BGE 58 II 244
42. Arrêt de la Ire Section civile de 13 juillet 1932 dans la cause Addor
contre Probst.
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Regeste:
1. Les personnes qui acceptent de faire une course dans une automobile dont le
conducteur est estropié (jambe artificielle) assument-elles une part du risque
qui est censé résulter de cette infirmité? Question résolue par la négative in
concreto. (Consid. 4.)
2. Indemnité pour tort moral due à un enfant dont le père et la mère ont été
tués. - Importance de la personnalité de l'auteur du dommage dans le calcul de
la réparation morale. (Considération de la douleur qu'il éprouve lui-même et
des dettes de reconnaissance que les victimes ou leur ayant droit pouvaient
avoir, d'autre part, envers lui.) (Consid. 6.)
Art. 44 al. 1
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag OR Art. 44 - 1 Hat der Geschädigte in die schädigende Handlung eingewilligt, oder haben Umstände, für die er einstehen muss, auf die Entstehung oder Verschlimmerung des Schadens eingewirkt oder die Stellung des Ersatzpflichtigen sonst erschwert, so kann der Richter die Ersatzpflicht ermässigen oder gänzlich von ihr entbinden. |
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1 | Hat der Geschädigte in die schädigende Handlung eingewilligt, oder haben Umstände, für die er einstehen muss, auf die Entstehung oder Verschlimmerung des Schadens eingewirkt oder die Stellung des Ersatzpflichtigen sonst erschwert, so kann der Richter die Ersatzpflicht ermässigen oder gänzlich von ihr entbinden. |
2 | Würde ein Ersatzpflichtiger, der den Schaden weder absichtlich noch grobfahrlässig verursacht hat, durch Leistung des Ersatzes in eine Notlage versetzt, so kann der Richter auch aus diesem Grunde die Ersatzpflicht ermässigen. |
Résumé des faits:
A. - John Addor, né en 1868, est estropié depuis son enfance: sa jambe droite
est artificielle. Il a néanmoins obtenu le 29 juillet 1927, à Genève, le
permis officiel de conduire une automobile.
Le 31 mars 1929, il a entrepris avec sa voiture une excursion en famille. Il
avait à côté de lui M. Daniel Wyss, tandis qu'à l'arrière avaient pris place
M. Louis Probst, Mme Hélène Probst et Mme Daniel Wyss, tous neveux et nièces
de John Addor.
A Nyon, ils furent rejoints par des parents, avec qui ils allèrent au
restaurant prendre un déjeuner précédé d'un apéritif et accompagné de
plusieurs bouteilles de vin. Ils en repartirent vers 16 h. 30 dans deux
automobiles: celle de John Addor, où avaient pris place les mêmes personnes
qu'à l'aller, et celle de son neveu, Paul Addor, qui contenait - entre autres
- l'enfant des époux Probst, le demandeur au présent procès.
Pour rentrer à Genève, ils passèrent par Eysins, Borex, Crassier, Bogis et
Chavannes-dé-Bogis, où ils s'arrêtèrent quelque 20 minutes à l'auberge, et où
John Addor consomma une liqueur «Suze».
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Puis ils reprirent leur course sur Commugny, l'automobile de M. Paul Addor
roulant la première. Au retour, la voiture que John Addor conduisait à vive
allure se mit tout à coup à osciller et sortit de la chaussée sur le talus de
gauche. Le conducteur donna alors un brusque coup de volant à droite et
freina; mais le véhicule traversa la route, fit un tête-à-queue, tourna deux
fois sur lui-même et s'arrêta quelques mètres plus loin dans un pré. Tous les
occupants avaient été projetés à terre. Dame Probst expira un instant après;
son mari est décédé quelques jours plus tard, sans avoir repris connaissance.
Par jugement du 19 novembre 1929, le Tribunal de police de Nyon a condamné
John Addor à 800 fr. d'amende pour homicide par imprudence.
B. - Le mineur Roger-Albert Probst, fils unique des défunts, a assigné Addor
en paiement de 33462 fr. 70...
C. - Le défendeur n'a pas contesté sa responsabilité, en principe, mais il a
soutenu qu'elle devait être réduite de 50% en raison des circonstances
suivantes:
1) La jambe artificielle de John Addor le rend moins apte qu'une autre
personne à conduire une automobile. Ce fait constitue un risque, que les
victimes ont accepté...
D. - Le Tribunal genevois de première instance a condamné le défendeur à payer
au demandeur la somme de 15154 fr. 70. Cette somme contient, entre autres, une
indemnité de 6000 fr. pour tort moral.
F. - Par acte déposé en temps utile, John Addor a recouru en réforme au
Tribunal fédéral, en reprenant les moyens soulevés et les conclusions
formulées par lui devant les juges cantonaux.
G. - Le demandeur s'est joint au recours, en reprenant ses conclusions de
première instance.
Considérant en droit:
...
4. En ce qui concerne la part de risque que les victimes
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auraient assumée, il y a lieu d'observer ce qui suit: Le Tribunal fédéral a
déjà jugé à plus d'une reprise que celui qui a donné lieu à une course
dangereuse, ou même qui a simplement consenti à y prendre part est, par son
imprudence, l'un des artisans du dommage qu'il éprouve, lorsqu'un accident en
est résulté. En d'autres termes, s'il est blessé dans cet accident, le
conducteur peut opposer à sa réclamation l'exception de faute concomitante,
conformément à l'art. 44 al. 1
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag OR Art. 44 - 1 Hat der Geschädigte in die schädigende Handlung eingewilligt, oder haben Umstände, für die er einstehen muss, auf die Entstehung oder Verschlimmerung des Schadens eingewirkt oder die Stellung des Ersatzpflichtigen sonst erschwert, so kann der Richter die Ersatzpflicht ermässigen oder gänzlich von ihr entbinden. |
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1 | Hat der Geschädigte in die schädigende Handlung eingewilligt, oder haben Umstände, für die er einstehen muss, auf die Entstehung oder Verschlimmerung des Schadens eingewirkt oder die Stellung des Ersatzpflichtigen sonst erschwert, so kann der Richter die Ersatzpflicht ermässigen oder gänzlich von ihr entbinden. |
2 | Würde ein Ersatzpflichtiger, der den Schaden weder absichtlich noch grobfahrlässig verursacht hat, durch Leistung des Ersatzes in eine Notlage versetzt, so kann der Richter auch aus diesem Grunde die Ersatzpflicht ermässigen. |
tué, ladite exception est opposable à ses ayants cause (v. TUHR p. 345, texte
et note 11).
Ce principe a été appliqué notamment dans des cas où les sinistrés avaient
incité le conducteur à passer par des chemins particulièrement dangereux, à
entreprendre la course ou à la continuer dans des conditions d'infériorité
physique ou mentale, par exemple par suite de grandes fatigues ou d'ivresse.
En l'espèce, il est constant que la route parcourue n'offrait pas en elle-même
des dangers extraordinaires. Le conducteur n'avait pas de raison d'être
spécialement fatigué et ne présentait pas les signes apparents d'un individu
sous l'influence de l'alcool.
En revanche, le défendeur insiste sur les dangers exceptionnels qui
résultaient du fait que, ne possédant qu'une jambe valide, il n'était pas
aussi assuré qu'un homme normal dans la conduite d'une voiture. Certes, si
l'infirmité d'Addor diminuait à ce point sa capacité de conduire, il était le
premier coupable de n'en avoir pas tiré les conclusions qui s'imposaient, en
s'abstenant de diriger une voiture automobile. Néanmoins, on pourrait se
demander si ceux qui connaissaient cette infériorité n'auraient pas dû en
tirer la même conclusion, et si l'on ne devrait pas leur appliquer la
jurisprudence précitée. Toutefois, cette jurisprudence reposant, ainsi qu'on
vient de le voir, sur la notion de la faute concomitante, on ne saurait
l'appliquer par le seul fait du danger que
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représentait l'infirmité du conducteur. Il faudrait encore - pour que les
participants fussent en faute - qu'ils se fussent rendu compte ou eussent dû
se rendre compte de l'existence de ce danger.
Pour juger s'il en était ainsi, on ne doit pas se fonder sur l'idée que
pouvait se faire d'un tel risque un spécialiste de l'automobile, ni se laisser
influencer par les réflexions que peut inspirer après coup l'accident qui
s'est produit. On doit, au contraire, se mettre à la place des sinistrés et se
demander comment ils devaient apprécier les qualités de conducteur de leur
oncle, au moment où ils entreprirent la course qui devait causer leur décès.
A ce propos, il y a lieu de relever avant tout que le recourant avait obtenu
des autorités compétentes le permis de conduire une automobile. Il importe peu
de savoir si, avant de le lui délivrer, lesdites autorités avaient exigé qu'il
fît adapter à son état les commandes de sa voiture, pour remplacer par des
mouvements de la main ou du pied gauche ceux qui appartiennent normalement au
pied droit. Il importe peu également de savoir si les autorités genevoises ont
eu ou non raison de lancer cet infirme dans la circulation. En revanche il
suffit de constater que les époux Probst devaient se dire que l'infirmité de
leur oncle n'avait pu échapper aux examinateurs; ceux-ci ayant considéré John
Addor comme capable de conduire, les Probst pouvaient admettre qu'il l'était
réellement, au même titre qu'un individu valide. Cette impression devait être
fortifiée par le fait que la compagnie «La Bâloise» avait accepté de
l'assurer, sans surprime, contre les conséquences de la responsabilité civile.
A cela s'ajoute que les défunts devaient être habitués à voir le défendeur
estropié, et que cette disgrâce devait leur faire moins d'impression qu'à un
tiers. Enfin, Addor possédait son permis de conduire depuis près de deux ans.
Durant ce laps de temps, il avait parcouru plusieurs milliers de kilomètres
sans le moindre accident ni la moindre contravention.
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Pour toutes ces raisons, les défunts ne pouvaient pas considérer comme
particulièrement dangereuse une course dans l'auto conduite par leur oncle, et
l'on ne saurait leur imputer à faute le fait d'avoir accepté de participer à
cette course...
6. Quant à la réparation morale, le Tribunal fédéral ne saurait entièrement
partager la manière de voir des premiers juges, suivant lesquels il y aurait
lieu de tenir compte du fait que l'enfant s'accoutumera à sa condition
d'orphelin de père et de mère.
On doit considérer, au contraire, que cette condition est une des plus tristes
que l'on puisse imaginer. Si l'on peut admettre que l'insouciance naturelle de
l'enfant lui épargne la souffrance morale qu'éprouve l'adulte, ou même
l'adolescent, à la perte des êtres qui lui sont le plus chers, on ne saurait
méconnaître l'immensité du déficit moral que subissent un garçonnet ou une
fillette, lorsqu'ils perdent ceux que la nature leur avait donnés pour veiller
sur leur faiblesse et guider leurs premiers pas dans la vie. D'ailleurs, on ne
saurait oublier que, témoin personnel du drame, Roger Probst doit avoir gardé,
du décès de ses parents, une vision d'épouvante, qui est généralement épargnée
aux enfants de son âge.
Dans ces conditions, une indemnité élevée serait justifiée en principe. Mais
il y a lieu de tenir compte d'un autre facteur essentiel en matière de
réparation morale. Cette réparation - qui ne peut être un équivalent
mathématique du tort éprouvé - doit adoucir l'amertume de l'offense et
apaiser, en quelque mesure, le désir de vengeance du lésé (v. TUHR, p. 106).
De ce point de vue, il est clair que la personnalité de l'auteur du dommage
doit jouer un rôle important. La satisfaction que peut procurer une somme
d'argent est d'autant moins indiquée que le lésé a quelque dette de
reconnaissance envers le coupable lui-même et qu'il a des raisons impérieuses
de le prendre en pitié. Or tel est le cas en l'espèce. Il est constant en
effet que John Addor est le proche parent
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des victimes et qu'il avait été notamment le bienfaiteur de Dame Probst, la
mère du demandeur. L'accident l'a cruellement affecté lui-même et sera une
source de remords pour toute sa vie. Le juge pénal a déjà tenu compte de ces
circonstances dans l'application de la peine. Il convient de les retenir
également, du point de vue de l'art. 47
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag OR Art. 47 - Bei Tötung eines Menschen oder Körperverletzung kann der Richter unter Würdigung der besonderen Umstände dem Verletzten oder den Angehörigen des Getöteten eine angemessene Geldsumme als Genugtuung zusprechen. |
l'indemnité de 6000 francs accordée par les premiers juges à titre de
réparation morale apparaît, en définitive, pleinement justifiée.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral prononce:
Le recours principal et le recours joint sont rejetés.
L'arrêt attaqué est entièrement confirmé.