108 Ib 408
70. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 3 novembre 1982 dans la cause Bufano, époux Martinez et époux Sanchez Reisse c. Ministère public fédéral et Département fédéral de justice et police (opposition à une demande d'extradition)
Regeste (de):
- Auslieferung. Politisches Delikt. Allegemeine Grundsätze des Völkerrechts.
- 1. Begriff des relativ politischen Delikts (E. 7b).
- 2. Verweigerung der Auslieferung aufgrund allgemeiner Grundsätze des Völkerrechts (Präzisierung der Rechtsprechung) (E. 8).
Regeste (fr):
- Extradition. Délit politique. Principes généraux du droit des gens.
- 1. Notion de délit politique relatif (consid. 7b).
- 2. Refus d'extrader fondé sur des principes généraux du droit des gens (précision de la jurisprudence; consid. 8).
Regesto (it):
- Estradizione. Reato politico. Principi generali del diritto internazionale pubblico.
- 1. Nozione di reato politico relativo (consid. 7b).
- 2. Diniego d'estradizione fondato sui principi generali del diritto internazionale pubblico (precisazione della giurisprudenza) (consid. 8).
Sachverhalt ab Seite 408
BGE 108 Ib 408 S. 408
Carlos David Koldobsky, de nationalité uruguayenne, directeur d'un établissement bancaire à Buenos Aires, a été enlevé dans cette ville. Ses ravisseurs ont exigé pour sa libération une rançon de 1'500'000 dollars US. Ruben Osvaldo Bufano et Luis Alberto Martinez, tous deux de nationalité argentine et domiciliés à Buenos Aires, ont été arrêtés à Genève, aux moment et lieu qu'ils avaient fixés pour le paiement de la rançon. Trois comparses, Amalia Maria Covas, épouse de Martinez, et les époux Leandro Angel Sanchez Reisse et Mariana Bosch de Sanchez Reisse, également citoyens argentins, domiciliés à Fort Lauderdale, en Floride (USA), ont été appréhendés à Lausanne. L'Ambassade de la République argentine à Berne a demandé l'extradition des cinq personnes en cause. Par la suite, elle a
BGE 108 Ib 408 S. 409
présenté une deuxième demande d'extradition de ces mêmes personnes, en raison de l'enlèvement, perpétré à Buenos Aires, d'un financier argentin, Fernando Alberto Combal. Bufano, les époux Martinez et les époux Sanchez Reisse se sont opposés à leur extradition à l'Argentine. Le Tribunal fédéral a admis l'opposition.
Erwägungen
Extrait des considérants:
7. Les opposants soulèvent plusieurs objections relatives au fonctionnement des institutions et à la situation politique de l'Etat requérant. Ils allèguent que les tribunaux pénaux argentins doivent être qualifiés de juridictions d'exception au sens de l'art. VI de la Convention d'extradition des criminels entre la Suisse et la République argentine du 21 novembre 1906 (ci-après, le Traité) et que l'ordre public interne suisse fait obstacle à leur extradition. L'enlèvement auquel ils ont participé devrait en outre être qualifié de délit politique relatif au sens de l'art. III ch. 2 du Traité. a) Le grief tiré du caractère exceptionnel des juridictions argentines ne saurait être retenu vu la définition jurisprudentielle des tribunaux d'exception, qui sont essentiellement des tribunaux, constitués souvent "post factum", disposant du pouvoir d'infliger des peines supérieures à celles du droit pénal commun de l'Etat considéré (ATF 99 Ia 547 consid. 1b; ATF 78 I 135 /136 consid. 1a). En l'espèce, les opposants ne prétendent pas qu'ils seraient jugés par de tels tribunaux s'ils étaient extradés à l'Argentine. Quant à l'objection tirée de l'ordre public interne suisse, elle n'est pas admissible, puisque celui-ci n'a pas été réservé par le Traité (ATF 100 Ia 414 /415). b) Le Traité ne la définissant pas, c'est la notion de délit politique telle qu'elle découle du droit suisse, et en particulier de l'art. 10 de la Loi fédérale du 22 janvier 1892 sur l'extradition aux Etats étrangers (LExtr.), que les autorités suisses doivent appliquer lorsqu'elles sont saisies d'une demande d'extradition (ATF 106 Ib 297). Il y a délit politique relatif si, en raison des circonstances, notamment des mobiles et des buts de l'auteur, les actes commis présentent un caractère politique prépondérant (ATF 101 Ia 64, 426, 605). Ces actes doivent avoir été commis dans le cadre d'une lutte pour ou contre le pouvoir, ou tendant à soustraire des personnes à un pouvoir excluant toute opposition; ils doivent être en rapport étroit et direct, clair et net, avec le but politique visé. Il faut également que le mal causé soit proportionné aux résultats
BGE 108 Ib 408 S. 410
recherchés, que les intérêts en cause soient suffisamment importants, sinon pour justifier du moins pour excuser légalement l'atteinte que l'auteur a portée à certains biens juridiques (ATF 106 Ib 301; ATF 95 I 469). Le Tribunal fédéral examine librement si une infraction revêt le caractère d'un délit politique et, notamment, si les circonstances invoquées à l'appui de l'opposition peuvent être considérées comme établies (ATF 106 Ib 302; ATF 90 I 299 ss). Bufano, membre des services secrets de l'armée argentine, et Martinez, ancien fonctionnaire de la police fédérale argentine, affirment avoir participé à l'enlèvement du banquier Koldobsky sur l'ordre des supérieurs hiérarchiques du premier, et que la demande d'extradition dans l'affaire Combal serait une manoeuvre des autorités argentines pour obtenir plus facilement leur extradition dans l'affaire Koldobsky. Les liens entretenus par les opposants avec les services spéciaux de leur pays et les méthodes que peuvent appliquer de telles organisations dans des Etats à régime autoritaire ne permettent pas de considérer d'emblée cette version comme absolument invraisemblable, même si elle paraît à première vue étonnante. La qualité des auteurs et celle de leurs éventuels commanditaires ne suffisent cependant pas à conférer au délit qui leur est reproché un caractère politique prépondérant. Le but de l'infraction n'a en outre à l'évidence rien de politique. Il s'agit de l'enlèvement, en vue d'extorsion, d'une personne privée dont nul ne prétend qu'elle ait été de près ou de loin mêlée aux luttes pour le pouvoir qui se dérouleraient au sein des milieux dirigeants de l'Etat requérant. Il est dès lors exclu de reconnaître aux infractions qui font l'objet de la demande le caractère de délits politiques relatifs.
8. Les opposants soutiennent que leur extradition serait contraire à l'art. 3 ch. 2
IR 0.353.1 Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 CEExtr Art. 3 Infractions politiques - 1. L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
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1 | L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
2 | La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. |
3 | Pour l'application de la présente Convention, l'attentat à la vie d'un Chef d'État ou d'un membre de sa famille ne sera pas considéré comme infraction politique. |
4 | L'application du présent article n'affectera pas les obligations que les Parties auront assumées ou assumeront aux termes de toute autre convention internationale de caractère multilatéral. |
IR 0.101 Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) CEDH Art. 3 Interdiction de la torture - Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. |
IR 0.353.1 Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 CEExtr Art. 3 Infractions politiques - 1. L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
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1 | L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
2 | La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. |
3 | Pour l'application de la présente Convention, l'attentat à la vie d'un Chef d'État ou d'un membre de sa famille ne sera pas considéré comme infraction politique. |
4 | L'application du présent article n'affectera pas les obligations que les Parties auront assumées ou assumeront aux termes de toute autre convention internationale de caractère multilatéral. |
BGE 108 Ib 408 S. 411
pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques (arrêt Losembe, ATF 99 Ia 555 ss, consid. 4d, e). Dans l'arrêt Lynas, où il s'agissait d'une demande d'extradition présentée par un Etat avec lequel la Suisse est liée par un traité bilatéral qui ne contient pas de disposition semblable à celle de l'art. 3 ch. 2
IR 0.353.1 Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 CEExtr Art. 3 Infractions politiques - 1. L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
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1 | L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
2 | La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. |
3 | Pour l'application de la présente Convention, l'attentat à la vie d'un Chef d'État ou d'un membre de sa famille ne sera pas considéré comme infraction politique. |
4 | L'application du présent article n'affectera pas les obligations que les Parties auront assumées ou assumeront aux termes de toute autre convention internationale de caractère multilatéral. |
IR 0.353.1 Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 CEExtr Art. 3 Infractions politiques - 1. L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
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1 | L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
2 | La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. |
3 | Pour l'application de la présente Convention, l'attentat à la vie d'un Chef d'État ou d'un membre de sa famille ne sera pas considéré comme infraction politique. |
4 | L'application du présent article n'affectera pas les obligations que les Parties auront assumées ou assumeront aux termes de toute autre convention internationale de caractère multilatéral. |
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1 | L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
2 | La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. |
3 | Pour l'application de la présente Convention, l'attentat à la vie d'un Chef d'État ou d'un membre de sa famille ne sera pas considéré comme infraction politique. |
4 | L'application du présent article n'affectera pas les obligations que les Parties auront assumées ou assumeront aux termes de toute autre convention internationale de caractère multilatéral. |
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1 | L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. |
2 | La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. |
3 | Pour l'application de la présente Convention, l'attentat à la vie d'un Chef d'État ou d'un membre de sa famille ne sera pas considéré comme infraction politique. |
4 | L'application du présent article n'affectera pas les obligations que les Parties auront assumées ou assumeront aux termes de toute autre convention internationale de caractère multilatéral. |
BGE 108 Ib 408 S. 412
Quant à l'art. 3
IR 0.101 Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) CEDH Art. 3 Interdiction de la torture - Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. |
BGE 108 Ib 408 S. 413
général sur l'organisation de la répression en Argentine, affirmation vraisemblable vu leurs antécédents professionnels. Tous deux ont porté des accusations graves et précises auprès de la Fédération internationale des droits de l'homme, contre des personnalités importantes du pouvoir en place à Buenos Aires. Si, en principe, cet élément doit être considéré avec une extrême réserve, afin d'éviter que les opposants à une extradition ne construisent au cours de leur détention provisoire un système d'objection a posteriori, on ne saurait cependant faire abstraction ici de l'opinion émise par la représentation permanente de la Fédération internationale des droits de l'homme auprès des Nations Unies selon laquelle un retour de Bufano et Martinez en Argentine "constituerait un risque certain pour leur vie". Or, l'objectivité de la Fédération internationale des droits de l'homme n'a pas à être mise en doute. Il s'agit, en effet, d'un organisme accrédité auprès du Conseil de l'Europe et appartenant au type d'organisations non gouvernementales auprès desquelles le Département fédéral des affaires étrangères s'informe périodiquement sur les situations dans lesquelles les droits de l'homme sont violés (FF 1982, p. 765). Quant aux autres opposants, il faut admettre que l'appréciation de la Fédération internationale des droits de l'homme, concernant Bufano et Martinez, vaut également pour l'ensemble des personnes réclamées, si l'on prend en considération l'interdépendance de leur activité délictueuse et leurs relations personnelles. L'ensemble de ces circonstances donne au Tribunal fédéral des raisons sérieuses de craindre que le traitement qui pourrait être appliqué aux opposants par l'Etat requérant, soit avant le jugement, soit au cours de l'exécution de la peine, serait contraire aux normes relatives au respect des droits de l'homme. Les principes généraux du droit des gens mentionnés au consid. 8a font ainsi obstacle à l'autorisation d'extrader.