S. 207 / Nr. 29 Internationales Auslieferungsrecht (f)
BGE 54 I 207
29. Arrêt du 15 juin 1928 dans la cause Pavan.
Regeste:
Extradition aux Etats étrangers. Crime politique. L'homicide, crime de droit
commun, peut constituer un crime politique relatif, en raison de ses mobiles,
de son but et des circonstances dans lesquelles il a été commis (consid. 2).
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Le caractère politique de ce crime n'est prédominant que si l'acte est en
rapport direct et étroit avec le but politique visé, soit qu'il constitue un
moyen efficace pour atteindre ce but, soit qu'il fasse partie intégrante
d'actes propres à y conduire ou constitue un incident d'un mouvement politique
général dans lequel les parties ont recours à des moyens semblables (consid.
5).
Il faut enfin que le dommage causé soit proportionné au résultat cherché
(consid. 6).
A. - Le 14 mars 1928, vers 13 heures, un homme venait sonner à la porte de
Joseph Serracchioli (123, Boulevard Magenta, à Paris) qui ce jour-là recevait
la visite d'Angelo Savorelli. Au moment où ce dernier ouvrit la porte, la
personne qui avait sonné tira sur lui trois coups de revolver. Atteint par une
balle qui laboura la masse cérébrale, Savorelli succombait sur le champ.
Les soupçons se portèrent sur Alviso Pavan, né le 10 août 1903 à Tréviso
(Italie), journaliste qui prit la fuite aussitôt après le meurtre et se
réfugia en Suisse où il fut arrêté le 20 mars 1928 à Birsfelden, canton de
Bâle-Campagne, sous l'inculpation d'avoir franchi sans droit la frontière
suisse et falsifié un document en indiquant un faux nom sur l'avis d'arrivée
destiné à la police. Pavan, interrogé, reconnut qu'il était bien la personne
recherchée par les autorités françaises sous la prévention du meurtre de
Savorelli. Il niait d'ailleurs avoir commis le crime et dores et déjà
s'opposait à son extradition aux autorités françaises.
B. - Par note du 5 avril 1928, l'Ambassade de France, à Berne, demanda du
Gouvernement fédéral l'extradition de Pavan poursuivi du chef d'homicide
volontaire. L'Ambassade joignait à sa note un mandat d'arrêt décerné par le
Tribunal de première instance du Département de la Seine le 21 mars 1928. Le
mandat expose les faits qu'on vient de relater et cite les art. 295, 296 297,
298, 302 et 304 du code pénal français.
C. - Pavan maintint son opposition mais reconnut avoir commis le meurtre. Dans
un mémoire adressé à
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son avocat le 12 avril 1928 il fournit entre autres explications les
suivantes:
a) Au sujet de l'acte: Il savait que Serracchioli était seul dans son
appartement de midi à 14 heures et ouvrait par conséquent lui-même la porte.
Aussi, le 14 mars, à peine la porte fut-elle entr'ouverte, Pavan tira deux ou
trois coups de pistolet, sans savoir au juste qui il atteignait. Il a agi
ainsi parce que Serracchioli portait constamment un pistolet et en aurait fait
usage s'il s'était trouvé en face d'un homme armé. Ce n'est que le lendemain
matin que Pavan apprit qu'il avait tué Savorelli au lieu de Serracchioli.
b) Au sujet des mobiles: Depuis 1919 il est membre du parti républicain
italien. Au mois de mai 1921, alors qu'il habitait encore Trévise, il a été
frappé pour la première fois par un fasciste à la tête avec un bâton ferré.
Lorsqu'en 1921 les fascistes essayèrent de détruire les locaux du parti
républicain à Trévise, Pavan avec une trentaine de ses camarades leur tinrent
tête. Au cours de cet épisode de la guerre civile, il fut blessé à
l'avant-bras droit par une balle explosive et dût subir l'amputation du membre
atteint. Il reçut aussi des coups de gourdin sur la poitrine. La tuberculose
des poumons s'ensuivit. A cette époque, il perdit sa place d'employée au
bureau des télégraphes de Trévise. A trois reprises (en 1922, 1923 et 1926) il
a été banni de sa ville natale pendant quelques mois. En 1926, ayant appris
que la «Commission fasciste de Trévise» proposait son bannissement pour la
durée de cinq ans, il s'expatria et vint se réfugier en France.
A Paris, Pavan adhéra à l'association la «Conzentrazione antifascista». Au
printemps de l'année 1927, il fit la connaissance d'Angelo Savorelli qui, à
cette époque, faisait également partie de l'association. Peu après Savorelli
entra dans la rédaction du journal «Il Dovere». Le parti républicain le somma
de choisir entre le parti et le journal. Savorelli n'ayant pas répondu, fut
expulsé
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du parti. Au mois d'octobre 1927 il invita à dîner Pavan et quelques autres
réfugiés italiens. La dernière fois que Pavan rencontra Savorelli, ce fut à
l'occasion de la constitution d'un comité d'agitation en faveur du général
Capello. La réunion avait été provoquée par des représentants de la presse
française de gauche et de la presse italienne antifasciste. Pavan représentait
le «Corriere degli Italiani» et Savorelli le «Dovere».
Depuis que la direction du mouvement antifasciste se trouve en France, le
parti fasciste cherche à connaître par des espions les personnes qui
organisent l'opposition en Italie et à découvrir leurs plans. Les espions
fascistes organisent aussi de faux attentats dirigés contre des fascistes afin
d'amener le gouvernement italien à réclamer et le gouvernement français à
prendre des mesures de police à l'encontre des émigrants politiques italiens.
Et Pavan de rappeler l'affaire Garibaldi, l'attentat de Juan-les-Pins et
l'attentat simulé contre le consulat italien de Nancy, qui ont eu pour
conséquence l'expulsion de plusieurs dizaines d'antifascistes du territoire
français.
Au cours des derniers mois de l'année 1927, les dirigeants des organisations
antifascistes ont eu l'impression très nette que les fascistes préparaient une
action sérieuse contre les émigrants politiques. A l'occasion des pourparlers
franco-italiens concernant la conclusion d'un pacte d'arbitrage, le
gouvernement français s'est refusé - parce que ce serait contraire à la
constitution qui garantit le droit d'association - à dissoudre les
organisations antifascistes italiennes comme Mussolini l'exigeait. Pour forcer
la main au gouvernement français et l'obliger à prendre des mesures
d'exception contre les antifascistes, un faux attentat fut préparé. Mais les
antifascistes ont reussi à découvrir le centre d'espionnage fasciste et les
noms de quelques agents provocateurs. La presse antifasciste a publié certains
documents y relatifs (v. «La Libertà» des 19 février et 9 mars 1928). Il en
appert que le service fasciste d'espionnage à Paris est dirigé par un nommé
Serracchioli qui a sous ses ordres
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plusieurs agents dont Savorelli. Les réfugiés italiens sont persuadés que de
nombreuses arrestations d'antifascistes en Italie sont la conséquence des
informations fournies par les espions fascistes. Le nouveau code pénal
fasciste punit ceux qui font de la politique antifasciste à l'étranger ou qui
correspondent avec des fugitifs politiques. Le fait pour un réfugié de savoir
que ses parents restés en Italie sont les otages du fascisme, l'impossibilité
de correspondre avec eux sous peine de provoquer des représailles, le
sentiment enfin d être traqué ne sont pas de nature à créer un état d'esprit
tranquille.
Au commencement du mois de mars 1926, Pavan s'est dit que l'unique moyen de
désorganiser l'espionnage fasciste consistait à supprimer par la violence la
tête de ce service, Serracchioli. D'ou sa détermination.
D. - L'avocat de Pavan motiva par mémoire du 4 mai 1928 l'opposition de son
client. Il faisait valoir en substance ce qui suit:
Le meurtre de Savorelli constitue un crime politique relatif, dicté par des
mobiles politiques et se proposant des buts politiques. L'acte est un des
nombreux épisodes de la guerre civile que le fascisme a déchaînée en Italie et
qu'il poursuit non seulement à l'intérieur du pays mais encore à l'étranger.
Préparer et hâter la destruction du fascisme, voilà le but que Pavan se
proposait en commettant son acte.
A l'appui de ses allégations, l'avocat de Pavan demande que le Tribunal
fédéral requière la production des documents qui sont en main du gouvernement
français, du gouvernement fédéral et de plusieurs gouvernements cantonaux.
E. - Le Ministère public de la Confédération a conclu au rejet de l'opposition
formée par Pavan.
Considérant en droit:
...2. - Il est hors de doute que l'acte reproché à l'opposant ne constitue pas
un crime politique au sens propre du terme, à savoir un crime dirigé
directement contre
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l'Etat ou ses institutions politiques fondamentales (par ex. un acte de haute
trahison, cf. arrêt Vogt RO 50 I p.257, et arrêt Camporini 50 I p. 304).
L'homicide est un acte qui attente toujours en première ligne à la vie d'une
personne et qui, par conséquent, constitue en soi un crime de droit commun. Il
peut en revanche constituer un crime politique dans un sens relatif, soit un
acte qui, tout en réunissant les éléments d'un crime de droit commun, revêt un
caractère politique prédominant en raison de ses mobiles, de son but et des
circonstances dans lesquelles il a été commis (art. 10 de la loi féd. du 22
janvier 1892 sur l'extradition aux Etats étrangers; cf. MARTITZ,
Internationale Rechtshilfe in Strafsachen, p.527, SCHWARZENBACH, Das
materielle Auslieferungsrecht der Schweiz p. 174), ce qui, d'après la
jurisprudence constante du Tribunal fédéral, aurait pour conséquence le refus
de l'extradition (RO 17 p. 455; 27 I p. 64; 32 I, p. 539 et 541; 33 I p. 186;
34 I p. 568; 49 I p. 266; 50 I p. 256 et 304; CORBAZ, Le crime politique et la
Jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'extradition p. 140 et suiv.).
3.- Le Tribunal fédéral peut prendre pour base l'exposé que l'opposant a
adressé à son avocat le 12 avril 1928 et qu'on vient de résumer (v. p. 2 et
suiv. sous lettre C). Si, au vu de cet exposé, l'opposition se révèle mal
fondée, il est superflu de donner suite à la demande de Pavan tendant à faire
compléter le dossier; si, par contre, l'opposition apparaît fondée, il y
aurait lieu, avant de prononcer l'arrêt, de demander au Gouvernement français
de verser au débat les éléments de preuve qu'il a réunis à l'occasion du
meurtre de Savorelli et de se prononcer au sujet des allégations de l'inculpé.
4.- Il n'est pas nécessaire de résoudre les questions de savoir si Pavan a tué
Savorelli pour des motifs politiques et dans un but politique (renversement de
l'ordre politique établi en Italie et son remplacement par un autre régime que
l'auteur de l'acte estime meilleur; cf. RO 34 I
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p. 570; 50 I, p. 258; LAMMASCH, Auslieferungsrecht und Asylpflicht p. 294),
car même si ces éléments subjectifs se rencontraient, l'opposition devrait
être écartée, parce que les éléments objectifs qui conféreraient au crime de
droit commun un caractère politique prédominant ne sont pas réunis.
5.- D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le caractère politique n'est
prédominant que si l'acte délictueux est en rapport étroit et direct avec le
but politique visé (RO 33 I p. 194 et 406; 34 I p. 571 et 577; 49 I p. 275; 50
I p. 504; v. BAR, Gerichtssaal 1882 p. 500). Et pour qu'un pareil rapport
puisse exister, l'acte doit constituer un moyen réellement efficace pour
atteindre le but (RO 32 I p. 542) ou du moins faire partie intégrante d'actes
propres à conduire au but politique (RO 49 I p. 275; CORBAZ, op. cit. p. 156)
ou constituer un incident d'un mouvement politique général dans lequel les
partis ont recours à des moyens semblables (v. RO 33 I p. 194 et les arrêts
Ragni et Camporini, RO 49 I p. 266 et suiv. et 50 I p. 303 et suiv.).
Cette connexité étroite n'existe pas en l'espèce. Le rapport entre le meurtre
de Savorelli et le renversement du régime politique établi en Italie est
lointain, et la mort de cet espion ou agent provocateur fasciste - supposé
qu'il le fût reellement - n'était pas de nature à aider à la réalisation de ce
but politique. Il ne fait pas partie d'une entreprise antifasciste de plus
grande envergure déclenchée en Italie, mais constitue un acte isolé de
terrorisme individuel, commis à l'étranger, et dont le but se confond avec le
résultat immédiat (RO 27 I p. 68 et 87). Ce à quoi Pavan visait-il l'a reconnu
dans son exposé du 12 avril 1928 - c'est à désorganiser le service
d'espionnage fasciste en France et en Belgique, en supprimant le chef de ce
service; il espérait, par là, procurer quelque sécurité et tranquillité aux
émigrants politiques et à leurs proches. Il ne prétend pas que son acte fût
propre à amener, hâter ou préparer la chute du
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régime fasciste en Italie; c'est son avocat qui l'a allégué dans son mémoire
du 4 mai 1928. On ne voit toutefois point comment le meurtre d'un agent
fasciste qui déploie son activité à l'étranger pourrait contribuer à la
modification de l'ordre politique instauré en Italie. L'avocat de l'opposant
invoque en vain les arrêts Ragni et Camporini. Dans ces deux cas, il
s'agissait d'actes commis en Italie au cours de la lutte sanglante dans
laquelle s'affrontaient les partis politiques; c'étaient des incidents du
mouvement révolutionnaire général, des épisodes de guerre civile. Le fascisme
cherchait à s'emparer du pouvoir, et, l'ayant conquis, à s'y maintenir. Pour
arriver à ses fins, il a brisé les résistances en recourant, au besoin, à la
violence, et ses adversaires en ont fait autant. Les atteintes aux droits
privés, qui datent de cette période troublée, sont en relation directe et
étroite avec les visées politiques des partis. L'opposant n'a pas fourni la
preuve que l'Italie soit encore dans un état analogue à la guerre civile; et,
en fût-il même ainsi, le lien entre cet état de choses et le crime commis sur
la personne de Savorelli ne serait pas assez étroit pour que la connexité
directe exigée par la jurisprudence puisse être considérée comme existante.
L'acte n'a pas été perpétré en Italie à l'occasion de troubles politiques, il
a été préparé et accompli en France, par un individu isolé, soit loin du pays
et en marge du combat des fascistes et des antifascistes. Refuser
l'extradition aurait pour conséquence de permettre à ces adversaires
politiques de poursuivre à l'étranger leurs menées et leurs actes de
terrorisme. Or, la Suisse ne saurait y prêter la main en accordant asile aux
auteurs de pareils actes, de même qu'elle ne saurait tolérer qu'on transporte
chez elle cette lutte qui se livre avec des armes illégales.
6.- Pour que, d'après la jurisprudence, l'élément de droit commun ne l'emporte
pas sur le caractère politique du délit, il faut en outre que le dommage causé
soit proportionné au résultat cherché, de telle sorte que,
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«bien qu'illégitimes, les atteintes aux droits privés apparaissent comme
excusables» (RO 50 I p. 259; 34 I, p. 572/3).
L'homicide - assassinat ou meurtre - est un des crimes les plus odieux. Il ne
peut s'expliquer et, le cas échéant, s'excuser que s'il constitue l'ultime
moyen de protéger les intérêts supérieurs de l'humanité. (Voir Message du
Conseil fédéral du 9 juin 1890, d. Feuille officielle fédérale 1890 vol. III
p. 215 et suiv.; WALKER, Über politische Verbrechen und das Asylrecht,
Zeitschrift für öffentliches Recht, vol. IV p. 343 et suiv.; RO 27 I p. 67/86;
34 I p. 548 et 573). Or, l'acte de Pavan n'apparaît pas comme l'unique et
dernier moyen de mettre les réfugiés politiques italiens et leurs proches à
l'abri du service d'espionnage fasciste. Des journaux versés au débat par
l'avocat de l'opposant, il résulte que l'antifasciste Giannini a fourni à la
police française des informations sur l'activité de Serracchioli et de
Savorelli. Pavan en avait connaissance, puisque, à son dire, ces articles de
journaux l'ont précisément poussé à commettre l'homicide. Sans attendre le
résultat de l'enquête des autorités, il prit quelques jours plus tard la
résolution de «juger» Serracchioli. Cette décision est d'autant moins
compréhensible et excusable que l'attitude des autorités françaises à d'autres
occasions (p. ex. l'affaire Garibaldi) n'était nullement de nature à faire
supposer que la France tolérerait sur son territoire les agissements d'espions
et d'agents provocateurs fascistes. L'opposant relève lui-même que le
gouvernement français s'est refusé à dissoudre les organisations antifascistes
(v.p. 210 ci-dessus). Pavan eut certes été mieux inspiré et eût mieux servi la
cause des fugitifs italiens en suivant les voies légales qu'en s'érigeant en
justicier et en recourant aux moyens terroristes qui, l'expérience le prouve,
vont le plus souvent à fin contraire du but visé.
En l'espèce, l'extradition doit être accordée avec d'autant moins d'hésitation
qu'elle n'est pas demandée
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par l'Italie, où les opinions antifascistes de Pavan risqueraient de
constituer une circonstance aggravante, mais par la France, dont les tribunaux
offrent toutes garanties d'impartialité et sauront tenir compte des motifs
politiques désintéressés auxquels l'inculpé prétend avoir obéi.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
écarte l'opposition formée par Alvise Pavan et accorde l'extradition demandée
par la France.