S. 150 / Nr. 25 Erbrecht (f)
BGE 57 II 150
26. Arrêt de la IIe Section civile du 8 mai 1931 dans la cause Demoiselle
Fryer-Paczensky contre Dames Nozeran et Papet.
Regeste:
Art. 505 et 520 Cc. - L'action en annulation d'un testament est recevable
encore qu'elle ne soit pas dirigée contre tous les bénéficiaires de l'acte. Le
jugement n'aura toutefois d'effets qu'entre les parties au procès. Nullité
d'un testament olographe qui n'indique pas le lieu où il a été rédigé.
Conditions auxquelles il peut être fait appel aux éléments extrinsèques.
Inapplicabilité de l'art 2 Cc. en cas d'action en annulation pour vice de
forme.
A. - Demoiselle Jeanne Raymond, d'origine genevoise et domiciliée à Genève,
est décédée en cette ville le 21 janvier 1930 ayant fait un testament par
lequel elle instituait Demoiselle Ethel-Augusta Fryer-Paczensky
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«légataire universelle» de tous les biens qu'elle délaisserait à l'époque de
son décès tant en biens meubles qu'en immeubles, à charge par celle-ci
d'exécuter divers legs, notamment à «la Paroisse catholique de St-Joseph», à
la «Paroisse catholique de Compensières» et à «Demoiselle Monique Fournier, sa
filleule, 15, avenue Lecorbeille à Meudon». Le testament se terminait par les
mots suivants . «J'entends que ma succession soit liquidée d'après les lois de
Genève mon canton d'origine, Fait, daté et signé en entier de ma main le sept
novembre mil neuf cent vingt-neuf (7 novembre 1929.) (signé) Jeanne Raymond».
Par exploit du 8 mai 1930, Dame Nozeran née Raymond et Dame Papet née Raymond,
cousines germaines de la testatrice et ses seules héritières légales, ont
ouvert action contre Demoiselle Fryer-Paczensky en concluant à ce qu'il plaise
au Tribunal prononcer la nullité du testament et dire que les demanderesses,
en leur qualité d'héritières légales de la défunte, ont droit chacune pour sa
part et portion à l'universalité de la succession.
Cette demande était fondée sur le fait que, contrairement à l'art. 505 Cc, le
testament ne contenait pas l'indication du lieu où il avait été rédigé.
Demoiselle Fryer-Paczensky a conclu à l'irrecevabilité de l'instance à raison
de ce que tous les bénéficiaires des legs n'avaient pas été mis en cause et en
tout cas au rejet. Subsidiairement, elle offrait d'établir une série de faits
d'où il résulterait que la libéralité qui lui était faite s'expliquerait par
diverses raisons, notamment d'ordre sentimental et moral, et que le testament
ne pouvait avoir été rédigé qu'à Genève.
Par jugement du 24 octobre 1930, le Tribunal de première instance de Genève a
adjugé aux demanderesses leurs conclusions et condamné la défenderesse aux
dépens.
B. - Ce jugement a été confirmé par la Cour de Justice civile de Genève par
arrêt du 6 février 1931.
C. - La défenderesse a recouru en réforme en reprenant ses conclusions
tendantes principalement au renvoi de la
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cause devant la Cour de Justice civile pour que celle-ci procède aux enquêtes
sur les faits offerts en preuve.
Les demanderesses ont conclu au rejet du recours et à la confirmation de
l'arrêt.
Considérant en droit:
1. - Suivant les indications de la recourante, qui n'ont pas été contestées
par les intimées, l'actif net de la succession s'élèverait à 134939 fr. sur
lesquels il reviendrait à la première, après payement des legs, la somme de
67347 fr. La valeur du litige dépasse donc la somme nécessaire pour fonder la
compétence du Tribunal fédéral et la cause appelle bien la procédure orale.
2. - La défenderesse a opposé à la demande une fin de non-recevoir tirée du
fait que ses parties adverses ont uniquement dirigé leur action contre elle,
sans mettre en cause les autres bénéficiaires de l'acte. Cette exception n'est
pas fondée. Non seulement la loi ne contient aucune disposition obligeant
celui qui conteste la validité d'un testament à actionner concurremment tous
ceux auxquels l'acte peut conférer des droits, mais une telle solution ne
s'expliquerait pas dans le système du code civil où, comme on l'a déjà relevé
à l'occasion d'un testament fait par une personne incapable de tester (RO 44
II p. 116), les circonstances énoncées à l'art. 505 Cc ne rendent pas le
testament radicalement nul, mais autorisent seulement à en demander
l'annulation. Si l'action apparaît ainsi comme recevable, il n'en reste pas
moins, à raison de la nature de l'action et en vertu d'un principe général de
procédure, que le jugement qui interviendra ne sera pas, contrairement à
l'opinion de la Cour de Justice civile, opposable aux autres intéressés (cf.
RO 40 II p. 192), solution également justifiée d'un point de vue pratique, car
on ne voit pas pourquoi le demandeur, l'héritier légal par exemple, ne
pourrait pas se borner à conclure à l'annulation d'une partie seulement des
dispositions testamentaires.
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3. - Au fond, la recourante ne méconnaît pas que le testament olographe, pour
être valable, doit indiquer, au même titre que la date proprement dite, le
lieu où il a été fait (RO 44 II p. 354; 49 II p. 10; 51 II p. 371). Elle
reconnaît de même que le testament de Demoiselle Raymond ne remplit pas cette
condition. En revanche, elle soutient que cette informalité ne serait pas
irrémédiable, parce que le testament ne laisserait aucun doute sur le lieu où
il a été rédigé et qu'au surplus, les éléments intrinsèques à l'acte seraient
corroborés par toute une série de circonstances dont elle offre la preuve.
C'est à bon droit que la Cour de Justice civile a repoussé cette
argumentation.
S'il est exact que, suivant la jurisprudence du Tribunal fédéral, une date
inexacte ou incomplète (cette expression comprenant d'après la terminologie
même de la loi aussi bien le lieu que la date où l'acte a été fait; cf. art.
505) n'entraîne pas nécessairement l'annulation du testament, encore est-ce à
la condition expresse que la date puisse être rectifiée ou complétée au moyen
des éléments fournis par l'acte lui-même, les éléments extrinsèques ne pouvant
tout au plus servir qu'à interpréter l'indication contenue dans le texte mais
ne pouvant en aucun cas y suppléer (cf. RO 45 II p. 153, 50 II p. 8). Le
Tribunal fédéral n'a aucun motif de se départir de ces règles. Or si on les
applique au cas particulier, il est hors de doute qu'elles doivent conduire au
rejet du recours. Ainsi que la Cour de Justice l'a déjà fait observer, ni le
fait que le testament a été rédigé dans la forme usitée par les notaires
genevois, ni le fait qu'il aurait été déposé chez un notaire genevois deux
jours après sa confection, ni la mention par laquelle la testatrice a exprimé
l'intention que sa succession fût liquidée d'après le droit genevois, ne
fournissent d'indication même approximative quant au lieu où le testament a
été rédigé. Aucune de ces circonstances n'exclut, en effet, l'hypothèse de la
rédaction de l'acte en dehors de la ville de Genève. Il en est de même du fait
que Demoiselle Raymond
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a jugé superflu de désigner la paroisse de Saint-Joseph autrement que pas son
vocable, tandis qu'elle indiquait l'adresse complète de sa filleule Monique
Fournier qui habite la France. Etant donné que Demoiselle Raymond était
domiciliée à Genève et qu'il s'agissait de sa paroisse en cette ville, il eût
été parfaitement naturel que, même si elle avait testé ailleurs, elle ne crût
pas nécessaire de préciser davantage.
Le testament ne contenant en réalité aucune indication quelconque au sujet du
lieu où il avait été rédigé, il ne pouvait être question de faire appel aux
éléments extrinsèques. Aussi l'offre de preuves de la défenderesse
manquait-elle totalement de pertinence.
En ce qui concerne l'aveu que la recourante attribue au conseil des intimées,
supposé qu'il fût incontestable et qu'il fût même établi que le testament eût
été fait à Genève, ces faits, qui sont des éléments extrinsèques à l'acte, ne
sauraient influer sur la solution du litige, car, ainsi qu'il a été jugé (cf.
RO 45 II p. 154), il ne suffit pas que la date soit certaine; ce que la loi
exige, c'est qu'elle soit indiquée dans le testament lui-même.
C'est à tort enfin que la recourante excipe de l'art. 2 Cc. Il est de
jurisprudence constante qu'une partie n'agit pas contrairement à la bonne foi
lorsqu'elle se prévaut de la nullité d'un acte juridique pour cause
d'inobservation des formes auxquelles il est soumis (cf. RO 54 II p. 331). Il
n'en serait autrement que si l'inobservation de ces formes était la
conséquence du dol de celui qui invoque la nullité (RO 43 II p. 29 et 54 II p.
331), ce qui n'est évidemment pas le cas en l'espèce.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et l'arrêt rendu par la Cour de Justice civile de Genève
le 6 février 1931 est confirmé.