S. 12 / Nr. 3 Erbrecht (f)

BGE 56 II 12

3. Arrêt de la IIe Section civile du 24 janvier 1930 dans la cause Ville de
Genève contre dame Schaerer.


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Regeste:
Interprétation d'un testament contenant, à la suite d'une série de legs, une
clause aux termes de laquelle «la somme qui pourrait rester de la fortune»
après payement des legs et des «frais» devra être remise au Musée de la Ville
«pour différentes acquisitions».
Accord des parties que cette clause comporte une institution d'héritier au
profit de la Ville.
Conflit sur le point de savoir si dans l'intention de la testatrice le mot
«frais» comprenait aussi les droits de succession. Question tranchée
affirmativement.

A. - Demoiselle Marie Maget est décédée à Genève, son domicile, le 23 mai
1928. Elle laissait un testament olographe daté du 23 décembre 1927 dans
lequel, après avoir disposé, sous forme de legs d'espèces en faveur d'une
série de personnes et d'institutions charitables, d'une somme de 300 000 fr.
environ, plus une villa, une créance hypothécaire et quelques meubles, elle
ajoutait ce qui suit: «Après avoir fait les legs et dons désignés. et payés
(sic) les frais, la somme qui pourrait rester de ma fortune qu'elle soit
remise au Musée de la Ville de Genève pour différentes acquisitions en
tableaux et oeuvres d'art.»
Estimant que par «frais» il fallait entendre les frais proprement dits et non
les droits de succession qui s'élevaient au total à 116 266 fr. 40 et qui, à
son avis, devaient rester à la charge des légataires, la Ville de Genève a
retenu sur la part de ces derniers le montant desdits droits jusqu'à prononcé
de justice.
Parmi les personnes gratifiées d'un legs figurait dame Emma Schaerer née
Burgi, une amie personnelle de la

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défunte, à laquelle celle-ci léguait la villa qu'elle possédait à l'avenue du
Vallon avec son mobilier, sauf quelques objets laissés à sa filleule et deux
tableaux légués spécialement à la Ville de Genève, et une créance hypothécaire
de 25 000 fr. sur un immeuble de la rue du Mont-Blanc.
Le montant des droits afférents aux legs attribués à dame Schaerer s'élevait à
la somme de 42 416 fr., en garantie desquels la Ville de Genève a fait
inscrire une hypothèque sur la villa de l'avenue du Vallon.
B. - Par exploit du 2 mars 1929, dame Schaerer a assigné la Ville de Genève
aux fins suivantes: 1° faire déclarer que les droits de suc cession au montant
de 42 416 fr. sont à la charge de la Ville de Genève, 20 faire condamner la
défenderesse à payer ladite somme à la requérante, sinon faire prononcer
l'annulation de ladite inscription.
D'un commun accord les parties avaient décidé: 1° de porter la contestation
directement devant la Cour de justice civile, en application de la loi
d'organisation judiciaire cantonale et sous réserve du recours au Tribunal
fédéral et 20 de considérer la décision à intervenir comme devant également
faire règle pour tous les autres légataires.
La Ville de Genève a conclu au déboutement de la demanderesse.
C. - Par jugement du 19 octobre 1929 la Cour de justice civile de Genève a
prononcé que dame Schaerer n'avait pas à payer la somme de 42 416 fr. pour les
droits de succession afférents aux legs qui lui ont été faits par demoiselle
Maget suivant testament du 23 décembre 1927 et, en conséquence, a prononcé
l'annulation de l'inscription hypothécaire au montant de la susdite somme
prise par la Ville de Genève. Elle a de plus condamné la défenderesse aux
dépens.
D. - La Ville de Genève a recouru en réforme contre ce jugement en reprenant
ses conclusions libératoires.

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Dame Schaerer a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement.
Considérant en droit:
1.- Les parties ne contestent pas la prétention de l'Etat de Genève de
prélever des droits sur la succession de demoiselle Maget et elles sont
d'accord sur le montant de ces droits. Elles reconnaissent également - ce qui
n'est du reste pas discutable - que le testament et plus exactement la
disposition litigieuse comporte une institution d'héritier en faveur de la
Ville de Genève. Le conflit se réduit au seul point de savoir par qui, de
cette dernière, en qualité d'héritière instituée et chargée de la délivrance
des legs, ou de dame Schaerer, en qualité de légataire, ces droits,
provisoirement acquittés par la Ville, doivent être en définitive supportés.
Il n'est pas douteux que la testatrice avait toute liberté d'ordonner que les
droits de succession qui grèveraient les legs seraient supportés par la Ville
de Genève, soit qu'on considère une telle disposition comme un legs spécial de
la somme d'argent correspondant au montant de ces droits, soit qu'on
l'envisage comme une charge spéciale au compte de l'héritière. Celle-ci ne
s'étant pas prévalue de l'art. 486 Cc, la solution du litige dépend ainsi
uniquement de l'interprétation du testament, autrement dit de la question de
savoir s'il ressort de cet acte que demoiselle Maget a réellement eu
l'intention de dispenser les légataires et la demanderesse en particulier du
payement de ces droits pour les mettre à la charge de l'héritière. Cette
question, qui a trait uniquement aux rapports des légataires envers
l'héritière, est de droit privé et relève exclusivement du code civil suisse.
2.- Il est de jurisprudence constante qu'en matière d'interprétation de
testament le juge ne peut tenir compte que d'une volonté manifestée, mais,
d'autre part aussi, que lorsque le testateur a exprimé une intention, il
convient de rechercher ce qu'il a réellement voulu, quand bien

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même il se serait servi d'expressions ou de termes inexacts ou incorrects (cf.
RO 47 II p. 29 et 52 II p. 431).
De ce que les «frais» d'une succession et les «droits de succession» sont deux
choses essentiellement différentes, on ne serait donc pas fondé à conclure que
demoiselle Maget, en parlant de «frais» n'a eu en vue que les frais proprement
dits de la succession, si par ailleurs il ressortait du testament qu'en fait
elle entendait également comprendre sous ce terme les «droits de succession».
Si comme on l'a déjà fait observer, la loi se sert du mot «droits» pour
désigner l'impôt successoral, c'est qu'elle se place au point de vue du
bénéficiaire, c'est-à-dire de l'Etat, mais pour le particulier l'impôt, loin
d'apparaître sous la forme d'un droit, constitue tout au contraire une
obligation ou une charge, et de là, pour une personne dépourvue de
connaissances juridiques, à confondre cette dernière notion avec celle de
frais en général, la chose serait parfaitement explicable.
3.- Si le testament ne fournit pas un argument absolument décisif en faveur de
la thèse de la demanderesse, il convient toutefois de reconnaître que c'est
bien celle qui se concilie le mieux avec les données de cet acte. Que
demoiselle Maget ait jugé bon de parler des frais pour dire à qui ils
incomberaient, on pourrait, il est vrai, l'expliquer par le fait que, comme
l'a déjà relevé la Cour de justice civile, elle ne s'est probablement pas
rendu compte qu'elle instituait en réalité la Ville de Genève héritière de sa
fortune et qu'elle a peut-être cru nécessaire de régler ce point pour éviter
des discussions entre les intéressés. Mais le fait qu'elle traitait sur le
même pied les «frais» et les legs, les mettant les uns et les autres à la
charge de la Ville de Genève, permet aussi bien de supposer que ces «frais»
formaient à ses yeux une somme d'une certaine importance. Or il est difficile
d'admettre que demoiselle Maget ait pu se méprendre à ce point sur la valeur
réelle des frais de la succession, si l'on entend par là les frais proprement
dits, savoir ceux prévus à

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l'art. 474 Cc, et plus encore que c'est uniquement par ignorance du montant de
ces frais qu'elle s'est exprimée d'une manière aussi vague en parlant de ce
qu'elle laissait à la Ville de Genève. Du moment qu'elle réservait une somme
spéciale pour son enterrement, il ne pouvait en effet être question que des
frais de scellés et d'inventaire et, éventuellement, - encore qu'on ne l'ait
pas allégué - de l'entretien des personnes qui faisaient ménage commun avec la
défunte. Or en comparaison du montant de la succession, que les parties sont
d'accord pour fixer à 500 000 fr., ces frais représentaient une somme pour
ainsi dire insignifiante, et à supposer même que la testatrice n'en connût pas
le chiffre exact, cela ne suffirait pas en tout cas à expliquer la forme
étrange qu'elle a donnée à la disposition.
Connaissant la valeur de son portefeuille, ainsi qu'il résulte du testament,
et venant d'indiquer en chiffres ronds le montant des divers legs, il eût été
facile, à demoiselle Maget, semble-t-il, de calculer ce qui devait rester à la
Ville de Genève et de l'indiquer d'une manière au moins approximative. La
forme hypothétique dont elle s'est servie («la somme qui pourrait rester de ma
fortune») prouve qu'en réalité elle ne savait même pas si l'exécution des legs
et le payement des «frais» n'absorberaient pas la totalité de sa fortune, et
il est dès lors normal de supposer que cette incertitude tenait à ce qu'elle
ignorait, non pas le montant des frais proprement dits de la succession, mais
bien celui des droits de succession dont la détermination exigeait
effectivement des calculs plus compliqués.
Il n'est guère vraisemblable d'ailleurs que si, comme le soutient la
recourante, demoiselle Maget avait entendu laisser une part importante de sa
fortune au Musée de la Ville, elle se fût contentée de parler de ce qui
«pourrait rester» après exécution des legs et payement des frais. ()e n'est
pas en général de cette façon que l'on s'exprime quand on veut réellement
faire une dotation ou marquer

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un intérêt particulier à une oeuvre de ce genre. Au reste il semble bien que
la testatrice ait moins entendu attacher son nom à un fonds spécial qu'à
permettre, comme elle le disait elle-même, de faire «différentes
acquisitions», suivant l'importance de la somme disponible.
Enfin il ressort des constatations du jugement attaqué que demoiselle Maget
était une personne totalement dépourvue de connaissances juridiques. Comme on
l'a déjà relevé ci-dessus, ce fait rend parfaitement vraisemblable que la
testatrice ait confondu les frais de la succession avec les droits, et si on
le rapproche des considérations qui précèdent, on ne peut que se rallier à
l'opinion des premiers juges estimant que par le mot «frais» demoiselle Maget
a voulu viser aussi bien les droits de succession que les frais proprement
dits.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et le jugement attaqué est confirmé.
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 56 II 12
Datum : 01. Januar 1930
Publiziert : 24. Januar 1930
Quelle : Bundesgericht
Status : 56 II 12
Sachgebiet : BGE - Zivilrecht
Gegenstand : Interprétation d'un testament contenant, à la suite d'une série de legs, une clause aux termes de...


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56-II-12
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