BGE 54 II 222
42. Extrait de l'arrêt de la II e Section civile du 4 avril 1928 dans la cause
Doleyres contre C.F.F.
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Regeste:
Etendue de la responsabilité civile des entreprises de chemins de fer et de
bateaux à vapeur et des postes.
Les dommages que l'entreprise est tenue de réparer, en cas de mort de la
victime, sont énumérés limitativement aux art. 2, 11 et 8 de la loi fédérale
de 1905; les ayants droit ne peuvent exiger la réparation d'un préjudice causé
indirectement par l'accident au patrimoine du défunt. La «somme équitable» ·
de l'art. 8 ne saurait comprendre le montant d'un dommage indirect constaté.
Résumé des faits:
Ensuite d'un accident mortel engageant la responsabilité civile des C.F.F.,
les ayants droit ont réclamé entre autres une somme de 20000 fr., représentant
le montant d'une perte subie dans la liquidation du train de campagne exploité
par les victimes.
L'instance cantonale a fait droit à leur demande en leur allouant, en sus de
l'indemnité pour tort moral proprement dite, une somme de 20000 fr. en
application de l'art. 8 de la loi de 1905.
Sur recours des C.F.F., le Tribunal fédéral a débouté les demandeurs de leurs
conclusions tendant à la réparation dudit dommage.
Extrait des considérants:
2.- Il est constant que le décès de Gustave et Méta Doleyres a obligé le
tuteur des enfants à liquider le train de campagne exploité par les victimes
et que cette vente s'est faite, de par les circonstances, à des conditions
défavorables. A dire d'expert, la perte résultant de la mévente du bétail et
des instruments aratoires serait d'au moins 20000 fr. L'instance cantonale a
jugé que les C.F.F. devaient réparer ce préjudice indirect;
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elle a ajouté de ce chef une somme de 20000 fr. au montant de l'indemnité
allouée en application de l'art. 8 de la loi.
Sur ce point, les C.F.F. critiquent avec raison le jugement attaqué.
Il est clair, tout d'abord, que la réparation du dommage en question ne peut
être accordée en application de l'art. 8 précité; l'indemnité prévue par cette
disposition, pour le cas ou l'entreprise est en faute, se caractérise comme
une indemnité satisfactoire, destinée à réparer avant tout le tort moral causé
par l'accident; elle doit être allouée «indépendamment de la réparation du
dommage constate», c'est-à-dire en sus du préjudice matériel dûment établi que
l'entreprise est tenue d'indemniser en vertu de sa responsabilité causale.
S'il est vrai que les termes mêmes de la loi n'empêchent point le juge,
lorsqu'il fixe le montant de la «somme équitable», de tenir compte de certains
éléments matériels, difficilement appréciables, il ne saurait cependant
ajouter sans autre à l'indemnité satisfactoire le montant d'un préjudice
indirect constaté.
D'autre part, la responsabilité spéciale des entreprises de chemin de fer ne
s'étend pas aux dommages matériels résultant indirectement de l'accident. En
cas de mort de la victime, l'entreprise n'est légalement tenue de réparer que
les préjudices énumérés aux art. 2 et 11 de la loi de 1905, soit de rembourser
les frais causés par la mort, notamment ceux d'inhumation, d'indemniser de la
perte de leur soutien les personnes qui en sont privées par le décès de la
victime, et de payer la valeur des objets perdus, détruits ou avariés qui se
trouvaient sous la garde personnelle de la victime, si l'avarié, la perte ou
la destruction est en connexité avec l'accident. Lorsque l'entreprise est en
faute, elle doit en outre une indemnité équitable à titre de réparation
morale. On ne saurait étendre cette responsabilité à d'autres dommages en
tirant argument des termes généraux de l'art. 1 de la loi; cette disposition
n'a pas d'autre portée
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que de décréter en principe la responsabilité causale des entreprises visées
par la loi; l'étendue de cette responsabilité est fixée par les art. 2 et
suivants, dont l'énumération est limitative. A cet égard, l'intention du
législateur n'est point douteuse; elle a été de mettre en harmonie les
dispositions de la loi spéciale sur la responsabilité des chemins de fer avec
celles du droit commun, c'est-à-dire du code des obligations (cf. Rapport du
Conseil fédéral du 18 août 1896, Feuille fédérale 1896, vol. III p. 1037 et
suiv.). Or, dans le système du code des obligations, les ayants droit d'une
personne décédée, ensuite d'un accident dont l'auteur répond en vertu des art.
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SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 41 - 1 Celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer. |
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1 | Celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer. |
2 | Celui qui cause intentionnellement un dommage à autrui par des faits contraires aux moeurs est également tenu de le réparer. |
décès, une indemnité pour la perte de leur soutien, et, dans certains cas, une
indemnité équitable à titre de réparation morale (art. 45
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 45 - 1 En cas de mort d'homme, les dommages-intérêts comprennent les frais, notamment ceux d'inhumation. |
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1 | En cas de mort d'homme, les dommages-intérêts comprennent les frais, notamment ceux d'inhumation. |
2 | Si la mort n'est pas survenue immédiatement, ils comprennent en particulier les frais de traitement, ainsi que le préjudice dérivant de l'incapacité de travail. |
3 | Lorsque, par suite de la mort, d'autres personnes ont été privées de leur soutien, il y a également lieu de les indemniser de cette perte. |
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat CO Art. 47 - Le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d'homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale. |
faite de la réparation des dégâts matériels causés directement par l'accident,
l'énumération des art. 45 et 47 est également limitative; les survivants ne
peuvent exiger des dommages-intérêts pour le préjudice occasionné
indirectement par l'accident aux biens du défunt (cf. VON TUHR, p. 329; RO 11
p. 537; 19 p. 996; 20 p. 209; 53 II p. 124; arrêt Arrigoni c. Zarifi, du 6
mars 1928).
Ce qui prouve d'ailleurs que le législateur n'a point voulu que les
entreprises de chemins de fer fussent déclarées responsables de tout dommage
quelconque, en relation plus ou moins lointaine avec l'accident, c'est
l'existence même de l'art. 11 de la loi qui restreint expressément la
responsabilité des entreprises, en ce qui concerne le patrimoine de la
victime, à la perte, destruction ou avarie des seuls objets qui se trouvaient,
au moment de l'accident, sous la garde personnelle de la victime.
Il s'ensuit que les hoirs Doleyres ne sont pas fondés à exiger des C.F.F. la
réparation du préjudice indirect résultant de la mévente des biens de leurs
parents.