8 Stantsrecht.

lll. NIEDERLASSUNGSFREIHEIT

LIBERTÉ D'ÉTABLISSEMENT

2. Arrét da 23 avril 1920 dans la cause Blanche Chapuis contre Conseil
d'Etat du canton de Genève.

Le délit de racolage constitue t-il un délit grave au sens de l'art. 45
al. 3 Const. fed. ?

A. Par arrèté du 20 février 1920, le Département de Justice et Police du
canton de Genève" a ordonné l'expulsion du territoire genevois de Blanche
Chapuis, originaire d'Epalinges (Vaud), pour les motifs suivants: Chapuis
Blanche se livre à la prostitution; elle a été arrètée et condamnée à
réitérées fois pour racolage, exci-tation des passants à la débauche,
outrage aux agents, scandale et tapage ; elle a en outre été arrétée
pour vol et complicité de vol à l'entòlage.

Cettesidécîsion a été confirmée par un arrété du Conseil d'Etat de Genève
en date _du 2 mars 1920, ensuite d'un recours de l'intéressée et par
les motifs ci-après : La recourante ne justifie pas d'une occupation
régulière; elle Vit de la prostitution, ce qu'elle reconnaît; elle &"
été condamnée à réitére'es fois pour provocation à la débauche, out]-ages
aux agents, volà l'entòlage.

B. Blanche Chapuis a forme en temps utile un recours de droit public
contre cet arrètè. Elle conteste avoir été condamnée pour vol à l'entòlage
mais reeonnaît, par contre, avoir suhi quatre condamnations:

en avril 1917, à 8 jours de plison pour provocation à la débauehe ;

en septemhre 1917, à 10 fr. d'amende pour tapagé;

en aoùt 1918, à 48 heures d'arréts pour provocation à la débauche
(racolage);.. ....__...___ _,s.

Niederlassungsfreiheit. N° 2. Len février 1920, à 24 heures d'arrèts
pour provoca *

.tion à la déhauche (racolage).

Elle fait valoir que ces condamnations de simple police ne sauraient
entraîner l'application de l'art. 45 Const. fed. et conclut à l'annulation
de l'ai-rete du Conseil d'Etat.

D. Dans sa réponse, le Conseil d'Etat de Genève a eonclu au rejet du
recours. Il fait Observer que la recourante a été condamnée à plusieurs
reprises pour excitetion à la débauche, soutient qu'il s'agit là d'un
délit grave portant atteinte à la sécurité publique et qu'ainsi l'an-été
d'expulsion était parfaitement justifiée au regard de la Constitution
federale...

Considémnt en droit:

1. Il n'a pas été allégué que la recourante ait été privée de ses droits
civiques. L'application de l'art. 45 al. 2 Const. féd. n'entre dès lors
pas en ligne de oompte et la seule question qui se pose, au regard de
la Constitution federale, est celle de savoir si les conditions posées
par l'art. 45 al. 3 étaient réalisées en l'espèce.

2. Ainsi que le Tribunal federal l'a jugé à maintes. reprises déjà, le
fait pour une femme de vivre dans l'in- conduite ne saurait etre envisage
en soi méme comme 'constitutif d'un délit grave au sens de l'art. 45
al. 3 Const. féd. (cf. R0 23 I p. 419, 30 I p. 35, 45 I p. 172). Aussi
bien, certaines législations cantonales ne considèrent-elles pas la
prostitution meme comme un délit et se bornent elles à n'intervenir dans
ce domaine que: lorsqu'elle s'accompagne d'actes de nature à nuire à
austrui ou à outrager la morale. La question de savoir si l'on doit faire
rentrer le racolage dans la catégorie des délits Visés par l'art. 45
al. 3 Const. fed. est d'ailleurs diseutable. D'après une jurisprudence
déjà ancienne et constante dès lors, il n'y aurait lieu de tenir pour
un délit grave au sens de cette disposition que celui qui, de par sa
nature ou les eirconstances dans lesquelles il a été

nss Staatsrecht.

commis, dénote chez l'auteur une sorte de propension au crime ou un
mépris tel des normes légales, que la présence de l'individu constitue
un danger constant pour l'ordre public ou la sécurité des citoyens
(cf. RO 23 I p. 509, 36 I p. 570). Or tel n'est, en général, pas le cas
du dèlit de racolage. Quelque dépravation qu'il dénote et si condamnable
qu'il soit du point de vue de la morale,'on ne saurait dire cependant
qu'il implique toujours chez la femme qui s'y livre une prèdisposition
Speciale au crime ou des instincts dangereux pour l'ordre public. La
fréquence des faits délictueux, lorsqu'il ne s'agit que

' de racolage, ne saurait meme à cet égard ètreinterprètée

comme un signé infaillihle de la gravité gue requiert l'application de
l'art. 45 al. 3 Const. led., puisqu'auSSi bien il est dans la nature
des choses que la femme qui vit de son inconduîte ne s'en tienne pas
à un acte isolé. Ne dut-on pas cependant aller jusqu'à contester que
le délit de racolage soit, de par sa nature, susceptible de constituer
jamais un délit grave, qu'il importe en tout cas de juger chaque espèce
en particulier, suivant les circonstances et le danger que présente
l'activité de la delinquente pour l'ordre et la morale publics (cf. R0
45 I p. 172). Les circonstances de temps et de lieu sont

naturellement suseeptihles de jouer à cet egard un role ,

prépondérant: tels faits qui pourraient passer inapercus dans le mouvement
d'une grande ville peuvent, dans une petite località, occasionner un
scandale considerable et justikier par là meme des mæuræ de precaution
différentes. Aussi bien l'expulsion ne constitue pas le seul moyen de
combattre la prostitution. Indépendamment de la gravità de l'atteinte
qu'elle implique aux droits de l'individu et à se placer au point de
vue de l'intérèt général, il ressort mème de ce qui précède qu'elle n
'est pas toujours non plus le plus approprié.

Si l'on aborde i'examen de la présente cause, il serait difficile,
semble-t-il, d' attn'buer aux délits commis par la reeourante la
qualification de graves au sens de) -W-, -

Niederlassuagsfreiheit. N° 2. 11

'art. 45 al. 3 Const. féd. Si l'on fait abstraction en effet de la
eondamnation pour tapage, qui ne saurait évidem-

_ ment entrer en ligne de compte, et de celle pour vol à

l'entòlage , dont la preuve ne résulte pas du dossier, il reste à la
charge de la recourante les trois délits de racdlage commis en 1917,
1918 et 1920. En l'absence de toute indication sur les circonstances où
ils ont été commis, et à en juger par la quotité des pejnes appliquées,
il ne semble pas qu'il se soit agi de cas spécialement dangereux. D'autre
part, pour ce qui concerne la moralité publique, rien n'établit non plus,
en l'espèce, qu'elle ai't été particulièrement menacée par les agissements
de lassrecourante. Toute autre, par contre, eùt été la Situation si la
reeourante avait été réellement condamnée pour vol à l'entòlage ou si,
comîne dans l'espèce visée par le Conseil d'Etat dans sa réponse (SALIS
II, p. 422), elle avait pu ètre convaineue, en meme temps, du délit de
provocation à la prostitution d'autrui. Ces délits revètent, en effet,
une gravité que ne possède incontestablement pas le simple racolage. Tel
n'étant pas le cas, l'expulsion apparaît comme une mesure injustifiée et

. qui ne saurait etre maintenue.

3. . . ; ...............

4. Il lésulte de ce qui precede que l' arrèté. du Conseil d' Etat de
Genève du 2 mars 1920 a été rendu en violation de l'art. 45 Const. fed. et
doit etre annulé. Cette annulation entraîne, par voie de conséquence,
celle de l'arrèté du Département de Justice et Police du 20 février
précédent.

Le Tribunal fédéral prononce:

Le recours est admis. En conséquenee, l'arrété du Conseil d'Etat du
canton de Genève du 2 mars 1920 est annulé.
Decision information   •   DEFRITEN
Document : 46 I 8
Date : 23. April 1920
Published : 31. Dezember 1920
Source : Bundesgericht
Status : 46 I 8
Subject area : BGE - Verfassungsrecht
Subject : 8 Stantsrecht. lll. NIEDERLASSUNGSFREIHEIT LIBERTÉ D'ÉTABLISSEMENT 2. Arrét da


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