S. 100 / Nr. 20 Erbrecht (f)

BGE 54 II 100

20. Arrêt de la II e Section civile du 15 mars 1928 dans la cause Sugnaux
contre Jacquier.

Regeste:
Action en réduction. - Le second mari ou la seconde femme ont qualité pour
demander la réduction des libéralités faites par le défunt, avant la nouvelle
union, aux enfants d'un premier lit, dans les limites de la quotité
disponible.
Il y a libéralité partielle, lorsque l'intéressé vend ou abandonne à l'un de
ses héritiers un immeuble rural contre des prestations sensiblement
inférieures à la valeur de rendement du domaine.
Manière de calculer la valeur des obligations assumées envers le vendeur ou
cédant, pour la durée de son existence.

Georges Sugnaux, agriculteur à Billens, et Marie Sugnaux née Simon, sa femme,
avaient, de leur mariage, un fils, Isidore Sugnaux, et une fille, Marie
Sugnaux, aujourd'hui épouse de Charles Jacquier. Isidore Sugnaux mourut le 21
février 1910, postérieurement à sa mère, laissant tous ses biens a sa femme,
Lucie Sugnaux née Chassot.
En 1911, Georges Sugnaux songeait, bien qu'âgé de 68 ans, à contracter un
nouveau mariage avec Alice Dousse, fille de ses fermiers. Les fiançailles
furent, cependant, rompues.
Peu après cet événement, soit le 23 septembre 1911, Georges Sugnaux déclara,
par acte authentique, faire abandon de l'universalité de ses biens, meubles et
immeubles à sa fille et unique héritière légale, Marie Jacquier née Sugnaux,
moyennant une rente annuelle et viagère de 1600 francs. Sugnaux se réservait,
en outre, sa vie durant, la jouissance du mobilier cédé et un droit
d'habitation gratuite, portant sur une chambre, avec usage de la cuisine.

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Le domaine de Sugnaux, situé à Billens, Hennens et Romont, était franc
d'hypothèques, à l'exception d'un assignat de 17000 fr., crée pour garantir la
restitution des apports de feu Marie Signaux née Simon. Cette créance de dame
Sugnaux étant dévolue à ses enfants, soit pour 8500 fr. à Marie Jacquier, et
pour 8500 fr. à la veuve d'Isidore Sugnaux, Georges Sugnaux et sa fille
convinrent, le 28 octobre 1911, que la part de Marie Jacquier serait déclarée
éteinte par compensation, que l'intéressée paierait, en outre, 4500 fr. à
veuve Isidore Sugnaux et que Georges Sugnaux prendrait à sa charge le surplus
de la dette existante envers cette dernière.
En 1913, Sugnaux vendit, pour le prix de 1270 fr., une forêt, sise sur le
territoire de la commune de Brenles (Vaud), forêt dont il était demeuré
titulaire, faute d'acte translatif de propriété et de mention spéciale, lors
de l'abandon de biens.
Enfin Sugnaux reprit ses relations avec Alice Dousse. Agé de 79 ans, il
l'épousa, le 2 janvier 1922, sans conclure avec elle de contrat de mariage.
Des difficultés avaient, toutefois, surgi entre Georges Sugnaux et sa fille, à
propos d'une succession dévolue à Marie Jacquier, sous réserve de l'usufruit
du premier. Un arrêt de la Cour d'appel du canton de Fribourg, du 15 mai 1922,
mit fin au litige. L'arrêt écarte, notamment, l'exception de nullité de l'acte
d'abandon de biens, du 23 septembre 1911, opposée par Sugnaux, et le condamne
à verser à sa fille le produit de la vente de la forêt de Brenles.
Georges Sugnaux mourut ab intestat, le 21 décembre 1925. Sa veuve, Alice
Sugnaux née Dousse, opta pour le quart de la succession en propriété. Elle
ouvrit action contre Marie Jacquier, en demandant le partage de l'hérédité et
en concluant à ce que la défenderesse soit tenue de rapporter à la masse les
biens reçus en 1911, subsidiairement la valeur de ces biens, dans la mesure ou
ils excéderaient la quotité disponible. Dame Jacquier s'opposa à la demande.
En cours de procès, deux

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expertises furent ordonnées, dans le but de déterminer la valeur vénale et la
valeur de rendement actuelles du domaine.
Par jugement du 23 mai 1927, le Tribunal de la Glâne débouta la demanderesse
des fins, tant principales que subsidiaires, de son action.
Ce jugement a été confirmé, en date du 25 octobre 1927, par la Cour d'appel du
canton de Fribourg. L'instance cantonale considère, en résumé, que l'acte
d'abandon de biens du 23 septembre 1911 ne tombe pas sous le coup de l'art.
626 al. 2 CCS; d'autre part, l'épouse en seconde noces n'a droit à l'action en
réduction que sur les biens apportés en mariage par le de cujus ou acquis, dès
lors, par lui.
Dame Alice Sugnaux a recouru en réforme au Tribunal fédéral, dans le sens des
conclusions principales et éventuelles de sa demande.
Considérant en droit:
Il n'est point indispensable de rechercher si dame Sugnaux est fondée ou non à
demander le rapport. La réserve de la demanderesse étant, en effet, égale à sa
part héréditaire, l'action en rapport et l'action en réduction conduisent, en
l'espèce, exactement au même résultat pratique. Or, à supposer la demande non
fondée sur le terrain de l'art. 626 CCS, elle devrait, en tout cas, être
accueillie comme action en réduction.
Cette voie de droit appartient indistinctement a tous les héritiers lésés dans
leur réserve (art. 522 CCS). La légitime du conjoint survivant en concours
avec «des héritiers légaux» est de tout son droit en propriété (art. 471
chiff. 3). Elle porte donc sur le quart de la succession lorsque, comme en
l'occurrence, le défunt laisse «des descendants» (art. 462 al. 1). Aucun motif
ne permet de faire de distinction, selon que lesdits descendants sont issus du
mariage du demandeur, ou d'une précédente union. Dame Sugnaux est, dis lors,

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fondée à exiger la réduction des libéralités du défunt, dans la mesure voulue
pour parfaire son droit au quart de la succession.
Sans méconnaître la justesse de ce raisonnement, le Tribunal cantonal s'est,
toutefois, basé sur l'art. 474 al. 1 CCS, aux termes duquel «la quotité
disponible se calcule suivant l'état de la succession au jour du décès». Il en
conclut que les biens abandonnés en 1911 échappent à la réduction. Mais l'art.
475 CCS prescrit que «les libéralités entre vifs s'ajoutent aux biens
existants, dans la mesure ou elles sont sujettes à réduction», ce qui, d'après
l'art. 527 chiff. 1 et 2, est le cas des dots, frais d'établissement et
abandons de biens non sujets au rapport, lorsqu'ils sont faits à titre
d'avancement d'hoirie, ainsi que des libéralités constituant une liquidation
anticipée de droits héréditaires. L'abandon de biens du 23 septembre 1911 est,
par conséquent, soumis à l'action en réduction.
En vain alléguerait-on que le nouveau mariage du de cujus ne peut porter
atteinte aux libéralités faites, antérieurement, en faveur d'un unique
héritier légal. Il suffit d'envisager le cas ou des enfants viennent au jour
après l'acte de disposition. Ces enfants ont, sans aucun doute, le droit de
prétendre à la réduction des libéralités faites, avant leur naissance, dans
les limites de la quotité disponible, mais qui lèsent leur réserve, calculée
au jour de l'ouverture de la succession. Or rien ne permet de traiter
différemment les descendants et le conjoint survivant. Si, au peint de vue
quantitatif, le législateur ne leur a pas conféré les mêmes droits, il a,
cependant, octroyé aux uns et aux autres la pleine qualité héritier
réservataire, avec toutes les prérogatives qu'elle comporte, notamment celle
d'exercer l'action en réduction. On ne saurait donc apprécier de deux manières
le droit à la réserve, suivant qu'il s'agit de l'enfant ou du conjoint du de
cujus. Comme le Tribunal fédéral l'a considéré à propos de l'application du
droit dans le temps,

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l'avancement d'hoirie ne constitue, en effet, qu'un des éléments de
l'acquisition de l'hérédité et il ne devient, dès lors, définitif qu'au moment
de l'ouverture de la succession (RO 45 II p.11). On doit donc, en fin de
compte, admettre la vocation du second mari ou de la seconde femme pour
demander la réduction des libéralités faites par le défunt, avant la nouvelle
union, aux enfants d'un premier lit (cf. dans le même sens, l'opinion unanime
des commentateurs du C.C. all.: STAUDINGER, BGB § 2325 chiff. II, 4, al. 2;
Kommentar von Reichsgerichtsräten, § 2325, note 1; FROMMHOLD, Das Erbrecht, §
2325, note 3).
Il convient maintenant de rechercher si et dans quelle mesure l'opération
attaquée constitue un negotium mixtum cum donatione. En comparant l'importance
respective des engagements pris, le juge arrive a fixer l'étendue des
avantages consentis sans contre-prestation.
Dans l'arrêt Braun contre Braun, de ce jour [voir le présent volume, p. 93 et
suiv.], le Tribunal fédéral a considéré qu'en cas de vente ou d'abandon d'un
immeuble rural, il y a lieu, à cet effet, de mettre en regard des obligations
de l'acheteur ou du cessionnaire, non la valeur vénale, mais la valeur de
rendement atteinte par le domaine, au moment de l'opération. Or cette donnée
ne résulte pas du dossier, lequel mentionne seulement qu'en 1911, la taxe
cadastrale s'élevait à 37206 fr. D'autre part, le Tribunal d'arrondissement a
fait droit, malgré l'opposition de la partie défenderesse, à une réquisition
de dame Sugnaux, tendant à ce que la valeur vénale et la valeur de rendement
actuelles du domaine soient déterminées par expertise. Les experts ont fixé la
première à 60000 fr. et la seconde à 46000 fr. Une surexpertise, demandée par
les deux parties, a porté ces chiffres à 62550 fr., respectivement 47500 fr.,
compte tenu de travaux d'amélioration spéciale, pour 1200 fr. Il n'appartient
pas au Tribunal fédéral de combler les lacunes de la procédure

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en renvoyant la cause à l'instance cantonale et en ordonnant d'office une
expertise sur la valeur de rendement du domaine, en 1911, preuve que les
intéressés n'ont jamais requise et à laquelle les juges fribourgeois n'ont
donc point été dans le cas de faire opposition. Le Tribunal fédéral ne peut,
dès lors, qu'énoncer les principes sur lesquels devrait se baser la
juridiction compétente, si, à défaut d'accord entre parties, elle venait à
être saisie, dans la suite, de conclusions formelles tendant à déterminer
l'étendue du droit à la réduction.
Les prestations fournies par dame Jacquier, en échange du domaine, sont
constituées par la reprise de charges réelles, par l'obligation de payer au
disposant une rente annuelle et viagère de 1600 fr., et enfin par l'octroi
d'un droit d'habitation et d'usage.
Au moment de l'abandon de biens, Georges Sugnaux était débiteur hypothécaire
de Marie Jacquier d'une somme de 8500 fr., représentant la moitié d'un
assignat crée en faveur de son épouse prédécedée. Transmis libre de toute
charge (ensuite d'annulation dudit assignat par voie de confusion vis-à-vis de
la défenderesse et d'acquittement envers un tiers), le domaine de Sugnaux ne
peut être considéré comme cédé à sa valeur de rendement intégrale qu'à la
condition de tenir compte, d'autre part, à dame Jacquier, du fait que, par
là-même, sa créance de 8500 fr. s'est trouvée éteinte. A cette somme s'ajoute
celle de 4500 fr., dont la défenderesse s'est reconnue débitrice, en lieu et
place de son père, vis-à-vis de Vve Isidore Sugnaux.
Sans méconnaître la portée éventuelle de diverses circonstances particulières,
le Tribunal fédéral a admis, d'une façon générale, dans son arrêt Braun, de ce
jour, auquel on peut se référer [voir le présent volume, p. 93 et suiv.],
qu'en cas d'abandon de biens, la valeur des prestations périodiques et
viagères assumées par le cessionnaire doit être déterminée, non

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pas en additionnant les sommes effectivement versées jusqu'à la mort du
bénéficiaire, mais bien en capitalisant la rente convenue, d'après la durée de
vie probable du défunt. Au taux de 3½%, usuel a l'époque, et sans tenir compte
d'éléments spéciaux, dont l'existence n'a jusqu'ici pas été établie, comme
dans l'affaire Braun, la pension due à Georges Sugnaux correspondrait donc à
un capital d'environ 12000 fr. Quant au droit d'habitation et à la faculté
donnée à Sugnaux de jouir, sa vie durant, du mobilier, ils n'ont point fait
l'objet d'une estimation, en cours de procédure. Leur valeur, ajoutée aux
25000 fr. qui résultent des calculs ci-dessus (8500 + 4500 + 12000), ne
parait, en tout état de cause, pas devoir atteindre le prix du domaine,
d'après le rendement obtenu à l'époque. L'existence d'une «libéralité»
réductible pour un quart doit, dès lors, être constatée. Des raisons d'équité
et le fait que la somme due par dame Jacquier est, en définitive, peu élevée,
commandent, toutefois, de faire abstraction de dépens.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est partiellement admis, le jugement cantonal reforme et l'action
en réduction déclarée fondée, en principe, dans le sens des considérants qui
précèdent. Le recours est rejeté pour le surplus.
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 54 II 100
Datum : 01. Januar 1927
Publiziert : 15. März 1928
Quelle : Bundesgericht
Status : 54 II 100
Sachgebiet : BGE - Zivilrecht
Gegenstand : Action en réduction. - Le second mari ou la seconde femme ont qualité pour demander la réduction...


BGE Register
54-II-100
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