S. 225 / Nr. 43 Familienrecht (f)
BGE 54 II 225
43. Arrêt de la IIe Section civile du 15 juin 1928 dans la cause Tcherniak
contre Tcherniak.
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Regeste:
Recours en réforme. Les jugements par lesquels les tribunaux suisses se
déclarent incompétents, en vertu de l'article 59 chiff. 7 litt. h Tit. fin.
CCS, pour prononcer le divorce d'étrangers, doivent être assimilés à de
véritables jugements au fond. Ils ne peuvent, dès lors, être attaqués devant
le Tribunal. fédéral que par la voie du recours en reforme (consid. l).
Divorce d'étrangers en Suisse. Interprétation de l'article 59
chiff. 7 litt. h Tit. fin. - CCS.- Les tribunaux suisses sont compétents pour
prononcer le divorce de citoyens russes (consid. 3 à 5).
Rouvin Tcherniak et Paya Movcheva Feiguine, tous deux sujets russes, de
confession israélite, se sont marié le 25 février 1907 à Gomel, gouvernement
de Mohilev (Russie). Six enfants sont nés de cette union. Les époux ont quitté
la Russie déjà avant la guerre mondiale et n'y sont plus revenus. Ils sont
établis en Suisse depuis de longues années.
Le 13 mai 1925, Tcherniak a ouvert action en divorce devant les tribunaux
genevois, en invoquant les art. 137, 138 et 142 CCS. Dame Tcherniak a conclu,
reconventionnellement, au divorce, en alléguant que son mari l'avait frappée,
abandonnée, et qu'il avait eu une maîtresse.
En date du 23 novembre 1925, le Tribunal de première instance de Genève s'est
déclaré incompétent pour statuer sur les demandes. Les deux parties ont fait
appel.
Dans sa séance du 29 novembre 1927, la Cour de Justice de Genève a maintenu le
jugement attaqué,
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L'instance cantonale considère, en résumé, ce qui suit:
Les époux Tcherniak sont au bénéfice de certificats d'identité dit Nansen, qui
leur ont été délivrés, comme réfugiés russes, par le Département fédéral de
Justice et Police, en vertu de l'arrangement international des 5 juillet
1922/31 mai 1924. La possession de pareilles pièces ne prouve, cependant,
point que les intéressés soient devenus heimatlos. Les certificats Nansen
sont, en effet, délivrés aux «personnes d'origine russe qui ne jouissent pas
ou ne jouissent plus de la protection du gouvernement de l'Union des
républiques socialistes soviétiques, et qui n'ont pas acquis une autre
nationalité. Or le retrait de la protection officielle ne permet pas de
conclure avec une certitude suffisante à la perte de l'indigénat. Les époux
Tcherniak n'ont, d'ailleurs, peint établi qu'ils aient renoncé à leur
nationalité d'origine ou qu'ils en soient déchus pour une cause quelconque.
Ils doivent donc être considérés comme russes.
Aux termes de l'art. 59 chiff. 7 litt. h du Titre final du CCS, les tribunaux
suisses ne sont compétents pour statuer sur une action en divorce intentée par
un époux étranger que si le demandeur justifie que les lois ou la
jurisprudence de son pays admettent la cause de divorce invoquée et
reconnaissent la juridiction suisse. Or les déclarations produites dans la
cause ne sauraient être prises en considération par les tribunaux suisses, car
elles émanent d'un gouvernement non reconnu. Les pièces en question ne
prouvent, d'ailleurs, point qu'un divorce de ressortissants russes, prononcé
par les tribunaux suisses, serait actuellement déclaré valable en Russie.
Tcherniak a recouru en reforme au Tribunal fédéral. Il conclut à ce que la
juridiction genevoise soit déclarée compétente pour statuer sur la demande en
divorce, et la cause renvoyée, dès lors, à l'instance cantonale pour jugement
sur le fond. Se déterminant sur le pourvoi, dame Tcherniak a déclaré prendre
les mêmes conclusions que son mari.
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Considérant en droit:
1.- La question se pose de savoir si le recourant a bien procédé en portant
l'affaire devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en réforme, ou
s'il aurait dû interjeter un recours de droit public ou un recours de droit
civil.
Alors même qu'il s'agirait d'une pure question de for ou de compétence, un
recours de droit public serait irrecevable, parce que l'on se trouve en
présence d'un jugement rendu en matière civile par la dernière instance
cantonale, en application d'une disposition du code civil suisse, et non pas
d'un traité international, et que la voie du recours de droit civil serait
donc ouverte aux parties.
Mais, en l'espèce, le jugement de la Cour de Justice civile de Genève, rendu
en application de l'art. 59 chiffre 7 h du Titre final du CG, ne constitue pas
un jugement d'incompétence proprement dit; la discussion ne porte ni sur une
question de for, ni sur la question de savoir quel est le droit applicable.
L'art. 59 chiffre 7 h précité pose une condition de droit matériel; pour
pouvoir intenter une action en divorce devant le juge de son domicile,
l'étranger habitant la Suisse doit établir que les lois ou la jurisprudence de
son pays d'origine admettent la cause de divorce invoquée et reconnaissent la
juridiction suisse. Le juge du domicile est seul compétent; il fait
application de la loi suisse et examine préalablement si la condition de
l'art. 59 chiff 7 h Titre final est dûment remplie. Lorsqu'il se prononce,
comme en l'espèce, pour la négative, la prétention de droit matériel du
demandeur est écartée définitivement; nul autre tribunal ne peut appliquer la
disposition dont il s'agit et le demandeur n'est plus à même d'obtenir que son
divorce soit prononcé d'après la loi suisse.
L'on doit dès lors assimiler le jugement attaqué à un véritable jugement au
fond dans le sens de l'art. 58 OJF.
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Il s'ensuit que le présent recours est recevable à la forme.
2.- L'instance cantonale considère que les époux Tcherniak n'ont pas établi
avoir perdu leur nationalité d'origine. Cette question rentre dans le statut
personnel des intéressés. Elle relève donc du droit russe et, partant, échappe
à la connaissance du Tribunal fédéral. Au surplus, elle parait avoir été bien
jugée par la Cour cantonale. Tcherniak invoque, il est vrai, les mesures de
dénationalisation prises par le gouvernement des Soviets. Sans doute, l'art.
1er litt. a du décret du Comité exécutif panrusse, du 15 décembre 1921, vise,
notamment, les sujets russes émigrés avant la révolution de 1917 et résidant,
depuis lors, sans interruption hors du pays. Les personnes en question sont
déchues de leur droit de cité si, demeurant à l'étranger depuis plus de cinq
ans, elle n'ont pas reçu, avant le 1er janvier 1923, des passeports
soviétiques par l'entremise des délégués russes à l'extérieur. Toutefois, dans
les pays ou, au moment de la publication dudit décret, une représentation
soviétique n'était pas encore instituée, le terme dont il s'agit devait être
fixé ultérieurement seulement. C'est ainsi qu'en France, par exemple, le délai
accorde pour l'inscription des anciens sujets russes a commencé courir à fin
1924 (jugement de la Cour d'appel de Paris, du 30 avril 1926, affaire Chigeri
et du Tribunal de la Seine, du 24 décembre 1926, affaire de Mayenne contre
Joutel, Revue de droit international privé 1927 p. 242 et suiv., et 1928 p. 97
et suiv.), Point n'est besoin de rechercher si, comme l'ont admis les
tribunaux français, ledit délai est de cinq ans ou si, au contraire, il a pris
fin, pour la France, le 12 décembre 1925 déjà (cf. TRACHTENBERG, La
Nationalité et le statut personnel des Russes résidant en France, dans la
Revue de droit international privé 1928 p. 167 et suiv.). Il suffit de
constater qu'aucune représentation russe du nouveau régime n'ayant été établie
auprès du Conseil fédéral,
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le délai d'immatriculation, emportant déchéance de la nationalité, n'a pas
encore commencé à courir à l'égard des Russes domiciliés en Suisse, de la
catégorie à laquelle appartiennent les époux Tcherniak. Il convient donc
d'admettre, jusqu'à preuve du contraire, que les conjoints ont conservé
l'indigénat russe.
3.- Aux termes de l'art. 59 chiff. 7 litt. h du Titre final du CCS, «un époux
étranger qui habite la Suisse a le droit d'intenter son action en divorce
devant le juge de son domicile, s'il établit que les lois ou la jurisprudence
de son pays d'origine admettent la cause de divorce invoquée et reconnaissent
la juridiction suisse». L'alinea 3 ajoute: «Lorsque ces conditions sont
remplies, le divorce d'époux étrangers est, d'ailleurs, prononcé selon la loi
suisse.»
Il n'est pas douteux que la législation soviétique n'admette les motifs
invoqués par les époux Tcherniak comme cause de divorce. Le Consulat général
de l'U.R.S.S. à Paris a, en effet, certifié conforme l'extrait suivant du Code
des lois sur les actes de l'état civil, le droit du mariage, de la famille et
de la tutelle:
«art. 87: Le divorce peut être fondé, tant sur le consentement mutuel des deux
conjoints que sur le désir de l'un d'eux de divorcer.
art. 88: La demande en dissolution de mariage peut être présentée, soit par
écrit, soit verbalement avec enregistrement dans un procès-verbal.
art. 89: A la demande en dissolution du mariage doit être joint un certificat
de mariage ou, quand le déclarant n'a pas de certificat, l'attestation sous sa
signature de son état de mariage et du lieu de célébration du mariage,
lui-même prenant la responsabilité de l'exactitude des indications fournies.
art. 90: Les demandes en dissolution de mariage sont présentées au tribunal du
lieu de domicile des deux époux ou à un tribunal local au choix des requérants
et, si la demande en divorce émane de l'un des deux
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conjoints seulement, au tribunal du lieu de domicile de l'époux demandeur ou
de l'époux défendeur.
art. 91: S'il y a consentement mutuel des deux époux, la demande en
dissolution de leur mariage peut être présentée, soit au tribunal local, soit
à l'organe d'enregistrement des mariages où est conservée l'inscription dudit
mariage.
art. 92: Le chef de l'organe d'enregistrement des actes d'état civil, après s
être assuré que la demande en dissolution de mariage émane effectivement des
deux époux, procède à l'inscription du divorce et délivre aux anciens époux,
s'ils le désirent, des certificats de divorce.»
Il résulte de ces textes qu'à coté du divorce par consentement mutuel, inconnu
du droit suisse, la législation soviétique admet la dissolution du mariage sur
requête unilatérale de l'un des époux et que, dans ce cas, les tribunaux
jouissent d'un pouvoir d'appréciation souverain, la loi n'énumérant pas
limitativement les causes de divorce. Rien ne s'oppose, dès lors, à ce que le
jugement soit prononcé en vertu des articles 137 et suiv. CCS (cf. solution
identique de la jurisprudence allemande; FREUND, dans le Journal du droit
international, 1924, p. 57-58).
4.- Reste à examiner si les parties ont rapporté la preuve que les lois ou la
jurisprudence russes reconnaissent la juridiction suisse.
L'instance cantonale a dénié, d'entrée de cause, toute portée aux actes et aux
déclarations des autorités russes actuelles, parce qu'émanant d'un
gouvernement non reconnu. Cette objection n'est pas suffisante. Le Tribunal
fédéral a déjà considéré, dans l'arrêt Hausner, du 10 décembre 1924, que la
non-reconnaissance des Soviets par la Suisse déploie ses effets dans un autre
domaine et que le droit russe n'en existe pas moins, pour le juge suisse, en
tant qu'il n'est pas contraire à l'ordre public (RO 50 II p.-512; v., sur le
dernier point, RO 51 II
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p. 264 et 53 III p. 58). Il ne s'agit même pas, d'ailleurs, dans la présente
affaire, de reconnaître, comme lors de la première espèce, les répercussions
indirectes du droit révolutionnaire sur notre sol. Car le divorce des
étrangers en Suisse n'appelle pas l'application de la loi nationale des
parties. La dissolution du mariage ne peut être prononcée que pour les causes
et avec tous les effets de la lex fori, mais le législateur fédéral subordonne
volontairement sa propre compétence à deux conditions: l'admission de la cause
de divorce et la reconnaissance de la juridiction suisse. Or la circonstance
que les actes et jugements: des autorités bolchevistes sont dépourvus de force
exécutoire sur territoire fédéral n'empêche nullement les parties de prouver
et les juges suisses de retenir le fait que l'Etat russe admettrait la
validité des divorces d'époux russes prononcés en Suisse.
5.- Le recourant invoque, à cet égard, les pièces suivantes:
a) Lettre de l'Ambassade de l'U.R.S.S. à Berlin (Konsularabteilung), du 23
avril 1923, a MMes X et Y, avocats à Genève:
«En réponse à votre lettre du 12 mars, adressée à M. l'Ambassadeur Krestinski,
nous avons l'honneur de vous communiquer le suivant:
1. La législation de la République socialiste fédérative des Soviets de Russie
ne connaît que le mariage civil et admet la validité du dernier ou qu'il soit
contracté.
2. Le divorce d'époux même mariés sous l'ancien régime tzariste est admis par
les lois et la jurisprudence russes actuelles.
3. Le droit russe admet la juridiction suisse pour prononcer le divorce
d'époux russes pour motifs indéterminés comme: incompatibilité d'humeur,
abandon, consentement mutuel.»
b) Lettre de la même Ambassade, du 14 juin 1924, à Me Z., avocat à Genève:
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«In der Angelegenheit der Frau Fanny Tcherniak teilt Ihnen die
Konsular-Abteilung der Bevollmächtigten Vertretung (Botschaft) der Union der
Sozialistischen Sowjet-Republiken in Deutschland mit, dass eine von
schweizerischen Gerichten ausgesprochene Ehescheidung seitens der zuständigen
Amtsstellen der Union der Sozialistischen Sowjet-Republiken als rechtsgültig
anerkannt wird.»
c) Certificat du Consulat général de l'U.R.S.S. à Paris, du 6 avril 1925.
d) Décret du Commissariat de la Justice, du 6 juillet 1923, disposant, entre
autres, ce qui suit (d'après FREUND, Das Zivilrecht Sowjet-Russlands p. 69):
«Jede Scheidung, die im Auslande nach den örtlichen Gesetzen vollzogen ist,
wird als solche, gleichgültig wo und wann die aufgelöste Ehe geschlossen ist,
in der R.S.F.S.R. anerkannt, ausser in den Fällen, in denen die Auflösung der
Ehe eines russischen Bürgers oder deren Nichtigkeitserklärung entgegen dem
Willen beider Ehegatten aus formellen Gründen erfolgt ist.»
e) Lettre du Département fédéral de Justice et Police, du 19 octobre 1924, au
Bureau central de bienfaisance de Genève.
f) Circulaire du Département fédéral de Justice et Police aux autorités
cantonales de surveillance de l'état civil, du 31 mars 1925 (Feuille fédérale
1925 II p. 157 no 20).
Or le décret du Commissariat du peuple à la Justice, du 6 juillet 1923, cité
sous litt. d, ne souffre aucune équivoque. Point n'est besoin de rechercher si
l'autorité dont il émane était compétente pour prendre pareille mesure
législative. C'est là, en effet, une question de droit interne, dans laquelle
le Tribunal fédéral ne saurait s'immiscer.
En édictant l'art. 59 chiff. 7 litt. h du Titre final CCS, le législateur
voulait, au surplus, atténuer les exigences de l'ancienne loi fédérale sur
l'état civil (art. 56), exigences qui, pratiquement, avaient mis obstacle,
jusqu'alors,
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à tout divorce d'étrangers en Suisse (voir rapport de gestion du Tribunal
fédéral pour l'année 1880, Feuille fédérale 1881 II p. 337; cf. RO 43 II p.
283 et suiv. consid. 3). Or l'article 56 se bornait à demander la preuve de la
reconnaissance par l'Etat d'origine des époux, preuve qu'il était loisible de
rapporter, soit par le texte d'une loi, soit par l'édition d'une
jurisprudence, soit encore par des déclarations de l'autorité compétente (RO
23 II p. 983). En substituant au terme: Etat, l'expression: «lois ou
jurisprudence», le CCS n'a donc pas tant restreint que précisé: Les jugements
étrangers indiquent aujourd'hui de façon absolue le sens qu'il convient
d'attacher au texte légal, et les tribunaux suisses ne sont point en droit de
donner dudit texte une interprétation personnelle différente. Mais la preuve
exigée par l'article 59 n'est pas cumulative. Si, par conséquent, l'on
démontre que les lois etrangères admettent l'introduction d'une demande en
divorce devant les tribunaux suisses, il ne sera plus nécessaire d'établir,
par surcroît, l'existence d'un ensemble d'arrêts adoptant les mêmes principes.
Il serait, également, excessif de refuser, de façon générale, toute portée aux
déclarations des autorités gouvernementales ou administratives étrangères. Si,
dans l'arrêt Motard (RO 43 II p. 284 et suiv.), le Tribunal fédéral n'a pas
cru pouvoir considérer de telles déclarations comme décisives, c'est parce
qu'elles réservaient expressément le principe de la séparation des pouvoirs
(v. ibid. p. 279) et que la jurisprudence dominante des tribunaux français
semblait ne pas concorder, à l'époque, avec les assurances officielles. Mais,
si, dans un Etat, le soin de reconnaître les jugements étrangers appartenait
(comme dans certains cantons) exclusivement aux organes administratifs, les
tribunaux suisses ne pourraient, évidemment, exiger la preuve d'une
«jurisprudence» et ils seraient forcés de tenir compte de la pratique
administrative. Rien ne s'oppose, également, à ce que, faute de texte légal,
le juge suisse base son arrêt sur des
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déclarations officielles attestant l'existence d'une jurisprudence, et à ce
que de telles déclarations soient considerées, jusqu'à preuve du contraire,
comme l'expression de la réalité. Les documents reproduits sous litt. a, b et
c, peuvent d'autant moins être négligés, à ce point de vue, qu'ils confirment
les conclusions tirées, par ailleurs, des actes législatifs. On doit donc, en
définitive, admettre que les époux Tcherniak ont fait la preuve des
circonstances visées à l'article 59 chiff. 7 litt. h Titre final, et qu'ils
sont recevables à porter devant la juridiction suisse leur demande en divorce.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis, le jugement cantonal annule et la cause renvoyée à
l'instance compétente, pour instruction et jugement sur le fond.