeurs (bouteilles entières, demis et quarts),
portant au fond l'inscription «Vichy-Etat» ou «V. E.» moulée dans le verre. La
mention «Vichy-Etat» gravée dans le verre se retrouve sur le col de quelques
quarts de bouteille.
La défenderesse «Eaux minérales S. A.» (EMSA) a son siège à Genève. Elle y
assume la représentation générale pour la Suisse de la «Société anonyme des
Eaux minérales de Saint-Romain-le-Puy» (Loire), qui exploite dans cette
dernière localité une source appelée Source Parot.
B. - Sur requête de la demanderesse, la Cour de Justice civile de Genève a
rendu, le 2 juillet 1929, une ordonnance de mesures provisionnelles
l'autorisant à faire saisir des bouteilles d'eau de Parot dans les locaux de
la défenderesse. L'huissier chargé d'exécuter cette ordonnance, a constaté que
plusieurs bouteilles d'eau de Parot portaient l'inscription «Vichy-Etat»,
moulée dans le verre, sur le col ou dans le fond.
C. - Par exploit du 22 août 1929, la Compagnie fermière

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a assigné EMSA devant la Cour de Justice civile de Genève. Elle a pris, entre
autres, les conclusions suivantes:
«Qu'il soit constaté que la vente ou la mise en vente par EMSA d'eau minérale
de la Source Parot dans des bouteilles portant, moulée dans le verre,
l'inscription «Vichy-Etat», constitue une usurpation de la marque déposée par
la Compagnie fermière, ainsi qu'une fausse indication de provenance;
«qu'il soit fait défense à EMSA d'utiliser, vendre ou mettre en circulation de
l'eau de Saint-Romain-le-Puy, source Parot, dans des bouteilles revêtues de la
marque Vichy-Etat moulée dans le verre.»
Le 27 février 1931, la Cour de Justice civile de Genève a réjeté lesdites
conclusions.
D. - La demanderesse a recouru en réforme au Tribunal fédéral.
Considérant en droit:
8. - La demanderesse se plaint de ce que la défenderesse a mis en vente de
l'eau de la Source Parot dans des bouteilles de Vichy. Elle déclare que
l'emploi de bouteilles portant l'inscription «Vichy-Etat» moulée dans le verre
constitue «une usurpation de la marque déposée par la Compagnie fermière», et
il tombe sous le sens qu'elle entend parler de la marque verbale No 17036.
A vrai dire, celle-ci n'a été enregistrée que pour des sels et des pastilles.
La demanderesse n'en doit pas moins être protégée contre l'emploi illicite de
cette marque sur le récipient contenant de l'eau minérale, car les eaux
minérales et les sels qui en sont extraits, et les pastilles qui sont
fabriquées au moyen de ces sels, ne sauraient être considérés comme des
marchandises «de nature totalement différente» au sens de l'art. 6 al. 3 LMF.
En effet, qu'il s'agisse d'eau alcaline, de sels ou de pastilles, ce sont
toujours les mêmes bases chimiques que le producteur met en vente sous ces
différentes formes et qui servent

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au traitement des mêmes maladies (Cf. FINGER, p. 159-160). Enfin, il est clair
qu'en pratique, une eau minérale et les sels qui en sont extraits proviennent
généralement d'un seul et même établissement. Il en résulte que si la marque
réservée à ces sels est employée pour l'eau d'une autre source, le producteur
de ces sels et celui de cette eau seront facilement confondus (RO 56 II p. 402
et suiv. et 46 II p. 19).
9. - La Cour cantonale estime à tort que les marques de la demanderesse n'ont
été enregistrées qu'en vue de leur emploi sur «des étiquettes, des capsules de
bouchage, des bandes fermant les boîtes». En réalité, les termes dans lesquels
la marque No 17036 a été enregistrée ne contiennent aucune restriction de ce
genre; et c'est à juste titre, car la loi protège les marques déposées, quelle
que soit la façon dont le titulaire les applique sur ses produits ou sur leur
emballage (Cf. DUNANT, No 39). Contrairement à ce qu'ont décidé les premiers
juges, la demanderesse se borne donc à un usage normal de sa marque,
lorsqu'elle fait mouler le mot «Vichy-Etat» dans le fond ou sur le col de ses
bouteilles. Sous cette forme, comme sous une autre, elle bénéficie de la
protection légale. Il est clair que le producteur d'un liquide peut avoir un
intérêt capital à graver sa marque dans le verre même de ses bouteilles, pour
que celles-ci révèlent toujours la provenance de leur contenu, même après
avoir perdu leur bouchon ou leur capsule (qui sont destinés à être enlevés) ou
encore leur étiquette (qui peut facilement se décoller par suite de
manipulations diverses: rafraîchissement dans l'eau glacée, etc.).
10. - Lorsqu'un commerçant se procure des récipients portant la marque de son
concurrent et y introduit ses propres produits, il commet un acte typique
d'usurpation de marque. Les auteurs et la jurisprudence suisse et étrangère
abondent en exemples de ce genre (DUNANT, No 206; POUILLET, Traité des Marques
de Fabrique, 6e éd. Paris, 1912, no 343; SELIGSOHN, Gesetz z. Schutze der
Warenbezeichnungen, 3e éd., p. 221 et 222). S'il

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est vrai qu'une cour française a jugé que l'emploi de sacs marqués du nom d'un
concurrent ne constituait pas un acte illicite dans certain commerce
(POUILLET, 6e éd. No 344), les tribunaux de ce pays ont déclaré à plusieurs
reprises qu'il y avait usurpation dans le fait de se servir d'une bouteille
portant une marque incrustée dans le verre pour l'emplir de produits imitant
ceux du propriétaire (POUILLET, No 343, et jurisprudence citée par lui; Gaz.
du Palais, 27 mars 1925). En Suisse, la question a également été tranchée plus
d'une fois dans le même sens, notamment par le Tribunal fédéral dans l'affaire
Genossenschaftsapotheke in Basel c. Vial (RO 50 II p. 195 et suiv., JdT. 1924,
p. 467 et suiv.; voir aussi Sem. jud. 1902, p. 17 et suiv.).
Il est vrai qu'en l'espèce il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une
imitation. L'eau de la Source Parot est une eau naturelle comme les eaux de
Vichy; elle n'en est pas une contrefaçon. Mais cela importe peu, car il s'agit
de produits similaires. On ne saurait le contester sous le prétexte qu'il
existe entre eux quelques différences (compositions chimiques et propriétés
curatives diverses, eau naturellement gazeuse d'une part, eau non gazeuse de
l'autre). Il est clair que le consommateur ne prête parfois aucune attention à
ces différences et qu'il ne serait même pas souvent en mesure de les
constater.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
I. dit que la vente ou la mise en vente par la défenderesse de l'eau minérale
provenant de la Source Parot, dans des bouteilles portant, au fond,
l'inscription «Vichy-Etat» moulée en toutes lettres dans le verre, lèse les
droits découlant pour la demanderesse de la marque déposée au Bureau
international de la propriété industrielle, sous No 17036.
II. fait défense à la défenderesse de vendre, mettre en vente ou en
circulation de l'eau provenant de la Source Parot dans les bouteilles
susdites.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 57 II 442
Date : 01. Januar 1931
Publié : 09. Juli 1931
Source : Bundesgericht
Statut : 57 II 442
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : 1. Les sels alcalins et les pastilles fabriquées au moyen de ces sels ne sont pas d'une nature...


Répertoire ATF
57-II-442
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
société anonyme • tribunal fédéral • marque verbale • commettant • mesure provisionnelle • indication de provenance • membre d'une communauté religieuse • forme et contenu • protection des marques • marchandise • fausse indication • lieu • acte illicite • décision • ouverture de la procédure • citation à comparaître • traitement • vue • tombe • imitation
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