S. 187 / Nr. 35 Derogatorische Kraft des Bundesrechts (f)

BGE 64 I 187

35. Extrait de l'arrêt du 24 juin 1938 dans la cause Banque X & Cie contre
Etat de Fribourg.

Regeste:
Le secret des banques (art. 47 loi sur les banques) et l'obligation de
renseigner le fisc cantonal. Celui-là prime-t-il celle-ci? En général? S'il
s'agit de l'imposition de la banque elle-même? Questions non résolues.

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Lorsque le fisc refuse une déclaration d'impôt concernant le produit du
travail, il peut sans arbitraire procéder à une taxation d'office
(Ermessenstaxation) chaque fois que le contribuable, à la demande de
l'autorité, ne produit pas sa comptabilité ou ne produit qu'une comptabilité
incomplète ou insuffisante. Peu importe que le contribuable soit ou non fondé,
en vertu du secret auquel il serait tenu et notamment du secret bancaire, à ne
pas fournir une comptabilité complète. Obligation du fisc de désigner, à la
requête du contribuable, un expert neutre? Question laissée indécise.

Résumé des faits:
Le Service cantonal des contributions n'a pas accepté la déclaration d'impôt
de la Banque X & Cie. Il a fixé le revenu imposable à un montant plus élevé
que celui qu'indiquait la contribuable. Celle-ci ayant formé recours, le
Service cantonal chargea un de ses contrôleurs d'examiner les livres de la
banque. Cette expertise n'a pu avoir lieu que partiellement, car le chef de la
maison, invoquant le secret professionnel, refusa de dévoiler les noms de
certains titulaires de comptes créanciers. La Commission cantonale de recours
en matière d'impôt débouta la Banque X pour les motifs ci-après:
L'expertise comptable a été ordonnée en vertu de l'art. 47 ch. 2 de la loi
fribourgeoise d'impôt, qui permet aux organes du fisc de recourir à cette
mesure chaque fois qu'ils ne s'estiment pas assez renseignés ou qu'ils ont des
doutes sur la sincérité de la déclaration. L'examen des comptes révèle que les
associés n'ont pas touché d'appointements en 1936 et n'ont fait qu'un
prélèvement insignifiant. Le chef de la maison doit cependant pourvoir à son
entretien et à celui de sa famille. Comme, d'après les dossiers fiscaux où il
est intéressé, il n'a pas d'autres ressources que celles provenant de la
société - abstraction faite du revenu de sa fortune personnelle, qui ne lui
permet pas de faire face à ses dépenses effectives -, on peut supposer qu'il a
remédié à cette insuffisance en prélevant des intérêts comptabilisés à des
créanciers fictifs. La connaissance des titulaires des comptes est
indispensable pour

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apprécier l'authenticité des inscriptions. L'examen du mouvement des comptes
n'est pas décisif. L'argument du secret professionnel ne résiste pas à
l'examen. En l'espèce, l'expertise n'a pas été ordonnée en vue de l'imposition
des clients de la banque, mais en vue de l'imposition de la banque elle-même.
Si le fisc appelé à taxer les banques ne pouvait procéder à une vérification,
il serait obligé, à l'égard d'une classe de contribuables, de s'en tenir
exclusivement à leurs déclarations.
A la suite de cette décision, la banque proposa que les comptes fussent
examinés par un expert neutre. La Direction cantonale des finances déclina
cette offre.
La Banque X a formé un recours de droit public tendant à l'annulation de la
décision de la Commission cantonale. Elle invoque la violation des art. 4, 31,
34ter, 64 et 64bis CF et des art. 9 et 11 Const. frib. Elle prétend que la
décision attaquée porte atteinte au secret des banques. Elle soutient en outre
qu'aucune disposition du droit fribourgeois ne permet de lever ce secret, du
moins en ce qui concerne les comptes courants, et qu'au surplus rien ne
justifiait une expertise.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des motifs:
La recourante prétend que le fisc fribourgeois n'était pas en droit, sous
prétexte que la recourante avait refusé d'indiquer les titulaires de certains
comptes créanciers, de procéder à son égard à une taxation d'office; sans
compter qu'aucune raison sérieuse ne justifiait un tel contrôle, celui-ci
était exclu par le secret des banques consacré par la loi fédérale du 8
novembre 1934 et protégé d'une manière particulière par le législateur
fribourgeois.
a) La recourante invoque les art. 9 et 11 Const. frib. qui garantissent
l'égalité des citoyens devant la loi et la liberté du commerce et de
l'industrie. Mais ces dispositions n'ont, par rapport aux art. 4 et 31 CF,
aucune signification distincte.

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La violation de la liberté du commerce et de l'industrie résiderait dans le
fait que les banques fribourgeoises ne seraient plus en état de soutenir la
concurrence avec les autres banques suisses, dès le moment où dans le canton
de Fribourg le secret des banques serait supprimé ou compromis par des
décisions telles que la décision attaquée. Mais l'art. 31 CF ne saurait être
invoqué en l'espèce, car des impôts généraux, comme l'impôt sur le produit du
travail, ne constituent pas des impôts «se rattachant à l'exercice de
professions commerciales» au sens de la lettre e de la disposition
constitutionnelle (SALIS, Bundesrecht, t. II, no 801). L'art. 31 n'assure au
commerçant ou à l'industriel aucune protection contre des impôts généraux,
même lorsque, de fait, le montant de ceux-ci rend plus difficile voire
impossible la lutte contre la concurrence (BURCKHARDT, Comm., p. 247).
b) La recourante invoque les art. 34ter et 64bis CF, mais elle n'explique pas
en quoi ces dispositions auraient été violées. Les articles précités
contiennent des normes de compétence, ils ne confèrent pas au citoyen des
droits constitutionnels. C'est cependant sous cet angle que la recourante se
plaint d'une violation du secret des banques. Elle manifeste ainsi qu'elle
entend en réalité se prévaloir de la force dérogatoire du droit fédéral (art.
2 Disp. trans. CF): le fisc fribourgeois aurait appliqué à tort le droit
cantonal au lieu du droit fédéral, la loi fribourgeoise d'impôt au lieu de la
loi sur les banques portée en vertu des art. 34ter, 64 et 64bis CF. La
recourante prétend, il est vrai, que la violation du secret des banques
constitue encore une atteinte à ses intérêts personnels (art. 28
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907
CC Art. 28 - 1 Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
1    Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
2    Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi.
CC, 49 CO).
Mais les droits attachés à la personnalité concernent les rapports des
particuliers entre eux, et même si l'on devait considérer le secret des
banques comme un droit de la personnalité, ce droit appartiendrait au client
de la banque, non à la banque elle-même.
L'art. 47 litt. b de la loi sur les banques punit celui qui, en qualité de
membre d'un organe ou d'employé de la

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banque, de reviseur ou d'aide reviseur, de membre de la commission des
banques, de fonctionnaire ou d'employé du secrétariat, viole la discrétion à
laquelle il est tenu en vertu de la loi ou le secret professionnel. Pour les
organes de revision, cette disposition est la sanction de l'obligation de
discrétion qui leur est imposée par les art. 20 et 23 de la loi. En revanche,
il n'existe pas de disposition analogue pour les organes et les employés de la
banque elle-même. A leur égard, le secret professionnel du banquier se trouve
consacré par le législateur d'une manière indirecte, par l'établissement d'une
norme pénale. Les travaux préparatoires ne fournissent aucune indication sur
le sens et la portée de l'art. 47 et notamment sur les rapports entre le
secret des banques, d'une part, et l'obligation de renseigner le juge civil ou
pénal ainsi que les autorités de poursuite et les autorités fiscales, d'autre
part. Il appartiendrait dès lors aux tribunaux de définir ces rapports.
Dans la correspondance échangée avec le Conseil fédéral (art. 194
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907
CC Art. 28 - 1 Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
1    Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
2    Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi.
OJ) en la
cause Keller c. Zurich (décision de radiation du 18 juin 1937), le Tribunal
fédéral avait, il est vrai, soutenu que l'art. 47 de la loi sur les banques
sanctionnant le secret professionnel du banquier avait le caractère d'une loi
administrative ou de police et que, partant, le grief de violation de la force
dérogatoire du droit fédéral devait être examiné par le Conseil fédéral (art.
189 al. 2
SR 210 Code civil suisse du 10 décembre 1907
CC Art. 28 - 1 Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
1    Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
2    Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi.
OJ). Celui-ci estima au contraire qu'il fallait considérer l'art.
47, du moins en ce qui concerne les organes et employés de la banque, comme
une simple norme pénale: la compétence du Tribunal fédéral était donc acquise.
Tout en conservant des doutes à ce sujet, le Tribunal fédéral s'était rallié
au point de vue du Conseil fédéral pour des raisons d'opportunité. Il n'y a
pas lieu de procéder à un nouvel échange de vues avec le Conseil fédéral.
Il s'agirait en l'espèce de savoir si le secret des banques consacré par
l'art. 47 de la loi sur les banques prime l'obligation de renseigner le fisc,
obligation que la Commission cantonale déduit de l'art. 47 de la loi
fribourgeoise

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d'impôt. Nul doute que le chef de la maison X ne soit un «organe» de la
société en nom collectif qu'il dirige, au sens de l'art. 47 de la loi
fédérale, et qu'à ce titre il ne puisse invoquer son obligation de discrétion.
En contrevenant à cette obligation, X aurait commis un acte objectivement
illicite appelant une sanction pénale. L'illicité de cet acte aurait toutefois
pu être levée par une injonction spéciale d'une loi (fédérale ou même
cantonale) et notamment par une disposition statuant une obligation de
renseigner (cf. p. ex. art. 32 et 321 no 3 Code pénal suisse), à condition que
cette règle particulière ait le pas sur l'obligation de discrétion. Il
faudrait donc décider si, comme le soutient CAPITAINE (Le secret professionnel
du banquier), la loi sur les banques a institué un secret absolu, opposable,
nonobstant disposition contraire du droit cantonal ou fédéral, tant aux
autorités qu'aux particuliers, ou si, au contraire, la loi nouvelle n'a fait
que sanctionner une obligation préexistante de discrétion, qui peut céder
devant l'obligation de renseigner les autorités judiciaires ou
administratives. Même dans cette seconde hypothèse, on ne saurait donner au
conflit entre l'art. 47
SR 952.0 Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne (Loi sur les banques, LB) - Loi sur les banques
LB Art. 47 - 1 Est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui, intentionnellement:
1    Est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui, intentionnellement:
a  révèle un secret à lui confié ou dont il a eu connaissance en sa qualité d'organe, d'employé, de mandataire ou de liquidateur d'une banque ou d'une personne au sens de l'art. 1b, ou encore d'organe ou d'employé d'une société d'audit;
b  tente d'inciter autrui à commettre une telle violation du secret professionnel;
c  révèle un secret qui lui a été confié au sens de la let. a ou exploite ce secret à son profit ou au profit d'un tiers.
1bis    Est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui obtient pour lui-même ou pour un tiers un avantage pécuniaire en agissant selon l'al. 1, let. a ou c.198
2    Si l'auteur agit par négligence, il est puni d'une amende de 250 000 francs au plus.
3    ...199
4    La violation du secret professionnel demeure punissable alors même que la charge, l'emploi ou l'exercice de la profession a pris fin.
5    Les dispositions de la législation fédérale et cantonale sur l'obligation de renseigner l'autorité et de témoigner en justice sont réservées.
6    La poursuite et le jugement des infractions réprimées par la présente disposition incombent aux cantons. Les dispositions générales du code pénal200 sont applicables.
LB et la législation cantonale ou fédérale une
solution d'ensemble; il conviendrait, dans chaque cas particulier, de mettre
en regard les dispositions en cause et de comparer les intérêts en présence:
le prix que le législateur attache à la confiance envers les banques et, par
ex., l'intérêt public à ce que la lumière se fasse dans un procès pénal. On
peut remarquer qu'en matière de poursuite, ainsi qu'il a été jugé (RO 51 III
40
et 56 III 48, confirmés par l'arrêt RO 63 III 76, postérieur à l'entrée en
vigueur de la loi sur les banques), le banquier détenteur de valeurs saisies
ou séquestrées ne peut invoquer son secret professionnel pour refuser de
renseigner l'office sur l'existence et la consistance du dépôt; l'office ne
dispose, il est vrai, d'aucun moyen de contrainte pour forcer le tiers de
satisfaire à son obligation. En l'espèce, l'intérêt public en jeu est un pur
intérêt fiscal; mais on ne peut dire, d'une manière générale, que, comme

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tel, il doive nécessairement être primé par le secret bancaire. Sans résoudre
ces questions, on pourrait considérer que les renseignements exigés par le
fisc ne devaient pas servir ici à l'imposition d'un client de la banque, mais
à l'imposition de la banque elle-même. Celle-ci ne jouant pas le rôle d'un
tiers dans une procédure de taxation, il s'ensuivrait que les principes
régissant cette procédure ne seraient pas applicables: la banque ne pourrait
invoquer son secret professionnel pour refuser de donner des indications que
tout contribuable, dans les mêmes conditions, est tenu de fournir. Mais la
recourante objecte que, même en donnant des renseignements dans la procédure
de taxation qui la concerne elle violerait son secret professionnel à l'égard
de ses clients. Cela est exact: il pourrait en effet se trouver, parmi les
titulaires de comptes courants dont la commission voudrait connaître les noms,
des personnes astreintes à l'impôt dans le Canton de Fribourg; quant aux
autres créanciers, ils peuvent avoir intérêt, sous divers rapports, à tenir
secrètes leurs relations avec la banque. Toutefois, il n'est pas nécessaire,
en l'espèce, de trancher le conflit entre l'obligation de discrétion du
banquier et son obligation de renseigner l'autorité fiscale.
En effet, l'expert n'ayant pu se livrer à un examen complet de la
comptabilité, la commission pouvait admettre que la recourante, dont la
déclaration avait été refusée, n'avait pas fait la preuve du revenu qu'elle
alléguait. Or, en tant que le refus de la déclaration n'est pas arbitraire, le
fisc est en droit de procéder à une taxation d'office (Ermessenstaxation) du
produit du travail chaque fois que le contribuable ne produit pas sa
comptabilité ou ne produit qu'une comptabilité incomplète ou insuffisante
(arrêts du 15 octobre 1937 en la cause Frech, du 4 février 1938 en la cause
Schneeberger, du 6 mai 1938 en la cause Gantenbein, du 20 mai 1938 dans la
cause Lifschitz). Pas plus qu'elle n'a à rechercher si le contribuable est ou
non obligé de tenir une comptabilité,

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l'autorité n'a à se demander s'il est ou non fondé à ne pas la produire dans
son intégralité. Si le secret des banques empêche la recourante d'indiquer les
noms de certains titulaires de comptes, elle doit se soumettre à l'estimation
des autorités fiscales, puisqu'elle se trouve dans l'impossibilité de
rapporter la preuve de ses allégations (Beweisnotstand). S'il en résulte pour
elle un inconvénient, elle doit l'accepter comme inhérent à la profession
qu'elle exerce et au secret qui la lie; cet inconvénient est d'ailleurs
compensé par d'autres avantages (cf. arrêt Lifschitz). Tout au plus
pourrait-on se demander si, pour permettre la preuve, l'autorité ne serait pas
tenue, à la requête du contribuable, de désigner un expert neutre. Mais, outre
qu'à l'égard de cet expert le secret bancaire serait violé, il paraît excessif
d'exiger du fisc qu'il s'en remette, sans contrôle, à une telle expertise.
Toutefois, la question peut aussi demeurer indécise, attendu que la recourante
n'a requis la désignation d'un expert neutre que postérieurement à la décision
attaquée.
c) ... Le Tribunal fédéral examine si les autorités fiscales fribourgeoises
ont fait à l'égard de la recourante une application arbitraire de l'art. 47 de
la loi cantonale d'impôt. Il conclut par la négative.