S. 69 / Nr. 16a Sachenrecht (f)

BGE 55 II 69

16. Arrêt de la II e Section civile du 24 mai 1929 dans la cause Chanton
contre Roch et Sehr.


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Regeste:
L'inscription au registre foncier du transfert de propriété d'un immeuble,
opérée indûment à la requête d'un vendeur qui n'était pas propriétaire,
devient valide au moment où le vendeur acquiert lui-même la propriété. Cette
validation se produit ipso facto et sans ratification.

A. - La société en nom collectif Friederich frères, à Vevey, composée des
frères Robert et Charles Friederich, était propriétaire à Bouveret d'un
immeuble consistant en une maison et du terrain.
L'associé Charles Friederich est décédé le 18 novembre 1918 et sa mort a
entraîné la dissolution de la société Friederich frères, qui a été radiée.
Mais la veuve du défunt, Rosa Friederich, s'est remariée avec son beau-frère
Robert et elle a formé avec lui une nouvelle société en nom collectif, sous la
raison sociale Friederich & Cie, à Vevey. Cette société a repris l'actif et le
passif de l'ancienne société Friederich frères. Elle a commencé le 1er avril
1919 et a été inscrite au registre du commerce le 23 mai suivant. Le 14
novembre 1920, elle a passé avec Antoine Sehr, à Bouveret, une promesse de
vente, par laquelle elle s'engageait à vendre au promettant-acquéreur, pour le
prix de 16500 fr., son immeuble de Bouveret. L'acte de vente définitif devait
être passé dans le délai de trois mois. La promesse de vente contenait une
clause aux termes de laquelle Friederich & Cie se réservaient de vendre au
voisin Joseph Chanton la lisière de terrain à côté de son jeu de quilles, soit
environ 40 mètres carrés, pour le prix de 3 fr. le mètre, somme qui serait
déduite du prix de vente.

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Effectivement, le même jour, 14 novembre 1920, Friederich & Cie ont vendu la
parcelle en question à Joseph Chanton, à Bouveret. Cette vente a été inscrite
au registre foncier le 15 novembre 1920.
Puis, le 13 avril 1921, Friederich & Cie ont vendu à Antoine Sehr et à Alice
Roch, également à Bouveret, l'immeuble faisant l'objet de la promesse de vente
du 14 novembre 1920 en faveur de Sehr, y compris la parcelle de terrain déjà
vendue à Joseph Chanton. Cette vente a été conclue pour le prix de 15000 fr.
L'acte porte ce qui suit:
«La présente vente est faite en exécution de la promesse de vente du 14
novembre 1920 passée entre Friederich & Cie et Antoine Sehr... Toutefois, les
parties déclarent renoncer aux clauses prévues dans la promesse de vente qui
ne sont pas libellées à nouveau dans le présent acte.»
Mais, quand l'inscription de cette dernière vente au registre foncier fut
requise, le conservateur refusa de l'opérer, en observant que le transfert des
immeubles de l'ancienne société Friederich frères à la nouvelle société
Friederich & Cie ne figurait pas au registre foncier et que la vente consentie
par Friederich & Cie ne pouvait être inscrite avant que la situation eût été
régularisée.
Par acte authentique du 6 mai 1921, les ayants droit de la société Friederich
frères, soit l'ancien associé Robert Friederich et les deux seuls héritiers de
l'autre associé Charles Friederich, savoir sa femme Rosa Friederich et sa
fille Suzanne, ont alors déclaré consentir au transfert des immeubles à la
société Friederich & Cie . Par le même acte, Robert Friederich et Dame Rosa
Friederich ont aussi confirmé la vente consentie par la société Friederich et
Cie à Antoine Sehr et à Alice Roch.
Cette vente a été inscrite le 9 mai 1921 au registre foncier, sur la base du
précédent acte.
C'est ainsi que soit Joseph Chanton, soit Antoine Sehr et Alice Roch se sont
trouvés, de part et d'autre, inscrits comme propriétaires de la parcelle qui
avait été vendue deux fois par Friederich & Cie .

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B. - Dans le présent procès, le demandeur Chanton conclut à ce qu'il soit
prononcé:
«La transcription de propriété en faveur de Joseph Chanton résultant de l'acte
de vente du 14 novembre 1920, selon transcription No 1627 de 1920, ressort
tous ses effets, et est préférable à celle de Roch Alice et Sehr Antoine,
résultant de l'acte de vente du 13 avril 1921, transcrit sous le No 696 de
1921.
La transcription No 696 de 1921 est annulée.»
De leur côté, les défendeurs Alice Roch et Antoine Sehr concluent au rejet de
la demande et, reconventionnellement, à ce qu'il soit prononcé:
«La transcription No 696 de 1921 en faveur de Sehr et Roch est valable et
opposable à la transcription No 1627 de 1920, qui est nulle et de nul effet et
dont la radiation au registre foncier est ordonnée.
La place en litige, parcelle 194, commune de Port-Valais, est déclarée
propriété définitive de Sehr et Roch.»
C. - Statuant par jugement du 5 février 1929, le Tribunal cantonal du Valais a
rejeté la demande et admis les conclusions des défendeurs. Il a compensé les
frais des parties.
D. - Le 2 avril 1929, le demandeur Chanton a interjeté au Tribunal fédéral un
recours en réforme contre ce jugement, qui lui avait été communiqué le 13
mars. Il a repris les conclusions de sa demande.
Les défendeurs ont conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
L'instance cantonale a admis que la société Friederich & Cie n'était devenue
propriétaire de la parcelle litigieuse, comme de tout l'immeuble de Bouveret,
que le 9 mai 1921, par l'inscription au registre foncier du transfert de la
propriété de Friederich frères à Friederich & Cie . Elle en a conclu qu'avant
cette date, la société Friederich & Cie n'avait aucun droit de disposer de la
parcelle et qu'elle n'avait pu valablement en céder la propriété au demandeur

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par l'acte de vente du 14 novembre 1920. L'inscription au registre foncier
opérée en faveur de Chanton sur la base dudit acte ne pouvait donc pas être
opposée à celle opérée plus tard en faveur des défendeurs, à un moment où
Friederich & Cie étaient régulièrement inscrits comme propriétaires de
l'immeuble.
Le recourant soutient au contraire que la société Friederich & Cie était
devenue propriétaire de l'immeuble de Bouveret, et notamment de la parcelle
litigieuse, au printemps de 1919 déjà, par le seul fait qu'elle avait repris
l'actif et le passif de la société Friederich frères. L'inscription au
registre foncier du transfert de propriété de Friederich frères à Friederich &
Cie n'avait, selon lui, que la valeur d'une mesure d'ordre, et l'inscription
opérée en sa faveur, à lui Chanton, sur la base de l'acte de vente du 14
novembre 1920, déployait ses effets, bien qu'à ce moment Friederich & Cie ne
fussent pas encore portés au registre foncier comme propriétaires à la place
de Friederich frères.
Il n'est cependant pas besoin de décider quand la société Friederich et Cie
est réellement devenue propriétaire de l'immeuble appartenant auparavant à la
société Friederich frères et si l'acquisition de ce droit de propriété était
ou non subordonnée pour elle à l'inscription au registre foncier. Cette
question est en effet discutable par le fait qu'on peut se demander, dans les
circonstances de la cause, si la société Friederich & Cie représente vraiment
un sujet de droit distinct de l'ancienne société Friederich frères.
Mais cette question peut rester ouverte, car, même si l'on admet, avec
l'instance cantonale, que la société Friederich & Cie n'a acquis la propriété
de l'immeuble que le 9 mai 1921, par l'inscription de son droit au registre
foncier, il ne s'ensuit pas, contrairement à l'opinion des premiers juges, que
l'inscription opérée en faveur du demandeur, quoiqu'antérieure à cette date,
soit absolument et irrémédiablement nulle et inopérante. Il est sans

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doute exact que cette inscription ne pouvait déployer aucun effet, si ce n'est
à l'égard des tiers de bonne foi, aussi longtemps que la société Friederich &
Cie, dont Chanton tirait son droit de propriété, n'était pas elle-même devenue
propriétaire. Avant ce moment, l'inscription en faveur de Chanton devait en
effet être considérée comme faite indûment et sans cause légitime, au sens des
art. 974 et 975 CCS, puisque la société Friederich frères aurait seule eu le
droit de la requérir, à l'exclusion de la société Friederich & Cie, sur
réquisition de laquelle elle avait été effectuée. Mais la situation s'est
modifiée dés l'instant que cette dernière société a acquis par la suite la
propriété de l'immeuble, et le demandeur a raison de soutenir que cette
acquisition de propriété entraînait avec elle la validation de l'inscription
opérée en sa faveur, à lui Chanton.
C'est un principe généralement reconnu aujourd'hui que les actes de
disposition émanant d'une personne qui n'a pas le pouvoir de les accomplir ne
sont pas absolument nuls, mais peuvent être validés après coup et déployer
leurs effets de droit réel, notamment lorsque leur auteur a acquis par la
suite le droit de disposition qui lui faisait primitivement défaut. Ce
principe, qui est expressément consacré par le § 185 du BGB allemand, est
aussi accepté par la jurisprudence et la doctrine françaises (voir RIVIÈRE,
Pandectes françaises, sous «vente»,No 727). Son application s'impose également
en droit suisse, où la doctrine et la jurisprudence du Tribunal fédéral
l'admettent, bien que la loi suisse ne contienne aucune disposition analogue à
celle du § 185 BGB (VON TUHR, OR I p. 193; OSTEBTAG, Comm. ad art. 974 CCS
note 8, et ad art. 965 note 7). Dans un arrêt du 16 janvier 1915, le Tribunal
fédéral a déclaré, en particulier, contrairement à l'opinion de l'instance
cantonale, que ledit principe doit être appliqué spécialement en matière
d'inscriptions au registre foncier (arrêt faillite Zschokke & Cie contre
Comptoir d'Escompte de Mulhouse, RO 41 II p. 49).

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En vertu du principe susmentionné, l'inscription opérée en faveur du demandeur
est donc devenue automatiquement valable au moment où Friederich & Cie ont été
inscrits au registre foncier comme propriétaires de l'immeuble en lieu et
place de Friederich frères. Cette validation avait d'ailleurs lieu sans
qu'aucune ratification fût nécessaire de la part de Friederich et Cie, et
instantanément. Pratiquement, c'était donc le demandeur Chanton qui acquérait
la propriété de la parcelle litigieuse et qui pouvait dés lors en disposer, à
l'exclusion de Friederich & Cie, qui se voyaient instantanément privés, au
profit de Chanton, du droit de propriété et de disposition qu'ils venaient
d'acquérir.
Il en résulte que Friederich & Cie ne pouvaient plus requérir valablement
l'inscription au registre foncier du transfert de la propriété aux défendeurs
Alice Roch et Antoine Sehr. Ce droit n'appartenait qu'à Chanton. C'est donc
l'inscription opérée en faveur des défendeurs qui a été effectuée indûment et
sans cause légitime, à l'inverse de ce que l'instance cantonale a jugé.
Les défendeurs ne sauraient objecter qu'au moment où elle a été inscrite comme
propriétaire sur la base de l'acte de transfert consenti par les ayants droit
de la société Friederich frères, la société Friederich & Cie avait vendu une
seconde fois la parcelle litigieuse et que c'est en faveur de ses seconds
acheteurs, soit d'eux-mêmes défendeurs, qu'elle a requis l'inscription au
registre foncier. A aucun moment, la société Friederich & Cie n'a fait savoir
à Chanton et au conservateur du registre foncier qu'elle entendait révoquer sa
précédente réquisition d'inscription en faveur du demandeur, de sorte qu'il
n'y a pas lieu d'examiner quelle portée devrait être donnée à un tel avis et
si les exigences de la bonne foi eussent permis d'en tenir compte. La société
Friederich & Cie a simplement confirmé la vente de l'immeuble aux défendeurs
dans l'acte même par lequel Friederich frères lui transféraient la propriété
de celui-ci, puis elle a requis, en vertu de cet

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acte, l'inscription au registre foncier de son droit de propriété et, ensuite,
celle du transfert de ce droit aux défendeurs. Mais il ressort de ce qui a été
dit plus haut que, sur ce second point, sa réquisition ne pouvait déployer
aucun effet valable, puisque, dès l'instant où elle était devenue
régulièrement propriétaire par l'inscription au registre foncier,
l'inscription préexistante en faveur du demandeur était validée, ce qui lui
ôtait instantanément tout droit de disposer de l'immeuble. Comme d'ailleurs
cet effet se produisait sans qu'aucune ratification de sa part fût nécessaire,
il importait peu que l'acte présenté au conservateur n'impliquât pas son
intention de maintenir la vente faite à Chanton.
La situation serait naturellement différente si, comme les défendeurs l'ont
allégué, Chanton lui-même avait renoncé entre temps à l'acquisition de la
parcelle. Mais, des constatations de fait définitives de la première instance,
il ressort qu'aucune renonciation semblable de la part de Chanton n'a été
prouvée.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis et le jugement rendu le 5 février 1929 par le Tribunal
cantonal du Valais est réformé en ce sens que l'action du demandeur est admise
et la demande reconventionnelle des défendeurs rejetée.
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 55 II 69
Datum : 01. Januar 1929
Publiziert : 24. Mai 1929
Quelle : Bundesgericht
Status : 55 II 69
Sachgebiet : BGE - Zivilrecht
Gegenstand : L'inscription au registre foncier du transfert de propriété d'un immeuble, opérée indûment à la...


BGE Register
55-II-69
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