S. 249 / Nr. 41 Erbrecht (f)

BGE 56 II 249

41. Arrêt de la IIe Section civile du 3 juillet 1930 dans la cause Uldry
contre Maillard.

Regeste:
Exploitation agricole. Attribution à l'un des héritiers. Conditions relatives
à la «capacité» au sens de l'art. 620 Cc. Nécessité de tenir compte aussi de
la «situation personnelle des héritiers».

Résumé des faits:
Germain Savary est décédé en juin 1929, laissant comme héritières trois
filles: Célina, mariée à Joseph Charrière, à Cerniat, Adeline, mariée à
François Maillard, à Sâles, et Marie, mariée à Théophile Uldry, également à
Sâles. La succession se composait d'un domaine de 5 poses et

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demie environ, comprenant une maison, une grange et une écurie avec
dépendances, des prés et des champs.
Au moment du partage, Marie Uldry et Adeline Maillard ont demandé l'une et
l'autre que le domaine leur fût attribué en entier par application de
l'article 620 CC. N'ayant pu s'entendre avec sa soeur, Marie Uldry a, par
exploit du 10 décembre 1929, assigné dames Maillard et Charrière devant la
Justice de paix du cercle de Vaulruz à l'effet de faire prononcer que ledit
domaine lui était attribué pour sa valeur de rendement.
Dame Maillard a conclu au rejet de la demande et reconventionnellement à ce
que les immeubles lui fussent attribués à elle.
Dame Célina Charrière a déclaré s'opposer à l'attribution du domaine à la
demanderesse et consentir à ce qu'il fût attribué à sa soeur Maillard.
Des experts ont été commis par la Justice de paix pour fixer la valeur de
rendement de la propriété. Ils l'ont évaluée à 9975 fr., chiffre que les deux
parties ont déclaré admettre et qu'elles se sont engagées à payer en cas
d'attribution.
Par jugement du 19 février 1930, la Justice de paix du cercle de Vaulruz a
rejeté les conclusions de la demanderesse et admis celles de la défenderesse.
Sur recours de la demanderesse, le Tribunal civil de la Gruyère a confirmé
cette décision par un jugement en date du 12 avril 1930.
La demanderesse a recouru en réforme en reprenant ses conclusions.
La défenderesse a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement
attaqué.
Considérant en droit:
Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de rechercher si c'est à tort ou à
raison que le Tribunal de la Gruyère a jugé que les époux Uldry étaient moins
qualifiés que les époux Maillard pour se charger de l'exploitation de

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la propriété. La question ne présente pas d'ailleurs une importance décisive.
Ainsi que le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de relever, le but de
l'article 620 CC. n'est pas, en effet, d'instituer une récompense en faveur de
l'héritier le plus digne, et si d'autre part il est vrai que cette disposition
subordonne bien l'attribution à la condition que l'héritier qui la demande
«paraisse capable de se charger de l'entreprise», il ressort des termes dont
s'est servi le législateur que ce dernier n'a pas entendu exiger la preuve
d'une capacité absolue et indiscutable (Cf. RO 47 II p. 260 et sv.). Il va du
reste de soi que cette condition ne s'appréciera pas avec la même rigueur s'il
s'agit d'un grand domaine ou d'une propriété d'aussi peu d'importance que
celle dont il est ici question.
Le Tribunal de la Gruyère n'a en réalité pas contesté que la demanderesse fût
capable, techniquement parlant, de s'occuper de la propriété, et s'il a donné
la préférence à la défenderesse, c'est pour des raisons qui ressortissent
plutôt au domaine moral.
Le premier de ces motifs a trait au fait que la demanderesse et son mari
auraient fait preuve de certaines négligences dans la façon dont ils ont géré
la propriété depuis la mort de Germain Savary. Sitôt après le décès de ce
dernier, ils auraient, suivant le jugement, vendu le bétail et le cheptel et
négligé, la même année, de rentrer la moisson et les regains, si bien que ces
travaux auraient dû être entrepris par les époux Maillard. Ainsi que le fait
justement observer la recourante, ces reproches ne sont pas fondés. Le seul
témoin qui ait parlé de la vente a en effet spécifié qu'elle avait eu lieu du
consentement des Maillard, et lors même que l'opération resterait critiquable
en soi, il est clair que, l'ayant approuvée, la défenderesse était mal venue à
en faire grief à sa soeur. Il en est de même du second reproche. La
demanderesse a expliqué que c'est également d'un commun accord avec les
Maillard qu'elle et son mari, après avoir fait les foins, avaient laissé les
époux Maillard s'occuper de la moisson et des regains et

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que c'était là le moyen qu'ils avaient trouvé de se répartir les revenus de la
propriété, en attendant le partage définitif. Si les choses se sont passées de
la sorte, aucun reproche ne peut évidemment être fait de ce chef à la
demanderesse. Or l'explication qu'elle a donnée apparaît comme parfaitement
vraisemblable si on la rapproche de la déclaration du témoin touchant la
vente, et elle est en tout cas aussi plausible que la version contraire. C'eût
été de toute façon à la défenderesse à faire la preuve de son allégation.
Cette preuve n'ayant pas été rapprochée, et le Tribunal de la Gruyère n'ayant
ordonné aucune instruction sur ce point, ce grief ne saurait donc être retenu.
On ne saurait davantage tirer argument contre la demanderesse de la
déclaration qu'aurait faite un jour son mari qu'il n'avait pas l'intention de
demeurer sur le domaine et qu'ils ne l'avaient demandé que pour le vendre.
Quoi qu'il en soit du point de savoir si, d'une façon générale, l'intention de
conserver le domaine doit être considérée comme une condition de l'attribution
(Cf. RO 43 II p. 578), en l'espèce les constatations du jugement attaqué -
dont seul il y a lieu de tenir compte - ne sont en tout cas pas suffisamment
précises pour permettre de conclure que la déclaration d'Uldry correspondait
aux vues de sa femme. A supposer même, par conséquent, qu'elle eût été faite
sérieusement et non pas seulement dans le dessein de faire patienter un
créancier, comme l'a expliqué la recourante, elle ne saurait porter préjudice
à la demanderesse, seule partie au procès.
La défenderesse a objecté, il est vrai, que le mari de la demanderesse n'était
pas à proprement parler un agriculteur, qu'il était spécialisé dans les
travaux de drainage et que, dans ces conditions, il ne serait pas en mesure de
s'occuper convenablement du domaine. Cette argumentation n'est pas fondée.
S'il est exact qu'on ne peut faire totalement abstraction des aptitudes de
Théophile Uldry, bien qu'il ne soit pas partie au procès, encore convient-il
de relever que le Tribunal ne lui a pas dénié

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non plus la capacité de gérer le domaine. Aussi bien est-il constant qu'avant
de s'occuper de travaux de drainage il a travaillé pendant cinq ans comme
ouvrier de campagne et qu'en outre ses occupations ne l'ont pas empêché
d'aider son beau-père. Le témoin Albert Pasquier lui-même n'a pas contesté sa
compétence et s'il a fait une réserve, c'est uniquement à cause d'un certain
penchant qu'Uldry manifesterait pour la boisson. Il n'appartient pas au
Tribunal fédéral de revoir ce témoignage, et le fait que les premiers juges
ont cru devoir donner plus de crédit à Albert Pasquier qu'aux autres témoins
n'est pas une raison pour prétendre que les constatations du jugement sont
contraires aux pièces du dossier. On pourrait se demander en revanche si, en
parlant de penchant pour la boisson, le témoin entendait faire allusion aux
deux époux, ainsi que l'a admis le Tribunal, ou seulement à Théophile Uldry.
Suivant le procès-verbal d'audition, il semblerait qu'il n'eût voulu parler
que de ce dernier, et cela paraît d'autant plus vraisemblable que la
défenderesse n'a rien allégué contre sa soeur. Quoi qu'il en soit, on doit en
tout cas inférer de la déposition que le défaut dont seraient affligés les
époux Uldry n'a pas atteint un degré tel qu'on puisse craindre qu'ils ne
soient pas à même, s'ils le désirent, de tirer un parti convenable de la
propriété. Il n'est d'ailleurs pas établi que ce défaut ait été jusqu'ici la
cause d'actes caractérisés de mauvaise gestion. Il n'y a donc pas là non plus
un motif suffisant pour rejeter la demande.
Aussi bien, il ressort de l'article 621 CC. que les aptitudes des parties ne
sont pas les seuls faits dont le juge ait à tenir compte; suivant les termes
de cette disposition, il convient, en cas de compétition, de prendre également
en considération la situation des héritiers, ce à quoi le Tribunal de la
Gruyère n'a pas prêté une attention suffisante. Or, de ce point de vue, il
n'est pas douteux que la demande devait être accueillie. Non seulement la
demanderesse a pour ainsi dire toujours vécu sur la propriété

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et y a élevé ses enfants, mais il est constant que c'est grâce à cette
circonstance que la famille a pu subsister jusqu'ici. Il ressort en effet de
la déclaration du Conseil communal de Sâles, en date du 10 avril 1930,
qu'Uldry gagne de son métier de draineur «à peine de quoi sustenter sa
famille». Le rejet de la demande aurait donc presque certainement pour
conséquence d'obliger la demanderesse à prendre du service chez des tiers
comme simple ouvrière ou servante, étant donnés sa condition et son âge, et il
s'ensuivrait évidemment des inconvénients pour l'éducation des enfants. Du
moment que les époux Maillard possèdent déjà une propriété qui suffit à les
faire vivre, il est donc à la fois plus équitable et plus naturel que les
époux Uldry restent sur le domaine dont les enfants pourront peut-être
eux-mêmes profiter un jour.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis, et le jugement du Tribunal de la Gruyère du 12 avril
1930 est réformé en ce sens que le domaine de Germain Savary, de son vivant à
Sâles, est attribué à sa fille Marie, épouse de Théophile Uldry, au même lieu,
ce en application de l'article 620 du code civil.
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 56 II 249
Datum : 01. Januar 1930
Publiziert : 03. Juli 1930
Quelle : Bundesgericht
Status : 56 II 249
Sachgebiet : BGE - Zivilrecht
Gegenstand : Exploitation agricole. Attribution à l'un des héritiers. Conditions relatives à la «capacité» au...


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56-II-249
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