Tribunal administratif fédéral
Tribunale amministrativo federale
Tribunal administrativ federal
Cour V
E-3262/2019
Arrêt du 4 juillet 2019
Emilia Antonioni Luftensteiner, juge unique,
Composition avec l'approbation de Jeannine Scherrer-Bänziger, juge ;
Thierry Leibzig, greffier.
A._______, né le (...),
Ghana,
Parties représenté par Mansour Cheema, Caritas Suisse,
(...),
recourant,
contre
Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Objet Asile (non-entrée en matière / procédure Dublin) et renvoi ; décision du SEM du 20 juin 2019 / N (...).
Vu
la demande d'asile déposée en Suisse par A._______, en date du 21 mai 2019,
les investigations diligentées par le SEM sur la base d'une comparaison dactyloscopique avec l'unité centrale du système européen « Eurodac », desquelles il ressort que le prénommé a déposé une demande d'asile en Italie, le (...),
le mandat de représentation signé par l'intéressé en faveur de Caritas Suisse (art. 102f


l'audition sommaire, portant sur les données personnelles du requérant, entreprise conformément à l'art. 26 al. 3

l'entretien individuel « Dublin » du 4 juin 2019, au cours duquel le requérant a exercé son droit d'être entendu quant à la compétence présumée de l'Italie pour l'examen de sa demande d'asile et quant aux faits médicaux,
la requête aux fins de reprise en charge de l'intéressé, présentée par le SEM aux autorités italiennes compétentes, le même jour, et fondée sur l'art. 18 par. 1 point b du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte) (JO L 180/31 du 29.6.2013 ; ci-après : règlement Dublin III),
la réponse du 18 juin 2019, par laquelle les autorités italiennes ont expressément accepté le transfert Dublin de l'intéressé, sur la base de la disposition précitée,
la décision du 20 juin 2019, notifiée le jour même, par laquelle le SEM, en application de l'art. 31a al. 1 let. b

le recours interjeté, le 26 juin 2019 (date du sceau postal), contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (ci-après : le Tribunal), par lequel le prénommé a conclu à l'annulation de la décision attaquée et, à titre principal, à l'entrée en matière sur sa demande d'asile ou, subsidiairement, au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour complément d'instruction,
les demandes d'assistance judiciaire partielle, d'exemption du versement d'une avance de frais, de mesures provisionnelles urgentes et d'octroi de l'effet suspensif dont il est assorti,
les documents annexés au recours,
la réception effective du dossier de première instance par le Tribunal, le 27 juin 2019,
l'ordonnance du 28 juin 2019, par laquelle le Tribunal a suspendu l'exécution du transfert du recourant, à titre de mesures superprovisionnelles (art. 56

et considérant
que le Tribunal, en vertu de l'art. 31



qu'en particulier, les décisions rendues par le SEM concernant l'asile peuvent être contestées devant le Tribunal (art. 33 let. d



que l'intéressé a qualité pour recourir (art. 48 al. 1


que le recours, interjeté dans la forme (art. 52 al. 1


que, saisi d'un recours contre une décision de non-entrée en matière sur une demande d'asile, le Tribunal se limite à examiner le bien-fondé d'une telle décision (cf. ATAF 2012/4 consid. 2.2 ; 2009/54 consid. 1.3.3 ; 2007/8 consid. 5),
que, dans le cas d'espèce, il y a lieu de déterminer si le SEM était fondé à faire application de l'art. 31a al. 1 let. b

qu'avant de faire application de la disposition précitée, le SEM examine la compétence relative au traitement d'une demande d'asile selon les critères fixés dans le règlement Dublin III,
que, s'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande d'asile, le SEM rend une décision de non-entrée en matière après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du requérant d'asile (cf. ATAF 2017 VI/5 consid. 6.2),
qu'aux termes de l'art. 3 par. 1 du règlement Dublin III, une demande de protection internationale est examinée par un seul Etat membre, celui-ci étant déterminé selon les critères fixés à son chapitre III,
que la procédure de détermination de l'Etat responsable est engagée, aussitôt qu'une demande d'asile a été déposée pour la première fois dans un Etat membre (art. 20 par. 1 du règlement Dublin III),
que, dans une procédure de reprise en charge (anglais : « take back »), il n'y a en principe aucun nouvel examen de la compétence selon le chapitre III (cf. ATAF 2017 VI/5 consid. 6.2 et 8.2.1, et réf. cit.),
qu'en l'occurrence, les investigations entreprises par le SEM ont permis d'établir, après consultation de l'unité centrale du système européen « Eurodac », que A._______ avait déposé une demande d'asile en Italie, en date du 24 juin 2017,
que, le 4 juin 2019, le SEM a dès lors soumis aux autorités italiennes compétentes, dans le délai fixé à l'art. 23 par. 2 du règlement Dublin III,une requête aux fins de reprise en charge du prénommé, fondée sur l'art. 18 par. 1 point b de ce même règlement,
que, le 18 juin suivant, lesdites autorités ont expressément accepté de reprendre en charge le recourant, sur la base de cette même disposition,
que l'Italie a ainsi reconnu sa compétence pour traiter la demande d'asile de l'intéressé,
que ce point n'est pas contesté par le recourant devant le Tribunal,
qu'en revanche, l'intéressé a fait valoir des griefs formels qu'il convient d'examiner en premier lieu (cf. ATF 138 I 232 consid. 5),
qu'en effet, à l'appui de son recours, A._______ a fait valoir que le SEM avait violé son droit d'être entendu ainsi que la maxime inquisitoire,
qu'il a en particulier reproché au SEM l'absence injustifiée de transmission d'informations médicales à son représentant juridique avant le prononcé de la décision attaquée, ainsi qu'un défaut de motivation et d'instruction eu égard à sa situation médicale,
que la procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, ce qui signifie que l'autorité constate les faits d'office (art. 12

que les parties doivent collaborer à l'établissement des faits (art. 13

que dans le cadre de la procédure d'asile, l'obligation d'instruire et d'établir les faits pertinents incombe ainsi au SEM, la maxime inquisitoire trouvant sa limite dans l'obligation qu'a la partie de collaborer à l'établissement des faits qu'elle est le mieux placée pour connaître (art. 8

qu'ancré à l'art. 29 al. 2


qu'il comprend en particulier, pour le justiciable, le droit de s'expliquer, notamment sur les faits, avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la cause, celui d'avoir accès à son dossier et celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (cf. ATF 133 I 270 consid. 3.1 ; ATAF 2010/53 consid. 13.1),
que, par ailleurs, l'établissement des faits est incomplet au sens de l'art. 106 al. 1 let. b

qu'en l'occurrence, dans le cadre de son entretien lié à la « procédure Dublin » du 4 juin 2019, la recourant a précisé qu'il souffrait de problèmes de reins et d'insomnie,
que le représentant juridique a demandé à cette occasion que le cas médical du requérant soit instruit d'office,
que, selon les pièces jointes au recours, après avoir été informé, lors du premier entretien avec son mandant, le 3 juin 2019, que ce dernier avait bénéficié d'un rendez-vous à l'infirmerie le même jour, le mandataire a envoyé un courriel à l'infirmerie du Centre fédéral pour requérants d'asile Boudry (CFA) afin de s'enquérir des éventuelles suites médicales envisagées à ce rendez-vous ; que la réponse à ce courriel, datée du 5 juin 2019, comporte quatre blocs de texte pré-rédigés, dont un marqué en gras, indiquant la mention suivante : « cas bénin, pas de rapport médical à venir » (cf. mémoire de recours, annexe 3),
que, nonobstant ce qui précède, dans sa décision du 20 juin 2019, le SEM précise qu'en date du 18 juin 2019, l'infirmerie du CFA lui a transmis un préavis médical concernant l'intéressé, dont il ressort que les médecins préconisent une colonoscopie dans le canton d'accueil, en raison de douleurs abdominales chroniques,
que, dans son recours, le mandataire allègue que ledit préavis médical ne lui a pas été transmis, et que c'est seulement lors de la réception de la décision attaquée, datée du 20 juin 2019, qu'il a appris l'existence de ce document,
que, le 24 juin suivant, ayant appris que son mandant avait bénéficié d'un nouveau rendez-vous à l'infirmerie et d'une prise de sang, le mandataire a écrit un second courriel à ORS afin d'obtenir des éclaircissements ; que, dans sa réponse du 25 juin 2019, ORS lui a transmis un rapport médical (« F2 ») daté du 14 juin 2019 et établi suite à une consultation à l'Hôpital B._______, faisant état de « douleurs costales chroniques plus importantes ces derniers jours, avec difficultés respiratoires », et dans lequel le médecin précise que les analyses de laboratoire n'ont révélé aucune particularité et préconise une colonoscopie dans le canton d'accueil (cf. mémoire de recours, annexes 4, 5 et 6),
qu'au vu de ce qui précède, l'intéressé a à première vue bénéficié d'une prise en charge adéquate, conformément au « concept sanitaire » mis en place par le SEM au niveau des procédures accélérées dans le centre fédéral de Boudry,
que ce concept, détaillé récemment dans l'arrêt du Tribunal D-1954/2019 du 13 mai 2019, prévoit notamment, dans les cas où il n'y a pas d'urgence médicale ni de maladie contagieuse, une première consultation à l'infirmerie - qui dépend elle-même de l'ORS, soit le service d'encadrement mandaté par la Confédération, en charge notamment des soins de santé - laquelle procède à un « triage », avant de fixer, en cas de problématique médicale, un rendez-vous avec un médecin partenaire ou de référence, afin que le requérant puisse bénéficier d'une consultation médicale (cf. arrêt D-1954/2019 précité, p. 5)
que, dans l'arrêt précité, le Tribunal a toutefois rappelé que, dans ce processus de prise en charge médicale, les structures ayant signé une convention avec le SEM et les médecins partenaires sont tenus - tant dans les cas bénins, que dans ceux qui présentent une problématique médicale - de faire parvenir, par courrier électronique, un formulaire de clarification médicale ou bref rapport médical (« F2 ») à l'ORS (infirmerie du centre) ainsi qu'à la représentation juridique, cette dernière étant chargée de transmettre rapidement les informations médicales jugées pertinentes pour la procédure d'asile au SEM et de proposer, si besoin, une offre de preuve sous la forme d'un examen ou d'une expertise complémentaire (cf. idem, p. 5),
qu'en l'occurrence, à teneur du dossier, il apparaît que ni le SEM ni ORS (infirmerie du centre) n'ont transmis au représentant juridique de l'intéressé le rapport médical « F2 » du 14 juin 2019 ainsi que le préavis médical du 18 juin 2019, alors que ces deux documents sont antécédents à la décision du SEM du 20 juin 2019,
que la seule information médicale transmise au mandataire par l'infirmerie du centre, dans son courriel du 5 juin 2019, précisait qu'il s'agit d'un « cas bénin » qui ne nécessiterait aucun rapport médical subséquent, ce qui est manifestement contredit par l'existence des documents médicaux susmentionnés, qui font tous les deux état de la nécessité d'un suivi médical ainsi que d'investigations complémentaires, et plus précisément d'une colonoscopie,
qu'au vu de ce qui précède, le mandataire a été empêché de savoir, en temps utile, de quoi souffrait précisément son mandant et à quel point la santé de celui-ci était affectée,
qu'il n'a donc pas été en mesure de s'exprimer sur tous les éléments pertinents du dossier, et de demander, cas échéant, qu'un rapport médical complet et détaillé soit établi en faveur de son mandant, avant le prononcé de la décision attaquée,
que l'absence injustifiée de transmission d'informations médicales au représentant juridique constitue dès lors une violation du droit d'être entendu du recourant (cf., dans le même sens, arrêt D-1954/2019 précité),
qu'en outre, au vu de ce qui précède, le SEM ne pouvait manifestement pas reprocher au recourant, respectivement à son mandataire, ne n'avoir produit à ce jour « aucun élément concret [...] venu étayer [ses] dires » (cf. décision attaquée, consid. II p. 4),
qu'en effet, il ressort des documents médicaux datés des 14 juin et 18 juin 2019 que l'état de santé réel du recourant n'est pas encore connu, les médecins préconisant une investigation médicale complémentaire sous forme de colonoscopie,
qu'il incombera dès lors au SEM de procéder à des mesures d'instruction visant à clarifier de manière précise et complète la situation médicale de l'intéressé, les mesures d'instruction à entreprendre dépassant en l'espèce l'ampleur et la nature de celles incombant au Tribunal,
qu'au vu de ce qui précède, il y a lieu d'annuler intégralement la décision du SEM du 20 juin 2019 pour violation du droit fédéral (art. 106 al. 1 let. a



que, s'avérant manifestement fondé, le recours est admis au sens des considérants, dans une procédure à juge unique, avec l'approbation d'un second juge (art. 111 let. e

qu'il est dès lors renoncé à un échange d'écritures, le présent arrêt n'étant motivé que sommairement (art. 111a al. 1


que lorsque l'affaire est renvoyée à l'instance précédente pour nouvelle décision, dont l'issue reste ouverte, la partie recourante est considérée comme ayant obtenu gain de cause, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. ATF 141 V 281 consid. 11.1 et 137 V 210 consid. 7.1),
que, partant, il n'est pas perçu de frais de procédure (art. 63 al. 1


que les demandes de dispense d'avance de frais et d'assistance judiciaire partielle, déposées simultanément au recours, sont sans objet,
qu'il n'y a pas lieu non plus d'allouer de dépens au recourant (art. 64 al. 1

qu'en effet, celui-ci est représenté par le représentant juridique qui lui a été attribué par le prestataire mandaté par le SEM, conformément à l'art. 102f

(dispositif page suivante)
le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est admis.
2.
La décision du SEM du 20 juin 2019 est annulée et la cause lui est renvoyée pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.
3.
Il n'est pas perçu de frais de procédure.
4.
Il n'est pas alloué de dépens
5.
Le présent arrêt est adressé au recourant, au SEM et à l'autorité cantonale.
La juge unique : Le greffier :
Emilia Antonioni Luftensteiner Thierry Leibzig