Bundesverwaltungsgericht
Tribunal administratif fédéral
Tribunale amministrativo federale
Tribunal administrativ federal


Cour V

E-4788/2019

Arrêt du 25 septembre 2019

William Waeber, juge unique,

Composition Avec l'approbation de Roswitha Petry, juge,

Jean-Claude Barras, greffier.

A._______, né le (...),

son épouse, B._______, née le (...),

et leurs enfants,

C._______, né le (...),
Parties
et D._______, née le (...),

Iran,

représentés par Emilie N'Deurbelaou,

Caritas Suisse,
recourants,

contre

Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM),

Quellenweg 6, 3003 Berne,

autorité inférieure.

Objet Asile (non-entrée en matière / procédure Dublin) et renvoi ; décision du SEM du 11 septembre 2019 / N (...).

Vu

la demande d'asile déposée par A._______, son épouse, B._______, et leurs enfants C._______ et D._______, le 11 août 2019,

les formulaires de données personnelles remplis par les époux et leurs enfants, le 11 août 2019,

les procès-verbaux des auditions des époux sur leurs données personnelles au centre de la Confédération de Boudry, le 19 août 2019,

la procuration, signée le 20 août 2019, aux termes de laquelle les intéressés ont mandaté le service de protection juridique de « Caritas Suisse », à Boudry, pour les représenter dans le cadre de leur procédure d'asile,

les rapports relatifs aux entretiens des 21 août 2019, lors desquels les recourants ont été entendus par le SEM, en présence de leur représentante, sur la possible compétence de la Croatie pour le traitement de leurs demandes d'asile et sur leurs éventuelles objections à leur transfert vers ce pays,

la décision du 11 septembre 2019 (notifiée le même jour), par laquelle le SEM, se fondant sur l'art. 31a al. 1 let. b LAsi (RS 142.31), n'est pas entré en matière sur la demande d'asile des intéressés, a prononcé leur transfert en Croatie et a ordonné l'exécution de cette mesure, constatant l'absence d'effet suspensif à un éventuel recours,

le recours interjeté, le 18 septembre 2019, contre cette décision, et les pièces annexées,

les demandes d'exemption d'une avance de frais de procédure, d'assistance judiciaire partielle et d'octroi de l'effet suspensif dont il est assorti,

et considérant

que le Tribunal administratif fédéral (ci-après : le Tribunal), en vertu de l'art. 31 LTAF, connaît des recours contre les décisions au sens de l'art. 5 PA prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF,

qu'en particulier, les décisions rendues par le SEM concernant l'asile peuvent être contestées devant le Tribunal (art. 33 let. d LTAF, applicable par renvoi de l'art. 105 LAsi [RS 142.31]), lequel, sauf l'exception visée à l'art. 83 let. d ch. 1 LTF, non réalisée en l'espèce, statue définitivement,

que les l'intéressés ont qualité pour recourir, pour eux-mêmes et pour leurs enfants (art. 48 al. 1 PA, applicable par renvoi de l'art. 37 LTAF),

que le recours, interjeté dans la forme (art. 52 al. 1 PA par renvoi de l'art. 6 LAsi) et le délai (art. 108 al. 3 LAsi) prescrits par la loi, est recevable,

que le Tribunal n'ayant pas été nanti du recours annoncé de l'aîné des recourants, il ne pourra donc examiner, comme demandé par ses parents, la question d'une jonction de leurs causes respectives,

que, saisi d'un recours contre une décision de non-entrée en matière sur une demande d'asile, le Tribunal se limite à examiner le bien-fondé d'une telle décision (cf. ATAF 2012/4 consid. 2.2 ; 2009/54 consid. 1.3.3 ; 2007/8 consid. 5),

que, dans ce contexte, le requérant peut invoquer, en vertu de l'art. 106 al. 1 LAsi, la violation du droit fédéral, notamment l'abus ou l'excès dans l'exercice du pouvoir d'appréciation (let. a), et l'établissement inexact ou incomplet de l'état de fait pertinent (let. b),

que, dans le cas d'espèce, il y a lieu de déterminer si le SEM était fondé à faire application de l'art. 31a al. 1 let. b LAsi, disposition en vertu de laquelle il n'entre pas en matière sur une demande d'asile lorsque le requérant peut se rendre dans un Etat tiers compétent, en vertu d'un accord international, pour mener la procédure d'asile et de renvoi,

qu'avant de faire application de la disposition précitée, le SEM examine la compétence relative au traitement d'une demande d'asile selon les critères fixés dans le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO L 180/31 du 29.6.2013, ci-après : règlement Dublin III),

que, s'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande d'asile, le SEM rend une décision de non-entrée en matière après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du requérant d'asile (cf. ATAF 2017 VI/5 consid. 6.2),

qu'aux termes de l'art. 3 par. 1 du règlement Dublin III, une demande de protection internationale est examinée par un seul Etat membre, celui-ci étant déterminé selon les critères fixés à son chapitre III,

que la procédure de détermination de l'Etat responsable est engagée, aussitôt qu'une demande d'asile a été déposée pour la première fois dans un Etat membre (art. 20 par. 1 du règlement Dublin III),

que dans une procédure de prise en charge (anglais : take charge), les critères énumérés au chapitre III du règlement (art. 8-15) doivent être appliqués successivement (principe de l'application hiérarchique des critères de compétence, art. 7 par. 1 du règlement Dublin III),

qu'en revanche, dans une procédure de reprise en charge (anglais : take back) comme c'est ici le cas, il n'y a en principe aucun nouvel examen de la compétence selon le chapitre III (cf. ATAF 2017 VI/5 consid. 6.2 et 8.2.1, et réf. cit.),

que l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge
- dans les conditions prévues aux art. 23, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre Etat membre (art. 18 par. 1 point b du règlement Dublin III),

qu'en vertu de l'art. 3 par. 2 du règlement Dublin III, lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'art. 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (JO C 364/1 du 18.12.2000, ci-après: CharteUE), l'Etat procédant à la détermination de l'Etat responsable poursuit l'examen des critères fixés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat peut être désigné comme responsable,

que, sur la base de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement,

que, comme la jurisprudence l'a retenu (cf. ATAF 2015/9 consid. 8.2 ; 2012/4 consid. 2.4 ; 2011/9 consid. 4.1 ; 2010/45 consid. 5, 7.2, 8.2, 10.2), le SEM doit admettre la responsabilité de la Suisse pour examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III, lorsque le transfert envisagé vers l'Etat membre désigné responsable par lesdits critères viole des obligations de la Suisse relevant du droit international public,

qu'il peut également admettre cette responsabilité pour des raisons humanitaires au sens de l'art. 29a al. 3 OA 1 (RS 142.311),

qu'en l'occurrence, les investigations entreprises par le SEM ont révélé, après consultation de l'unité centrale du système européen «Eurodac», que les recourants avaient été enregistrés comme demandeurs de protection en Croatie, le 4 juillet 2019,

que le 26 août 2019, cet office a dès lors soumis aux autorités croates compétentes, dans le délai fixé à l'art. 23 par. 2 du règlement Dublin III une requête aux fins de reprise en charge, fondée sur l'art. 18 par. 1 point b du règlement Dublin III,

que, le 6 septembre suivant, lesdites autorités ont expressément accepté de reprendre en charge les requérants, sur la base de cette même disposition,

que la Croatie a ainsi reconnu sa compétence pour traiter la demande d'asile des intéressés,

que ce point n'est pas contesté,

que les intéressés s'opposent toutefois à leur transfert, à cause d'abord, des soins médicaux dont ils disent avoir besoin et qu'ils ne sont pas sûrs d'obtenir en Croatie, ensuite à cause des défaillances systémiques récemment mises, selon eux, en avant par différents organismes internationaux en ce qui concerne la procédure d'asile et l'accueil des requérants d'asile dans ce pays, enfin à cause de leur vulnérabilité, en tant que parents d'enfants en bas âge encore traumatisés par les conditions de leur récent séjour en Croatie,

que, selon eux, le cumul de ces facteurs négatifs devrait aussi entraîner, dans leur cas, l'application de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III en relation avec l'art. 29a al. 3 OA 1,

que, formellement, ils reprochent au SEM de ne pas avoir consciencieusement recueilli les faits et de n'avoir pas instruit à satisfaction de droit les questions relatives à leur état de santé,

qu'en principe, la Croatie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'art. 33 Conv. réfugiés, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'art. 3 CEDH et à l'art. 3 Conv. torture (cf. arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [CourEDH] du 21 janvier 2011 en l'affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09, par. 352 s.),

que cette présomption peut toutefois être valablement renversée en présence de motifs sérieux et avérés de penser que la personne, objet de la mesure de transfert, courra un risque réel de subir des traitements contraires à cette disposition,

que plusieurs organismes internationaux, dont la Commission du Conseil de l'Europe chargée des questions relatives aux migrations, réfugiés et personnes déplacées ont ainsi récemment fait état de refoulements dans les pays limitrophes de requérants d'asile entrés en Croatie sans examen de leur demande de protection par les autorités de cet Etat,

que, dans un arrêt E-3078/2019 du 12 juillet 2019 publié comme arrêt de référence, le Tribunal, tenant compte de ces informations, a posé que le SEM était dorénavant tenu de vérifier si la procédure d'asile et l'accueil des requérants d'asile en Croatie présentaient des défaillances systémiques et de procéder à un examen minutieux des demandes de requérants ayant transité par ce pays, ceci également dans l'éventualité d'une application de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III en relation avec l'art. 29a al. 3 OA 1,

que le SEM ne pouvait dès lors se contenter d'affirmer, comme il l'a fait dans le présent cas, que la Croatie respectait ses obligations internationales et menait correctement la procédure d'asile et de renvoi,

qu'il était, au contraire, tenu d'examiner si, dans ce pays, les intéressés couraient un risque d'être exposés à des traitements contraires à l'art. 3 CEDH, notamment en étant privés de l'examen de leur demande l'asile et/ou d'une prise en charge dans des conditions décentes, cela d'autant plus que, lors de leurs entretiens du 21 août 2019, les intéressés avaient dit avoir été refoulés en Bosnie et Herzégovine après une détention de trois semaines, ce que la décision du SEM ne révèle pas,

que s'agissant de la détention alléguée par les recourants, le SEM ne pouvait pas non plus simplement relever que la Croatie était « libre » d'emprisonner les requérants d'asile et que ceux-ci avaient assurément la possibilité de saisir les instances compétentes en cas de violation de leurs droits,

que, du moment que les enfants en bas âge des recourants avaient aussi été détenus avec leurs parents et que cette détention avait pu les traumatiser (aucune question n'ayant été posée à ce sujet), il était tenu de se prononcer, sur les conditions dans lesquelles les époux avaient dit avoir été détenus dans ce pays, cela au regard de l'art. 3 CEDH,

qu'il était aussi tenu d'examiner la licéité d'une éventuelle nouvelle détention des enfants des recourants en cas de transfert en Croatie,

qu'en outre, sur la base des informations rapportées dans l'arrêt précité du Tribunal, dire, comme le SEM l'a fait, des affections des recourants qu'elles pouvaient être soignées en Croatie ne suffisait pas,

qu'encore fallait-il déterminer les soins requis par elles et la disponibilité des traitements appropriés en Croatie, s'il en était de spécifiques,

que le SEM aurait ainsi dû investiguer sur ces affections en accordant aux intéressés un délai raisonnable pour consulter un médecin,

qu'il y a aussi lieu de souligner que, s'agissant de requérants fragilisés dans leur santé avec des enfants en bas âge, le SEM ne s'est pas demandé si leur transfert en Croatie n'était pas de nature à entraîner une violation de leurs droits fondamentaux en raison de leur vulnérabilité,

que tous ces éléments auraient manifestement dû être pris en considération par l'autorité intimée dans sa décision,

qu'en effet, faut-il le rappeler, le transfert de requérants avec enfants en bas âge peut, suivant les circonstances, constituer une violation de l'art. 3 CEDH et, partant, s'avérer illicite,

que le cumul de facteurs à risques (même si, pris séparément ces risques ne seraient pas de nature à faire obstacle au transfert en question) peut également entrer en ligne de compte lorsque le SEM vérifie l'existence de raisons humanitaires au sens de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III, combiné avec l'art. 29a al. 3 OA 1,

qu'en l'espèce, en omettant de prendre en compte la vulnérabilité des intéressés, le SEM n'a pas correctement examiné leur situation sous l'angle de dispositions précitées,

qu'autrement dit, la décision querellée se base sur une constatation incomplète des faits pertinents,

que la motivation est dès lors également insuffisante,

que pour les raisons retenues dans l'arrêt E-3078/2019 précité, le recours doit être admis et la décision querellée annulée, la cause étant renvoyée au SEM pour un nouvel examen,

qu'il appartiendra au SEM de tenir compte de l'ensemble des manquements énoncés plus haut et de les prendre en considération lors d'un nouvel examen du cas tant sous l'angle de la licéité du transfert que de l'existence de raisons humanitaires au sens de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III, combiné avec l'art. 29a al. 3 OA 1,

que s'avérant manifestement fondé, le recours est admis par l'office du juge unique, avec l'approbation d'un second juge (cf. art. 111 let. e LAsi),

que les intéressés ayant eu gain de cause, il n'y a pas lieu de percevoir de frais de procédure (cf. art. 63 al. 3 PA), les demandes d'exemption d'une avance de frais de procédure et d'assistance judiciaire partielle se trouvant ainsi sans objet,

que dans la mesure où il est statué immédiatement sur le fond, la demande d'octroi de l'effet suspensif est également sans d'objet,

qu'il n'y a pas lieu d'accorder des dépens aux recourants, qui sont représentés par la mandataire qui leur a été désignée au centre de procédure de la Confédération et dont le mandat couvre également les frais pour le recours (cf. art 102k al. 1 let. d LAsi),

(dispositif page suivante)

le Tribunal administratif fédéral prononce :

1.
Le recours est admis, en ce sens que la décision du SEM est annulée et la cause renvoyée au SEM pour éventuelle instruction complémentaire et nouvelle décision, dûment motivée.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est adressé à la mandataire des recourants, au SEM et à l'autorité cantonale.

Le juge unique : Le greffier :

William Waeber Jean-Claude Barras
Informazioni decisione   •   DEFRITEN
Documento : E-4788/2019
Data : 25. settembre 2019
Pubblicato : 13. ottobre 2019
Sorgente : Tribunale amministrativo federale
Stato : Inedito
Ramo giuridico : Allontanamento Dublino (Art. 107a LAsi)
Oggetto : Asile (non-entrée en matière / procédure Dublin) et renvoi; décision du SEM du 11 septembre 2019


Registro di legislazione
CEDU: 3  33
LAsi: 31a  102k  105  106  108  111
LTAF: 31  33  37
LTF: 83
OAsi 1: 29a
PA: 5  48  52  63
Weitere Urteile ab 2000
L_180/31
Parole chiave
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BVGE
2017-VI-5 • 2015/9 • 2012/4
BVGer
E-3078/2019 • E-4788/2019
EU Verordnung
604/2013