S. 443 / Nr. 83 Obligationenrecht (f)

BGE 54 II 443

83. Extrait de l'arrêt de la I re Section civile du 21 novembre 1928 dans la
cause D r P. contre Etat de Fribourg.

Regeste:
Pour que la responsabilité de l'Etat soit engagée et celui-ci tenu de réparer
le dommage que la mise en observation d'office dans un asile d'aliénés a dû
causer au demandeur, il faut que l'auteur du dommage ait commis un acte
illicite, soit qu'il ait outrepassé ses compétences en ordonnant
l'internement, soit que, agissant dans les limites de ses compétences, il ait
pris cette mesure sans motifs suffisants, soit enfin qu'il ait commis
intentionnellement ou par négligence une faute dans la manière de procéder à
la mise en observation (transport à l'asile, traitement et durée du séjour
dans cet établissement). (Consid. 2.)

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Pour autoriser l'Etat à prendre des mesures contre un individu, il n'est pas
nécessaire que les circonstances lui en fassent impérativement un devoir; il
suffit que ces mesures apparaissent comme raisonnables et adaptées à la
situation. Le pouvoir public est fondé à intervenir aussitôt que fût-ce un
seul des membres de la société est sérieusement menacé. (Consid. 3.)

A. - Après avoir exercé la médecine à Granges (Soleure), le Dr P. s'est établi
comme médecin à Fribourg où il vécut avec sa mère pendant plusieurs années
depuis 1920.
Le 30 octobre 1925, Vve Louise P., alors âgée de 78 ans, demanda sa mise sous
tutelle et proposa comme tuteur M. Léon D., à Fribourg. Malgré l'opposition du
Dr P., la Justice de paix fit droit à cette demande.
Le tuteur poursuivit au nom de sa pupille le Dr P. en paiement de fr.
140753,50, obtint main-levée provisoire de l'opposition du débiteur et fit
procéder à une saisie provisoire. Une action en libération de dette,
introduite par P., est encore pendante.
Le 20 novembre 1925, Vve P. demanda la main-levée de l'interdiction, disant
avoir formulé sa requête sous la pression de sa fille et de M. D. La mise sous
tutelle a été maintenue par les instances cantonales et en dernier ressort par
arrêt du Tribunal fédéral du 15 décembre 1926, à teneur de l'art. 370 CCS.
Entre temps, le Dr P. avait été «déclaré en état de faillite dès le 28
décembre 1925» en application de l'art. 190 ch. 1
SR 281.1 Bundesgesetz vom 11. April 1889 über Schuldbetreibung und Konkurs (SchKG)
SchKG Art. 190 - 1 Ein Gläubiger kann ohne vorgängige Betreibung beim Gerichte die Konkurseröffnung verlangen:
1    Ein Gläubiger kann ohne vorgängige Betreibung beim Gerichte die Konkurseröffnung verlangen:
1  gegen jeden Schuldner, dessen Aufenthaltsort unbekannt ist oder der die Flucht ergriffen hat, um sich seinen Verbindlichkeiten zu entziehen, oder der betrügerische Handlungen zum Nachteile der Gläubiger begangen oder zu begehen versucht oder bei einer Betreibung auf Pfändung Bestandteile seines Vermögens verheimlicht hat;
2  gegen einen der Konkursbetreibung unterliegenden Schuldner, der seine Zahlungen eingestellt hat;
3  ...
2    Der Schuldner wird, wenn er in der Schweiz wohnt oder in der Schweiz einen Vertreter hat, mit Ansetzung einer kurzen Frist vor Gericht geladen und einvernommen.
LP.
Au printemps 1926, une reproduction hectographique de plaintes signées de Vve
P. et attaquant en particulier M. D. fut répandue à Fribourg. Le libelle du 5
avril 1926 traite M. D. de «personne effrontée», «sans gêne», «hypocrite», de
«chenapan»; celui du 11 mai 1926 qualifie M. D. de «coquin influent» qui a
fait sciemment confisquer les revenus de dame P., femme honorable et bientôt
octogénaire, «piétinée par un personnage exclu de l'armée suisse pour affaires
de moeurs»

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et «mise aux abois d'une façon déloyale et atroce».
Le 11 mai 1926, Me Bourgknecht, agissant pour M. D., porta plainte pénale
contre Vve P. et son fils le Dr P. pour calomnies. Il exposait que si la
circulaire hectographiée du 11 mai 1926 était l'oeuvre matérielle de Vve P.,
l'auteur moral et l'instigateur en était le Dr P. qui ne cessait depuis
plusieurs mois de poursuivre sous toutes les formes M. D., lui adressant le 29
décembre 1925 une sorte de provocation en duel, le sommant par Vve P., le 9
avril 1926, de donner des renseignements sur son état militaire, etc.
Le 14 mai 1926, M. D., qui était accompagné de MM. Berset, Président du
Tribunal de la Sarine et Bourgknecht, avocat, rencontra dans la rue de
Lausanne le Dr P. avec lequel il en vint aux mains.
Après cette altercation, Me Bourgknecht porta plainte au nom de MM. D. et B.,
Juge de Paix, contre le Dr P. pour outrage et demanda à la Préfecture de la
Sarine de procéder à la mise en observation de l'inculpé. Le Préfet refusa de
prendre cette mesure, estimant qu'il appartenait au Juge d'instruction de
faire examiner l'état mental du Dr P. Le Juge ne partagea pas cette manière de
voir.
Me Bourgknecht s'adressa alors le 1er juin 1926 à la Direction cantonale de la
Police, exposant que la situation était intenable, qu'un malheur pouvait se
produire d'un instant à l'autre et qu'il y avait lieu d'ordonner à la
Préfecture de mettre en observation le Dr P.
La Direction de la police fit droit à cette requête et, «soucieuse de prévenir
des faits plus malheureux encore» que ceux qui s'étaient produits jusqu'alors,
invita par office du 4 juin 1926 la Préfecture de la Sarine à «faire conduire
sans délai M. le Dr P. à l'Hospice de Marsens pour y être observé par M. le
médecin-chef de l'établissement.
Les motifs de cette décision se peuvent résumer comme suit: 1° L'état
d'exaspération du Dr P. à la suite

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d'opérations absolument correctes du tuteur de sa mère et de la Justice de
Paix de Fribourg «ne peut s'expliquer que par un déséquilibre mental». P. est
bien décidé à se servir des moyens les plus perfides pour nuire à ceux qui ont
sauvegardé les intérêts de Vve P. Plusieurs personnes qu'aucune hostilité
n'anime contre lui, ont exprimé leur crainte «de le voir arriver aux actes les
plus désespérés».
2° Indépendamment des faits qui intéressent MM. D. et B., la conduite de P.
s'est révélée anormale dans maintes circonstances, notamment dans les attaques
odieuses auxquelles il s'est livré contre sa soeur...
3º Le Dr Comte, tout en refusant de procéder à l'examen mental de son
collègue, parle des «agissements anormaux de celui-ci» et relève que, de
l'avis de plusieurs confrères, «sa conduite présente des bizarreries pour le
moins étranges».
Le 4 juin 1926, alors que le Dr P. faisait à l'Hôtel Terminus une partie de
billard avec M. W., il fut invité par le Dr G. à se laisser conduire en
automobile à Humilimont, puis à l'asile de Marsens. Le transport eut lieu sans
éveiller l'attention de tiers. Deux agents en civil suivaient dans une
automobile à une certaine distance.
Le Dr P. fut placé en seconde classe, mais bénéficia de certains avantages de
la première classe. Il était seul dans une chambre. Sa mise en observation
dura 23 jours. Il quitta Marsens le 28 juin 1926.
Dans l'intervalle, M. D. avait donné sa démission de tuteur de dame P. le 12
juin 1926.
Le 24 juin M. le Dr Voita, médecin-chef de l'asile de Marsens, adressa à M. le
Directeur de la police cantonale un rapport dans lequel il disait notamment:
Nous croyons que M. le Dr P. est atteint d'une «psychose à forme latente, en
évolution actuellement sous forme de petites poussées paroxystiques
caractérisées par la quérulence, tendance processive et paranoïaques, avec
idées de revendications et de suffisance». M. P. n'est pas,

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semble-t-il, dangereux pour autrui en ce moment et il conviendrait de le
laisser sortir au plus tôt afin de ne pas l'exaspérer outre mesure, tout en le
prévenant qu'il serait immédiatement arrêté et interné s'il commettait de
nouveaux excès. Le Dr Voita proposait en outre de faire procéder à une
expertise complémentaire par un psychiatre d'un autre canton.
D'accord avec le Dr P., cette expertise fut confiée à M. le Dr Ed. Borel,
médecin en chef de l'hospice de Perreux. Ce spécialiste formule dans son
rapport du 2 août 1926 les conclusions suivantes: Il existe chez le Dr P. une
mentalité qui diffère de la mentalité qu'on est convenu d'appeler normale.
Cette mentalité l'entraîne à des actes délictueux dont il est incapable de
saisir la portée; il fait preuve d'un caractère complètement insociable. Il y
a évidemment une infirmité psychique: déséquilibre mental entraînant un manque
d'esprit critique; interprétations fausses, soupçons qui frisent la
persécution. Sur un fond de dégénérescence et à l'occasion de circonstances
spéciales, sont venues se greffer des idées absolument délirantes avec
interprétations fausses, sans aucune systématisation nette ou classique, nous
assistons à une poussée aiguë d'une diathèse à évolution lente. Le Dr P.
présente actuellement des altérations des facultés mentales; son cas est du
ressort de la psychiatrie sans aucun doute.»
Le Dr P. consulta en outre M. le Dr Forel, à Yvorne. Après avoir lu notamment
les expertises Voita et Borel et examine pendant deux heures l'état mental du
patient, le Dr Forel déclare qu'il n'a trouvé aucun signe quelconque
d'aliénation mentale, ni «latente», ni «quérulente» et que la mentalité du Dr
P. lui «parait normale».
B. - Par demande intentée devant le Tribunal fédéral contre l'Etat de
Fribourg, le 8 novembre 1927, le Dr P. conclut avec dépens: 1° à ce que le
défendeur soit condamné à lui payer la somme de 100000 fr. ou ce que justice
connaîtra, à titre de dommages-intérêts et de

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réparation morale, avec intérêts à 5% dès le 12 mai 1927; 2° à la publication
du jugement dans trois journaux fribourgeois et suisses, au choix du demandeur
et aux frais du défendeur.
Le demandeur invoque les art. 48 ch. 4 et suiv. OJF; 41 et suiv., notamment 49
et 61 CO; 28 CCS; 13 de la loi fribourgeoise du 5 octobre 1850 sur la
responsabilité du Conseil d'Etat et de ses agents. Il traite sa mise en
observation d'arbitraire. Homme parfaitement réfléchi et pacifique, il a été
provoqué par le tuteur de sa mère qui est allé jusqu'à l'insulter et le
frapper en pleine rue. «L'internement forcé, illégal et scandaleux à Marsens»
a été possible grâce à l'influence de M. D. et à celle du Juge de Paix. Le
demandeur a dû quitter Fribourg où il possédait une belle clientèle. Du fait
de son internement il a subi un préjudice considérable dans ses intérêts
personnels et un tort moral non moins considérable.
C. - L'Etat de Fribourg a conclu au rejet de la demande parce que, «un danger
imminent étant à craindre», la mise en observation du Dr P. s'imposait. Il n'y
a eu aucun scandale lors de l'entrée du demandeur à Marsens et la durée de son
séjour dans cet établissement n'a pas dépassé le temps nécessaire à l'examen.
Le certificat du Dr Forel n'a pas de caractère officiel. Sorti de Marsens le
28 juin, le Dr P. aurait pu adhérer à la caisse d'assurance dans le délai qui
expirait le 30 juin. En droit, le défendeur invoque les art. 39 et 40 Cpp de
1873 et 9 al. 1 Cpp du 11 mai 1927; 13 loi de 1850 sur la responsabilité du
Conseil d'Etat et 61 CO.
Considérant en droit:
1.- Le Tribunal fédéral est compétent pour connaître du litige à teneur de
l'art. 48 ch. 4 OJF. Le différend relève du droit civil; il atteint en capital
la valeur prévue par la loi et il divise le canton de Fribourg d'avec un
particulier qui en a saisi le Tribunal fédéral comme instance unique.

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L'Etat de Fribourg est partie au procès non pas parce que ses agents auraient
commis des fautes et qu'il aurait refusé l'autorisation de les rechercher en
justice, mais parce que le demandeur s'en prend directement à l'Etat, lui
reprochant d'avoir arbitrairement ordonné l'internement «forcé, illégal et
scandaleux» à Marsens. Le défendeur est donc appelé à répondre de sa propre
faute et non de la faute de ses fonctionnaires ou employés comme c'était le
cas dans l'affaire Gäumann jugée le 13 juillet 1909 (RO 35 II p. 507 et sv.).
Aussi bien, loin de décliner sa responsabilité directe, l'Etat la prend-il
«entièrement à sa charge». Dès lors, il ne s'agit pas de l'application des
art. 13 et 14 de la loi cantonale du 5 octobre 1850 sur la responsabilité du
Conseil d'Etat et de ses agents, mais de la responsabilité de l'Etat lui-même
en sa qualité de personne morale de droit public, et c'est au regard des art.
41
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 41 - 1 Wer einem andern widerrechtlich Schaden zufügt, sei es mit Absicht, sei es aus Fahrlässigkeit, wird ihm zum Ersatze verpflichtet.
1    Wer einem andern widerrechtlich Schaden zufügt, sei es mit Absicht, sei es aus Fahrlässigkeit, wird ihm zum Ersatze verpflichtet.
2    Ebenso ist zum Ersatze verpflichtet, wer einem andern in einer gegen die guten Sitten verstossenden Weise absichtlich Schaden zufügt.
et suiv. CO qu'il y a lieu d'examiner le mérite de la demande.
2.- Le demandeur se plaint d'un préjudice matériel et moral que lui aurait
causé sa mise en observation prétendument illégale.
Pour que la responsabilité du défendeur soit engagée et l'Etat tenu de réparer
le dommage que le séjour dans un asile d'aliénés a dû causer au demandeur
d'après le cours ordinaire des choses (art. 42
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 42 - 1 Wer Schadenersatz beansprucht, hat den Schaden zu beweisen.
1    Wer Schadenersatz beansprucht, hat den Schaden zu beweisen.
2    Der nicht ziffernmässig nachweisbare Schaden ist nach Ermessen des Richters mit Rücksicht auf den gewöhnlichen Lauf der Dinge und auf die vom Geschädigten getroffenen Massnahmen abzuschätzen.
3    Bei Tieren, die im häuslichen Bereich und nicht zu Vermögens- oder Erwerbszwecken gehalten werden, können die Heilungskosten auch dann angemessen als Schaden geltend gemacht werden, wenn sie den Wert des Tieres übersteigen.26
CO), il faut que l'auteur du
dommage ait commis un acte illicite, soit qu'il ait outrepassé ses compétences
en ordonnant la mise en observation du Dr P., soit que, agissant dans les
limites de ses attributions, il ait pris cette mesure sans motifs suffisants,
soit enfin qu'il ait commis intentionnellement ou par négligence une faute
dans la manière de procéder à la mise en observation du demandeur (transport à
Marsens, traitement et durée du séjour dans cet établissement). Si le
demandeur ne réussit pas à établir la réalisation d'une de ces hypothèses et
si, par conséquent, l'Etat a agi régulièrement et avec le soin voulu dans
l'exercice de son droit et dans

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l'accomplissement de ses obligations, la demande doit être rejetée parce que
l'atteinte portée aux intérêts personnels du Dr P. n'est pas illicite (cf.
OSER, 2e édit., no 25 et sv. sur art. 41
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 41 - 1 Wer einem andern widerrechtlich Schaden zufügt, sei es mit Absicht, sei es aus Fahrlässigkeit, wird ihm zum Ersatze verpflichtet.
1    Wer einem andern widerrechtlich Schaden zufügt, sei es mit Absicht, sei es aus Fahrlässigkeit, wird ihm zum Ersatze verpflichtet.
2    Ebenso ist zum Ersatze verpflichtet, wer einem andern in einer gegen die guten Sitten verstossenden Weise absichtlich Schaden zufügt.
CO; BECKER, n. 27 et sv. sur le même
article: VOGT, Rechtsmässige Eingriffe des Staates in subjektive
Privatrechte...., notamment p. 40 et suiv.).
3.- A teneur de l'art. 3 de la Constitution fribourgeoise, «La liberté
individuelle est garantie. - Nul ne peut être arrêté que dans les cas prévus
par la loi et selon les formes qu'elle prescrit.» On pourrait discuter la
question de savoir si la mesure prise envers le Dr P. constitue une
arrestation au sens de la constitution et si, dès lors, l'art. 3 trouve
application. Mais cette question peut rester sans solution, vu les
dispositions spéciales du droit fribourgeois qui entrent en considération. Le
Cpp fribourgeois de 1873, encore en vigueur en 1926, prévoit à l'art. 39 que
«le préfet est chargé de pourvoir à la sûreté des personnes et des choses et à
la tranquillité publique». Mais à teneur de l'art. 49, «dans les cas d'urgence
ou lorsqu'il s'agit de faits s'étendant de plusieurs districts, la Direction
de la Police centrale prend ou ordonne directement les mesures attribuées aux
préfets». La loi organique du 11 octobre 1919 concernant les établissements de
Marsens et d'Humilimont statué à l'art. 17 que «sont admis à l'asile d'aliénés
de Marsens, aux conditions fixées par le règlement: ... d) les personnes
placées d'office en observation par les autorités judiciaires pour expertises
médico-légales». L'art. 18 exige, pour «l'admission à l'asile», une
constatation de la maladie mentale par un médecin. Ces dispositions règlent
les cas ordinaires dans lesquels l'asile est autorisé à admettre certaines
catégories de personnes. Pour les cas extraordinaires d'urgence et de danger
imminent, la loi statue le placement d'office à Marsens sans délivrance
préalable d'un certificat médical. Aux termes de l'art. 20: «Sont placés
d'office les aliénés du Canton qui présentent un danger sérieux pour la

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sécurité ou qui sont un objet de scandale .... En cas de contestation sur
l'état mental du malade, le Conseil d'Etat désigne une commission d'experts,
qui tranche définitivement». Enfin, il convient de relever qu'à teneur de
l'art. 55 de la loi du 20 mai 1919 sur les auberges, «en dehors de toute
infraction pénale, l'alcoolique qui constitue un danger par ses actes ou ses
menaces, soit pour lui-même, soit pour autrui, peut être interne d'office et
d'urgence dans un établissement destiné spécialement au traitement des
affections mentales, conformément à la loi pour l'établissement d'un asile
d'aliénés à Marsens». Cette dernière disposition ne trouve pas, à la vérité,
d'application directe en l'espèce, mais elle contribue à montrer avec les
autres dispositions citées (notamment art. 39 et 49 Cpp, 20 loi relative à
Marsens) à quelles conditions l'Etat est fondé à placer d'office un
particulier dans un établissement hospitalier aux fins de l'empêcher de nuire
à lui-même ou à autrui. Ce droit existe dès qu'il faut parer à un danger
sérieux et imminent. Les deux conditions légales de l'intervention d'office
sont donc l'urgence et le caractère sérieux du péril menaçant.
Pour autoriser le pouvoir public à prendre des mesures immédiates, il n'est au
reste pas nécessaire que les circonstances lui en fassent impérativement un
devoir, il suffit qu'elles soient de nature à faire apparaître ces mesures
comme raisonnables et adaptées à la situation, en un mot, comme opportunes.
Une certaine latitude d'appréciation doit être laissée à l'autorité, sinon on
l'entraverait dans l'accomplissement de sa mission qui est de pourvoir à la
sûreté des personnes et des choses et de maintenir la sécurité, la
tranquillité et l'ordre publics. Et le pouvoir public doit intervenir aussitôt
que fût-ce un seul des membres de la société est sérieusement menacé, car
l'Etat a le devoir de faire en sorte que chacun puisse vivre paisiblement sur
son territoire.
4.- Examinées à la lumière de ces principes, les

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circonstances de l'espèce montrent la compétence du défendeur pour agir et
l'opportunité de son intervention.
L'état d'esprit du demandeur dès la fin de 1925 apparaît déjà dans l'espèce de
provocation en duel envoyée à M. D. le 29 décembre 1925, puis dans les
télégrammes adressés à diverses personnes au milieu de la nuit, notamment à
MM. D. et B., dans les lettres que le demandeur a expédiées lui-même en
janvier 1926 à l'adresse de plusieurs pensionnaires d'une institution dont sa
soeur était alors directrice et enfin dans les libelles répandus aux mois
d'avril et mai 1926 sous le nom de la mère du Dr P., mais dont celui-ci est
manifestement l'inspirateur et pour lesquels il encourt tout au moins une
responsabilité morale.
Dans les lettres du Dr P., du mois de janvier 1926, on lit: «Votre directrice
vous aura peut-être confié que sa vieille maman est dans une situation
extrêmement pénible. Tombée en puissance d'un individu qui a fait saisir son
revenu, elle est privée de ses moyens d'existence. C'est pourquoi je viens
implorer votre secours ... J'admire beaucoup le courage de votre chère
directrice qui peut participer à toutes les réjouissances ... sans que les
sentiments de tristesse qu'elle ressent ne viennent troubler la fête .... Je
doute qu'au pays d'où vous venez les faits auxquels je fais brièvement
allusion soient tolérés.»
Dans la circulaire du 5 avril 1926 se trouvent entre autres passages les
suivants: «Il y a des personnes effrontées, parmi lesquelles se distingue M.
Léon D.... lequel est tout à fait sans gêne ... lui-même a fait confisquer
sciemment mes revenus, privant ainsi sa propre pupille de ses moyens
d'existence ... L'acte infâme qui consiste à priver une femme de 78 ans de ses
ressources a été dénoncé impérieusement aux autorités .... Personne n'a eu le
coeur de mettre à l'ordre M. D ....Non seulement mon fils est ruiné par cet
étrange tuteur, mais encore mes propres intérêts sont compromis .... Aussi ce

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chenapan pouvait-il dire en riant, parlant de moi à ma servante: «Il ne lui
restera pas une assiette» .... J'ai très peur de cet homme qui ne se ferait
pas le moindre scrupule de me faire disparaître dans quelque retraite ....
C'est pourquoi j'implore aide et protection et j'adresse un pressant appel aux
autorités de la ville et du canton, aux journaux locaux et du dehors et à
toute personne qui a souci de justice.»
La circulaire du 11 mai 1926 renferme des plaintes et un appel analogues: «La
détresse où je me trouve m'oblige de solliciter votre bienveillante attention.
Je suis tombée en puissance de M. Léon D.... qui, grâce à la connivence de
certains organes de la justice, plus soucieux de protéger un coquin influent
que de défendre ses victimes, m'a mise aux abois d'une façon déloyale et
atroce .... Il est inadmissible qu'une femme honorable et bientôt octogénaire
soit piétinée par un personnage exclu de l'armée suisse pour affaire de
moeurs.»
Ces missives dénotent un esprit troublé, un certain déséquilibre mental, la
perte d'un sain jugement, l'absence de toute retenue, une haine irraisonnée et
une exaspération extrême. Les plaintes du demandeur sont en effet injustifiées
et ses accusations purement gratuites et controuvées. Il est avéré que M. D.
était animé. des meilleures intentions à l'égard de Mme P., qu'il a agi dans
l'intérêt de cette dernière et pris des mesures judicieuses pour sauver ce qui
pouvait encore être sauvé de la fortune de sa pupille. Il est également avéré
que les autres personnes auxquelles le Dr P. s'en prenait avec une telle
véhémence ne lui voulaient aucun mal. Au reste, les griefs du demandeur
eussent-ils même eu quelque fondement qu'il était inadmissible de les faire
valoir par les voies choisies.
On comprend des lors que M. D. ait pu craindre que le demandeur ne s'en tienne
pas aux libelles diffamatoires. Et cela d'autant plus que le demandeur est
allé jusqu'à proférer des menaces graves et que plusieurs

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personnes, dont des magistrats, étaient persuadées qu'il portait sur lui un
revolver. M. D. a déclaré: «Je savais Pégaitaz armé ... J'ai donc demandé au
Président (du Tribunal de la Sarine) et au Préfet d être protégé .... Il
m'était entr'autres revenu, par mes petits-enfants, que P. avait annoncé qu'il
pratiquerait sur moi la lapariotomie et entourerait mes boyaux auteur de sa
canne.» Cela étant et vu l'ensemble des faits portés à la connaissance du
pouvoir public, celui-ci était fondé à admettre qu'il y avait danger grave et
imminent et qu'il était urgent d'intervenir pour empêcher un malheur.
La décision du défendeur se comprend d'autant mieux que la mise en observation
du Dr P. était le seul moyen de se rendre compte exactement de son état
mental, car le médecin, auquel l'autorité était adressée, avait refusé
d'examiner son collègue, tout en laissant entendre qu'un examen n'était pas
superflu puisqu'il parle d'«agissements anormaux» de Pégaitaz et relève que de
l'avis de plusieurs de ses confrères à sa conduite présente des bizarreries
pour le moins étranges».
On ne saurait donc dire que l'Etat ait outrepassé ses compétences en ordonnant
la mise en observation du demandeur, ni qu'il ait pris cette mesure sans
motifs suffisants.
Le résultat de l'examen mental auquel le Dr Voita a soumis le demandeur à
Marsens, loin d'établir que l'Etat a agi sans motifs sérieux et objectifs,
montre au contraire qu'il a fait de ses attributions un usage raisonnable et
opportun. Et l'expert officiel, Dr Borel, arrive également à des conclusions
qui justifient la mesure ordonnée par l'Etat (v. p. 447 ci-dessus). Cela
étant, l'opinion isolée du Dr Forel, consulté à titre privé par le demandeur,
ne saurait prouver l'existence d'une faute engageant la responsabilité du
défendeur.
5.- Reste à examiner si le défendeur a commis une faute, intentionnellement ou
par négligence, dans la manière de procéder au transport du demandeur à
Marsens et à sa mise en observation.

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Ici encore, aucun reproche ne peut être fait à l'Etat. Il a agi avec le plus
de ménagement possible. Afin d'éviter tout froissement et toute publicité, le
Directeur de la police s'est adressé au médecin G., un ami du Dr P., et l'a
prié de conduire celui-ci à l'asile. L'entrevue entre M. Grüner et le
demandeur eut lieu à l'Hôtel Terminus en présence d'une seule autre personne,
M. W. avec lequel P. faisait une partie de billard. Le transport s'effectua
sans éveiller l'attention de tiers. Et si deux agents en civil ont suivi à une
certaine distance dans une auto la voiture où se trouvait le demandeur, ils
l'ont fait de façon discrète; cette précaution, prise pour parer à toute
éventualité, était d'ailleurs parfaitement justifié et nullement de nature à
causer au demandeur un préjudice moral.
Quant au régime auquel le demandeur a été soumis à Marsens, il ne prête à
aucune critique. Placé en seconde classe, le Dr P. a bénéficié de certains
avantages de la première classe. Il avait une chambre personnelle, mais il n'y
était pas au secret, et il jouissait d'une liberté relative, étant autorisé à
quitter sa chambre, à prendre les repas avec les autres malades s'il le
préférait et à se livrer à son jeu favori, le billard. Sa mise en observation
n'a duré que le temps nécessaire pour l'examen de son état mental.
De tout ce qui précède, il résulte que, le défendeur n'ayant commis aucun acte
illicite, les conclusions de la demande doivent être rejetées sans qu'il y ait
lieu d'examiner dans quelle mesure le demandeur a subi un dommage à la suite
de sa mise en observation.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette la demande.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 54 II 443
Date : 01. Januar 1927
Publié : 21. November 1928
Source : Bundesgericht
Statut : 54 II 443
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : Pour que la responsabilité de l’Etat soit engagée et celui-ci tenu de réparer le dommage que la...


Répertoire des lois
CO: 41 
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 41 - 1 Celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer.
1    Celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer.
2    Celui qui cause intentionnellement un dommage à autrui par des faits contraires aux moeurs est également tenu de le réparer.
42
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 42 - 1 La preuve du dommage incombe au demandeur.
1    La preuve du dommage incombe au demandeur.
2    Lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée.
3    Les frais de traitement pour les animaux qui vivent en milieu domestique et ne sont pas gardés dans un but patrimonial ou de gain font l'objet d'un remboursement approprié, même s'ils sont supérieurs à la valeur de l'animal.25
LP: 190
SR 281.1 Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP)
LP Art. 190 - 1 Le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable:
1    Le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable:
1  si le débiteur n'a pas de résidence connue, s'il a pris la fuite dans l'intention de se soustraire à ses engagements, s'il a commis ou tenté de commettre des actes en fraude des droits de ses créanciers ou celé ses biens dans le cours d'une poursuite par voie de saisie dirigée contre lui;
2  si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements;
3  ...
2    Le débiteur qui a une résidence ou un représentant en Suisse est assigné à bref délai devant le juge pour être entendu.
Répertoire ATF
54-II-443
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
d'office • examinateur • tribunal fédéral • conseil d'état • urgence • automobile • acte illicite • mois • pupille • juge de paix • directeur • tort moral • responsabilité de l'état • intérêt personnel • vue • doute • montre • 1919 • ordre public • avis
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